RESURRECTION

 

 

 

 

Disclaimer : tout l'univers de Saint Seiya que tu reconnaîtras aisément
appartient à Masami Kurumada. L'auteur ne retire aucun bénéfice si ce n'est le plaisir d'écrire et d'être lue.

Genre
: romance/amitié/intrigue.

Rating
: interdit au moins de 18 ans.

Note
: nombreux couples principalement Yaoi.

Auteur : Gajin

J'espère que tu aimeras. Bonne lecture...

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Chapitre 12

Le Whisky des Juges

 

Les Enfers, la veille.

Dans le bureau de Minos, deux Juges et une Prêtresse tenaient conseil. Eaque s'était confortablement installé dans l'un des fauteuils, une jambe négligemment passée par-dessus un accoudoir, un verre de scotch à la main. Décidemment, il adorait l'alcool de Rhadamanthe… Pandore se tenait de façon beaucoup plus digne, en face de lui, assise elle aussi dans l'un des confortables sièges rouges. Minos, de son côté, faisait les cent pas, et ne décolérait pas.

Comment ont-ils pu oser ?

Eaque pencha la tête en arrière pour regarder son homologue par en-dessous.

Ce n'est pas ce que tu attendais ?
– Non ! Je m'attendais à ce qu'ils affrontent leurs crimes, qu'ils aient un peu d'honneur ! Pas qu'ils fuient comme des lâches… Mais que peut-on attendre de traîtres ?

– Ils ont tout de même laissé la Harpie aux commandes du Château…, objecta Pandore.

Minos la fusilla du regard.

– Ce n'est pas parce que les rats ont laissé une souris derrière eux qu'ils n'ont pas abandonné le navire…

Le Garuda haussa un sourcil.

– Même avec beaucoup d'imagination, j'ai du mal à voir Valentine en souris… Les oreilles ne lui iraient pas du tout…
– Eaque… tu ne peux pas être sérieux deux minutes ? soupira Minos.
– Mais je suis parfaitement sérieux ! Prends le temps de l'imaginer avec un costume de souris et tu ne pourras qu'être de mon avis ! Je crois que ça vient de ses yeux… ils sont trop petits, et trop perçants…

– Eaque ! Pour l'amour d'Hadès !

Le Népalais poussa un long soupir. Et s'installa de manière plus décente.

– Très bien, Monsieur le Juge, fit-il d'une voix résignée. Qu'est-ce que tu veux que je te dise ? Qu'en le traitant de souris, tu minimises la fonction réelle de Valentine et la confiance absolue que Rhadamanthe et Perséphone ont placée en lui ? La Harpie est l'âme damnée de la Wyverne. S'ils avaient réellement fui, il aurait fait partie du voyage.

Minos le regarda quelques secondes, avant de se détourner.

– Je déteste quand tu fais ça…
– Quand je fais quoi ? demanda le Garuda, pour une fois parfaitement sincère.
– Quand tu passes ton temps à faire le pitre, et que, quand tu te décides enfin à être sérieux, tu nous donnes l'impression d'avoir tout compris mieux que tout le monde… Le pire, c'est que tu as systématiquement raison.

– Hé ! C'est toi qui as voulu que j'arrête… Alors, assume. Ou si tu préfères, je peux retourner à mes bêtises, et tu pourras à nouveau te sentir plus intelligent que moi…
– Eaque… je t'en prie ! Ce n'est pas le moment ! Et jamais je n'ai pensé être plus intelligent que toi…

Le Garuda lui accorda un petit sourire et repris sa pose précédente.

– Alors, glorieux chef, minauda le Népalais en sirotant son verre, quels sont tes plans ?
– Je vais le tuer…, fit le Griffon à l'adresse de Pandore. Un jour, je vais vraiment le tuer.
Je ne demande que ça, Minos…, répondit Eaque en lui lançant un regard intense. Mourir de tes mains… voilà qui ferait un beau souvenir.

La sœur d'Hadès sentait une rage sourde monter en elle… Surtout maintenant que le Griffon plantait ses doigts dans le dossier de son fauteuil. Les deux Juges l'ignoraient purement et simplement. Le Népalais captait totalement l'attention du Norvégien.

– Je ne vous dérange pas ? fit-elle d'une voix glaciale.
– Vous ne nous dérangez jamais, voyons…, la rassura le Garuda. Alors Minos, que comptes-tu faire ?
– Prendre le contrôle des Enfers. Mais pour cela, Lady Pandore, il faut que vous fassiez quelque chose. Une chose dont vous seule êtes capable.

********************

Dans le bureau de Rhadamanthe, Valentine se sentait mal à l'aise. Le vague sentiment d'être un chien dans un jeu de quille. De ne pas être à sa place. Que cette pièce semblait vide, sans la Wyverne ! Que ce Château semblait vide, sans Perséphone ! Il aurait donné n'importe quoi – pas tout à fait, non, tout de même – pour être avec eux, en ce moment. Intriguer en coulisses, laisser traîner une oreille, et venir faire ses rapports officieux et informels au Juge ou à la Reine… Se sentir à côté, en dehors. Pouvoir prendre du recul. Etre libre. Voilà ce qu'il aimait et ce en quoi il excellait. Mais il ne se leurrait pas pour autant. Il donnait l'impression d'être hors de contrôle et parfaitement maître de ses choix… il n'en était rien. Sa liberté s'était envolée à l'instant même où il avait rencontré Rhadamanthe, quand il avait ressenti le désir de créer un lien avec cet Anglais si distant. Alors certes, il n'était pas question d'amour entre eux, il n'en avait jamais été question. On ne pouvait pas comparer cette relation à celle que le Juge entretenait avec la Reine… peut-être pouvait-on faire un parallèle plus judicieux avec celle qui liait Minos à Hadès. Non. Minos était trop… sérieux. Plutôt Eaque alors… Voilà. Il entretenait avec Rhadamanthe la même sorte de rapport qu'Eaque avec… avec qui ? La question surprit Valentine. Envers qui le Garuda pouvait-il bien ressentir cette confiance, cette dévotion, cette foi – c'était le mot, exactement –, que lui-même éprouvait pour la Wyverne ? Il n'en avait pas la moindre idée. C'était désagréable. Il avait mis le doigt sur quelque chose, il en était persuadé. Quelque chose d'important. De capital. Comme une ombre sur une photographie, cachant un détail qui changerait radicalement la signification de la scène…

– Seigneur Valentine ?

