RESURRECTION

 

 

 

 

Disclaimer : tout l'univers de Saint Seiya que tu reconnaîtras aisément
appartient à Masami Kurumada. L'auteur ne retire aucun bénéfice si ce n'est le plaisir d'écrire et d'être lue.

Genre
: romance/amitié/intrigue.

Rating
: interdit au moins de 18 ans.

Note
: nombreux couples principalement Yaoi.

Auteur : Gajin

J'espère que tu aimeras. Bonne lecture...

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Chapitre 6

Le Scotch de Rhadamanthe

 

Valentine de la Harpie pouvait s'enorgueillir d'avoir la confiance totale de Rhadamanthe et d'être, de tous les Enfers, le Spectre le plus proche du Juge. Il ne s'en privait pas. Il était le seul au Château qui n'avait de comptes à rendre à personne et qui pouvait, à loisir, décider des missions qu'il souhaitait accomplir. Perséphone, elle-même, n'avait aucune réelle autorité sur lui. En pratique, évidemment, le Chypriote vouait un respect sans borne à sa Reine et à son Juge, et était prêt à se plier à la moindre de leur volonté – il n'aurait pas pu accéder à ce statut si particulier en méprisant l'un ou l'autre. Mais, alors que Sylphide était venu, la veille, l'avertir que Rhadamanthe le recevrait le matin même, Valentine n'avait rien changé à ses habitudes et ne s'était présenté devant le Juge qu'aux environs de dix heures. Sans le moindre remord.

Quand il entra dans la pièce, il put constater que Rhadamanthe était déjà au travail, à son bureau et qu'il n'était pas seul. Le Juge parcourait, étudiait et signait les documents que lui tendait Sylphide, pour les rendre, l'instant d'après, au Basilic. La Harpie s'approcha et s'inclina légèrement.

– Seigneur Rhadamanthe… Salut, Sylphide !
– Valentine…, répondit le Secrétaire en s'inclinant à son tour.

Le Belge ne jalousait pas la liberté de ton et d'action de la Harpie. Il était même heureux qu'il y ait cette relation entre lui et Rhadamanthe. Par bien des aspects, elle permettait au Juge d'atteindre un certain équilibre mental et de ne pas, trop, se laisser envahir par celle, fusionnelle, qu'il entretenait avec leur Reine. Sylphide comprenait bien son supérieur, mais il se savait aussi limité. Il ne pouvait que le soulager de problèmes courants et matériels. Il était reconnaissant envers Valentine de pouvoir agir sur d'autres plans.

– Tu as pris ton petit-déjeuner ? demanda Rhadamanthe, tout en continuant son manège.
– Non. Tu te doutes bien que je me suis précipité ici, dès que je me suis réveillé. Je n'ai pas trop mal dormi, d'ailleurs. Merci de t'en inquiéter.

Le Juge releva les yeux, pour découvrir un Valentine au meilleur de sa forme. Il retourna à ses papiers.

– Pas moi. Merci de t'en inquiéter également. Sylphide ? ajouta-t-il en lui tendant le dernier papier dûment signé.
– Mon Seigneur ?
– Fais apporter de quoi lui permettre de prendre son repas ici, pendant que nous discuterons.
– Désirez-vous également vous restaurer ? demanda le Basilic dont le regard indiquait clairement qu'il espérait que le Juge réponde par l'affirmative.

Rhadamanthe soupira.

– Tu as raison… il serait temps que je mange. Fais le nécessaire. Et va voir si Kanon est réveillé. Si tel est le cas, fais de même pour lui et… je ne sais pas, débrouille-toi pour qu'il ne s'ennuie pas.
– Puis-je suggérer une promenade dans le parc, en compagnie de Sa Majesté ?
– C'est une excellente idée, approuva l'Anglais. Elle devrait accepter de sortir dans ces conditions.
– Je vais de ce pas soumettre cette proposition à Sa Majesté, et en aviserai le Chevalier des Gémeaux, le cas échéant.

Le Basilic s'inclina très respectueusement et quitta la pièce, tandis que Valentine s'asseyait à moitié sur le bureau.

– C'est vrai que tu as l'air fatigué, constata-t-il.
– Perséphone…, murmura le Juge, comme si la simple évocation de sa Reine expliquait tout.
– Vraiment ? Tu m'étonnes… J'étais pourtant persuadé que tu allais sauter de joie en la voyant dans cet état… A ce propos, enfin pas tout à fait mais presque, tu devrais trouver un truc pour Queen. Une médaille, un cadeau, j'en sais rien… Apparemment, il a tout tenté pour elle. Sans succès. Il était au bord de la crise de nerfs quand je suis arrivé. Au point qu'il m'a presque supplié de passer la soirée avec Sa Majesté, histoire de la distraire avec le récit de mes aventures chez Poséidon.

– Et tu t'es laissé convaincre ?
– Je t'ai dit qu'il était dans un sale état.

L'Anglais considéra un instant le Chypriote.

– Je dirais à Sylphide…
– Non. Ça doit venir de toi. Et le pire c'est que tu le sais…, remarqua Valentine. Tu m'inquiètes, Rhadamanthe… Dans ton état normal, tu n'aurais même pas pu imaginer un instant avoir un comportement qui manque autant de tact, envers un de tes hommes les plus dévoués. Tu devrais t'accorder une pause, tu en as besoin.
– Mais je n'en ai pas le temps ! J'ai été absent à peine quatre jours, et je retrouve les Enfers au bord de la révolte ! Et il y a les relations à mettre en place avec Athéna et Poséidon ! Je ne peux pas prendre de pause, Valentine !

