RESURRECTION

 

 

 

 

Disclaimer : tout l'univers de Saint Seiya que tu reconnaîtras aisément
appartient à Masami Kurumada. L'auteur ne retire aucun bénéfice si ce n'est le plaisir d'écrire et d'être lue.

Genre
: romance/amitié/intrigue.

Rating
: interdit au moins de 18 ans.

Note
: nombreux couples principalement Yaoi.

Auteur : Gajin

J'espère que tu aimeras. Bonne lecture...

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Chapitre 3

Le Café du Scorpion

 

 

– C'est moi ! fit Kanon en poussant la porte du salon du Scorpion.

Rhadamanthe lisait tranquillement l'édition du Times qu'il avait ramenée de Venise, la veille, installé dans un fauteuil.

– Un ton en dessous : Milo dort encore, l'avertit le Juge de sa voix posée.
– Des difficultés à se remettre de la soirée ?
– Quelque chose comme ça. Il a arrêté de pleurer à l'aube, précisa Rhadamanthe d'un ton parfaitement calme. Je vais nous faire un café.

Il replia le journal qu'il déposa sur la table basse. Sans un regard pour le Gémeau, il passa à la cuisine. C'est un Kanon complètement déboussolé qui y entra à sa suite.

– Qu'est ce que ça veut dire ? Qu'est ce qu'il s'est passé ?

Rhadamanthe alla fermer la porte, puis revint s'installer contre l'évier, face à la cafetière.

– Je t'avais dit que la résurrection n'était pas la seule explication au comportement de Milo. Je t'avais dit qu'il y avait autre chose…
– Tu veux dire que c'est à cause de la soirée ? Tu veux dire que c'est ma faute ?

Kanon parlait tout bas, pour ne pas réveiller le Scorpion, mais l'affolement transpirait dans sa voix.

– Je n'ai pas dit ça.
– Tu l'as sous-entendu !
– Non. Écoute, on gagnera du temps si tu cesses de mal interpréter tout ce que je dis. Le problème, c'est Milo. Ce n'est pas toi. Si tu n'es pas capable de prendre un peu de recul, tu ferais mieux de sortir d'ici. Sans sucre, ton café?

Kanon acquiesça sans même s'en rendre compte. Il ne comprenait plus rien. Pourquoi Milo avait-il passé la nuit à pleurer ? Il aurait dû aller mieux, sachant que tout le monde tenait à lui, que tout le monde regrettait amèrement s'être conduit comme de fieffés imbéciles… Où avait-il bien pu commettre une erreur ?

– Je ne sais pas ce qu'il a, finit par avouer Rhadamanthe en lui tendant son mug. Il n'a rien voulu me dire. Il s'est contenté de pleurer, de hurler, de pleurer… de hurler… de pleurer… de hurler… de pleurer…

– Arrête ! J'ai compris le tableau, pas besoin d'en rajouter… Comment est-ce que tu as… ?
– Réussi à le calmer ? Je l'ai bercé le temps qu'il a fallu. Ils finissent toujours par s'endormir : pleurer les épuise.

Kanon s'imaginait la scène. Les deux hommes allongés dans le lit du Scorpion, Milo en larmes, lové contre Rhadamanthe… Et lui, pendant ce temps, il avait sautillé tout le long du chemin du retour vers son temple, il avait ri avec Saga qui avait retrouvé le moral, il avait dormi comme un loir, et ce matin, aux arènes, il avait plaisanté, il avait été heureux, il avait… Il balança un coup de poing dans le mur, pour se libérer de sa frustration. Sans succès… Il se sentait toujours aussi mal. Mais il avait réussi à se calmer, un peu. Un tout petit peu.

– On fait quoi ? demanda-t-il au Juge.

Rhadamanthe resta un moment à siroter son café, en silence, les yeux fixés sur la cafetière.

– Tu m'as bien dit qu'il avait changé après ce que vous appelez la bataille du Sanctuaire ? finit-il par demander.
– C'est que j'ai cru comprendre…

Nouveau silence. Le Juge finit par poser sa tasse dans l'évier.

– Tu peux t'occuper de Milo ? J'ai un truc à faire.

Il quitta la pièce sans attendre la réponse, mais Kanon le retint alors qu'il allait sortir du temple.

– Tu vas où ?
– Chez Aiolia.

Quand Rhadamanthe de la Wyverne, Juge des Enfers, émissaire personnel de Sa Majesté Perséphone, costume trois-pièces, légères fragrances de tabac et de café flottant encore autour de sa personne, se présenta à la porte du temple du Lion, il fut surpris de ne voir aucun Chevalier venir l'accueillir. Il n'avait certes pas annoncé sa présence, mais il ne cachait pas son cosmos. Que ce soit chez la Balance ou chez la Vierge, un des occupants avait, au moins, mis le nez dehors pour voir ce que venait faire l'intrus chez eux. Il les avait rassurés en leur expliquant qu'il ne faisait que passer. Il décida donc de frapper, en espérant sincèrement ne pas déranger les habitants de cette demeure : il avait besoin d'Aiolia et ne souhaitait pas que leur conversation débute entachée de ressentiment.

Au bout de quelques minutes, et de plusieurs tentatives de la part du Juge, le Lion finit par passer la tête dans l'entrebâillement de la porte.

– Chevalier du Lion…, le salua Rhadamanthe, en s'inclinant légèrement. J'aimerais avoir, si possible, une conversation avec toi.
– Euh… c'est important ?
– Plutôt oui…
– J'arrive tout de suite. Accorde-moi simplement deux minutes, fit Aiolia en refermant la porte.

L'attitude du serviteur d'Athéna était pour le moins choquante aux yeux du Juge. Il venait de lui claquer une porte au nez. Sans méchanceté aucune, il aurait pu en jurer, mais tout de même. Décidément, les usages ayant cours au Sanctuaire lui déplaisaient fortement. Tact et Diplomatie… Il alluma une cigarette.