La Harpie se retourna, légèrement agacé. D'abord, il n'appréciait pas d'être forcé à sortir de ses réflexions. D'autre part…

– Sylphide, par Hadès ! Ne m'appelle pas Seigneur ! Je ne suis pas Juge ! Les Dieux m'en garde, d'ailleurs…
– Pardon… Mais comme vous dirigez le Château…
– Je fais l'intérim, c'est tout. Et encore, juste pour ce qui concerne les affaires courantes et… ça.

En prononçant le dernier mot, la Harpie avait eu un petit geste de dégoût en direction de la fenêtre, par laquelle on pouvait voir la falaise qui surplombait le domaine de Perséphone.

– Je ne prononcerai pas de Jugements, ou quoique ce soit du genre, continua le Chypriote. Alors, je te le demande, n'en fais pas trop. Je suis et je reste Valentine de la Harpie. Un simple Spectre.
– Bien… comme vous voulez.
– Ne me vouvoie pas ! Ça fait des années qu'on se tutoie, tu ne vas pas commencez, hein…
– Désolé… Mais c'est l'usage de vouvoyer la personne qui travaille ici…

Valentine soupira.

– Je sais. J'aurais bien choisi un autre endroit, mais ma chambre est trop petite pour contenir toute la déco… tu voulais quoi, exactement ?
– On vient de m'avertir que Minos, Eaque et Pandore se réunissaient en ce moment-même au Tribunal.
– Ô surprise… Ils n'ont pas perdu de temps, au moins, il faut leur reconnaître ça.
– Quels sont tes ordres ? demanda le Basilic.
– Mes ordres…

Ses ordres étaient parfaitement clairs : ne rien faire, ne rien tenter. Il devait laisser agir le Griffon, tant que Perséphone ne l'aurait pas contacté pour l'avertir de la décision d'Athéna. C'était extrêmement frustrant… Entendre dans les couloirs les mots « trahison », « destitution », sans pouvoir faire cesser les murmures. Sans pouvoir révéler la vérité.

– Qu'ils se réunissent. Nous aviserons s'ils décident de passer à quelque chose de plus sérieux.
– Sans vouloir outrepasser ma fonction…
– Si tu as quelque chose à dire, dis-le. Je te le répète, je ne suis pas Rhadamanthe. On est à égalité, ici. Alors tu ne risques pas d'outrepasser quoique ce soit.

Sylphide acquiesça.

– J'ai peur que nous n'ayons pas le temps d'aviser s'ils passent à la vitesse supérieure. Nous ne le saurons que trop tard. Les hommes ne parlent pratiquement plus à Gordon…
– Mouais… et tes espions chez le Griffon et le Garuda te lâchent, c'est ça ?
– En effet. Depuis le départ de sa Majesté…

Valentine leva les yeux pour se perdre dans la contemplation du plafond.

– On ne peut pas leur en vouloir… Mais ça ne change rien. Nous devons attendre.
– Attendre quoi, Valentine ?
– Le retour de sa Majesté.
– Et si elle ne revient pas ?

Valentine reporta son attention sur le Basilic. Sylphide était parfaitement sérieux. Même parmi les très proches de Perséphone et Rhadamanthe, les doutes commençaient à naître. Quelle idée la Reine avait-elle eu de leur poser cette question sur la trahison des Enfers, aussi… Stick to the plan , évidemment. Foutu plan.

********************

Pandore avait quitté le Tribunal en compagnie de Rune, qui ne semblait guère enchanté d'abandonner le calme de la première prison. Mais Minos avait parlé. Et il ne serait jamais venu à l'idée du Basilic d'aller à l'encontre d'un ordre direct.

Alors qu'ils progressaient en direction du Palais, ils étaient salués avec ferveur par les Spectres qu'ils croisaient. Ces démonstrations leur convenaient à tous deux. Rune y voyait le respect inhérent à sa position. Pandore, de son côté, y voyait la marque de la pertinence de ses choix. Ces Spectres étaient toujours attachés à Hadès, eux. A travers elle, c'était son frère qu'ils saluaient. Cela la rassurait et augmentait encore son ressentiment envers sa belle-sœur. Comment avait-elle pu trahir son frère ? Comment avait-elle pu abandonner les Enfers ? Comment avait-elle pu laisser derrière elle ces hommes fidèles et loyaux pour aller se cacher chez Athéna ? Comme elle comprenait Minos ! Comme elle partageait sa colère ! Comme elle comprenait son emportement face à la frivolité d'Eaque ! Mais ils avaient besoin du Garuda… Les règles des Enfers étaient claires. On ne pouvait prétendre à aucune action d'envergure sans avoir la majorité des Juges de son côté, et il était évident qu'on ne pouvait imaginer la Wyverne approuvant la mise à l'écart de Perséphone.

Mais même la majorité ne suffisait pas dans ce cas précis. L'unanimité elle-même n'aurait pas suffi de toute façon. Il leur fallait un appui autrement plus grand, afin de s'assurer que chaque Spectre comprendrait la gravité de la situation et la légitimité de leur décision. Pandore avait protesté un peu, lorsque Minos avait exposé la prochaine étape de son plan. Mais, comme à son habitude, le Griffon avait su trouver les mots.

Minos… elle ne parvenait pas à mettre un nom sur ce qui la liait au Juge. Il la fascinait et, même si elle gagnait peu à peu son indépendance, elle sentait qu'il maintenait un contrôle permanent sur elle. Elle n'était pas stupide. Elle savait que le Juge l'utilisait à ses propres fins. Ce qu'il lui demandait, ce que la situation exigeait, elle était, comme il l'avait souligné, la seule à pouvoir le faire. Mais même en sachant cela, elle ne pouvait empêcher son cœur de se soulever quand elle s'imaginait sur le trône, Minos à ses côtés, attendant le retour de son frère. Protégeant le Royaume. Ensemble. Dans ses rêves, Eaque n'apparaissait jamais. Ce qui était parfaitement logique : le Garuda l'insupportait. Avec ces plaisanteries continuelles, cette insouciance qu'il arborait comme un étendard… Pourquoi fallait-il que Minos soit à ce point respectueux des règles ? Si seulement ils avaient pu passer outre… tout aurait été tellement plus agréable.

Arrivés, enfin, dans la salle de réception du Palais, Pandore regarda Rune.

