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DEBORDEMENT |
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Disclaimer : Tout l'univers de Saint Seiya que tu reconnaîtras aisément appartient à Masami Kuramada la Shueisha et Toei Animation. L'auteur n'en retire aucun profit si ce n'est le plaisir d'écrire et d'être lue. J'espère que tu aimeras... |
Chapitre unique C'est l'été, au Sanctuaire. Même la nuit ne parvient pas à faire baisser la température brûlante, étouffante. Aucun souffle de vent ne vient effleurer la mer aussi étale qu'une flaque d'huile. Chacun lutte comme il peut contre la chaleur. Qui à coups de cristaux de glace, qui à grand renfort d'éventail, qui en dormant dans sa piscine. Les deux latins de la troupe ont opté pour l'évacuation. Les pieds dans l'eau, un pack de bouteilles de bière à mariner, et le paquet de clopes à portée de main. « Même la flotte est chaude », grogne le premier. « La bière tiède, c'est dégueu », approuve le second en reprenant tout de même une gorgée au goulot. Faut pas laisser perdre la boisson, c'est toujours ce qu'on lui a enseigné. « La fumée me brûle les poumons » reprend son compagnon, décidément de mauvais poil. L'eau qui lèche le bas de son pantalon lui laisse une désagréable sensation de mouillé même pas froid, comme si un chien géant bavait sur ses pieds. L'image mentale le fait pouffer. Il a trop bu, c'est sûr. La tête dans les étoiles, les pieds dans la mer, et le cœur au milieu. On dirait un rêve. « Y devraient inventer la clope réfrigérante » approuve son camarade de beuverie en louchant sur le bout rougeoyant de la cigarette. Yaka demander à Camus, songe l'autre, mais il arrête les paroles sur ses lèvres. Non, il n'a pas envie de parler des autres chevaliers d'or, ce soir. C'est une nuit rien que pour eux deux, et il ne veut pas que quelqu'un d'autre s'y immisce, même en évocation. Du bout du pied, le second fumeur repousse du sable pour le modeler en un vague tas que viennent noyer les vagues. « T'fais un château ? » marmonne Death Mask. « Nan. De toutes façons, tu me les démolis toujours. » Un sourire amusé s'esquisse sur les lèvres du Cancer alors que ressurgit le souvenir de leur enfance. Le petit Capricorne passait des heures à bâtir des palais de sable à la gloire d'Athéna, et son camarade, quelques secondes à les détruire. « On fait quoi, alors ? Y'a plus de clopes et t'as pris la dernière bouteille de bière. » Shura remue légèrement. Le sable s'est tassé dans son dos, rendant la position inconfortable, pourtant il n'a pas envie de remuer. Cette plage, c'est leur havre de paix. Il ne compte plus le nombre de fois où ils s'y sont retrouvés pour jouer, se bagarrer ou, le temps passant, simplement se trouver côte à côte, sans parler. Les années suivant la mort de Shion ont été silencieuses, toujours. Pourtant ils n'ont pas renoncé à leur habitude. Leur mutuelle présence muette suffisait à les rassurer. Depuis leur retour, ça va un peux mieux. Ils parlent, quelques bribes. Passe-moi une clope, t'as pas du feu, ce genre de choses. « Tu me files un peu de bière ? » Sans un mot le bras du Capricorne se tend, ses doigts frôlent ceux du Cancer qui s'empare de la bouteille. Sa langue lèche distraitement le goulot, tentant d'y retrouver le goût de son précédent propriétaire. Ça n'a rien de dégoûtant, ni de bizarre, puisqu'ils sont… Ils sont quoi, au fait ? Meilleurs amis, ça sonne un peu comme dans les shojo mangas qu'affectionne la réincarnation d'Athéna. Ça ne leur rend pas justice. Et puis de toutes façons, pourquoi mettre des mots sur leur relation silencieuse ? Personne ne leur demande de comptes, après tout. Personne n' oserait . « Passe-la moi » exige le