Une poignée de minutes plus tard, Aiolia ressortait et lui présentait ses excuses pour ne pas avoir pu l'inviter à entrer. Marine, Shunreï et Seika étaient dans le salon, occupées à essayer de calmer ou consoler Shina, selon les mouvements d'humeur de la jeune femme, et ce depuis la nuit précédente. Quelque part, le Juge avait offert au Lion la possibilité de sortir de cette pièce dans laquelle il sentait bien qu'il n'était pas le bienvenu – seul représentant d'un genre tombé en disgrâce quelques heures plus tôt. Ce pourquoi il le remercia. Plutôt deux fois qu'une. S'il avait posé une question sur l'importance de la conversation à venir, c'était afin de pouvoir placer, en toute bonne foi, un « ma-chérie-il-faut-que-je-sorte-parler-à-Rhadamanthe-il-a-dit-que-c'était-grave-je-reviens-tout-à-l'heure-je-t'aime » tout en enfilant une chemise. Ensuite, Aiolia s'excusa pour son comportement envers le Juge depuis qu'il était arrivé au Sanctuaire. Il aurait pu être plus cordial. Si, si. Il ne s'était pas très bien comporté. Il regrettait. Il s'en voulait d'avoir laissé ses souvenirs prendre le pas sur la situation actuelle… Non, vraiment, il n'avait pas été très sympa alors que le Juge méritait mieux, il l'avait bien compris à présent. Rhadamanthe avait aidé Milo et le Lion ne pourrait jamais lui montrer l'étendue de sa reconnaissance. Le Juge eut donc la possibilité, au bout d'un petit quart d'heure, d'endiguer le flot de paroles du Chevalier et faire dévier le court de la conversation sur le sujet qui l'intéressait.

– Il était comment, avant ? Je veux dire avant toutes ces guerres…
– Pourquoi ça t'intéresse ? demanda le Lion suspicieux, avant de se reprendre. Pardon. Mauvais réflexe.
– Il n'y a pas de mal. Et pour répondre à ta question… Milo est quelqu'un que j'ai vraiment appris à apprécier. J'aimerais mieux le connaître et, comme j'ai cru comprendre que tu étais son meilleur ami, je me suis dit que tu pourrais sans doute me renseigner…
– Mouais… je ne sais pas qui t'a dit ça mais il devrait arrêter de boire, si tu veux mon avis. C'est plutôt Kanon, son ami, depuis notre retour. J'ai été minable…
– Ne dis pas cela, voyons… Je suis certain que les liens qui vous unissent ne faibliront pas malgré cette histoire…
– Oh si ! J'ai été nul… Marine m'a fait plein de reproches… enfin, tu n'es pas venu pour parler de moi, n'est ce pas…, fit le Lion.

Intérieurement, Rhadamanthe poussa un soupir de soulagement. Effectivement, il n'était pas venu écouter les états d'âme du Chevalier, ni ses histoires de couple. Il afficha un léger sourire d'excuse, confirmant les soupçons du Lion.

– De toute façon, même avant… Je n'étais pas celui dont il était le plus proche.
– Vraiment ? s'étonna le Juge.
– On s'entendait bien, hein, je ne dis pas le contraire. Quand je croyais encore que mon frère était un traître et que le reste du Sanctuaire me… mettait à l'écart, il était là, pour me dire que je n'étais pas Ayo, que j'étais un Chevalier d'Or fantastique… Et puis, il m'emmenait aussi, dès qu'il avait un truc louche de prévu. Même encore avant. On a fait les pires bêtises, tous les deux, depuis qu'on est tout gosse. Shion, Saga,… ils s'arrachaient les cheveux.

Le Lion afficha un petit sourire nostalgique à l'évocation de ces souvenirs. Mais c'est un visage plus sévère qu'il tourna vers Rhadamanthe.

– Mais même à cette époque, ce n'est pas avec moi, qu'il passait le plus clair de son temps. Enfin… si. Mais c'est uniquement parce que Camus n'était presque jamais au Sanctuaire.
– Camus ? Il s'agit du Chevalier du Verseau, non ?
– Ouais… Mr Freeze. Iceberg. Le glaçon sur pattes.

La voix du Lion était remplie d'amertume.

– Rhaaa… même après tout ce temps, je lui en veux encore. En même temps, je ne sais pas trop pourquoi je lui en veux en fait. Je suis le premier à reconnaître qu'il n'a jamais rien fait pour que Milo le colle autant, cherche autant sa reconnaissance… Je crois qu'au début au moins, Milo a voulu l'intégrer de force. Quelque chose comme ça. Camus était toujours tout seul, toujours à l'écart. Il ne parlait quasiment jamais. Milo a commencé à le ramener quand on se réunissait tous. Entre petits, je veux dire : Mû, Aldé, Shaka… Je lui ai en voulu, même si je savais que ça partait d'une bonne intention. Je veux dire, l'ambiance n'était déjà pas des plus amusantes avec le Bélier et la Vierge… avec le Verseau en plus, c'était soporifique. Et puis ça n'a jamais arrêté. Même après que Camus soit parti en Sibérie. Quand il n'était pas là, Milo était… Milo. Mais dès qu'il revenait, je voyais mon ami disparaître de la circulation pendant quelques jours. C'est Camus que tu devrais aller voir si tu veux savoir qui était vraiment le Scorpion, à l'époque. Moi, j'ai toujours eu l'impression que je ne connaissais qu'une partie de lui.
– Bien, je vais suivre ton conseil, alors. Merci beaucoup, Aiolia.
– De rien, de rien… Hé, Rhadamanthe ! le héla le Lion alors que le Juge s'éloignait. Prends soin de lui… et fais attention à ne pas lui faire de mal. Milo mérite d'être heureux.

Aiolia, gêné par ses propres paroles, repartit rapidement en direction de son temple. Jamais il ne vit le Juge hausser un sourcil, puis les épaules, avant de continuer sa route.

Dans son temple, Shaka avait apparemment perdu son calme légendaire.