La Harpie lui tendit un porte-plume.

– Tiens. D'habitude, ça te calme de balancer des trucs.
– Très drôle, fit le Juge en lui lançant un regard noir.
– Hé ! C'est la stricte vérité.

Un moment plus tard, ils étaient installés dans les fauteuils, face à face, un copieux petit-déjeuner qui tenait plus du brunch qu'autre chose – posé sur la table, entre eux deux.

– Alors, fit le Juge en commençant à se servir, comment Poséidon a-t-il réagi ?
– La surprise, d'abord… et la colère ensuite. Il a très mal pris le fait que tu n'aies pas été chargé de cette mission en personne. Je le comprends un peu, je ne suis qu'un vulgaire Spectre, après tout. J'espère que tu ne m'en voudras pas, mais j'ai préféré jouer cartes sur table avec lui, histoire de désamorcer la situation.

– Jusqu'à quel point ?
– Honnêtement, je ne pense pas lui avoir caché quoique ce soit.
– Tu as perdu l'esprit ? s'écria Rhadamanthe, manquant de renverser sa tasse.
– Pas le moins du monde. J'ai fait ce que j'avais à faire. Et ça a parfaitement fonctionné puisqu'il accepte d'honorer le Pacte qu'il a passé avec Sa Majesté.
– Encore heureux ! Tu lui as vraiment tout dit ?

Même aux Enfers, personne, en dehors de Perséphone, Rhadamanthe et Valentine, n'était au courant de leur véritable objectif. Le secret faisait partie intégrante du plan de la Reine. Elle avait tout calculé, tout préparé, tout organisé. Juste après leur résurrection, elle s'était longuement expliquée avec Rhadamanthe. Le Juge avait protesté. La stratégie qu'elle avait choisi était dangereuse… bien trop dangereuse. Mais elle s'était montrée intraitable et il avait fini par se ranger à son avis. Quand il avait envoyé Valentine chez Poséidon, ne pouvant être lui-même à la fois chez Athéna et au sanctuaire sous-marin, il s'était résolu, sous la pression de Perséphone elle-même, à exposer à la Harpie la réalité de la situation. Mais à présent, ils étaient quatre à être au courant. Et le Juge n'avait aucune confiance en Poséidon.

– Tout, confirma le Chypriote. Je ne lui ai même rien caché de la situation ici. Je crois sincèrement que c'est cette preuve de confiance qui a fait pencher la balance. Et si tu veux tout savoir, Perséphone pense comme moi.
– Vraiment ?
– Vraiment. Elle a besoin de lui. A quoi nous servirait-il de mettre Athéna dans notre poche, si c'est pour constater que Poséidon n'est plus notre allié ? Ce ne sont pas ses mots exacts, mais l'idée générale est là.
– Oh, et bien si vous êtes d'accord tous les deux, j'imagine que je n'ai plus qu'à m'incliner…, fit le Juge d'un air aigri.
– Tu ne vas quand même pas bouder, si ?
– Je suis fatigué, Valentine, avoua Rhadamanthe dans un soupir. J'aimerais que tout cela se termine… et vite. J'aimerais la voir sourire. Et pas d'un de ces sourires insupportables, avec ses yeux qui te rappellent à quel point elle souffre à chaque minute. Tu ne peux pas imaginer ce que c'est, de la voir heureuse. Vraiment heureuse. De pouvoir sentir son cosmos plein et entier… et non ces bribes qu'elle nous lance sans rien révéler d'elle-même. Elle me manque… Je viens de rentrer et je me rends compte qu'elle me manque. Je suis pathétique.
– Toi ? Pathétique ? Tu dis vraiment n'importe quoi. Au fait, Poséidon a nommé un nouveau Général en Chef. La Sirène. Bien… Si tu penses que nous avons fait le tour de la question, j'aimerais retourner chez moi et prendre une bonne douche. Et faire une sieste peut-être…
– Tu viens de te lever…
– Justement, il faut que je veille à rester frais et dispos.

Alors que la Harpie prenait congé, Rhadamanthe se retourna brusquement vers lui.

– Valentine… je voulais te dire…. Je suis content pour toi.

Le Chypriote resta un moment ébahi, puis explosa de rire.

– Suis-je à ce point transparent ?
– Je te connais bien… Qui est-ce, si ce n'est pas indiscret ?
– Tu ne l'es pas…, fit Valentine dans un sourire. Sorrente. Je l'ai pris pour un gosse, au début. Mais force m'est de constater que j'avais tort.

Le Juge hésita un instant.

– Je ne veux pas me mêler de ce qui ne me regarde pas mais… tu es sérieux avec lui ? Ou bien est-ce simplement un agréable moyen de passer le temps ? Je ne voudrais pas que nous rencontrions des problèmes avec Poséidon si jamais…
– Hé ! Rhadamanthe ! Pour qui tu me prends ? S'il était simplement question de soulager mes pulsions, j'aurais trouvé quelqu'un ici, même après que tu m'aies viré de ton lit.