Capricorne en tendant la main pour récupérer son bien. Et Death Mask, fasciné, regarde le goulot disparaître entre les lèvres bien dessinées, et la bouche sucer presque amoureusement le verre. « Bois pas tout » se plaint-il un peu trop fort, et la bouteille revient vers lui. Il recueille du bout de la langue une goutte qui a roulé sur le flanc de l'objet, et du coin de l'œil guette sa jumelle qui coule le long du menton de son camarade avant de dévaler la peau brune de la gorge. Il bascule sur le côté et la lèche avec la même application que la bouteille. Shura se fige, la main qui tient encore la cigarette en l'air. De l'autre, il effleure la chevelure sombre penchée sur lui. Ils ont trop bu, c'est sûr. L'alcool tiède monte à la tête. Ce n'est pas la première fois. De l'amitié qui déborde un peu, ça arrive. Pas de quoi crier au scandale. Pas de quoi tirer des conclusions hâtives. Pourtant la langue qui quitte sa peau lui laisse une sensation de manque. Il reprend une bouffée de cigarette pour augmenter la dose de nicotine. Compenser. « C'est du foin, ces clopes » grogne Death Mask qui a du suivre le même raisonnement que lui. Plus d'alcool, plus de tabac, et l'envie de plus qui grandit. Shura roule sur le côté, penche la tête au-dessus de celle du Cancer, et souffle doucement dans sa bouche. Expiration. Celui-ci passe la langue sur ses lèvres puis noue ses doigts sur la nuque du Capricorne, l'attirant plus près. Inspiration. Ce n'est rien. L'été, la chaleur, la mer, les stupéfiants. Ils sont liquéfiés, littéralement. Rien d'étonnant à ce que ça déborde plus que d'habitude. Et puis sans vêtements, on a tout de même moins chaud. La curiosité fait voyager leurs mains. As-tu autant de cicatrices que moi, ton dos est-il aussi musclé que le mien, ton ventre aussi plat, et est-ce que c'est aussi bon que pour moi lorsque je te touche là ? L'alcool est bien plus intoxiquant lorsqu'il se savoure sur une langue étrangère, il n'y a pas de doute. Et tes cheveux sentent la fumée, ça pue, si on se baignait ? C'est une idée, ça. L'eau est moins fraîche qu'elle ne le devrait, elle exacerbe les réactions au lieu de les calmer. Dis, tes lèvres ont un goût salé, maintenant. « J'ai envie… » souffle l'un, et l'autre ne le contredit pas. Ils ont partagé tant de choses, alors un peu plus, un peu moins… Et puis lorsque l'on a un besoin, il faut le combler, c'est une loi physique. Les autres ? Ça ne les regarde pas. Ils ne comprendraient pas de toutes façons. Ils se shootent à l'amour, à la dévotion, au courage, à toutes ces grandes valeurs. Les petites faiblesses humaines, le manque, les stupéfiants, tout ça, c'est pas pour eux. Ils mettraient des mots faux sur ces gestes, ces mains qui explorent le corps de l'autre, ces bouches qui se dévorent, ces deux désirs pressés l'un contre l'autre. Ils ne sentiraient pas l'urgence, dévorante, et la douleur qui accompagne le plaisir, toujours, au début. Pas plus qu'ils ne saisiraient le bonheur incommensurable de se sentir complet, enfin, tous les manques comblés, et l'explosion de tous les sens qui l'accompagne. Ils se demanderaient sans doute pourquoi ils restent là, étendus dans l'eau qui clapote autour de leurs corps rassasiés, les membres encore emmêlés, sans rien dire. Ils parlent, ils parlent, ils parlent, et ils ne savent pas que le silence, parfois, vaut toutes les déclarations. « Tu crois que le whisky ça tient mieux la chaleur que la bière ? » « Faudra essayer. Et le tabac roulé, aussi, paraît que c'est pas mal. » Parce qu'ils reviendront, forcément. Un soir, ou un autre, comme la mer revient toujours au rivage. Simplement, ils n'ont pas besoin de le dire. Ils le savent, au plus profond de leur chair.
FIN |