– Mais puisque je t'assure que je ne sors pas avec Aldébaran !
– Ca, c'est ce que tu dis…, fit la voix d'Aphrodite, mêlant doute et ironie.
– Mais enfin ! Je serais au courant tout de même ! Et puis de toute façon, ce n'est même pas de lui dont je suis amou…

Le Poisson poussa un cri de victoire tandis que la Vierge tentait, en vain, de minimiser l'aveu qu'il venait de faire.

– Vieux Maître…
– Shiryu ? Arrête de m'appeler comme ça… Combien de fois vais-je devoir te le répéter ?
– Excusez-moi… l'habitude, vous comprenez…
– Mouais… tu veux quoi ?
– Et bien… Saga est devant la porte. Il dit que Shion voudrait qu'il vérifie avec vous certains détails de la gestion du Sanctuaire, quand vous vous en êtes occupé…
– Quoi ? Il ne pouvait pas venir lui-même, ce crétin d'Atlante ?
– Euh… Maître ?
– Il est hors de question que je bosse avec Saga, tu m'entends ? Le Gémeau devait nous permettre de passer plus de temps ensemble, pas servir d'intermédiaire ! Ca fait un moment que j'accepte beaucoup de choses de la part de monsieur le Grand Pope, ça commence à suffire de bien faire ! Il est hors de question que je supporte ça !
– Et je lui dis quoi, à Saga, moi ?
– Ce que tu veux ! Je m'en fous ! hurla la Balance en claquant une porte.

Probablement celle de sa chambre.

Rhadamanthe eut donc le loisir de finir sa remontée vers le temple du Scorpion en compagnie de l'aîné des Gémeaux... Le Juge n'aimait pas Saga. Le Juge n'avait jamais aimé Saga. Il y avait une chose à laquelle il pensait à chaque fois qu'il le voyait, comme une image qui se plaçait en arrière-plan, et qui le mettait hors de lui. Cela avait même été, au départ, la raison pour laquelle il avait été tout simplement incapable de lui faire confiance, d'accepter l'idée même qu'il pouvait servir loyalement Hadès. Saga avait osé mépriser Athéna. Il l'avait jugée trop faible et l'avait écartée. Il ne l'avait pas trahie par vengeance – par amour si on y réfléchissait – comme l'avait fait Kanon. Il s'était, simplement, senti plus apte qu'elle à gérer les guerres à venir. Il s'était senti supérieur. Il avait oublié qu'elle était une déesse. Et qu'il n'était qu'un humain. Cela, jamais Rhadamanthe ne pourrait le lui pardonner. Même si Saga s'était repenti. Même si Athéna n'était pas sa Déesse. Cette ombre séparerait toujours, quoiqu'il arrive, le Juge et l'ancien Pope.

Mais il y avait Perséphone. Tact et Diplomatie. Mais il y avait Kanon…

– J'ai cru comprendre que les choses ne se passaient pas bien au Palais ? demanda Rhadamanthe.

La question n'était pas uniquement là pour faire la conversation. Pourquoi ne pas mêler l'utile au devoir de civilité ?

– Tu as entendu…
– Difficile de passer à côté, malheureusement. Je sais que cela ne me regarde pas, je suis désolé…

D'un geste, Saga lui fit comprendre que ce n'était rien.

– Le pire, en fait, c'est que ça se passe bien, avoua-t-il. Pour moi. J'ai tout de suite repris mes marques… Et on s'entend très bien avec Shion. Que ce soit pour le travail ou même en-dehors…

Saga soupira longuement.

– Je comprends Dohko. Shion ne se rend pas compte qu'il est entrain de le perdre… Je vais essayer de lui en parler. C'est aussi pour ça que Kanon m'a mis là. Et je refuse de décevoir mon frère. Et toi ? Tu te promènes ? demanda-t-il d'un ton dégagé.

Rhadamanthe n'était pas dupe. Tout comme lui, Saga cherchait à collecter des informations. C'était tout à fait normal. Il était Juge des Enfers. Ils étaient au Sanctuaire d'Athéna. Il considéra donc qu'il était inutile de mentir. D'autant que Saga pourrait parfaitement mener une rapide enquête. Lui cacher la vérité serait extrêmement contre-productif.

– Je suis descendu voir Aiolia. J'avais des questions à lui poser. Sur Milo, rajouta-t-il avant que Saga ne commence à s'inquiéter. J'avais envie de savoir comment il était avant la Guerre.

Saga lui répondit par un sourire entendu, et ils se séparèrent.

– Saga ? fit le Juge depuis le pas de la porte. Saurais-tu où en est Athéna de ses réflexions au sujet de la proposition de sa Majesté ?
– Il me semble que c'est en bonne voie. Je vais me renseigner… A plus tard, Rhadamanthe.

Kanon des Gémeaux attendait Rhadamanthe, assis sur le canapé. Il se rongeait les ongles, et ses jambes s'agitaient frénétiquement. Il ne cessait de soupirer, de se lever, de faire quelques pas, de se rasseoir, et de recommencer. Le tout sans le moindre bruit, pour ne pas risquer de réveiller le Scorpion. Un autre problème ça, le réveil du Scorpion. Qu'allait-il lui dire si Milo émergeait avant le retour du Juge ? Parce que Milo poserait des questions, c'était évident. Il lui demanderait où son invité était passé… Et Kanon ne se voyait pas lui répondre qu'il était parti à la pêche aux informations chez Aiolia. Enfin si c'était bien ce que l'Anglais était parti faire. Le Juge ne lui avait pratiquement rien expliqué. Il devait reconnaître que ça le frustrait. Pas qu'il n'ait pas confiance en Rhadamanthe. Non. Rhadamanthe était quelqu'un de bien et qui avait fait ses preuves.