Durant un long moment, avant la Guerre, les deux Spectres avaient entretenu une relation… purement physique. Rhadamanthe y avait mis un terme le jour même de leur retour à la vie. Valentine n'avait pas demandé d'explication. Les choses avaient toujours été très claires entre eux : ni l'un, ni l'autre n'éprouvait de sentiments amoureux. La Harpie avait même trouvé cela étrange. Il admirait Rhadamanthe, et le respectait plus qu'aucune autre personne. Il le trouvait beau. Très beau. Avec un charisme extraordinaire. Il appréciait son intelligence et son humour, que l'Anglais ne montrait qu'en de trop rares occasions… Mais il n'avait jamais rien ressenti d'autre. Pas la moindre petite trace d'amour. Pas le moindre petit pincement au cœur lorsque le Juge avait, unilatéralement, décidé de la fin de leur aventure. Sa fierté ne s'était pas sentie blessée. La seule chose qu'il se rappelait avoir éprouvé était une sorte de joie, diffuse. Car il avait eu la conviction que si Rhadamanthe arrêtait tout, c'était parce que quelqu'un s'était frayé une place jusqu'à son cœur. Il avait été heureux pour son ami, même sans savoir de qui il s'agissait.

– Alors ne t'inquiète pas pour ça, reprit Valentine. Je n'ai pas la moindre idée de l'endroit d'où cette histoire va nous mener, mais tu n'as rien à craindre de ce côté. Je ne joue pas. Et Sorrente ne joue pas non plus.
– Comment tu le sais ? demanda le Juge, véritablement intéressé.
– Une technique révolutionnaire. On parle et on est honnête. Et vire-moi tout de suite cette ride de ton front. Je ne lui ai rien dévoilé de notre plan. Je l'ai averti que je ne voulais, ni ne pouvais rien lui dire. Il l'a parfaitement compris. C'est quelqu'un d'intelligent. Et sa musique… Sa musique, Rhadamanthe… Elle est simplement merveilleuse.

********************

Rhadamanthe réfléchissait, assis à son bureau, tout en savourant un scotch particulièrement fort. Gordon venait de se retirer. Le Minotaure lui avait fait un point, alarmant, de la situation concernant l'état d'esprit des Spectres. Jamais le Juge n'aurait pu imaginer que Minos aurait profité à ce point de son absence. Car il le savait, celui qui menait le bal, de l'autre côté, c'était bien le porteur du surplis du Griffon. S'il avait été capable de faire abstraction de ses sentiments personnels, Rhadamanthe n'en aurait certainement pas voulu autant à son confrère. En toute objectivité, il n'y avait pas grand-chose à reprocher à Minos… outre le fait de vouloir évincer Perséphone… Sentant monter une rage sourde en lui, Rhadamanthe crispa le poing autour de son verre. Il arrêta brusquement son geste quand il se rendit compte qu'il était sur le point de le jeter contre un mur. Valentine le connaissait trop bien… Si jamais, un jour, il se mettait en couple avec Kanon, il faudrait qu'il se défasse de ce réflexe déplaisant.

Ce n'était certes pas le genre de comportement qu'il souhaitait avoir face au Gémeau. A l'évocation de Kanon, son cœur se serra. Ils n'avaient pas eu le temps de parler, tous les deux. Rhadamanthe savait que le Gémeau doutait. Après tout, le Grec lui avait dit qu'il n'était pas sûr que sa décision de venir aux Enfers fût la bonne. Et on ne pouvait pas dire que le Juge lui ait donné matière à penser que son choix avait été le bon. Il n'avait pas eu le temps. Il n'avait pas le droit de faire passer sa relation, aussi importante soit-elle à ses yeux, avant les intérêts des Enfers et ceux de Perséphone. Non… il ne fallait pas se voiler la face. Il n'avait pas voulu leur laisser la place nécessaire. Il avait choisi Perséphone, parce qu'elle était sa vie. Tout simplement. Et parce qu'il était sûr que Kanon comprendrait. Parce que Kanon était quelqu'un de mature, d'intelligent, de compréhensif, d'humain. Kanon comprendrait. Et lui pardonnerait. Dès que Rhadamanthe lui aurait expliqué…

– Rhadamanthe !

Le cri de Valentine fit sursauter le Juge. Mais plus encore se fut l'air parfaitement terrifié de la Harpie qui lui noua le ventre.

– C'est Sa Majesté ! Elle a perdu connaissance !
– Où est-elle ?
– Dans sa chambre… avec Queen et le Gémeau…

Le Juge se rua hors de son bureau, complètement affolé.

Arrivé dans la chambre, Rhadamanthe se précipita au chevet de sa Déesse. Il fut saisit d'horreur. Perséphone était allongée sur son lit, pâle comme la mort, le visage trempé de sueur. Le Juge fut pris d'un haut-le-cœur : la souffrance qui déformait les traits de la jeune femme lui donnait la nausée.

– Que s'est-il passé ? cracha-t-il. Qui est responsable de ça ?

S'il trouvait celui qui était à l'origine de cette ignominie… il le tuerait. Après l'avoir torturé, après lui avoir fait connaître des douleurs inimaginables au commun des mortels… Jamais l'âme du coupable ne pourrait trouver le repos une fois passée entre ses mains.

– Ce doit être moi.

