LA LEGENDE DES QUATRE ROYAUMES...

 
   

Disclaimer : Tout l'univers de Saint Seiya que vous reconnaîtrez aisément appartient à Masami Kurumada. L'auteur n'en retire aucun profit si ce n'est le plaisir d'écrire et d'être lue. Les personnages de la mythologie appartiennent à tout le monde et les autres, ceux que vous ne connaissez pas, appartiennent à l'auteur.

Genre
:
Univers Alternatif à tendance celtico-médiévale et Heroic Fantasy. Aventure/Romance. Certains couples sont très inhabituels. Yaoi, het et lemon bien sûr.

Rating : interdit au moins de 18 ans.

Auteur : Scorpio-no-Caro

Betalecteur : Gajin, Frasyl et Hyma .

J'espère que vous aimerez...

 


Carte de ce monde

Avant de commencer la lecture du chapitre, cherche les lecteurs de la page en la faisant défiler.
Lance le chargement de tous les lecteurs en cliquant d'abord sur" lecture" et dès que le chargement démarre clique sur "pause".
Le chargement va se poursuivre et tu pourras écouter la musique sans à-coups ni interruption.
Une fois cela fait, il te suffit de cliquer sur "lecture" pour écouter le morceau correspondant au passage que tu lis.
Attention ! Plus il y a de lecteurs, plus le temps de chargement sera rallongé car le serveur sera d'avantage sollicité .
Je recommande de mettre le son au plus bas pour une écoute d'ambiance.
Bonne lecture et bonne écoute.

Clique ici pour voir et écouter toutes les musiques de cette fanfiction répertoriées par chapitres

Chapitre 01

The spirit of Excalibur - David et Diane Arkenstone
Les Ténèbres... Une terre sombre... Un pays obscure...

 

Il y a 243 ans... Année 10218 du Loup Garou, mois de novembre, Giudecca, Royaume des Ténèbres…

 

Il était une fois, une terre sombre…

Un pays obscur…

La lumière du soleil ne perçait que difficilement l'épaisse couche de nuages et le bleu du ciel était presque devenu un mythe pour les habitants de ce Royaume. Les hautes montagnes semblaient toujours menaçantes comme des sentinelles lugubres. Les rares forêts étaient denses. Un vent, plutôt chaud, soufflait en permanence sur les landes désolées et stériles pour la plupart. Abandonnées depuis trop longtemps par les fermiers, il faudrait plusieurs années avant que les terres ne produisent à nouveau du blé, de l'orge ou qu'une herbe verte et grasse ne pousse pour nourrir le bétail. Dans le ciel, quelques rapaces peinaient à trouver leur proie et les charognards avaient nettoyé depuis longtemps les carcasses des animaux morts.

Ce n'était pas un pays béni des Dieux, pourtant des hommes y vivaient. Ou plutôt, y survivaient. Sur la côte, même les eaux de l'océan étaient noires et insondables. Quelques bateaux de pêche s'aventuraient au large pour tenter de ramener des prises qui nourriraient un hameau. Un hameau. Même pas un village.

Depuis plusieurs années, une guerre de succession secouait le Royaume des Ténèbres. Chaque faction avait enrôlé de force les hommes valides dès qu'ils étaient en âge de porter une épée. Les pertes étaient incalculables et les conséquences dramatiques. Pères et fils étaient sacrifiés sur le champ de bataille, des générations entières furent anéanties.

Mais fusse la volonté des hommes, celle des Dieux ou peut-être des deux, un homme émergea un jour, de ce capharnaüm. Il s'imposa aux autres Seigneurs avec son groupe d'à peine une centaine de guerriers. Force fut de constater qu'il n'eut pas grand mal à le faire tant les autres armées étaient faibles et décimées. Mais toujours est-il qu'il se proclama Roi et que personne n'y trouva à redire. Malgré sa jeunesse, il n'avait pas trente ans, il reprit les rênes du Royaume d'une poigne de fer. Il redistribua les terres à ses plus proches collaborateurs avec ordre de les exploiter pour nourrir une population affamée. Les soldats des armées ennemies furent, en partie, employés à la remise en état des routes pour faciliter le transport des matériaux par les bêtes et les hommes, les autres en fermiers, mineurs ou chasseurs.

Si les terres étaient peu prolixes en denrées nourricières, par contre il ne manquait pas de pierres et de roches pour paver les grandes routes qui reliaient les hameaux aux villages et les villages aux villes, même si celles-ci étaient rares. Et toutes ces routes convergeaient vers un point commun : Giudecca et son château.

C'était une forteresse énorme qui dominait la vallée des Marécages Noirs. Bâtie sur un piton rocheux des contreforts du Mont Elysion, son ombre sinistre ôtait toutes velléités d'attaque à un éventuel ennemi. Mais depuis bien des décennies, aucune armée étrangère n'était parvenue jusque là.

Le premier mur d'enceinte était haut comme vingt hommes et large d'au moins quatre mètres. Les douves profondes qui l'entouraient n'étaient pas pleines d'eau mais remplies d'une lave fluide et brûlante que déversait le Mont Elysion, avant de replonger dans les entrailles de la terre et de ressortir probablement très loin, en haute mer. Des bulles de gaz à l'odeur fétide perçaient la surface visqueuse, comme le bouillonnement d'une soupe dans un chaudron. Un épais et large pont de pierre reliait la route à l'entrée de la forteresse. Les portes en chêne massif étaient recouvertes de plaques de fer. Il ne fallait pas moins de dix bœufs de chaque côtés pour actionner le mécanisme d'ouverture.

En haut de cette muraille, le chemin de ronde était arpenté jour et nuit par des soldats qui scrutaient le lointain. Mais aucun étranger n'avait été repéré depuis fort longtemps. Le second mur d'enceinte tout aussi énorme que le premier, était percé de trois portes d'accès encore mieux gardées. Entre les deux remparts, on trouvait le corps de garde et la caserne ainsi que les forgerons, les armuriers, les écuries et tout ce qui servait à l'entretien des armes, des armures et des chevaux. Derrière le second mur, il y avait les marchands qui vendaient aux soldats des poules, des lapins, des fruits et des légumes pour un prix dérisoire. Et ce qui restait été négocié avec les civils, bien en peine de troquer leurs maigres possessions pour quelques patates aussi petites qu'un œuf ou un crouton de pain rassis.