Rhadamanthe se souciait sincèrement du Scorpion et avait démontré qu'il comprenait parfaitement son hôte. Rhadamanthe avait une excellente intuition. S'il pensait trouver des réponses chez le Lion, c'était qu'elles s'y trouvaient. Bon… Aucun bruit en provenance de la chambre. Bien. Bien ? Et si Milo était parti par la fenêtre ? Et si le Scorpion restait prostré juste parce qu'il ne voulait voir personne ? Et si le Scorpion… Non. Non. NON. Calme. Zen. Grande respiration. Surtout ne pas paniquer. Il paniquait parce qu'il se sentait coupable. Il paniquait parce qu'il se sentait frustré de laisser le Juge régler, une fois de plus, les choses. Il paniquait parce que la seule chose qu'il avait initiée s'était conclue par une catastrophe… Il paniquait parce qu'il était nul. Parce qu'il l'avait toujours été. Il ferait mieux de laisser Milo tranquille. Il ne savait que faire empirer les choses…

Baffe mentale. Il n'avait le droit de se laisser aller. Il devait se reprendre, bon sang ! S'il voulait aider Milo, et il voulait aider Milo, il devait dépasser tout ça, ne pas sombrer à son tour dans la déprime. Ne pas regarder son nombril. Etre fort. Solide. Il devait étouffer ses idées noires. Ne pas s'apitoyer sur lui-même. Rhadamanthe le lui avait dit, et il avait raison. L'important, c'était le Scorpion. Rien d'autre ne comptait pour le moment. Voilà. Mieux. Bon état d'esprit. Confiance. Courage. Vainqueur. Tout allait s'arranger. Comment ? Aucune idée. Pas grave. Ça allait s'arranger quand même. Ça devait s'arranger quand même… Non. Dernière pensée mauvaise. Vilaine. Ça allait s'arranger quand même… Enlever le quand même. Mauvaises ondes le quand même. Ça allait s'arranger. Voilà. Pensée positive. Ça allait s'arranger. Ça allait… Quand il vit Rhadamanthe entrer, un immense sentiment de soulagement l'envahit.

– Alors ?

Le Juge ne lui répondit pas tout de suite. Au contraire même.

– Il dort toujours ? demanda-t-il en regardant la porte de la chambre de Milo.
– Je crois… Je n'ai pas osé aller vérifier. J'avais trop peur de le réveiller. Qu'est ce que tu as découvert ?

Encore une fois, sa question resta en suspens. Calme… Rester calme… Zen. Pensée positive.

– Tu sais à qui appartient cette veste ?

Rhadamanthe lui montrait un vêtement très clair.

– C'est quelqu'un qui l'a oublié, hier soir ?
– Oui. C'est en la regardant que Milo s'est effondré. Alors, tu sais à qui c'est ?
– Non… enfin, je crois que Camus portait quelque chose dans ce genre, mais…
– Camus… Je monte chez le Verseau, décréta le Juge en embarquant la veste.
– Quoi ? Attends… Tu arrives, tu repars, et… tu ne me dis rien ! Tu ne peux pas m'expliquer ?
– Je préfère attendre d'avoir confirmé mes soupçons, expliqua l'Anglais.
– Tu ne me fais pas confiance, c'est ça ? Tu penses que je vais encore tout faire foirer ?

Rhadamanthe fit un énorme effort sur lui-même pour ne pas le crucifier dans l'instant.

– Kanon… s'il-te-plait.
– Pardon… je réagis comme un imbécile, je sais… Je m'inquiète, c'est tout… J'aimerais tellement pouvoir faire quelque chose…

Son sentiment d'impuissance était douloureusement flagrant… Le Juge soupira légèrement, s'approcha du Gémeau et l'attira contre lui, d'un bras passé sous son épaule, sa main trouvant naturellement sa place dans les cheveux du Grec.

– Je sais…, lui murmura-t-il à l'oreille. Mais tu fais déjà quelque chose : tu veilles sur lui. Si tu n'étais pas là, je ne pourrais pas aller me renseigner, non ? Alors ne t'inquiète pas. Je tâcherai de faire vite.

Rhadamanthe déposa un léger baiser sur la tempe de Kanon, avant de s'éclipser à nouveau. Une fois de plus, le Gémeau eut le sentiment d'avoir loupé un épisode de sa vie qui aurait pu expliquer ce geste. Mais il dut reconnaître qu'il se sentait beaucoup plus calme.

Rhadamanthe frappa à la porte des appartements privés du temple du Verseau. Un jeune homme blond vint lui ouvrir. Un Bronze. Le Cygne.

– Juge Rhadamanthe ? Je peux faire quelque chose pour vous ?

Le jeune garçon était méfiant.

– Camus, est-il là ?
– Bien sûr. Je vais le chercher. Si vous voulez bien entrer…

Il ne lui avait pas demandé s'il désirait voir son maître, comprenant que ce souhait avait été formulé de façon implicite dans sa question… Et il était particulièrement courtois, compte tenu des standards du Sanctuaire. Hyoga lui fit une excellente impression.

Les appartements du Verseau étaient particulièrement soignés. Peut-être un peu trop impersonnels et froids aux goûts du Juge. Camus entra dans la pièce, et envoya le Cygne dans sa chambre. Quand ils furent seuls, le Chevalier d'Or planta son regard glacé dans les yeux du Spectre, croisant les bras sur son torse.

– Qu'est ce que vous me voulez ?
– Vous rendre votre veste… Il s'agit bien de la votre, non ?

Camus lui arracha presque le vêtement des mains avant de le poser sur le dossier d'une chaise.

– Autre chose ?
– Si vous aviez quelques minutes à m'accordez…
– Ce n'est pas le cas.
– … j'aimerais vous poser quelques questions au sujet de Milo, continua le Juge, ignorant l'interruption.
– Milo est un Chevalier d'Athéna. Rien de ce qui le concerne ne vous regarde.
– En êtes-vous si sûr ?

Rhadamanthe nota le trouble qui envahit le Verseau à sa question. Mais Camus se reprit presque instantanément.