Rhadamanthe se tourna vers Kanon, les yeux brûlants de colère. Le Gémeau affronta son regard, sans ciller. La tension entre les deux hommes obligea Queen et Valentine à reculer de quelques pas. Ils connaissaient bien, tous les deux, les accès de fureur de leur Seigneur… Le Chevalier d'Athéna, lui, se tenait droit. Superbe de prestance.

– Explique-toi ! hurla le Juge.
– Nous nous promenions dans les jardins quand elle a voulu me faire visiter le reste du Royaume. Elle a dit que tu avais raison, et qu'il fallait qu'elle se force à apparaître devant les autres Spectres. Tout s'est bien passé, jusqu'à ce qu'on arrive au Palais. Elle a été prise d'une faiblesse… je l'ai rattrapée. Je lui ai dit que nous n'avions pas à aller plus loin, mais elle n'a pas voulu repartir. Il fallait qu'elle le fasse… pour les Enfers… pour toi. On est entré. Je la soutenais. Je la sentais trembler dans mes bras, mais elle tenait bon. Et on est entré dans la salle de réception. Dès qu'elle a vu le Mur des Lamentations, elle s'est mise à hurler. Elle s'est effondrée, juste après. On l'a ramenée ici, aussi vite que possible.

Kanon avait essayé de garder un ton le plus neutre possible. Il savait qu'en cet instant, Rhadamanthe avait besoin de faits objectifs. Pour les analyser, les comprendre, les disséquer… Pour trouver une solution. Se plonger dans la réflexion et le travail pour dépasser ses sentiments, et leur survivre. Dans le cas contraire, la seule issue, pour le Juge, serait la mort. La sienne, dans les profondeurs de la folie, ou celle du responsable, dans le sang. C'était pour cette raison que le Gémeau était intervenu, offrant sa tête sans résistance. À lui, Rhadamanthe donnerait une chance de s'expliquer.

Tout cela, il ne l'avait pas compris seul. Tout cela, Perséphone le lui avait appris. Avec patience, douceur et tendresse, la Déesse avait essayé d'expliquer à Kanon comment fonctionnait le Juge. A bien y réfléchir, durant les deux premières heures de leur promenade, ils n'avaient fait que parler de Rhadamanthe. Cela avait fait beaucoup de bien au Gémeau. Elle lui avait fait comprendre, à demi-mots, que le Juge éprouvait réellement de très forts sentiments à son égard et que sa déclaration avait été sincère. Elle lui avait fait sentir à quel point elle était désolée de prendre une telle place dans le cœur de son Juge, l'empêchant de trouver le temps et l'énergie de se préoccuper d'autre chose, mais qu'elle était incapable de renoncer à lui. Elle lui avait avoué que Rhadamanthe était la dernière personne à qui elle se raccrochait, qui lui donnait la force de continuer... Elle lui avait confessé que, sans son Juge, elle aurait probablement déjà abandonné… qu'elle se serait laissée partir, laissée aller à s'endormir, et à trouver le repos dans les ruines du sanctuaire de Déméter. Elle avait évoqué cela d'une voix à peine triste, presque sereine, qui avait noué la gorge du Gémeau… Dans la chambre, l'heure n'était plus à ce genre d'émotions.

– Tu veux dire que… c'est ma faute ? rugit le Juge.
– Je n'ai pas dit ça.
– Tu l'as sous-entendu !

Kanon, toujours très calme, fit un pas vers Rhadamanthe.

– Ecoute, nous gagnerons du temps, si tu cesses d'interpréter mal tout ce que je dis. Si tu n'es pas capable de prendre un peu de recul, tu ferais mieux de sortir d'ici.

Le Juge se figea. De leur côté, Queen et Valentine regardaient Kanon, abasourdis. L'audace et l'outrecuidance du Chevalier dépassaient tout ce qu'ils pouvaient concevoir. Et, en même temps, le charisme de Kanon, en cet instant, forçait leur respect.

– Ces deux phrases, un homme extraordinaire me les a dites, il y a peu, continua le Chevalier d'Athéna. Dans d'autres circonstances… moins dramatiques, je le reconnais. Mais elles n'en sont pas moins vraies et valables maintenant.

Le Gémeau avança encore et s'arrêta juste devant Rhadamanthe. Les yeux bleus accrochèrent l'or pur de ceux du Juge.

– Je ne veux pas voir cet homme sombrer. Ta Reine a besoin de toi. Comme tu as besoin d'elle. S'il l'un de vous tombe, il entraînera l'autre. S'il l'un de vous se relève, l'autre pourra à nouveau se mettre debout. Elle est au bord du précipice. Tu n'as pas le droit de trébucher.

Rhadamanthe baissa les yeux, et se tourna lentement vers le lit. Il s'agenouilla, prit entre ses mains les doigts brûlants de Perséphone, et y déposa un baiser. Une main vint se poser sur son épaule.

– Tu devrais aller te reposer. Tu es épuisé…, fit doucement Kanon.
– Je ne veux pas la laisser… je ne peux pas la laisser…, murmura le Juge.
– Elle ne sera pas seule. Je veillerai sur elle, si tu le permets. Nous veillerons tous sur elle.

********************

Dans son bureau de la Première Prison, Minos du Griffon, Juge des Enfers, attendait. La pièce ressemblait beaucoup à celui de Rhadamanthe. Les seuls différences notables résidaient dans la palette de couleur – le rouge dominait – et dans l'absence du terrarium qui avait été remplacé par une carte des Enfers et un texte gravé sur une pierre noire : les principes qui régissaient le Jugement des âmes. Il ne fit pas le moindre geste lorsqu'Eaque pénétra dans la pièce.