– Tu peux t'en retourner.
– Je resterai jusqu'au bout, ne vous en déplaise, Lady Pandore, contra le Balrog. Ce sont les ordres du Seigneur Minos et vous n'avez pas l'autorité suffisante pour m'obliger à y contrevenir. Pas encore, tout du moins.
– Bien. Puisque ce sont les ordres…

Elle prit une grande respiration. Et se dirigea vers le Mur des Lamentations qu'elle traversa pour se rendre à Elysion. Rune repartit aussitôt en direction du Tribunal.

********************

Dans le bureau de Minos, les deux Juges étaient seuls à présent. Chacun dans son fauteuil, ils savouraient un verre de whisky.

– Tu ne me soutiens pas parce que tu… enfin à cause de notre relation, hein ? demanda Minos d'un ton grave.
– Tu cherches à m'insulter ? s'enquit Eaque, amusé.
– Non… bien sûr que non. C'est juste que…

Minos soupira.

– Hé ! Mais c'est que tu doutes…, fit le Garuda dans un sourire.

Le Népalais se leva et se rapprocha du Norvégien.

– Eh bien ! Minos qui doute d'un de ses Jugements ! Je suis ravi d'être revenu à la vie, juste pour avoir pu assister à ce spectacle.

Le Griffon lui jeta un regard noir.

– Je t'ai vexé ? demanda Eaque en tentant d'embrasser son homologue.

Minos le repoussa doucement.

– Arrête…

Le Garuda eut une petite grimace, suivie d'une moue boudeuse et d'un sourire.

– Moi j'ai envie de continuer…, fit-il en renouvelant sa tentative.
– Eaque ! J'ai dit non ! fit le Griffon, le repoussant à nouveau, plus durement cette fois. Rune est sensé venir me faire son rapport d'une minute à l'autre.

Le Népalais soupira, et alla s'allonger sur le canapé.

– Rune… c'est peut-être avec lui que je devrais être.
– Il te plait ?

La voix de Minos était pleine d'inquiétude et de menace.

– Norvégien. Cheveux blancs. Psychorigide. C'est plutôt mon type en effet…, confessa Eaque.
– Vraiment ? grinça le Griffon.
– Mais il lui manque deux ou trois petites choses pour me combler.
– Lesquelles ?
– Un détail, notamment. Quatre mille ans d'expérience.

Sans le vouloir, Minos poussa un soupir de soulagement. Eaque eut un petit rire.

– Tu croyais vraiment que j'allais te quitter pour lui ?
– Ce n'est pas une question de croyance, mais de peur.

Le Garuda se leva et alla tourner la clé du bureau dans sa serrure. Deux fois.

– Qu'est ce que tu fais ?
– Tu le vois. Je ferme la porte.
– Et qu'est-ce que tu comptes faire maintenant ?
– T'aimer. Parce que tu en as besoin, tu le sais aussi bien que moi.

Le visage de Minos se referma.

– J'en ai peut-être besoin, en effet… mais toi, en as-tu seulement envie ?
– J'ai toujours envie de toi. C'est le principe même de notre relation, n'est ce pas ? Tu as parfois besoin de prendre, et j'ai toujours envie de donner…

Oui… Le Griffon en était douloureusement conscient. Ce n'était pas lui qui avait le véritable pouvoir au sein de leur couple. Ils s'aimaient… mais Minos avait besoin et Eaque avait envie. Qu'un jour le Garuda perde cette inclination… ou désire quelqu'un d'autre, et tout serait fini. Le Norvégien savait que, de son côté, il aurait toujours besoin du brun, même s'il refusait de le lui avouer. Sans en donner l'impression, Eaque était, une fois de plus, le dominant.

Le Népalais vint s'installer à califourchon sur les genoux de Minos, toujours assis dans son fauteuil.

– La seule question maintenant est de savoir combien de temps tu vas résister…, fit le Garuda en effleurant de sa bouche celle du Griffon. Alors, mon amour, combien de temps, sachant que Rune est trop bien élevé pour défoncer la porte de ton bureau alors qu'elle est fermée à double tour ?

Sept secondes. Minos résista sept secondes, avant de faire siennes les lèvres d'Eaque, les emprisonnant en un baiser brûlant et possessif.

********************

Rune frappa à la porte du bureau, puis abaissa la poignée sans attendre de réponse, Minos l'ayant prévenu qu'il souhaitait entendre son rapport au plus tôt. Mais la porte refusa de s'ouvrir. Il fit une ou deux nouvelles tentatives avant de se rendre à l'évidence : elle était fermée à clé. Il retourna sur ses pas pour aviser un des Spectres servant le Juge.

– Le Seigneur Minos est-il toujours dans l'enceinte du Tribunal ?
– Vous le trouverez dans son bureau, en compagnie du Seigneur Eaque, lui affirma le Spectre.
– Je vois.

D'un geste, il lui ordonna de reprendre son travail.

Rune serrait les dents. Oh oui, il voyait bien. Il était probablement le seul à voir, du reste. La liaison entre les deux Juges restait insoupçonnée par l'ensemble du Royaume. Ils passaient du temps ensemble ? Leur fonction l'exigeait. Il leur arrivait de s'enfermer seuls, tous les deux ? Les questions qu'ils devaient aborder requéraient, parfois, le secret absolu. Mais qu'il y ait autre chose entre eux qu'une relation de travail… Non… Entre Minos et Pandore, oui, peut-être, plus tard. Mais le Garuda et le Griffon étaient si différents… Pas suffisamment toutefois pour que les opposés s'attirent… Les deux Juges étaient collègues. Ils s'estimaient, car de leurs débats résultait un respect mutuel. Mais ça n'allait pas plus loin, chaque membre de l'armée d'Hadès aurait pu en jurer.

Rune ne supportait plus cette situation. Que Minos ait trouvé quelqu'un… grand bien lui fasse. Mais pas Eaque ! Le Griffon méritait mieux que cet homme qui n'avait de Juge que le titre. Aucune noblesse, aucune grandeur d'âme. Une loyauté à géométrie très variable… C'était peut-être une des raisons pour lesquelles personne ne soupçonnait rien. Derrière son dos, les Enfers méprisaient Eaque. Au mieux, on le jugeait inconstant et insondable. Certains, très rares, y voyaient la marque de son intelligence. Les autres, l'expression de son insoutenable légèreté. Rune était de ceux-là. Il comprenait, ô combien ! que son maître ait honte de cette liaison et cherche à la cacher. Mais Minos ne la stoppait pas pour autant. Le Garuda l'avait perverti… Il avait perverti le droit, le loyal, le valeureux Minos. C'était tout bonnement impardonnable. Et si le Balrog gardait lui aussi ce secret, sans même en avoir parlé au Griffon, c'était uniquement pour protéger la réputation de son supérieur.