– Absolument.
– Vous savez pourquoi je suis ici, n'est-ce pas ? Les échanges d'émissaires entre les Sanctuaires. J'aimerais beaucoup que Milo ait le poste : c'est quelqu'un que j'apprécie. Beaucoup. Mais je reconnais sans peine que je ne le connais encore que peu. Alors je me renseigne… Afin de savoir si mon choix est… judicieux.
– Je n'ai rien à vous dire, répondit Camus, encore plus glacial que d'habitude.
– Bien… Dans ce cas, je ne vais pas vous importuner davantage. Je vous souhaite une bonne journée.

Rhadamanthe quitta le temple, un très léger sourire accroché aux lèvres, sans que le Verseau n'esquisse le moindre mouvement, ou ne lui adresse la moindre parole. Hyoga sortit de la chambre quelques instants plus tard, remarqua la veste, gisant sur une chaise. Il fronça les sourcils.

– Il est venu vous la rendre? Vous n'étiez pas descendu la récupérer, la nuit dernière ? Vous aviez dit….

Au regard que lui lança son Maître, le Cygne sentit une sueur froide couler le long de sa colonne vertébrale. Il jugea plus prudent de ne pas chercher plus avant.

Lorsque Rhadamanthe rentra, une nouvelle fois, dans le salon des appartements du Scorpion, il fut surpris de ne pas y voir Kanon. La porte de la chambre de Milo était toujours fermée, laissant supposer que le Scorpion dormait encore. Il crut entendre du bruit, en provenance de la cuisine. Il y trouva Kanon, en train de faire la vaisselle. Qui sursauta quand le Juge vint s'installer juste à côté de lui.

– Oh...! Tu m'as fait peur. Je ne t'ai pas entendu arriver…, s'excusa-t-il en constatant avec soulagement que la tasse qu'il avait laissée échapper ne s'était pas brisée. Il fallait que je m'occupe… je devenais fou...

Le Gémeau adressa un petit sourire d'excuse au Juge. Rhadamanthe fut pris du désir soudain de le réconforter, comme il l'avait fait un peu plus tôt. La fragilité du Chevalier le touchait… Et l'air qu'il affichait, qui semblait vous dire « désolé de ne pas être assez fort… désolé de n'être qu'un humain… »…

– Ah, vous étiez là vous deux… j'espère que je ne dérange pas…, fit une petite voix fatiguée.

Milo se tenait dans l'encadrement de la porte, le visage ravagé. Des cernes qui lui mangeaient le visage, des yeux rougis par les larmes et le manque de sommeil… Des épaules voutées… Une faiblesse générale qui transparaissait dans chacun de ses gestes, et même dans son attitude, là, où il se contentait de rester debout et immobile.

– Comment est-ce que tu pourrais nous déranger ? Arrête de dire n'importe quoi… on est chez toi, lui répondit le Gémeau.

Milo les regarda tour à tour puis fixa Kanon.

– Il t'a tout raconté, je suppose… murmura-t-il. Je suis désolé… d'avoir gâché ta soirée… c'était génial… c'est juste que…

C'en était trop pour l'ex-Marina qui se jeta sur le Scorpion et le serra dans ses bras, aussi fort qu'il le pouvait.

– Je t'aime, Milo. Alors ne t'excuse pas… jamais.

Le Scorpion tenta de garder son calme pendant quelques secondes, mais finalement il se laissa aller dans les bras de Kanon et se mit à pleurer en silence, serrant entre ses doigts la chemise du Gémeau. Dans la cuisine, on n'entendait plus que la cafetière que Rhadamanthe avait remise en route.

Milo était allongé sur son canapé et somnolait. Il s'en voulait de se sentir aussi mal, de ne pas réussir à faire semblant, comme il y était parvenu auparavant. Mais il n'avait plus de force. Il était tellement, tellement fatigué… tellement qu'il n'arrivait pas à dormir. Il restait là, couvé du regard par Rhadamanthe et Kanon, chacun à leur manière. Ces deux-là étaient ses amis. Ça ne durerait peut-être pas… rien ne durait de toute façon. Ils finiraient peut-être par se lasser de lui. Ils finiraient peut-être par le laisser tomber. Il finirait peut-être par en souffrir, de s'être laissé, encore une fois, prendre au piège de ses rêves de gosse… Mais il ne pouvait pas s'en empêcher. Il en avait besoin. Il avait besoin de ne pas être seul. Il fallait qu'il trouve un endroit, quelque part, où puiser suffisamment d'énergie pour… pour se remettre debout. Pour commencer par s'asseoir déjà, ce serait pas mal. Alors ils le blesseraient peut-être… sûrement… fatalement. En ce moment-même, ils discutaient tous les deux dans la cuisine. La porte était ouverte et le Scorpion pouvait sentir sur lui leur regard, inquiet et aimant. Ils devaient chercher un moyen d'arranger les choses. Ils n'avaient pas encore compris qu'il n'y en avait aucun et quand ça serait fait, ils se détourneraient… Tout était déjà écrit. Mais aujourd'hui, il ne voulait pas y penser. Aujourd'hui, il puisait, sans réfléchir, dans leur affection.

– Alors ? Tu as compris ce qu'il a ? demanda tout bas le Gémeau.

Une après-midi entière qu'il se retenait de poser la question… Il s'était occupé du Scorpion, l'avait dorloté, chouchouté,… Il lui avait raconté des blagues douteuses ou s'était contenté d'être là, juste à côté. Il lui avait même fait la lecture, à un moment. Le seul où Milo avait demandé quelque chose. Quand il s'était endormi, bercé par la voix de Kanon, le Gémeau et le Juge s'étaient retirés à la cuisine.

– Il a un problème avec Camus, répondit Rhadamanthe.
– Camus ? Comment on peut avoir un problème avec Camus ? Pour avoir un problème il faut avoir une sorte de relation, à la base, non ?

Le Juge eut un sourire, qui mit mal à l'aise l'ex-Marina. Rhadamanthe ne souriait déjà pas souvent… mais celui là avait, en plus, quelque chose de particulier. Qui disparut quand le Spectre planta son regard dans les yeux du Chevalier.

– Kanon, as-tu confiance en moi ?