– J'imagine que tu es déjà au courant ? fit le brun.

Minos releva la tête et dégagea la frange blanche qui lui cachait les yeux.

– En effet.
– Et qu'en penses-tu ?
– Que cela confirme mes soupçons.

Eaque s'installa en face de son homologue, dans un des larges fauteuils de cuir rouge cardinal. Il posa sur la table la bouteille qu'il tenait depuis son entrée. Une bouteille de Macallan. Du Scotch. Celui de Rhadamanthe.

– Tu veux trinquer avec l'alcool de la Wyverne ?
– Cela semble approprié, non ? sourit Eaque.
– Ce que tu peux être puéril, parfois…, soupira Minos, en levant les yeux au ciel.

Mais le Norvégien se leva tout de même, et revint avec deux verres. Que le Népalais remplit aussitôt.

– Tu savais qu'elle avait hurlé le nom d'Hadès, juste avant de s'effondrer ? demanda, innocemment, Eaque.
– Je le sais.
– Et cela ne te fait pas douter ?
– Elle l'a peut-être appelé… mais c'était de la terreur qu'il y avait dans sa voix. Les témoignages s'accordent tous sur ce point. Je te l'ai dit, il n'y a rien dans cet événement qui me surprenne, ou qui puisse m'amener à revoir mon opinion. Les faits parlent d'eux-mêmes.
– Les faits… On leur fait dire ce que l'on veut. Tu le sais mieux que personne.

Minos planta son regard dans les yeux d'Eaque, qui fut forcé au bout d'un moment de rompre le contact.

– Si tu ne veux pas te rallier, tu es libre de partir, fit le Juge aux cheveux blancs, clinique. Mais tu dois faire un choix. Avec moi. Avec eux. Il n'y a pas d'alternative.
– Avec toi, c'est être avec Pandore… Je te rappelle qu'elle a trahi Hadès, durant la Guerre.

Minos balaya l'objection d'un geste.

– Pandore ne compte pas. Elle n'est qu'un outil. Ni toi, ni moi, ne pouvons prendre le contrôle des Enfers. Elle reste la sœur d'Hadès. C'est à ce titre que nous avons besoin d'elle. Elle est la seule à pouvoir, légalement, avoir autorité sur le Royaume. Tu le sais aussi bien que moi.
– Ca a le droit de me gêner quand même, non ? fit Eaque en regardant le fond de verre.
– Tu préfères laisser Perséphone aux commandes ?

La voix de Minos était dure. Une fois de plus, il accrocha le regard du Juge Népalais. Une fois de plus, le Garuda baissa les yeux.

– Elle l'aimait autrefois…, objecta Eaque, dans un murmure.
– Autrefois. Le terme est juste. Regarde-la maintenant et dis-moi ce que tu vois ! Elle pactise avec Poséidon et Athéna ! Nos ennemis, Eaque ! Nos ennemis ! Elle envoie Rhadamanthe chez sa cousine ! Chez celle qui a tué Hadès ! Elle ne sort plus de ses appartements… le seul endroit où Sa Majesté ne mettait jamais les pieds. Elle se moque éperdument de la reconstruction du Royaume… Et aujourd'hui, elle hurle sa terreur à l'évocation de son époux ?

Le Juge Norvégien vida son verre d'un trait et reprit, tentant de contenir sa colère.

– Elle ne l'aime plus… Peut-être est-ce dernier millénaire, où ils se sont croisés si rarement… Peut-être sont-ce ces presque cinq siècles durant lesquels ils ne se sont pas vus… Peut-être a-t-elle perdu l'esprit lors de sa dernière réincarnation… Peut-être a-t-elle juste fini par succomber à ce lien qui l'unit à Rhadamanthe… Je n'en sais rien, Eaque. Mais c'est évident. Aujourd'hui, Perséphone n'éprouve pas la moindre affection pour ce Royaume, ni pour Sa Majesté.

Minos semblait dégoûté. C'était cela, exactement. Perséphone ne lui inspirait plus que du dégoût. Et il souffrait. Il souffrait en imaginant son Roi découvrir les agissements de son épouse, en imaginant son Roi comprendre qu'elle l'avait trahi. Lui qui avait déclenché des guerres pour elle. Lui qui l'aimait plus que tout.

– Je protégerai les Enfers, je te le jure, Eaque. Je les protègerai jusqu'au retour de Sa Majesté. Je ferai ce qu'il faut pour que, lorsqu'il se réveillera, Sa Majesté Hadès se retrouve à la tête d'une armée digne de ce nom, d'un Royaume qui ne soit pas à la botte de ses ennemis ! Que les Enfers soient fiers et forts, lorsqu'il montera à nouveau sur le trône ! Je ferai ce qu'il faut. Dussé-je m'opposer à Perséphone elle-même.

Minos avait terminé son discours en reposant son verre sur la table. Il était déterminé, cela ne faisait pas l'ombre d'un doute. Le brun se leva et s'approcha de son confrère, toujours assis. Le Garuda se pencha vers le Griffon.

– Je t'y aiderai.

Le murmure d'Eaque mourut sur les lèvres de Minos, qu'il s'empressa d'embrasser.