Et au-delà, on trouvait le bastion, imprenable ou presque. Surplombant cet amas rangé de bois, de pierres et de fer, le Palais d'Ebène écrasait tout cela de sa silhouette hérissée de donjons pointus qui s'élançaient à l'assaut d'un ciel toujours gris plomb.

C'est là que vivait le Roi Hadès.

Ce matin, il devait recevoir deux de ses proches conseillers pour faire le point sur l'année qui était presque écoulée. Ils attendaient patiemment dans l'antichambre que leur Souverain daigne enfin les recevoir.

Malgré la couleur sombre de la pierre des murs, la pièce était claire. La lumière matinale entrait par une grande fenêtre encadrée d'une lourde tenture en velours rouge. Au plafond pendait une roue en fer forgé qui portait une vingtaine de bougies encore éteintes et qui ne seraient allumées qu'au crépuscule.

La ressemblance entre les deux hommes était stupéfiante. L'un était assis sur un fauteuil en bois sculpté recouvert d'un riche tissu brodé rouge et or. Il portait un pantalon de cuir lacé, des bottes d'intérieur souples, une chemise en soie argentée sous une tunique en brocart gris foncé dont le devant était pris dans la ceinture. Il s'était enveloppé dans sa lourde cape en velours noir brodée d'un liseré argenté. Son frère, lui, était debout devant la fenêtre et regardait le paysage désolé qui s'étendait par delà les remparts de Giudecca. Ses vêtements étaient assez semblables. Sauf sa chemise qui était d'un jaune or sous un surcot noir. Chacun portait une épée et une dague à la ceinture.

- Tu penses qu'il verra cette idée d'un bon œil ? demanda celui qui était assis.
- Nous allons d'abord lui faire notre rapport concernant l'année, répondit l'autre en détachant ses long cheveux dorés, les laissant cascader sur son dos.
- Ce n'est pas ce que je te demande, Hypnos !
- Du calme. Le bilan est très positif, ça le mettra de bonne humeur. Ensuite nous pourrons lui parler de ça.
- D'accord. Autant mettre toutes les chances de notre coté.
- Tu devrais être moins emporté, Thana. Tu agis d'abord et tu réfléchis après. Un jour ça te jouera un mauvais tour.
- Je sais…

La porte s'ouvrit sur un homme de petite taille et au corps plutôt difforme. Ses jambes étaient fortement arquées et ses bras paraissaient démesurément longs. Son crâne chauve avait une forme légèrement triangulaire.

- Messeigneurs… fit-il en s'inclinant devant les deux hommes.
- Bonjour Markino, fit le dénommé Hypnos en souriant au Chambellan du Roi. Comment te portes-tu ?
- Aussi bien que possible, Monseigneur. Merci de vous inquiéter de ma santé.
- D'elle dépend également le bien être du Roi, sourit Thanatos en posant une main compatissante sur l'épaule du serviteur.
- Sa Majesté vous attend. Veuillez me suivre.

Les trois hommes longèrent un petit couloir et arrivèrent devant une porte. Markino l'ouvrit et entra le premier.

- Sire, le Comte de Dream et le Comte de Death sont là.
- Entrez et asseyez-vous, ordonna le Roi sans même un regard pour son Chambellan.

Derrière un large bureau en chêne, comme la plupart du mobilier, le Roi Hadès lisait un parchemin qu'il reposa devant lui en fixant ses deux interlocuteurs de son regard d'un bleu clair délavé.

- Bien, lâcha-t-il d'une voix sèche et forte. L'heure des bilans a sonné. Je vous écoute.
- Ils sont largement positifs, Majesté, commença Hypnos, le Comte de Dream. Les travaux de voiries sont plus avancés que nous ne l'avions prévu. Dans quelques semaines, les routes principales relieront Giudecca à toutes les villes et villages du Royaume. Le réseau d'alimentation en eau est également en bonne voie. Des recherches nous ont permis de trouver quelques sources supplémentaires qui viendront alimenter la population.
- Les troupeaux grossissent régulièrement et les terres agricoles ont donné de bonnes récoltes, poursuivit Thanatos, mais nous manquons de superficie. Il n'y aura pas de famine à la fin de l'hiver cette année. Mais le climat pourrait être différent l'an prochain, moins clément. Et nous pourrions avoir du mal à nourrir une population qui a recommencé à augmenter. Les pêcheurs n'ont plus besoin d'aller en haute mer pour remplir leurs cales.
- Qu'en est-il de l'armée ?
- Là aussi, les choses vont bien. Trois mines ont été ouvertes l'an dernier pour fournir les forgerons en minerai de fer et de cuivre. Ton idée de prospecter les montagnes du Massif des Lamentations était excellente. Les filons sont riches et donneront encore pendant de nombreuses années. Nous incitons les gens à reconstruire en pierre plutôt qu'en bois. Nos forêts sont rares. Les essences précieuses qui s'y développent doivent être gardées pour nos bateaux.
- Voilà d'excellentes nouvelles ! Mes idées n'étaient pas si mauvaises et j'apprécie que mes ordres aient été si bien suivis ! s'exclama le Roi en se laissant aller en arrière dans son siège. Je crois que de tels résultats finiront par clore définitivement le bec de ceux qui me croyaient fou ou incapable. Et pour le commerce ?
- Seuls les voies maritimes nous sont ouvertes pour l'instant, reprit Hypnos. Nos voisins sont en guerre, les routes ne sont pas du tout sûres. Laissons-les donc s'entretuer ! Leur affaiblissement nous sera profitable le jour où nous aurons besoin de voies commerciales terrestres. Ils seront heureux que nous leur payions un droit de passage que nous négocierons au plus bas, bien sûr.
- Nos partenaires commerciaux sont toujours satisfaits de leur collaboration avec nous ?
- Pour l'instant, en tout cas. La Reine Déméter est notre plus gros fournisseur en céréales et la Reine Aphrodite en tissus. Les peaux des Hyperboréens sont de première qualité. La Reine Artémis possède des élevages immenses de chevaux et de bœufs pour nous fournir en cuir. Son Royaume est recouvert de forêts pleines de loups, d'ours, de vison, de cerfs. Les peaux et les fourrures que nous importons sont extraordinaires et les prix tout à fait raisonnables.
- Il n'en reste pas moins que nos terres arables sont peu nombreuses. Il faut étendre leur surface. Nous pourrions faire pousser du blé, de l'orge ou encore du coton ou du lin et ainsi moins dépendre de Déméter ou d'Aphrodite, fit Thanatos sans regarder son frère qui admira la manœuvre habile.
- Je crois que nous devrions fêter la fin de l'année ! s'exclama Hadès. Récompensons les gens pour leur travail acharné. Gardons à l'esprit que le peuple est à l'origine de cette réussite. Sans lui, rien n'aurait été possible.
- Quelle est ton idée, Majesté ? s'enquit Hypnos en servant trois verres de vin sur un geste de son Roi.