C'était quoi, cette question sortie de nulle part ? Il avait quoi, ce Juge, à la fin ?

– Es-tu capable de me croire lorsque je te dis que je n'ai que les intérêts de Milo et du Sanctuaire à l'esprit ?
– Tu me fais quoi, là ? C'est une question-piège ?
– Non. Je suis Juge des Enfers. J'agis sur ordre de Sa Majesté. Je suis un étranger. Un ancien ennemi. Nous nous sommes combattus et nous en sommes morts…
– Euh… je suis au courant, hein… j'y étais.
– Laisse-moi finir, s'il-te-plait… J'ai… initié quelque chose. J'ai planté quelques graines mais… C'est toujours délicat de manipuler un espion même quand il a perdu sa capacité de raisonnement, ajouta-t-il, comme pour lui-même.
– Mais de quoi tu parles à la fin ?
– Je vais enlever Milo.
– Quoi ?
– Je vais lui proposer le poste d'émissaire, ou même d'ambassadeur permanent aux Enfers. Et tout faire pour qu'il se décide à venir avec moi. J'ai besoin que tu te débrouilles pour que la nouvelle arrive très vite aux oreilles du Verseau.
– Mais... Je ne comprends rien… ! Pourquoi veux-tu que… ?
– Athéna est intelligente… je sais qu'elle est sur le point d'accepter la proposition de Sa Majesté et je pense que demain au plus tard, on me demandera de bien vouloir rentrer chez moi. Je n'ai plus beaucoup de temps… C'est pour ça que j'ai besoin que tu aies confiance en moi. Je n'ai pas le temps de t'expliquer, de répondre à tes questions. Il faut convaincre Milo, avertir Camus sans en avoir l'air…

Le Juge enrageait visiblement de devoir agir aussi vite.

– S'il-te-plait, Kanon… Sans toi…
– C'est bon, le coupa le Gémeau. Je ne comprends rien, mais je te suis sur ce coup. Je n'ai pas le choix, de toute façon. Vu comme on est doué pour gérer Milo dans le coin, si on ne règle pas cette histoire avant que tu t'en ailles…
– Merci, répondit Rhadamanthe dans un soupir de soulagement. Sincèrement…
– Milo ?

A l'appel de Rhadamanthe, le Scorpion ouvrit les yeux. Chose étrange, le visage du Juge était juste devant lui. Rhadamanthe s'était accroupi et le regardait fixement.

– J'ai une proposition à te faire, mon ami.

Dohko entra comme une furie dans les appartements du Scorpion.

– Kanon ! Milo ! Vous venez avec moi ! Le Grand Pope veut vous voir ! Convocation de sa… Magnificence, alors on ne discute pas ! De toute façon, je ne suis pas d'humeur, alors n'envisagez pas, ne serait-ce qu'une demi-seconde, que vous pourrez vous défiler. Salut, Rhadamanthe. Je crois que c'est de toi dont il va être question. C'est génial, je sers de coursier et d'escorte pour aller piailler au sujet d'un Spectre… Non, vraiment, ça me plaît…
– Euh… Dohko… Milo ne va pas très bien et…, tenta faiblement Kanon.
– J'ai parlé dans le vent là ? J'en ai rien à secouer. Vous prenez vos cliques et vos claques, et vous me suivez au Palais. Et plus vite que ça. On devrait déjà être parti.
– Ça ne va pas, Dohko ?

La question de Kanon troubla le silence de la montée.

– Non, finit par avouer la Balance. Non, ça ne va pas. Mais vous n'y êtes pour rien… Désolé pour tout à l'heure. Shion me tape sur les nerfs.
– Ça va s'arranger, j'en suis sûr, le consola le Gémeau.

Dohko eut un soupir las.

– J'en sais rien. Je ne suis même pas certain de vouloir que ça s'arrange…
– Dis pas de bêtises. Tu l'aimes…
– Comme si ça suffisait…

La réflexion de Milo fut accompagnée d'un long blanc.

– Tu comptes accepter la proposition de Rhadamanthe ? lui demanda le Gémeau.
– Quelle proposition ?

Les instincts de Dohko avaient repris le dessus.

– Il lui a proposé le poste d'émissaire. Si Athéna accepte évidemment, hein. Alors ? Tu comptes faire quoi ?
– Je ne sais pas… ça me tente, vraiment. Rhada a raison, j'ai besoin de me changer les idées, de faire le point, de… sortir d'ici.
– Rhada ? Tu l'appelles Rhada, maintenant ? s'étonna la Balance.

Il venait de se rendre compte aussi que Milo était reparti dans sa déprime. Il y avait décidément un mauvais esprit qui régnait sur le Sanctuaire… quelque chose clochait.

A la fenêtre du Verseau, une ombre disparut. Kanon espéra sincèrement que cela suffirait à Rhadamanthe.

Alors que Kanon, Dohko et Milo arrivaient devant le Palais, ils sentirent deux cosmos s'affronter un peu plus bas.

– Mais… ça vient de chez moi ! cria Milo, en se mettant aussitôt à courir en direction de son temple.

Les Chevaliers commençaient à affluer devant la Maison du Scorpion sans qu'aucun d'entre eux n'aient encore osé entrer. La confrontation des deux cosmos était perceptible mais rien n'indiquait qu'un vrai combat avait lieu. Il s'agissait plutôt de deux volontés qui s'affrontaient… Quand ils pénétrèrent dans le salon à la suite de Milo, ce fut pour découvrir Rhadamanthe aux prises avec un Verseau visiblement très énervé et voir le Chevalier d'Athéna décocher un magnifique coup de poing dans la mâchoire du Spectre.

– Camus ! Qu'est-ce qu'il te prend ? rugit le Scorpion.

Le Juge essuya un peu de sang qui coulait de sa bouche, rassurant du regard Milo qui venait de se porter à ses côtés. Pendant ce temps, Kanon faisait sortir tout le monde, leur assurant qu'ils allaient gérer la situation… La tension était palpable. Voyant Dohko accéder à la volonté du Gémeau, tous firent de même et retournèrent chacun chez soi… inquiets, surpris… perturbés.