********************

Dans la chambre de Perséphone, Kanon était assis dans un fauteuil, juste à côté du lit, et regardait la Déesse toujours prisonnière de son délire. Il n'avait pas la moindre idée de ce qu'étaient les cauchemars qui l'assaillaient, mais il souffrait avec elle. Il lui épongea le front. La douleur déformait toujours les traits de la jeune femme… et pourtant elle ne laissait pas échapper la moindre trace de cosmos. C'était peut-être ça, le plus perturbant. Pour avoir passé du temps aux côtés de Poséidon et d'Athéna, Kanon savait que leur cosmos dépassait l'entendement, qu'il débordait dès que des sentiments forts les dominaient, le corps de leur réincarnation étant incapable de contenir leur puissance. Alors certes, Perséphone était dans son véritable corps… Mais qu'elle arrive à garder le contrôle après avoir sombré dans l'inconscience… Kanon comprenait mieux les mots qu'avait eus Rhadamanthe. « Vous êtes la personne la plus forte qu'il m'ait été donné de rencontrer ». Il avait cru qu'il ne s'agissait que de paroles de réconfort. Il s'était lourdement trompé. La faute à ce corps trop mince, à cette apparence trop fragile… La Reine des Enfers était véritablement douée d'une force d'âme peu commune, même chez les Dieux.

Il la couvait toujours du regard lorsque Valentine entra dans la pièce.

– Comment va-t-elle ? demanda la Harpie.
– Aucun changement.

Valentine resta un moment silencieux, considérant Kanon. Il semblait hésiter sur la conduite à suivre.

– Sire Chevalier… quels sont tes rapports avec notre Juge ?
– Sans vouloir t'offenser, je ne vois pas en quoi cela te concerne.

– Rhadamanthe est mon ami, répondit, calmement, la Harpie.

Le Gémeau tiqua. Le terme le troublait. Il n'avait pas vraiment imaginé, jusqu'à présent, que le Juge puisse avoir des amis. Des subordonnés, oui. Auxquels il accordait une grande confiance, auxquels il inspirait un immense respect… soit. Mais un ami… l'image avait quelque chose d'étrange.

– Je ne sais pas, confessa Kanon. Je ne sais pas de quoi est faite notre relation. Ou même si nous en avons une… Il était très différent au Sanctuaire.
– Je vois… Puis-je te demander un service ?

Kanon, qui avait gardé son attention tournée vers Perséphone, la reporta sur Valentine, l'invitant à développer.

– Il est dans son bureau. Il refuse d'aller se reposer. J'ai essayé de le raisonner, mais il refuse de m'entendre. Tant que Sa Majesté n'aura pas repris connaissance, personne ici n'a suffisamment d'influence sur lui pour l'obliger à quoique ce soit. Je ne vois que toi qui puisses tenter quelque chose.
– Je vais voir ce que je peux faire, fit Kanon, se levant à regret. Tu prends la relève ?
– C'était l'idée, effectivement. Je me charge d'elle, tu te charges de lui. J'espère que nous aurons plus de succès, en échangeant nos rôles, confirma Valentine.

Lorsque Kanon entra dans le bureau du Juge, il prit quelques instants pour se calmer et arrêter une stratégie. Rhadamanthe était assis à son bureau, occupé à lire des rapports. Un verre et une bouteille de Scotch à ses cotés. Un paquet de cigarettes entamé, aussi.

– Ce sont très premières depuis ton retour, non ? fit le Gémeau en désignant les mégots, dans le cendrier.

Le Juge releva les yeux vers le Gémeau. Il mit quelques instants à comprendre la question.

– Fumer me sert à me calmer. Au Sanctuaire, il fallait que je contrôle mes émotions. Ici… je n'ai pas à faire autant d'efforts.
– Tu paraissais aussi beaucoup plus serein, même sans cigarette à la bouche, nota le Chevalier.
– Je ressentais moins la pression de la souffrance de Sa Majesté… Je m'inquiétais toujours pour elle, mais c'était moins… douloureux. Et je ne pensais pas que Minos chercherait à se positionner aussi vite. Je pensais que nous avions le temps… Qu'est-ce que tu fais là ? Qui surveille Perséphone ?

La lassitude et la fatigue avaient laissé place à l'angoisse. Kanon le rassura.

– Valentine. Il a pris ma relève. Il faut que je me repose… Tu devrais faire pareil. Tu avais dit que tu irais te coucher, Rhadamanthe, dit-il sur un ton de léger reproche.
– Je ne peux pas… J'ai trop de choses à faire. Mais vas-y toi… tu as bien mérité une bonne nuit de sommeil.

Kanon soupira. Le Juge était reparti dans ses papiers.

– Tu me conseilles quelle chambre ? La tienne ou la mienne ?

L'Anglais releva la tête et considéra le Grec un moment. Au moins avait-il réussi à le faire réagir…

– Celle que tu veux, tu es tout à fait libre de tes choix.

Le Juge avait replongé dans sa lecture. Loupé… Deuxième tentative…

– Et toi ? Tu viendrais te coucher ?
– Je viens de te dire que j'avais des choses à faire…

Le Gémeau regarda le Juge d'un air désespéré. Jamais deux sans trois… Il devait être moins subtil. Déjà qu'il ne l'était pas beaucoup…

– Quel intérêt d'aller dormir dans ta chambre si tu n'y es pas ?
– Le lit est plus confortable. Et j'ai une baignoire, expliqua Rhadamanthe, clinique.
– Valentine a raison…, soupira le Chevalier. Personne n'a d'influence sur toi, en dehors de Perséphone.