Une douzaine d'hommes dans tout le Royaume, pouvaient s'enorgueillir de tutoyer le Roi. Cela était dû à la façon dont ils s'étaient rencontrés et ce privilège était perçu comme un signe de confiance absolue de la part du Souverain envers ces hommes là, et comme le plus grand des honneurs pour ces derniers.

- Nous allons puiser dans nos réserves, ici à Giudecca, pour offrir au peuple de quoi fêter dignement l'année qui se termine. Mes sujets auront un kilo de pomme de terre, un poulet et un lapin. Je ferai partir cet après-midi des hérauts dans tout le royaume pour informer les gens. Des chariots iront dans chaque ville et village porter ce cadeau.
- Le peuple ne t'en aimera que d'avantage.
- Je ne cherche pas à être aimé. Mais un peuple qui a le ventre plein et qui voit son travail récompensé sera plus enclin à se battre et à se sacrifier pour sa terre et son Royaume à défaut de le faire pour son Roi. Qu'en est-il des bandes de pillards qui sillonnent nos routes ?
- Elles ont été stoppées, répondit le Comte de Dream en portant la coupe de vin à ses lèvres. Les chefs croupissent dans les cachots de la prison. Le Duc de Wyvern s'est chargé de la traque avec beaucoup de succès.
- Cet homme est d'une remarquable efficacité et un exemple de persévérance, releva le Comte de Death. Lorsqu'il s'attèle à une tache, il la mène à bien. Je ne l'ai jamais vu échouer.
- Espérons qu'il poursuivre ainsi dans le futur, murmura le Roi. Vous avez laissé sous-entendre quelque chose à propos de nos terres agricoles ?

Hypnos sourit derrière son verre et baissa ses yeux d'or. Décidément, rien n'échappait à Hadès. Il jeta un regard à son frère puis posa sa boisson.

- Effectivement, Sire. Thanatos et moi avons eu une idée que nous souhaiterions te soumettre.
- Quelle est-elle ?
- Comme tu le sais, poursuivit le comte de Death, nos voisins sont en pleine guerre. Enfin, je devrais dire étaient car ils sont sur le point de s'effondrer. Les terres qui jouxtent nos frontières du nord et de l'est sont à l'abandon. Annexons-les et exploitons-les pour notre peuple !

Hadès darda ses prunelles glacées sur son premier ministre et son conseiller. Il sentit monter en lui une colère froide. Comment pouvaient-ils penser à faire une chose pareille ?

- Vous croyez vraiment que mes homologues vont rester là, sans rien faire, pendant que nous leur volerons leurs terres ? Nous venons à peine de sortir d'une guerre civile et vous voulez nous replonger dans un autre conflit encore plus meurtrier ? Mais à quoi pensez-vous donc ?

Hadès s'était levé brusquement et avait plaqué ses mains sur son bureau. Il avait hurlé sa dernière phrase. Les deux hommes face à lui se recroquevillèrent sur leur siège comme un vieux morceau de cuir mouillé sous l'effet de la chaleur. Sentant son frère se maîtriser et sur le point de répliquer pour imposer sa vision des choses au Roi, Hypnos, le devança avec calme.

- Majesté, loin de nous l'idée de mettre en péril cette paix fragile et toute nouvelle que nous avons instaurée à l'intérieur de nos frontières. Nous avons bien évidemment songé aux conséquences qui découleraient d'un tel acte.
- Ah oui ? Je serais curieux de savoir comment vous aller empêcher le Sanctuaire ou les Océans de récupérer ce qui est à eux ! cracha le souverain avec dédain.
- Il suffit pour ça de leur enlever toute envie de le faire, laissa tomber le Comte de Dream d'un ton énigmatique avec un sourire carnassier sur les lèvres qui trouva son reflet sur le visage de son frère. Comme nous te l'avons dit, l'année du Loup Garou a été bonne, mais il n'en sera pas toujours ainsi. Nos terres agricoles sont rares et la population augmente.

Hadès connaissait bien ses hommes. Il ne s'était pas trompé en se les attachant. Il avait suffit pour cela d'être convaincant. Ils avaient besoin d'une figure emblématique à laquelle se raccrocher et c'est ce qu'il leur avait offert. Toujours prudent, jamais fonceur, ils les avaient menés sur la route de la victoire. Il avait attendu le bon moment et les choses s'étaient faites sans presqu'aucun combat. Le Roi se souvenait encore de son entrée dans Giudecca…

Ooooo00000ooooO

Warriors - Michael Flatley's
Reconquête du trône des Ténèbres

C'était l'année 10214 du Dragon des Mers, au début du mois de mai. Il avait franchi les portes de la forteresse pour monter jusqu'au bastion et avait fait irruption à cheval dans la salle du trône sous les yeux terrifiés du roi et ses conseillers en poste, à défaut de l'être en titre. Encadré des jumeaux, exsudant la force et la violence sous leurs armures, il était descendu de cheval et s'était approché du souverain. Il l'avait attrapé par le bras pour le jeter du trône sur lequel il s'assit.

- Je suis le petit-fils du Roi Ouranos ! Je suis le fils du Roi Cronos ! Quelqu'un a quelque chose à dire ? avait-il déclamé d'une voix forte et puissante, alors que ses hommes se postaient à ses cotés, menaçants.