Dans le salon, à présent presque déserté, Camus n'était plus que rage. Il se mit à hurler.

– Je ne vais pas rester à ne rien faire ! Tu n'as pas compris son manège ? Ouvre les yeux ! Il ne t'aime pas ! Il t'utilise ! S'il est gentil avec toi, s'il flirte avec toi, c'est uniquement parce que Perséphone veut affaiblir Athéna en lui volant le meilleur de ses Chevaliers ! C'est forcément ça !

Une chose étonnante lorsque l'on se laisse gouverner par ses émotions est le fait que, bien souvent, on se focalise sur certaines parties de que l'on entend et que tout le reste passe purement et simplement à la trappe. Tel était le cas pour Milo. Et ce n'était certes pas la partie la plus positive du discours du Verseau qui avait retenu son attention.

– Tu crois vraiment que les gens ont besoin de ce genre de raisons tordues pour être avec moi ? Tu crois vraiment que ce n'est pas possible qu'on puisse m'apprécier, comme ça, tout simplement ? C'est quoi les raisons d'Aiolia, alors ? C'étaient quoi tes raisons, à toi, pour m'avoir fait croire qu'il y avait quelque chose de… de beau entre nous ? Tu es un monstre, Camus ! Tu m'entends ? Un monstre !

– Je suis peut-être un monstre, mais, toi, tu n'es qu'un menteur !
– Qu'est ce que tu veux dire ? gronda Milo.

Sa voix était dangereusement calme. Menaçante. Mais le Verseau ne semblait pas s'en soucier.

– Ton histoire, là, avec la résurrection… le pauvre Milo que personne ne vient accueillir… C'est du flan ! lui cracha-t-il à la figure.
– Répète ça, si tu l'oses…
– C'est du flan, Milo ! Je t'ai observé, à ce moment-là ! Tu n'as rien fait, tu n'as pas bougé… tu n'as même pas eu ne serait-ce qu'un regard pour moi ! Tu aurais pu, hein, tu aurais pu faire un geste, quelque chose… Mais non ! Alors ton numéro de martyr, tu peux te le garder… !

– Hyo… Hyoga était déjà dans tes bras !
– Laisse Hyoga en-dehors de ça ! Il n'a rien à voir là-dedans !

Le Scorpion ferma les yeux. Sa voix était rauque quand il reprit la parole.

– Dégage, Camus. Dégage. De mon temple. De ma vie. Dégage. Maintenant.
– C'est hors de question ! Je ne le laisserai pas t'emmener, Milo !
– Alors c'est moi qui m'en vais. Et tu as intérêt à ne pas être là à mon retour.

Et le Scorpion quitta son temple, sans un regard pour personne.

– Tout ça, c'est votre faute ! cracha le Verseau en direction de Rhadamanthe. A toi et à ta Déesse… à cette catin ! Cette traitresse ! Cette…

Un instant plus tard, Camus se retrouva plaqué contre le mur, les doigts du Juge enserrant sa gorge. Les yeux de Rhadamanthe étaient remplis de haine pure.

– Si un seul mot sort encore de cette bouche, tu es mort. Et considère que si Sa Majesté ne m'avait pas demandé d'être particulièrement conciliant avec vous tous, ce serait déjà le cas.

Le Verseau ne put rien répondre. La main de Kanon venait de se plaquer contre sa bouche, l'empêchant de prononcer la moindre parole.

– Sois gentil, Camus. La ferme.

Voyant que le Gémeau avait le contrôle de son frère d'arme, le Juge relâcha sa proie. Il prit quelques secondes pour se calmer, respirant profondément. Au bout d'un court moment, il ramassa sa veste, l'enfila et fit mine de sortir.

– Débrouille-toi pour qu'il suive en silence, fit-il à l'adresse de Kanon.
– Où est-ce qu'on va ? fit le Gémeau alors qu'ils quittaient tous les trois le temple, sa main scellant toujours les lèvres du Verseau.
– Retrouver Milo, évidemment, répondit le Juge en s'allumant une cigarette.

Arrivés près du cimetière, les deux Chevaliers purent constater que le Juge avait vu juste : Milo était assis devant une tombe, la tête coincée entre ses genoux, les bras croisés au-dessus de son crâne. Rhadamanthe fit reculer ses deux compagnons derrière un arbre.

– Tu sais à qui appartient cette tombe ? murmura-t-il à l'adresse de Camus. Il s'agit de la tienne, Chevalier du Verseau. Alors maintenant, tu restes là, tu te tais et tu te contentes d'écouter. Kanon, je compte sur toi.

Puis le Juge s'approcha, seul, du Scorpion. Il s'assit non loin du Chevalier prostré, le dos callé contre une pierre tombale. Il tira une cigarette de son étui et l'alluma. Il savourait chaque bouffée, expulsant doucement la fumée dans l'air du soir.

– Comment tu m'as trouvé ? demanda Milo au bout d'un moment.
– Je commence à te connaître… Au fait, tu penses vraiment que regarder une pierre va t'aider à résoudre tes problèmes ?
– J'ai pas de problèmes. J'en ai plus. Tout vient de s'arranger.
– Tu n'as vraiment rien écouté de ce qu'il a dit, alors ?
– Oh si… Largement assez, si tu veux mon avis. 
– Milo… tu es le meilleur des Chevaliers d'Athéna…

Pour la première fois, Milo se tourna vers Rhadamanthe.

– Qu'est ce que tu racontes ? C'est n'importe quoi, je ne suis pas…
– Ce sont ses mots, pas les miens. Tu connais déjà mon opinion sur qui est le meilleur d'entre vous, le coupa Rhadamanthe, très calme.

Silence.

– Pourquoi n'es-tu pas allé vers lui, quand vous êtes revenus à la vie ? demanda le Juge, sans une once de reproche dans la voix.

Milo rejeta ses bras en arrière et leva la tête vers les étoiles.