La voix de Kanon était pleine de regrets… et il quitta la pièce, la tête basse.

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Le Gémeau s'était affalé sur le canapé de son salon, un verre d'Ouzo à la main. Valentine avait raison, oui. Il doutait, cependant, que Perséphone se soit trompée à ce point sur les sentiments de son Juge… Rhadamanthe éprouvait quelque chose. La vraie question était de savoir quoi. Kanon soupira. Dans quoi s'était-il embarqué ?

Rhadamanthe aimait Perséphone. Perséphone aimait Rhadamanthe. De cela, il était certain. De son côté, le Gémeau aimait Athéna, le Gémeau aimait Saga… Milo et Camus s'aimaient plus que tout, tout en gardant une dévotion complète envers Athéna… Marine et Aiolia, de ce qu'il en savait, vivaient leur amour de la même manière. Aphrodite et Angelo… eux aussi s'adoraient et personne au Sanctuaire n'oserait remettre en doute leur loyauté envers leur Déesse. Pourquoi Rhadamanthe ne parvenait-il pas, lui, à gérer les différents sentiments qu'il éprouvait ? Il y avait l'histoire du sang de Perséphone sur l'armure de la Wyverne… Cela avait-il pu créer un lien si fort, que tout le reste ne signifie plus rien ? Les armures de Pégase, du Cygne, d'Andromède et du Dragon avaient, elles aussi, reçu le sang de leur Déesse protectrice… et pourtant Shiryu semblait filer le parfait amour avec cette Shunreï, pourtant Seiya avait sa sœur, Shun son frère… Hyoga avait Camus… Quels avaient été les mots exacts du Juge ? « Elle s'est sacrifiée, pour me protéger ». Certes, Athéna s'était sacrifiée pour sauver le monde, elle… Les choses étaient donc différentes. Cette différence pouvait-elle tout expliquer ? Cette différence suffisait-elle à tout expliquer ? Dans quelles circonstances s'était-elle sacrifiée pour lui ? De quoi ou de qui avait-elle voulu le protéger ? Il avait tellement envie de comprendre…

C'est d'une voix lasse qu'il autorisa la personne qui venait de frapper à sa porte à entrer.

– Tu aurais quelques minutes ?

Kanon releva la tête et ouvrit de grands yeux en ayant la confirmation de la présence de Rhadamanthe dans sa chambre.

– Bien sûr. Assieds-toi.
– Non, ce n'est pas nécessaire… je ne vais pas te déranger longtemps.
– Tu ne me déranges pas. Assieds-toi, au lieu de dire des bêtises.

Le Juge s'exécuta. Il resta un long moment, sans rien dire, la tête baissée.

– Je voulais m'excuser. Je ne te traite pas de la manière dont tu le mérites.
– Et c'est quoi, la manière que je suis supposé mériter ?

Rhadamanthe gardait les yeux fixés sur le sol. Il était mal à l'aise. Il avait l'air… fragile. Kanon ne l'avait jamais vu dans cet état.

– Je devrais t'accorder plus d'attention. Tu comptes beaucoup pour moi… et je me comporte comme si tu n'avais pas d'importance à mes yeux.
– Ne te voile pas la face, Rhadamanthe. Personne n'a d'importance à tes yeux, en dehors de Perséphone.

Le visage du Juge devint livide.

– C'est faux… mais vous refusez tous de comprendre.
– Explique-moi…, proposa Kanon, d'une voix douce. Explique-moi ce lien… explique-moi ce que tu éprouves pour elle…

Rhadamanthe se prit la tête à deux mains. Il semblait sur le point de pleurer. Il prit une grande inspiration.

– Il y a très longtemps… Il y a des millénaires… Sa Majesté Hadès a confié une mission à Rhadamanthe. Une mission pour laquelle il avait tous les droits. Abandonner notre charge, trahir les Enfers… tout cela, nous étions libres de le faire, et nous le sommes toujours. Parce que notre mission est plus importante que tout. Hadès nous a confié la protection de ce qu'il a de plus précieux. Hadès nous a confié Perséphone. Sa Majesté… est une personne merveilleuse. Elle est douce, aimante… intelligente… Elle a toujours fait preuve d'une détermination à toute épreuve, et d'une gentillesse absolue. Nous avons appris… à l'aimer. Nous avons compris pourquoi Hadès tenait autant à elle, et nous nous sommes sentis fiers. Fiers de la confiance que notre Roi avait placée en nous. Fiers de la servir, elle qui est l'âme du Royaume.

Alors que l'Anglais parlait, Kanon semblait voir apparaître, derrière lui, toutes les ombres des précédents porteurs du surplis de la Wyverne.

– Par deux fois, nous avons failli. Par deux fois, nous avons trahi la confiance d'Hadès. Par deux fois, Perséphone est morte. Et la dernière fois… elle est morte dans nos bras. Nous avions son sang sur les mains. Hadès était présent… La douleur déchirait son cosmos. C'était insupportable. Nous avions échoué… encore. Perséphone n'était plus. Le monde était mort. Et c'était notre faute.

Et les ombres pleuraient, anéanties sous le poids de leur culpabilité.