Personne ne pipa mot. Tous se demandaient d'où sortait ce jeune homme si charismatique et si courageux. Tout simplement le petit-fils du roi Ouranos, qui fut assassiné par son frère le Prince Pontos. Il régna par la force et la peur alors que la guerre de succession n'était toujours pas résolue. L'héritier légitime, le Prince Cronos s'opposa à son oncle pendant de longues années. Il eut l'intelligence de mettre son fils unique à l'abri avec sa mère dans un Royaume lointain. Les femmes qui dirigeaient ce pays, les Amazones, reconnurent sa lignée et consentirent à faire de lui un futur Roi, moyennant rétribution, bien entendu. Il fut instruit des arts de la guerre, de ceux de la politique et de la diplomatie, de la gestion et de la justice.

Un beau jour, la Reine Antiope vint le trouver dans la salle d'armes où il s'entraînait au maniement de la longue épée à deux mains.

- Prince Hadès, lui dit-elle, nous n'avons plus rien à t'apprendre. Si tu es le digne descendant de la lignée d'Inferno, il est temps pour toi de reprendre ce qui t'appartient.
- Je voulais justement vous entretenir à ce sujet, Majesté. J'ai énormément appris à vos cotés, et grâce à vous et à mes instructeurs, je peux enfin revendiquer ce qui me revient de droit. Pour cela, ma reconnaissance vous est acquise. Mais il est vrai que les rumeurs qui circulent à propos de mon Royaume, rapporté par les marchands et les voyageurs qui traversent votre pays, m'inquiètent au plus haut point.
- Et à juste titre. Si tu ne fais pas rapidement quelque chose, il ne te restera plus rien sur quoi régner. Nous t'équiperons tel un Roi afin que ceux qui croiseront ton chemin comprennent que tu n'es pas un vagabond.
- Je vous dois tout, Majesté. Comment pourrai-je un jour rembourser la dette que j'ai envers vous ?
- Tu l'as déjà fait, en partie. De tes unions avec certaines d'entre nous, sont nées des filles qui font la joie et la fierté de leurs mères.
- J'ai des filles ? s'exclama le jeune Roi, abasourdi de ne pas en avoir été informé.
- Non ! Tu n'as rien ! répliqua Antiope, glaciale.
- Et des fils ?
- Il y en a eu deux. Mais tu connais le sort que nous réservons aux mâles…
- Je sais…, fit le jeune homme en détournant les yeux.
- Rassure-toi. Par respect pour toi, ils n'ont pas été tués. Mais ils resteront des aides de fermes.
- Je vous remercie de votre mansuétude, railla-t-il, sarcastique.
- Et tu sais aussi que jamais tu ne devras venir les réclamer pour les reconnaître comme tes descendants.
- Ce n'est pas juste envers eux ! s'insurgea Hadès. Ils n'ont pas demandé à venir au monde ! Je pourrais leur offrir une vie plus facile et…
- Il suffit ! Si jamais tu commettais une telle folie, sois assuré que nous les mettrions à mort sans délais ! Si cela te pèse sur la conscience, il fallait y penser avant de coucher avec nos filles ! Tu connais nos lois !
- Oui, je les connais ! Et je ne les approuve pas ! Mais par… gratitude envers ce que vous avez fait pour moi, je ne ferai rien d'irréfléchi.
- Que les Dieux soient témoins de tes paroles. Maintenant, va te changer et rejoins-moi aux écuries !

Hadès prit la main qu'Antiope lui tendait et baisa ses doigts avec respect et dégoût mêlés. Les Amazones l'avaient protégé et éduqué, mais jamais il ne comprendrait pourquoi elles traitaient les hommes comme des êtres inférieurs. La Reine Rhéa avait eu des arguments de poids. Elle était morte deux ans après leur arrivée en terre Amazone. Il n'avait que neuf ans à l'époque, et il n'avait pas encore ce genre de préoccupations. Quant à son père, il était resté combattre l'usurpateur à la tête des troupes qui lui étaient fidèles et n'était jamais revenu le chercher.

La Reine l'attendait aux cotés d'un magnifique étalon d'un noir brillant. Un Frison. Sa crinière et sa queue aux crins ondulés lui donnait un aspect noble et fier. L'animal piaffait et ne se laissait approcher par personne. Même l'écuyer ne pouvait le tenir tant il tirait sur sa longe.

- Si tu le domptes, il est à toi ! lui dit Antiope en lui montrant le cheval. Je te préviens, nous avons eu toutes les peines du monde à lui mettre cette selle !

Hadès, d'abord surpris, s'approcha lentement. Dans un panier, il prit quelques morceaux de carottes et les présenta au cheval, sur sa main bien ouverte. La bête rua, mais l'odeur de la friandise titilla ses naseaux, et la gourmandise naturelle de l'animal fit le reste. Le jeune homme réussit à les lui faire manger tout en caressant prudemment le chanfrein.

- Otez la selle… Très doucement…, chuchota-t-il pour ne pas effrayer sa future monture.

Avec une crainte non dissimulée, un garçon d'écurie obéit. Hadès murmurait doucement aux oreilles du cheval qui semblait l'écouter, comme bercé par cette voix grave et profonde. Ensuite, il prit la longe des mains tremblantes de l'écuyer. Il caressa les flancs et le dos de l'animal qui renâcla encore et cabra, lançant dangereusement ses sabots en avant. Le jeune homme tira brutalement sur la corde et attrapa les rennes. Toujours avec des mouvements lents, il continua ses caresses. Il entoura l'encolure de ses bras et colla sa joue au cou du cheval. Celui-ci tenta de se libérer, mais il finit par accepter le contact. C'est l'instant qu'Hadès choisi pour l'enfourcher d'un bond puissant. Aussitôt il raccourcit les rênes, obligeant l'animal à garder la tête baissée, mais il en fallait plus à ce démon pour se laisser dompter. Il partit dans l'enclos en ruant, cabrant, galopant, secouant son cavalier pour s'en débarrasser. Hadès serrait ses jambes et se penchait sur l'encolure à chaque fois que le cheval cabrait. Plus d'une fois, il crut qu'il n'y arriverait pas, mais il avait sa fierté. Si des femmes comme les Amazones étaient capables de maîtriser n'importe quel cheval, il pouvait bien en dompter au moins un.