********************

Allongé sur le canapé aux côtés du Garuda, sa tête posée contre la poitrine de son homologue, Minos savourait ce moment délicieux et profitait pleinement de la douceur de la main du Népalais dans ses cheveux.

– Je t'aime, Eaque…
– Je sais.

La voix du brun était parfaitement paisible. Pas la moindre pointe de moquerie. Pas la moindre trace d'ironie. Pas le moindre sentiment de supériorité. Eaque était simplement serein en cet instant.

– Je te promets que lorsque tout ça sera fini, fit le Griffon en fermant les yeux, j'annoncerai à tout le monde que nous sommes ensemble… que je t'aime… nous n'aurons plus à nous cacher… et je ferai taire tous ceux qui osent te manquer de respect…
– Mon cœur… Ne fais pas de promesses que tu n'es pas capable de tenir.
– Je le ferai !
– Chut… arrête de dire des bêtises. Je suis pleinement comblé. Je n'accorde aucune importance à ce que les autres Spectres pensent de moi ; cela m'amuse même. Et je n'ai aucune intention de te quitter. Alors n'essaye pas de trouver de solutions à des problèmes qui n'existent que dans ta tête.
– … Ca te plairait pourtant que notre relation soit rendue officielle…
– Je ne dis pas le contraire. Mais je t'aime, Minos. Alors ne te force pas à changer à cause de ce que je pourrais préférer… Tu risquerais de moins me plaire, fit-il en ébouriffant la chevelure blanche d'un geste tendre.
– Je veux t'aimer… je veux que tu m'aimes. Je ne peux pas vivre sans toi, Eaque. Je ne supporterai pas que tu me quittes. Je veux tout faire pour te rendre heureux…
– Tu écoutes ce que je te dis ?
– Non…

Eaque eut un petit rire.

– Ah mon amour... mais comme je t'aime ! fit-il en serrant le Griffon contre lui. Et puis je te ferai remarquer que, si tu t'inquiètes à propos de Rune alors qu'il me voit comme un dépravé, c'est toi qui as le plus d'opportunités pour me tromper, mon cher ange.

Le Griffon releva la tête.

– De quoi parles-tu encore ?

Le Garuda tapota le nez du Norvégien de son index.

– De Pandore, évidemment.
– Pandore ? Que je te trompe avec Pandore ? Ne me fais pas rire, Eaque…, fit le Juge aux cheveux blancs en prenant le poignet de son homologue pour y déposer un baiser.
– Elle, elle adorerait ça, pourtant. Même si, techniquement, elle ne pourrait jamais imaginer que tu me trompes avec elle, puisqu'elle ne sait pas que nous sommes ensemble. Elle te dévore des yeux, Minos.
– Serais-tu jaloux à ton tour ? fit le Griffon dans un sourire.
– Non.

Une fois de plus, le Garuda semblait parfaitement sincère et paisible.

– Parce que tu sais que tu ne risques rien, continua Minos pour lui.
– Non. Cela n'a rien à voir. Je me suis simplement préparé au fait qu'un jour, tu n'auras plus besoin de moi. Qu'un jour, tu te tourneras vers quelqu'un d'autre. Et qu'alors tout sera fini entre nous.

Eaque avait parlé d'une voix sereine. Minos se releva brutalement pour poser ses mains sur les épaules du Népalais. Il le dominait à présent et le regardait avec des yeux emplis d'effroi et de colère.

– Comment peux-tu penser cela ?
– Je le pense parce que c'est la vérité. Mais je m'y suis fait, ne t'inquiète pas. On dit qu'on ne se rend compte de ce que l'on a que lorsqu'on le perd. Grâce à toi, j'ai pu faire mentir cet aphorisme désespérant. C'est une chose merveilleuse pour laquelle je te remercie.
– Arrête ! Arrête ! Arrête !
– Arrêter quoi, mon amour ? demanda le brun, toujours aussi calme.

Les doigts de Minos pénétraient douloureusement sa chair. Il trouvait presque cela agréable. Il n'avait pas menti, plus tôt dans la journée. Mourir de la main du Griffon serait pour lui la plus belle des morts. Et mourir avant de voir son amour le quitter…

– Tout ! Tout ça ! Tes idées ! Ce sont mes doutes, pas les tiens ! Je t'aime, Eaque ! Je t'aime !
– Je sais. Mais, un jour, tu ne m'aimeras plus.
– Jamais ! Jamais, tu m'entends ? lui cria le Norvégien avant de l'embrasser avec passion.

Eaque tenta de le repousser.

– Arrête… qu'est-ce que tu fais ? Rune… doit attendre… Son rapport… Minos… arrête…
– Il est trop bien élevé pour défoncer la porte, tu l'as dit toi-même. Et pour ce qui est de mes intentions… Je vais t'aimer, Eaque. Parce que, de nous deux, je viens de réaliser que c'est toi qui en as le plus besoin en ce moment.

********************

Pandore avançait dans Elysion, s'émerveillant à chaque instant de la beauté des lieux. Malgré les combats, l'endroit avait retrouvé sa sérénité. Les Champs Elysées. Là tout n'est qu'ordre et beauté, luxe, calme et volupté. Jamais un paysage n'avait mieux correspondu à ces vers. Et au loin, apparaissait le mausolée d'Hadès où les Jumeaux veillaient le corps sans vie du Dieu. Elle pressa le pas.

– Que viens-tu faire, Pandore, en ces lieux où seuls les Dieux ont droit de présence ?

La voix de Thanatos. La voix de son bourreau. Pandore s'agenouilla devant le parvis du tombeau, alors que les deux frères restaient dans l'ombre.

– Je viens porter à votre connaissance de bien tristes nouvelles du Royaume…
– Les nouvelles du Royaume ne nous concernent pas, et ne nous intéressent pas non plus, la coupa Thanatos.
– Pas même celles faisant preuve de la trahison de Perséphone ?
– Comment oses-tu associer son nom à ce crime abominable ? se mit à hurler le Dieu.
– Du calme, Thanatos.

En captant l'attention d'Hypnos, Pandore avait gagné le droit de s'expliquer et elle en était consciente. Il ne lui restait plus qu'à simplement exposer les faits. En y mettant les formes.