– Cela n'arrivera pas une troisième fois. Je ne laisserai pas cela arriver une troisième fois. Jamais. Quelque soit ce que j'aurais à faire. Quelque soit ce que je devrais sacrifier.

Le Juge releva les yeux vers le Gémeau. Des yeux pleins de douleur, de colère, de détermination, de rage, de souffrance, de conviction,… De force et de violence. Puis les yeux s'adoucirent, l'inquiétude venant se mêler aux autres sentiments.

– Peux-tu comprendre cela, Kanon ? Peux-tu comprendre qu'elle sera, à jamais, la personne la plus importante pour moi ? Que je suis prêt à tout pour elle ? Peux-tu comprendre que mon amour pour elle est total, mais ne diminue en rien ce que je ressens pour toi ? Que cet amour n'a rien à voir avec celui qui peut naître entre deux êtres humains ? Elle est ma Déesse, Kanon. Elle est même plus que ça. Elle est ma vie.

Le Juge poussa un long soupir et se leva pour regagner la porte.

– Bonne nuit, Kanon. Essaye de te reposer. Et merci… de m'avoir écouté.
– Rhadamanthe ?

L'Anglais tourna un visage las vers le Gémeau.

– Tu ne veux pas rester un peu ? J'ai l'impression que ce n'est pas une bonne idée de te laisser seul. Tu as besoin de te changer les idées… et de repos.
– Non… ne t'inquiète pas. Tout ira bien… Et j'ai des choses à faire.
– Rhadamanthe… s'il-te-plait… Pour Elle. Et pour moi.

Le Juge eut un sourire, très doux. C'était un sourire qui ne lui ressemblait pas, mais qui lui allait merveilleusement bien.

– Pour vous deux… je veux bien.

Ils avaient passé un long moment à discuter. Rhadamanthe en avait besoin, peut-être plus encore que de dormir. Ils avaient parlé de Perséphone, bien sûr. Ils avaient parlé de Minos, Eaque et Pandore aussi. Ils avaient parlé de Valentine. Ils avaient parlé de Sylphide, Queen et Gordon. Ils avaient parlé d'Hadès. Ils avaient parlé du passé.

– Je peux te poser une question ? demanda Kanon.
– Je t'en prie.
– Qu'est ce qui s'est passé exactement, quand Perséphone t'a sauvé ?

Le Juge se figea et baissa les yeux.

– Je… je ne veux pas en parler, excuse-moi. C'est… douloureux. Et puis…
– Non, ne te justifie pas. Tu ne veux pas en parler, ça me suffit.
– Merci…, fit l'Anglais, soulagé. Pour me faire pardonner, si tu en as une autre…
– Je te prends au mot, répondit le Gémeau dans un sourire. Mais ne te sens pas obligé de répondre. Si tu ne veux rien me dire, je comprendrai… Bon alors… Comment se fait-il que Perséphone ne soit pas… enfin, Poséidon, Hadès et Athéna, ils se réincarnent tous à peu près en même temps, ils choisissent des corps du même âge… Alors pourquoi… ?

Rhadamanthe poussa un soupir et quitta son fauteuil, pour aller s'occuper les mains avec quelques bibelots.

– Cela fait un moment que les réincarnations de Sa Majesté ne suivent plus le rythme des autres. Elle prend du retard, à chaque fois. Ça dure depuis des lustres. Depuis sa première mort, en fait. A tel point que ça en devient… Après la dernière guerre, elle avait trois ans quand ils ont forcé le réveil de sa persona pour qu'elle monte sur le trône des Enfers. Tu imagines quel genre d'impact ça peut avoir sur une gamine de cet âge de se retrouver ici, et d'avoir une voix dans sa tête qui lui parle comme si elle était une autre personne ? Parce qu'en plus, Zeus était pressé, tu comprends, alors il n'a pas vraiment pris de gants. Et elle était pour ainsi dire toute seule, puisque nous étions tous enfermés par le sceau d'Athéna,… Trois ans, Kanon !, hurla le Juge. Et je n'étais même pas là pour elle…

Kanon s'était levé et se colla au dos du Juge, le serrant tendrement dans ses bras et posant son menton sur son épaule. Le Juge lâcha doucement la petite sculpture qu'il serrait dans son poing.

– Kanon ? demanda Rhadamanthe après un moment.
– Oui ?
– Est-ce que je peux t'embrasser ?

Le Gémeau s'écarta un peu, surpris.

– C'est quoi cette question ?
– J'en ai très envie… presque besoin…, s'excusa le Juge.
– Non mais… Rhadamanthe… Tu m'as dit que tu m'aimais, tu m'as donné un baiser que je ne pourrai jamais oublier… Je t'ai suivi aux Enfers, invité à passer la nuit avec moi… Je te prends dans mes bras… Et tu as encore besoin de me demander mon autorisation ?
– Je ne veux te forcer en rien…, tenta de se justifier l'Anglais.
– Hé ! Il faut que je fasse quoi pour que tu comprennes que j'ai vraiment envie d'être avec toi ? Que je me promène avec un panneau au-dessus de la tête avec écrit « Vas-y Rhadamanthe, je suis open » ? Il y a vraiment des moments où je me demande comment…

Personne ne sut jamais quelle question Kanon se posait. Au contact des lèvres du Juge, le Gémeau lui-même l'avait oubliée.

 

A suivre....

Chapitre 7

 

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