Soudain, la bête partit au triple galop, sauta par-dessus la barrière et fila vers les plaines toutes proches. Entre ses cuisses, Hadès sentait les puissants muscles du dos se tendre et se détendre à chaque foulée. Le vent l'aveuglait et ses yeux pleuraient. Mais enfin, le cheval lui obéissait. Il l'avait accepté. Il s'enivra pendant un très long moment de cette sensation grisante de liberté pure. Il ne faisait qu'un avec l'animal et ce constat lui procura une joie euphorique. Il était le maître, le cavalier de cette splendide bête, puissante et rapide. Il tira sur les rennes pour ralentir et fit demi-tour.

De retour à l'écurie, les cheveux en bataille, les joues rosies par le vent et les yeux brillants d'excitation, la Reine Antiope dût s'avouer qu'elle ne l'avait jamais trouvé aussi beau et viril. Il ferait un grand Roi, de ça, elle était persuadée. Hadès refit l'expérience avec la selle et le cheval accepta tout de son désormais seigneur et maître.

- Comment vas-tu l'appeler ? lui demanda-t-elle en souriant.
- Achéron !
- C'est un nom étrange !
- Quand j'étais enfant, ma mère me racontait la légende d'une princesse qui, faute de n'avoir pas trouvé de mari se jeta dans l'Achéron. C'était un fleuve qui coulait dans mon Royaume puissant et rapide. Comme ce cheval ! Mais après que la princesse se fut noyée, le fleuve qui était amoureux d'elle, se tarit et sa source ne coula plus jamais. Aujourd'hui il ne reste qu'un canyon aride dans les montagnes et on dit qu'à un endroit de la berge, il pousse quelques fleurs blanches. Ce serait de là que la princesse se serait jetée.
- C'est une jolie légende…
- Je trouve aussi…

Deux jours plus tard, il quittait le Palais de la Reine Antiope sur le dos d'Achéron, vêtu d'une tenue de voyage chaude et légère. Ses dagues étaient attachées à sa ceinture, son arc et son carquois dans le dos, ses épées glissées dans les fourreaux de sa selle. Enroulé derrière lui, la lourde cape en fourrure d'ours calait ses reins et le soulagerait des douleurs provoquées par ce long voyage à cheval. Il avait attaché ses long cheveux pour ne pas qu'ils s'emmêlent trop et avait rabattu la capuche de son manteau sur sa tête.

Un soir qu'il s'arrêta dans la seule et unique taverne d'un tout petit village du royaume d'Eleusis, gouverné par le Roi Dionysos(1), il rencontra Minos, Rune et Myu. Alors qu'il dormait dans la paille au côté d'Achéron, un léger hennissement du cheval le sortit de son sommeil. Son instinct lui dicta de ne pas bouger. De toute évidence, des voleurs avaient l'intention de lui prendre sa monture. Il faut dire qu'un aussi magnifique animal ne se voyait pas tous les jours. L'un des hommes prit un coup de sabot, Hadès désarma le second et menaça le troisième de son épée.

- Alors comme ça, vous détroussez les honnêtes gens ?
- Honnête ? C'est vite dit ! fit celui qui avait était désarmé. T'as tout du mercenaire et je connais pas de mercenaire honnête !

Les trois hommes étaient effrayés mais pas autant qu'Hadès l'avait escompté. Et à bien y regarder, ils n'avaient pas l'air d'avoir l'habitude d'agir de la sorte.

- Vous m'avez l'air de piètres voleurs, se moqua-t-il gentiment. Comment vous appelez-vous ?
- Je suis Minos, fit celui que le jeune homme tenait toujours au bout de sa lame.
- Minos ? Je connais un Minos de Griffon. C'était un Duc du Royaume des Ténèbres.
- Sa fidélité au Roi Cronos lui a valu l'exil, rétorqua fièrement l'homme devant lui.
- Que sais-tu de tout ça ?
- Je sais tout… je suis son fils !
- Minos ! Tu sais bien qu'on doit rien dire ! gronda celui qui avait pris le coup de sabot et qui avait fini par réussir à se relever.
- Vous n'avez donc pas compris qui vous avez en face de vous ?
- Ben quoi ! C'est qui ce type ?
- C'est le Prince Hadès ! Il porte la chevalière de la Maison d'Inferno !

Hadès baissa rapidement les yeux sur son index gauche où effectivement, se trouvait la lourde bague qui se transmettait de père en fils, gravée du symbole de la lance à double fourche.

- Le Prince Hadès ? murmura l'un des deux hommes.
- Et vous, qui êtes vous ?
- Je suis Myu, fils du Comte de Butterfly.
- Et moi Rune, Comte de Balrog. Mon père est décédé l'an dernier.
- Et tu es notre futur Souverain.

Le jeune Minos mit un genou à terre et baissa la tête. Les deux autres l'imitèrent. Hadès les regarda successivement, se demandant par quel caprice du destin, ces hommes avaient croisé sa route. Fallait-il y voir un signe ?

- Relevez-vous… Comment se fait-il que des hommes de votre rang s'abaissent à détrousser les voyageurs comme de vulgaires bandits ?
- Ici, nous ne sommes rien, assena Myu, gravement.
- La plupart des nobles qui sont restés fidèles à ton père ont été exilés et leur biens confisqués par l'usurpateur et redistribués à ses hommes. Et toi, que fais-tu ici ?

- Je rentre chez nous pour reprendre ce qui est à moi !
- Seul ? sourit Myu.
- Si vous m'accompagnez, je ne serai plus seul, rétorqua le Prince avec le même sourire.
- Et pourquoi on f'rait ça ? demanda Rune, encore méfiant.
- Pour retrouver ce qui est à vous, pour reprendre possession de vos biens et pour laver l'affront qui a été fait à vos pères. N'avez-vous donc plus aucun honneur ?

Hadès avait haussé le ton sur ces derniers mots. Les dénommés Rune et Myu baissèrent la tête alors que Minos le fixait avec intensité.