– Je sais combien cette déclaration peut paraître absurde et révoltante, mais croyez bien que, si Minos et Eaque n'étaient pas certains de leur conclusion, jamais ils ne m'auraient demandé de venir vous prévenir.
– Minos et Eaque, dis-tu ?
– En effet.
– Et qu'en pense Rhadamanthe ? demanda le Dieu de la Mort.
– La Wyverne suit, comme à son habitude, sa Majesté Perséphone. Il a trahi lui aussi.
– S'il reste fidèle à Perséphone, il se conforme à la Directive d'Hadès. Difficile de le considérer comme un traître dans ces conditions, contesta Hypnos.
– J'ai toujours pensé que cette Directive avait été une erreur…, fit Thanatos, amer.
– Ce n'est pas le débat, lui répondit son frère, balayant l'objection. La Directive existe et est parfaitement claire. Tant que Rhadamanthe agit de manière à assurer la protection de Perséphone et la sauvegarde de ses intérêts, les Enfers ne peuvent rien retenir contre lui.
– Même lorsque ses intérêts vont à l'encontre de la volonté de mon frère ou s'opposent à ceux du Royaume ? demanda Perséphone, qui entendait parler de cette Directive pour la première fois.
– Même dans ce cas, oui, confirma Hypnos. Rhadamanthe jouit d'une protection totale, pour peu qu'il reste auprès de sa Majesté. Le problème ne concerne donc que Perséphone. Nous t'écoutons, Pandore. Explique-nous ce qui a amené deux Juges à utiliser le terme de trahison.

********************

Alors que la nuit tombait sur les Enfers, Sylphide arrivait en haut de la falaise qui surplombait le Château. Il s'écarta de la route pour se diriger vers un groupe de rochers, au pied duquel il s'assit. Sortir lui faisait du bien. L'ambiance actuelle lui plombait le moral… Les messes basses, les doutes des Spectres de Rhadamanthe le contaminaient à son tour et il détestait cela. Il sentait sa loyauté s'effriter. Ce n'était plus que son esprit qui faisait confiance à la Reine et au Juge. Il refusait de croire qu'ils aient pu trahir… Mais il avait vu, bien des fois, la douleur et la mélancolie de Perséphone. Et seul Rhadamanthe semblait pouvoir la sortir un peu de sa dépression. Il ressassait sans cesse les dernières paroles de la Reine. Elle ne voulait pas qu'ils souffrent de ces choix. Comment pourraient-ils en souffrir si elle œuvrait pour le bien du Royaume ?

– Que fait un basilic, seul, dans la pénombre ?

Sylphide ferma les yeux et sourit.

– Il attend la lumière.
– Et qui la lui donnera ?
– Le seul qui sache éclairer les ténèbres.

Pharaon apparut alors, sortant des ombres environnantes.

– Ce ne sera pas pour aujourd'hui, Syl'… Il vaut mieux que nous soyons discrets.
– Aurais-je droit, tout de même, à un baiser ? demanda le Secrétaire de Rhadamanthe.
– Tu y as droit, mais ce sera le dernier, j'en ai peur.
– Ainsi soit-il…, fit Sylphide en accueillant son amant dans ses bras.

Ils profitèrent un moment de leur amour réciproque, jusqu'à ce que le Basilic vienne se blottir contre le Sphinx.

– C'est donc la fin, pour nous ?
– Je n'ai pas le choix, Sylphide. Pandore est à Elysion.

Le Secrétaire soupira.

– Alors nous serons bientôt ennemis, constata-t-il.
– Renie-la, Sylphide ! Et renie Rhadamanthe !
– Est-ce que tu accepterais de renier Minos ?
– Mon Juge ne va pas être accusé de trahison ! Ne mélange pas tout, s'il-te-plait !
– Je ne mélange pas tout ! J'obéis aux ordres, Pharaon ! Perséphone est toujours la Reine des Enfers ! La renier maintenant serait un acte de trahison !
– Et continuer à la soutenir va te conduire au Tribunal ! Si tu continues dans cette voie, je ne pourrai plus rien pour toi…

Le Basilic se releva, tête basse.

– Tu as fait suffisamment. Je sais ce que tu risques en venant ici, en me parlant, en m'avertissant pour Pandore… Annonce notre séparation à qui veut l'entendre. Dis-leur que tu n'as fait que tenter de me ramener à la raison…

Pharaon se leva à son tour.

– C'est ce que je compte faire, puisque tu refuses la réalité. Tu seras condamné, Sylphide. Adieu.
– Adieu… Pharaon ?

Les deux hommes étaient dos à dos. Sylphide avait son regard rivé sur le sol tandis que le Sphinx fixait l'horizon.

– Est-ce que tu m'as aimé ? demanda tout bas le Basilic.
– Quelle importance, désormais ? lâcha l'Egyptien. Nos sentiments ne comptent plus. Il n'y a plus que notre devoir.

Le Gardien de la Deuxième Prison prit le chemin de son domaine, tandis que le Secrétaire allait retrouver le sien.

********************

Eaque se tenait à la fenêtre du bureau de Minos. Ils avaient rouvert la porte, mais sans avertir personne. Ces instants, ils les chérissaient tous les deux. Ils étaient encore ensemble et seuls au monde, mais à chaque seconde tout pouvait à nouveau basculer… Ce n'était pas un sentiment d'urgence qui les dominait… C'était autre chose. En cet instant, leur amour résonnait encore entre ses murs, dans un silence assourdissant. Une musique qu'ils étaient les seuls à pouvoir entendre. Le Garuda finit par briser ce moment, préférant porter lui-même le coup fatal plutôt que de voir un étranger venir tout détruire.

– Non.

Minos releva les yeux du document qu'il consultait.

– Pardon ?
– Non. C'est ma réponse à ta question, lui fit le Népalais en souriant.
– Laquelle, si ce n'est pas trop te demander ?

Eaque fit quelques pas, se servit un verre et alla s'installer dans un des fauteuils.

– Je ne te soutiens pas à cause de nous.
– J'en suis ravi.

Minos n'en avait jamais vraiment douté. Et maintenant, sa question lui paraissait ridicule. Il connaissait Eaque. Il savait qu'il était un grand Juge.

– Je m'excuse, fit le Griffon. Je n'aurais pas dû la poser. J'ai mis en doute ton travail, et c'est impardonnable.

Le Népalais balaya l'objection d'un revers de la main.