– J'en ai eu envie… Athéna sait que j'en ai eu envie mais… quand je les ai vus, lui et Hyoga… Ils avaient l'air si heureux, si… complets... J'ai compris. J'ai compris que je ne comptais pas pour lui. Que tout ce à quoi je m'étais raccroché, toutes ces années… ce n'était que du vent. Un rêve… un rêve débile.

Le Scorpion soupira. Un très long soupir.

– Quand il est mort… quand j'ai senti son… son cosmos s'éteindre… Je ne sais même pas comment j'ai réussi à ne pas mourir moi aussi, sur le coup. J'ai pas dû réaliser. J'ai pas dû comprendre. Je vois que ça. De toute façon, je ne me souviens de rien jusqu'à ce qu'Athéna vienne faire son petit tour… Après, ça a été… atroce, ya pas d'autres mots. Je me sentais tellement vide… Et il fallait que je sois tellement fort… Je n'étais plus rien, sans lui… plus rien.

Milo s'avança jusqu'à la tombe et se mit à caresser doucement l'inscription gravée.

– Tu savais que j'ai demandé à Athéna le droit d'emmener son corps en Sibérie ?, fit-il tout bas. Elle a dit non… J'ai eu beau lui dire qu'il n'y avait que là-bas qu'il se sentirait bien… elle n'a rien voulu entendre. Alors, au début, après qu'on l'ait enterré là avec les autres, je lui apportais des glaçons, pour pas qu'il ait trop chaud. C'est bête, hein… Mais comme ça, j'avais l'impression de… Il me manquait tellement… Tu me manquais tellement, mon Camus !

Le Scorpion prit la pierre tombale dans ses bras, la serrant aussi fort qu'il pouvait sans prendre le risque de la briser.

– Je t'aimais tellement ! Comment est-ce que tu as pu me laisser seul ? Comment est-ce que tu as pu m'abandonner ? Tu m'aimais aussi, pourtant ! À ta manière, mais j'étais sûr que tu m'aimais ! J'en étais tellement sûr…

Milo relâcha la pierre et posa son front contre le marbre blanc. Fermant les yeux. Laissant les larmes couler. Il resta un moment à ne rien dire.

– J'en étais tellement sûr que je me suis obligé à ne pas en vouloir à Hyoga… que je me suis obligé à changer, pour mieux servir Athéna. Pour pouvoir faire mon devoir, comme lui, il l'avait fait. J'ai arrêté mes bêtises. J'ai arrêté de draguer. J'ai arrêté les blagues. J'ai même pratiquement arrêté l'alcool. Je suis devenu fort. Je suis devenu responsable. Je suis devenu… adulte. Il n'arrêtait pas de me le répéter, que je devais grandir... Alors j'ai fait comme il avait dit, comme il voulait, parce que c'était ce qu'il fallait faire, puisqu'il le répétait tout le temps… Mais en fait, c'était juste un moyen que j'avais trouvé pour arrêter de pleurer toutes les nuits…
– Tu lui en as parlé ? demanda Rhadamanthe remarquant que le Scorpion était reparti dans son mutisme.

Milo releva le nez et se tourna vers le Juge.

– Je lui ai dit… Il y a deux semaines, quand il est venu me voir pour m'expliquer que j'étais devenu méchant et que ce n'était pas digne d'un Chevalier d'Athéna… Je lui ai dit…  « Comment peux-tu savoir si j'ai changé ? Tu n'étais pas là… »… « Le Milo que tu as connu n'existe plus. »… Mais il a rien compris, comme d'habitude. Il n'a pas cherché à comprendre plutôt. De toute façon ça revient au même, non ? Il aurait fallu que je lui dise quoi ? Que je suis mort en même temps que lui, lors de la Bataille du Sanctuaire ? Que c'est mon cœur qui est enterré là ? Qu'à partir du moment où il a cessé de vivre, moi, je n'avais plus qu'une envie, c'était de crever ?... Si j'ai tenu… c'est pour qu'il soit fier de moi… c'est pour protéger Hyoga, pour qu'il ne se soit pas sacrifié pour rien… C'est pour lui, quoi. Pour lui. Mais ça n'a servi à rien… puisque tout ça, c'était moi qui me faisait des films… J'ai jamais compté pour lui. Y a qu'Athéna et ses disciples… le reste, les autres… on est là mais… il ne tient pas à nous… il ne tient pas à moi… il n'a jamais tenu à moi…

Il eut un petit rire triste, au milieu de ses larmes.

– Tu sais, le plus drôle dans tout ça c'est que même maintenant, même après avoir compris tout ça… je l'aime comme un fou, mon Camus. Comme avant… comme je l'ai toujours aimé… comme je l'aimerai toujours… et  que ça me tue. J'en crève de vivre tous les jours, à côté de lui… de le voir… alors que je sais qu'il ne m'aime pas. Qu'il ne m'a jamais aimé. Qu'il ne m'aimera jamais… que je ne suis rien. Je devrais peut-être accepter ta proposition. Les Enfers, ça ne peut pas être pire qu'ici.

Milo tourna la tête : quelqu'un venait de s'effondrer juste à côté de lui.

– Camus… Camus… pourquoi tu pleures, Camus... ?  Non… arrête… non… s'il-te-plait, Camus… Pleure pas… je t'en prie… Camus… Je ne veux pas que tu pleures… Camus… arrête de pleurer… s'il-te-plait… Ça fait trop mal… Camus… arrête… C'est pire que tout… Camus… Je t'en supplie… c'est trop…. c'est…

Milo ne put finir sa phrase. Les lèvres de Camus s'étaient posées sur les siennes. Lorsque le contact fut rompu, quelques secondes plus tard, Milo se demanda si ses sens ne l'avaient pas trompé. Il fallut attendre la seconde tentative du Verseau pour que le Scorpion réalise qu'il ne s'agissait pas d'un rêve. Et qu'il se laisse aller à répondre à ce qui, à ses yeux, relevait du miracle.

 

A suivre...

Chapitre 4

 

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