- Je viens avec toi, Sire. Mon épée est tienne !
- C'est un titre que je ne mérite pas encore, mais je suis flatté. Et vous ? Vous venez ?
- Je suis avec toi, finit par dire Rune.
- Je suis des vôtres.
- On dirait que je viens de trouver les premiers lieutenants de mon armée, sourit Hadès en leur serrant le bras. Connaissez-vous d'autres hommes comme vous qui souhaitent rentrer chez eux ?
- Oui, il y en a deux ici et trois dans la ville voisine, à deux jours de cheval, l'informa Minos.
- Nous devrions finir de nous reposer. Demain, nous les chercherons.

Son charisme naturel s'était imposé à ces hommes qui, désormais, allaient lui obéir aveuglément.

Le lendemain, Hadès rencontra Eaque, Duc de Garuda et Queen, fils du Marquis d'Alraune. Ils n'hésitèrent pas un instant à se joindre à lui. Ils chevauchèrent pendant deux jours et dans la ville suivante, ils trouvèrent Gordon, Baron de Minotaure, Sylphide, fils du Marquis de Basilic et Valentine, Comte de la Harpie.

Chacun avait une histoire et la raconta à Hadès. Certains avaient encore leur père ou leur mère ou les deux pour les plus chanceux. Le Prince leur promit que, lorsqu'il aurait récupéré son trône, il leur rendrait leur titre et leurs terres. Le père de Queen eut les larmes aux yeux en voyant ce jeune homme qui ressemblait tant à Cronos, son Roi.

Tous avaient trouvé un endroit pour vivre paisiblement en attendant des jours meilleurs, mais s'ils avaient élevé leurs enfants dans l'espoir de rentrer un jour chez eux, eux-mêmes n'y croyait plus vraiment. Dix-sept longues années s'étaient écoulées depuis leur fuite. Et aujourd'hui, le Prince Hadès venait de rallumer la flamme de l'espoir et elle brillait plus forte que jamais. Tous sentaient en lui, l'homme qui allait changer le cours de leur vie. Et sans savoir pourquoi, ils y croyaient. Ou peut-être avaient-ils tout simplement besoin de se raccrocher à quelque chose ? Et le Prince s'était trouvé au bon endroit, au bon moment. Près de lui, chacun avait la sensation d'être plus fort, plus fier. D'être enfin quelqu'un tout bêtement. Et rien que pour ça, ils le suivraient au bout du monde.

Après plusieurs semaines de voyage, Hadès avait retrouvé tous les héritiers des nobles fidèles à son père. De plus, la plupart avaient, sous leurs ordres, quelques soldats à la loyauté indéfectible. Au final, le Prince se retrouva à la tête d'une centaine d'hommes qui lui seraient dévoués corps et âmes. Cette petite armée, divisée en plusieurs groupes, traversa discrètement et rapidement le Royaume des Océans en passant entre le Pic du Main Bread Winner et la Chaine des Piliers. Puis descendant au sud, ils contournèrent le Massif des Lamentations pour arriver enfin, en vue de la forteresse de Giudecca. Poussant un formidable cri de guerre, Hadès fonça à brides abattues, suivit de ses hommes. Les portes et la herse étaient ouvertes pour permettre à quelques marchands de circuler. Instant stratégique s'il en est.

La troupe franchit les portes, atteignit le bastion et le Palais où Hadès pénétra dans la salle du trône sur le dos d'Achéron.

Depuis ce jour, le jeune Roi qui n'avait que vingt-six ans à l'époque, s'évertuait à redresser son Royaume, à le reconstruire. Et il était en train d'y parvenir. En quatre années de règne, il était sur le point d'effacer toute trace de cette guerre…

Ooooo00000ooooO

Il se rassit sur son siège et réfléchit. Ses longs cheveux noirs aux reflets bleutés masquèrent un instant son visage. Il commençait à entrapercevoir où voulaient en venir les jumeaux. Il releva enfin la tête et les regarda. Le même sourire que celui des deux Comtes étira ses lèvres, donnant à son visage une expression de cruauté extrême.

- Mettez au point les grandes lignes de votre projet. Nous discuterons des détails ensemble, lorsque cela sera fait. Que voulez faire dans l'immédiat ?
- Envoyer des éclaireurs pour avoir une idée de l'état des terres que nous convoitons. En particulier si nous devons envisager de nous heurter à une résistance. Ensuite, il faudrait que des espions puissent nous rapporter à qui appartiennent ces terres. A partir de là, nous pourrons affiner notre plan et décider de ce qu'il y a lieu de faire.

Hypnos, Comte de Dream et Premier Ministre du Roi venait de s'exprimer de façon claire et concise d'une voix sans timbre. Pourtant, derrière ses paroles était en train de se jouer l'avenir des Ténèbres. Les trois hommes avaient parfaitement conscience que s'ils échouaient, s'en serait terminé. Définitivement. Mais s'ils menaient ce projet à son terme, les Ténèbres règneraient sur le monde. Quelle tentation…

Les deux Comtes allaient sortir et laisser leur Roi à ses occupations lorsqu'un serviteur frappa à la porte et entra sur ordre d'Hadès.

- Majesté, un homme désire vous voir, déclara-t-il en s'agenouillant.
- Qui est-il ?
- Il semble que ce soit un… un chasseur…

Hadès et les jumeaux s'entreregardèrent, à la fois curieux et suspicieux. Le Roi décida de suivre le messager, accompagné des deux hommes. Ils arrivèrent aux cuisines, surpris d'être là. Aussitôt, toutes les personnes présentes mirent un genou à terre du Chef Cuisinier au dernier des marmitons, mais le Souverain les renvoya bien vite à leurs occupations. Dans la cour, derrière les cuisines, un homme en haillons mais équipé comme un chasseur avec un couteau à dépecer à la ceinture, un arc et un carquois à l'épaule, une gibecière qui semblait pleine et des lacets à collets coincés à coté du couteau, attendait, la tête baissée. A ses pieds, une grande pièce de cuir semblait protéger quelque chose.

Le Roi se posta devant lui et l'observa un moment. Un pauvre gueux qui venait sans doute quémander un peu de nourriture.

- Eh bien mon brave, tu voulais me voir ? Je suis là ! Comment t'appelles-tu ?

Timidement, l'homme leva la tête et osa regarder son Souverain. Il était bien tel que les rumeurs le disaient. Grand, impressionnant. Majestueux.