– Mon soutien t'est acquis pour cette étape, Minos. Mais je ne te suis que pour la mise en accusation.
– Tu ne voteras pas sa culpabilité, c'est que tu essaies de me dire ?
– Perséphone n'est pas en état de diriger les Enfers. Tu proposes un moyen de l'écarter... Mais ça s'arrête là.

Minos regarda son homologue, et fronça les sourcils.

– Tu doutes qu'elle ait trahi ? demanda-t-il très sérieusement.
– Difficile à dire.
– Comment cela ? Soit tu penses qu'elle a trahi, soit tu penses qu'elle ne l'a pas fait…
– Noir ou Blanc, hein ?
– Un Jugement est une décision. Coupable ou Innocent. Il n'y a pas d'intermédiaire dans notre monde, tu le sais aussi bien que moi.
– Et bien considère que je n'ai pas encore jugé cette partie. Perséphone est intelligente et je trouve cette affaire un peu trop simple, un peu trop… évidente.
Evidence is evidence , Eaque.
– Peut-être…

Le Norvégien se leva et s'approcha du Népalais… pour poursuivre son chemin jusqu'à la fenêtre.

– Tu te tiendras quand même à mes côtés, lorsque je ferai mon discours ?

Le Garuda sourit.

– Tu ne doutes pas un instant du soutien des Jumeaux, n'est-ce-pas ?

Le Griffon ne prit pas la peine de répondre. Evidemment qu'il ne doutait pas. Il avait la Loi des Enfers pour lui.

– Alors ? finit-il par demander. Tu seras avec moi ?
– Je t'ai dit que je soutenais la mise en accusation. Bien sûr, que je serais là.

********************

Sylphide entra sans frapper. Valentine était là, les bras croisés, à moitié assis sur le bureau de Rhadamanthe, regardant par la fenêtre.

– Pandore est à Elysion.

La Harpie ferma les yeux et laissa échapper un petit rire fatigué.

– Minos et la Loi des Enfers. Il suit le manuel du parfait petit Juge en dix leçons. Depuis combien de temps y est-elle ?
– Le début de soirée.
– Elle en ressortira demain matin, pas avant, estima Valentine. Le temps d'exposer la situation et de répondre aux questions… On peut imaginer qu'ils nous attaqueront dans l'après-midi…

Le Chypriote laissa à nouveau son regard se perdre dans les Jardins de Perséphone.

– Quels sont tes ordres ? finit par demander le Secrétaire.
– Les mêmes que précédemment. On attend.
– Ils vont nous attaquer ! On ne peut pas rester là… à attendre qu'ils débarquent et nous accusent de haute-trahison.
– Oh si, on peut. La preuve c'est qu'on va le faire, Sylphide.

Le Basilic prit une grande inspiration pour se calmer.

– Toujours pas de nouvelles donc ? fit-il, amer.
– Toujours pas, confirma Valentine.
– Valentine… j'ai besoin de savoir… est-ce qu'elle a trahi ?

La Harpie se tourna vers son… collègue.

– Je ne te dirais rien.
– Mais tu sais, toi, quel est l'objectif de Perséphone ? le questionna à nouveau Sylphide.

Valentine resta silencieux quelques instants.

– Que je le sache ou non n'a aucune espèce d'importance. La Reine n'a pas souhaité vous faire part de ses plans. Ni à toi, ni à Queen, ni à Gordon. Ce n'est pas à moi de m'opposer à sa volonté.

********************

– Spectres d'Hadès !

Minos se tenait sur les marches du Palais de Giudecca, avec à ses côtés Eaque et Pandore. Derrière eux, Thanatos et Hypnos, dans leurs armures, se tenaient fièrement. Leur présence à tous deux avait fait forte impression sur les armées des deux Juges réunies pour l'occasion. Soixante-dix spectres, parmi lesquels les Gardiens des Prisons, tous placés sous les ordres directs des deux Juges, et Charon qui dépendait directement d'Eaque. Même le Passeur avait été appelé pour l'occasion.

– Spectres d'Hadès ! En ces jours sombres, je pourrais vous parler d'horreur et d'infamie. Je pourrais vous parler de colère et de douleur. Mais ce ne sont pas les sentiments qui doivent nous guider, vous le savez. Les faits. Rien que les faits. Sans a priori. Sans préjugés. Sans passion. Ainsi est la règle des Enfers et je compte bien la respecter. C'est donc sans passion que je vous l'annonce : Sa Majesté Perséphone est accusée de haute-trahison envers Sa Majesté Hadès et le Royaume. Pour les besoins de l'enquête, et jusqu'à son Jugement, elle perd son statut de Reine.

Le Griffon leur laissa un peu de temps pour réagir à cette déclaration. C'était une chose de murmurer dans les allées sombres des Prisons, une autre de l'entendre de la bouche de celui que tous considéraient comme le Premier des Juges.

– Il s'agit d'une mise en accusation, et elle s'étend à tous ceux qui ont pu lui apporter leur soutien. Par conséquent, chaque Spectre aux ordres du Seigneur Juge Rhadamanthe est incriminé et devra faire l'objet d'une arrestation. Considérant la gravité des accusations, chaque suspect sera détenu dans les geôles de la Première Prison. Je vous rappelle que toute forme de violence excessive est contraire à nos usages. Nombres de ces Spectres ne sont pas des traitres et ont agi en toute bonne foi… Ne laissez pas vos émotions prendre le dessus. Ne laissez pas votre courroux, ô combien légitime, prendre le pas sur votre devoir. Les véritables responsables, vous le savez comme moi, sont absents. Mais je vous promets solennellement que leurs crimes ne resteront pas impunis. Jamais les traitres ne connaîtront le répit et c'est dans l'Enfer du Cocyte que nous les enverrons !

Le Griffon marqua une pause, pour reprendre son calme.

– Hypnos et Thanatos dirigeront respectivement mon armée et celle du Seigneur Juge Eaque et se chargeront de l'armée du Palais. Les Gardiens, votre objectif sera simple : capturer Sylphide du Basilic, Gordon du Minotaure, Queen de l'Alraune et Valentine de la Harpie. Lady Pandore, le Seigneur Juge Eaque et moi-même superviserons les arrestations.

Une nouvelle pause. Plus marquée celle-là, avant de reprendre, levant les bras au ciel.

– Spectres ! Vous avez vos ordres ! Vous savez ce qu'il convient de faire ! Au Château, fidèles et loyaux sujets ! Pour la Gloire d'Hadès et l'Honneur des Enfers !