- Je me nomme Gigant, Sire, fit-il d'une voix à peine audible.
- Allons, ne crains rien. Si tu ne parles pas plus fort, je vais devoir te faire répéter chacune de tes phrases. Que me veux-tu ?
- Je voulais… Est-ce que vos chasseurs vous ont dit quelque chose à propos des cerfs et des biches ?
- Comment ça ? Chef ? Les chasseurs ont trouvé des cerfs dans les forêts ?
- Pas à ma connaissance, Majesté, fit le Cuisiner qui s'était avancé. Il y a fort longtemps que nous n'en avons pas vu !

Hadès reporta son attention sur le chasseur, qu'il soupçonnait d'ailleurs de braconner sur les terres de Giudecca. Puis il regarda le paquet toujours au sol.

- Qu'as-tu apporté, là ?
- Un présent, Sire. Pour vous.
- Tiens donc. Voyons voir ça. Ouvre-le !

L'homme détacha la corde qui entourait la toile de cuir et ouvrit les pans. Sous les yeux incrédules des hommes présents, se trouvait la carcasse d'une biche parfaitement vidé.

- Les cerfs et les biches sont revenus dans nos bois, Majesté, fit l'homme. Je vous offre ma première prise.
- Et pourquoi ferais-tu cela ? Pourquoi ne l'as-tu pas gardé pour toi et ta famille ?
- Pour vous prouver ma gratitude à vous qui avait su rétablir la paix chez nous. Ainsi j'ai une chance de rester avec ma famille et mes fils ne seront pas obligés de se battre. Le retour de ces animaux est la preuve que les Dieux approuvent votre action et ils nous donnent de quoi nourrir nos familles.

Hadès fut ébranlé par le geste de l'homme, mais rien ne transparut sur son visage. Oui, il était ému.

- Cet acte t'honore, Gigant. Qu'on porte cette carcasse à l'intérieur !

Aussitôt, trois commis prirent la bête et la portèrent sur la table du Maître Boucher.

- Débite-la… et donne un cuissot à cet homme. Il l'a mérité.
- Bien Majesté.

L'homme se mit à manier ses couteaux et ses hachettes avec une redoutable efficacité. En moins d'une demi-heure, l'animal fut dépecé et découpé. Prenant le cuissot, il le donna au chasseur.

- Merci, Majesté, souffla-t-il en tombant aux genoux d'Hadès à qui il prit la main pour l'embrasser.

Thanatos fut sur le point de dégainer son épée et de tuer le pauvre homme, mais le Roi le stoppa d'un geste de son autre main. Il s'inclina et prit le chasseur par les épaules pour le relever. Malgré son imposante stature, celui-ci tremblait de tous ses membres.

- Quel est ton métier, Gigant ?
- Je… je chasse pour nourrir ma famille et ma femme cultive un petit potager.
- Es-tu un bon chasseur ?
- Je pense que… oui, Majesté.
- Je n'ai pas de Chef de Traque. Veux-tu le devenir ? Tu travailleras pour Guidecca et tu pourras faire vivre ta famille ici. Tu as des enfants as-tu dit ?
- Deux… Des garçons…
- Et tu ne voulais pas les voir enrôler de force dans l'armée.
- Non, Sire. Pas pour une cause qu'ils sont trop jeunes pour comprendre.
- Et toi l'as-tu comprise ?
- J'ai compris que ce qui est illégitime fini un jour par s'effondrer.

Hadès sourit. Gigant était peut-être un homme sans aucune éducation, mais il était intelligent.

- Ici, tes fils recevront une instruction, avec un précepteur. Et ils rencontreront d'autres enfants de leur âge. Est-ce que cela t'intéresse, Gigant ?

Le chasseur serra la main du Roi, qu'il n'avait pas lâché, si fort dans la sienne, qu'Hadès crut qu'il allait lui briser les os. Il retint un mouvement de recul face à la douleur qui lui vrillait les doigts. Gigant avait un regard éperdu de reconnaissance et brillant de larmes contenues.

- Ton rôle sera de repérer et de traquer le gibier afin que mes chasseurs rentrent moins souvent bredouilles. Tu ne prendras tes ordres que de mon Maître de Chasse, Phlégyas.
- Oui, Majesté.
- Va maintenant et rentre chez toi. Dis à ta femme de te cuisiner au mieux ce cuissot et régalez-vous. Ensuite, dès que tu seras prêt, reviens ici pour prendre tes nouvelles fonctions. Je laisserai ton nom à la caserne et on te montrera où tu vivras avec les tiens.

Gigant tomba encore à genoux et n'en finissait plus de baiser la main de son Roi. Celui-ci le laissa faire. L'homme s'en fut, son cuissot sous le bras, avertir sa femme qu'une nouvelle vie s'offrait à eux.

Hadès remonta dans ses appartements et se lava consciencieusement les mains avec de l'eau claire et une préparation moussante et désinfectante à base de fleurs de saponaires et de thym. Un léger gargouillement de son estomac lui rappela que son repas du réveil était bien loin. Il regagna son salon où l'attendait les deux Comtes.

- On va déjeuner ensemble. Markino !
- Oui, Majesté ?
- A manger pour trois !
- Pourquoi as-tu agis de la sorte avec ce… braconnier ? s'insurgea Thanatos en se plantant devant son Roi.
- Comme ça, il ne braconnera plus.
- Et il te sera dévoué corps et âme, termina Hypnos, plus subtil que son frère.
- Mais ça n'explique pas pourquoi, il t'a offert cette biche, insista le comte de Death.
- Il l'a dit lui-même. Pour me remercier de la paix que j'ai offerte à mon peuple avec tout ce que cela implique pour ces fils ! sourit le Roi devant l'incompréhension de son ami.
- Tu parles… Qui dit qu'il n'a pas empoisonné la viande ? Qu'il n'est pas au service de Pontos ?
- Ce vieillard sénile ? se moqua le Roi. Il a perdu l'esprit. Il ne représente plus aucune menace.
- Et ceux qui lui sont restés fidèles et que tu n'as pas emprisonné ? insistait Thanatos, bien décidé à faire valoir son point de vue.
- Comte de Death, tu m'ennuies ! Et je n'aime pas que l'on m'ennuie quand j'ai le ventre vide ! Si tu continues, c'est toi que je vais faire jeter au Tartare ! plaisanta Hadès avec un clin d'œil au Comte de Dream, qui sourit doucement.