Ses derniers mots furent repris par la foule, en un cri retentissant.

********************

Queen, Gordon et Sylphide firent irruption dans le bureau de Rhadamanthe.

– Valentine ! Ils arrivent ! C'est la guerre !
– Non !

Le Basilic fit un pas en avant.

– Je t'assure ! Les deux armées fondent sur nous ! Hypnos et Thanatos les commandent !
– Ce n'est pas la guerre, Sylphide ! hurla la Harpie.
– Valentine ! cria Queen. Ils viennent nous arrêter ! Ouvre les yeux !
– Nous sommes tous accusés de haute-trahison ! renchérit le Minotaure.

Valentine fit brûler son cosmos ; ses trois compagnons se turent aussitôt.

– Ce n'est pas la guerre, vous m'entendez ! Vous avez vos ordres ! Reniez Perséphone ! Abjurez lorsqu'ils vous arrêteront ! Et faites passez la consigne ! Que les hommes se rendent aux premiers signes !
– C'est hors de question ! rugirent les trois Spectres d'une même voix. Nous protègerons le Château !

Malgré leurs doutes, face à l'adversité, ils faisaient front. Perséphone avait peut-être trahi… Peut-être. Mais dans ce Château résidait leur honneur. Leur charge leur commandait de défendre ce lieu. Et ils en étaient fiers. Fier d'avoir servi leur Reine. Fier d'avoir obéi aux ordres de Rhadamanthe.

– Non ! Vous avez entendu Sa Majesté ! Elle vous l'a dit elle-même ! Si vous désobéissez, vous la trahissez. Soit vous lui êtes à ce point loyaux que vous acceptez de suivre ses instructions même si elles vous révulsent, soit vous ne l'êtes pas et la renier ne devrait pas vous poser de problème de conscience ! Je ne laisserai pas votre orgueil stupide briser ses rêves !

La Harpie reprit un peu le contrôle de ses émotions et abaissa son cosmos.

– C'est son choix. C'est la voie qu'elle a choisi. Que vous approuviez ou non, il n'y a qu'une route possible. J'enrage autant que vous. Mais je sers Rhadamanthe. Je sers Sa Majesté. Et je compte bien être digne de la confiance qu'ils ont placée en nous ! J'assumerai la confiance que j'ai placée en eux !
– Tu vas te rendre ? demanda Sylphide.
– Non… Il faut que quelqu'un aille les prévenir. Je ne doute pas de vos capacités, mes amis. Je sais que vous pourriez vous échapper et arriver jusqu'au Sanctuaire d'Athéna. Mais cette mission est la mienne et j'entends la mener à bien.
– Nous couvrirons ta fuite, l'assura Gordon.

Valentine soupira.

– Je vous remercie. Mais ce n'est pas la peine. Je ne veux pas qu'on puisse vous accuser d'avoir empêché mon arrestation. Vous aurez suffisamment de difficultés à convaincre Minos et Eaque de votre reddition…
– Perséphone souhaite nous voir rester en vie. Nous ferons tout pour ne pas la décevoir.

La Harpie sourit à Queen.

– Allez maintenant ! Sa Majesté compte sur vous !

Les trois Spectres quittèrent la pièce en courant, chacun se rendant dans une section du Château pour prévenir leurs hommes de la position à adopter. La capitulation sans condition. Et aux questions qu'on leur poserait inévitablement, ils répondraient, à chaque fois, que Perséphone avait bel et bien trahi.

Valentine prit quelques secondes pour regarder le bureau de Rhadamanthe. Que de souvenirs dans cette pièce… Qui savait dans quel état il la retrouverait ? Si jamais il revenait un jour…

********************

Accompagné de Charon, Phlégyas, Rune, Rock, Myu et Yvan, Pharaon marchait en direction du Palais.

– Débrouillez-vous comme vous voulez, mais c'est moi qui m'occupe de Sylphide, leur fit l'Egyptien.
– Tu comptes faire une faveur à ton amant ? demanda Phlégyas.
– Ce sentimentalisme est ridicule, décréta Rune. Tu arrêteras qui tu arrêteras.
– Il n'est pas question de faveur, ni de sentimentalisme ! C'est moi qui l'arrêterai ! Et si l'un de vous s'en prend à lui en mon absence…
– Garde tes menaces, rétorqua le Passeur. On t'appellera si on tombe sur lui et c'est toi qui le traîneras aux pieds de Minos.
– Je ne demande que ça…, murmura Pharaon.

********************

La consigne était passée. Et la bataille que tous attendaient n'eut jamais lieu. Aux premiers mots d'Hypnos et de Thanatos, les Spectres de Rhadamanthe déposaient armes et surplis, et s'agenouillaient en signe de reddition. La frustration des Spectres, d'un côté comme de l'autre, était à son comble et, malgré la demande de calme de Minos –que la fin de son discours avait tout de même bien nuancée –, l'armée de Perséphone fut l'objet de nombreuses brimades. Enchaînés les uns aux autres, ils passaient devant les deux Juges et la Prêtresse, tête basse. Leur Reine les avait-elle vraiment trahis ? S'ils devaient en croire Queen, Gordon et Sylphide, la réponse était clairement positive. Perséphone les avait abandonnés. Rhadamanthe les avait abandonnés. Plus que les coups qu'ils recevaient, dans ce double abandon résidait leur véritable blessure.

Gordon fut capturé par Rock et Yvan. Ils le trouvèrent assis contre la porte de la salle d'armes.

Myu et Rune se chargèrent de Queen. L'Alraune buvait un thé aux cuisines.

Pharaon procéda à l'arrestation de Sylphide, ainsi qu'il l'avait souhaité, juste devant l'entrée des appartements de Perséphone. Aucune parole ne fut échangée. Le Secrétaire évitait consciencieusement le regard du Sphinx.

Charon et Phlégyas, eux, s'étaient lancés à la recherche de Valentine qui restait introuvable.

********************

La Harpie cachait son cosmos, lui-même dissimulé par un buisson. Pour son opération, Minos avait réquisitionné l'ensemble des Spectres… Les Jardins de Perséphone étaient bondés. Seule bonne nouvelle, s'il parvenait jusqu'au-delà de la falaise, il aurait une chance : il n'aurait plus personne pour lui barrer la route. La reddition des hommes de la Wyverne semblait perturber tout ce petit monde. Puisque personne n'opposait de résistance digne de ce nom, la plupart des Spectres n'imaginaient pas qu'ils puissent dissimuler quoi que ce soit, ou qui que ce soit.

Il osa un coup d'œil sur le parc. Etrange, tout de même, de se diriger sans cosmos pour l'avertir de la présence de ses pairs… De nouvelles arrestations. Une patrouille qui ramène des prisonniers, pieds et poings liés, vers la route, au bas de la falaise, sur la droite… Valentine observa l'à-pic, juste devant lui. Il allait devoir grimper. Il allait devoir faire vite. Les hommes de Minos lui tournaient le dos… il se mit à courir. Sept… huit… neuf foulées… et toujours pas d'alerte. La paroi était encore si loin… Un arbuste. Il se jeta à terre et se camoufla. Il reprit son souffle et tenta de calmer son rythme cardiaque. Si seulement il pouvait se servir de ses pouvoirs… Mais ce serait de la folie. Il devait retarder le plus longtemps possible leur utilisation. Pour retarder le moment où il serait repéré…

Un cri, en provenance du Château. La voix de Rune, qui annonce la capture de Queen. Ne pas y penser. Ne pas penser à son ami… Courir à nouveau, repartir. Quelques foulées. S'arrêter encore. A l'abri. Pour combien de temps ? On annonce la capture de Gordon. Ne pas y penser non plus… Gordon… Soupir. Grande inspiration. Regard à droite, regard à gauche. S'élancer. Encore une fois. Une autre devrait suffire, après, devrait suffire. L'arbre. Vérifier. Oui. Une dernière course d'une vingtaine de mètres… Et la voix de Pharaon… Sylphide… Courir encore. Ignorer les larmes. Oublier ce qu'on laisse. Ne penser qu'au présent. N'être qu'une volonté, tendue vers cette sortie, qui est encore si loin. La falaise, enfin. Ne pas s'arrêter. Monter vite. Plus vite. Pour ne pas rester longtemps à la vue des Spectres. Coller à la paroi. Main gauche, main droite. Monter chaque pied. Trouver des appuis. Il n'a pas le droit de glisser. Glisser, ce serait avertir les autres. Ceux qui le traquent. Il est traqué. Au sein même des Enfers. Non. Main gauche, main droite. Se concentrer sur l'escalade. Pied gauche, pied droit. Ne penser à rien d'autre. Main gauche, main droite. Encore un effort. Encore un effort. Là. Voilà. Il y était… enfin…

– Valentine !

La voix de Charon. Valentine appela à lui son surplis. Et il recommença à courir. Il ne servait plus à rien de se cacher. Charon devait l'avoir pris en chasse. Il y avait fort à parier que Phlégyas, l'autre gardien d'Eaque, soit à ses côtés. Contre eux, il pourrait avoir une chance. Il suffisait qu'il les amène suffisamment loin du reste de l'armée… Suffisait, oui. Suffisait. Foutu verbe.

********************

Eaque regarda vers le haut de la falaise. Charon avait vu juste. Au sommet, la Harpie se remettait à courir.

– La souris abandonne le navire à son tour…
– Cosmic…

Le Garuda posa une main sur le bras de Minos.

– Laisse Charon et Phlégyas s'en occuper. Tu leur as confié une mission, ne leur fais pas l'injure d'intervenir maintenant.
– Je n'ai rien à faire de la susceptibilité de tes hommes…, fit le Griffon.
– Je m'en soucie, moi.
– Tu comptes faire croire ça à qui ? lui demanda Minos.

Le Népalais sourit, mais ne répondit rien.

********************

L'Achéron. Enfin. La barque de Charon. Valentine embarqua sans hésiter et partit à l'assaut des eaux noires du fleuve. Le Passeur, lui, n'arriverait que dans quelques minutes. Quelques minutes… qu'il n'aurait très probablement plus de l'autre côté. Charon invoquerait une autre embarcation et il le rattraperait.

– Valentine !

Et voilà… il venait à peine de dépasser le milieu du fleuve qu'il était déjà à portée de voix.

– Valentine ! Arrête-toi !

La Harpie ignora l'appel de Phlégyas et continua sa progression… pour finir par débarquer sur la rive… Il n'avait plus que quelques dizaines de mètres d'avance. Mais les escaliers étaient là… il se remit à courir.

Derrière lui, l'Achéron et le Lycaon mirent à leur tour pied à terre et se lancèrent à sa poursuite, commençant leurs attaques. Valentine ne cherchait pas à riposter, et courait, à perdre haleine. Les coups des deux Gardiens touchaient son dos, de temps en temps, le faisant trébucher, parfois. Mais à chaque fois, il se relevait… perdant un peu de terrain. Il ne sentait pas la douleur. Il ne voyait que les marches. Quand il mit le pied sur la première, il refoula au loin le sentiment de soulagement qu'il ressentit. Non, rien n'était fait. Rien. Une attaque encore. Il fut projeté plus haut contre la paroi. Il cracha un peu de sang. Il se retourna.

– Greed the Life !

Les rayons lumineux balayèrent les deux Gardiens qui furent repousser jusqu'au bas de l'escalier. Mais Valentine ne leur accorda aucune attention. Il repartit en courant… Il fuyait, il fuyait… il fuyait, lui qui n'avait jamais fui. Il fuyait les Enfers. Il fuyait sa patrie. Il fuyait devant ses frères d'armes, devant ses compagnons… Il fuyait pour Perséphone. Il fuyait pour Rhadamanthe. Loin d'Hadès. Loin de chez lui… Il fuyait.

En bas, Charon et Phlégyas reprenaient leurs esprits. L'attaque de la Harpie les avait surpris. Ils n'avaient pas imaginé que le traître irait jusqu'à lancer une de ses techniques contre eux. Ils s'élancèrent à nouveau à l'assaut des marches, bien décidés cette fois à ne plus se laisser avoir...

– Laissez-le.

Instantanément, les deux Gardiens s'arrêtèrent et se retournèrent.

– Seigneur Eaque…! protesta Charon.
– J'ai dit : laissez-le, confirma le Juge.

Valentine avait déjà disparu à la vue de ses poursuivants. Le Népalais semblait très satisfait et entama le retour vers l'Achéron.

– Vraiment je ne vous comprends pas…, fit Phlégyas en regardant son supérieur.
– Et c'est bien pour cela que ton travail se limite à suivre mes ordres… Tu vois comme le monde est bien fait ? fit le Garuda dans un sourire, mais sans se retourner.

A suivre...

Chapitre 13

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