A la simple évocation de cette prison, Thanatos ne put s'empêcher de frissonner, même sachant qu'Hadès plaisantait. Il ne connaissait pas de pire endroit sur cette terre. Malgré sa réputation terrible et les rumeurs les plus horribles qui couraient au sujet de ce lieu, il y avait pourtant des hors-la-loi persuadés d'être assez malins pour échapper aux geôles du Tartare. Mais ils n'avaient pas pensé qu'ils croiseraient le Duc de Wyvern.

A ce moment, quatre jeunes pages entrèrent avec des plateaux qu'ils disposèrent sur la grande de table et s'éclipsèrent discrètement. Les trois hommes s'installèrent et déjeunèrent tranquillement.

- Avec tout ça, je n'ai pas eu le temps d'aller voir l'avancée des travaux de voiries à l'est, fit le Roi en mordant à belles dents dans un pilon de poulet rôti.
- Il me semble que ce tronçon avance moins vite que les autres, remarqua Hypnos en reposant sa coupe de vin sur la table.
- C'est pour ça que je voulais y aller. Pour comprendre les raisons de ce retard et voir si je ne peux pas motiver les ouvriers.
- Moi, je dois aller aux chantiers navals, déclara Thanatos. Je veux voir où en sont les bateaux de pèche en construction…
- Il y a un problème ? demanda le Roi après avoir roté de façon sonore, signifiant ainsi qu'il était repu.
- Non, aucun. Il s'agit d'un nouveau modèle plus grand que les autres. Ces trois bateaux devraient pouvoir rester plus longtemps en mer, aller plus loin et donc ramener plus de poissons. C'est une simple visite de routine.
- Si c'est le cas, nous en ferons construire d'autres. Bien ! Une balade à cheval ! Je ne connais rien de mieux pour digérer !
- Ou vomir, si tu as trop mangé !
- Hypnos ! Tu es écœurant !
- Oui, mon Roi…

C'est en riant que les trois hommes se rendirent aux écuries.

Ooooo00000ooooO

En fin d'après-midi, Hadès regagna Giudecca avec quatre hommes d'escorte qui le laissèrent à l'entrée du Palais après s'être assurés que leur Souverain rentrait bien, sain et sauf. Dans son bureau, il consigna par écrit les raisons du retard des travaux de voiries qu'il avait visité. Il s'agissait seulement d'une question de terrain plus accidenté qui rendait moins aisé l'acheminement des dalles de pierre. Rien n'était donc à reprocher aux hommes qui travaillaient sur le chantier. Puis il appela un héraut à qui il ordonna de prévenir les populations de la distribution prochaine de nourriture qu'il avait décidé, pour fêter la fin de cette bonne année du Loup Garou. Il entra dans son salon et s'assit sur un divan, un verre de vin à la main. Il en huma le bouquet en fermant les yeux. Rouge comme du sang, le liquide était la fois doux et légèrement acide sur la langue. Très fruité, il coula dans la gorge royale jusqu'à l'estomac qu'il réchauffa.

- Markino !
- Oui, Sire ? fit le Chambellan après un moment.
- Fais-moi préparer un bain, bien chaud et quand j'aurai fini, tu diras au Marquis d'Alraune de venir.
- Dois-je prévoir votre dîner, Sire ?
- Oui, pour deux.

Bien que rompu à l'équitation, le Roi se sentait las. Il avait l'impression que son corps pesait plus lourd que d'ordinaire. Aussi, lorsque Markino vint lui annoncer que tout était près, il s'empressa de rejoindre la salle d'eau. Devant la cheminé allumée, un grand baquet de bois garni d'un drap fin, laissait échapper des volutes de fumée. Il ne faisait pas particulièrement froid dans le Palais. La chaleur du volcan était captée pour le chauffer l'hiver et l'été, les conduites d'air étaient tout simplement fermées. Mais Hadès aimait prendre son bain devant les flammes de la cheminée. Observer le feu, se perdre dans la contemplation de ses langues dansantes et brulantes qui semblaient vivantes, le fascinait. Ce spectacle avait un incompréhensible pouvoir apaisant sur lui. L'eau chaude lui fit un bien fou. Il était dans un état de somnolence avancée, mais un léger craquement du plancher le ramena à la réalité. Discrètement, il glissa sa main jusqu'à sa dague, pendue au bord du baquet. Qui que se soit, il défendrait chèrement sa vie. Mais c'était inimaginable qu'une personne animée de mauvaises intentions put arriver jusqu'à lui. Et il le savait. Mais la prudence est mère de sûreté, comme dit le proverbe. Puis soudain, la lumière se fit dans son esprit.

Markino avait bien dû prévenir le Marquis d'Alraune qu'il le convoquait et celui-ci n'avait pas attendu qu'il en ait fini avec ses ablutions. Un sourire amusé étira les lèvres du Roi. Il continua à se détendre, curieux de savoir ce qu'allait faire son invité.

Celui-ci était debout, à trois pas derrière son Souverain et l'observait. Il se savait repéré, mais le jeu l'amusait. Il faisait semblant d'ignorer que le Roi avait conscience de sa présence et Hadès faisait semblant de ne pas avoir remarqué qu'il était là. C'était au premier qui surprendrait l'autre. Vif comme un chat, le maître des lieux se retourna et aspergea son visiteur qui bondit lestement en arrière un laissant échapper un juron fleuri. Les deux hommes éclatèrent de rire.

- C'est malin ! Il va falloir que je retourne chez moi pour me changer !
- Queen ! Ce n'est que de l'eau ! se défendit le coupable. Mets-toi devant la cheminée et tu seras sec en un rien de temps.
- Alors ? Si tu me disais pourquoi tu m'as demandé de venir ? s'enquit le jeune homme en tirant une chaise jusque devant l'âtre pour s'asseoir.
- Tu n'en as pas une petite idée ?
- Si, mais je préfèrerais que tu exprimes clairement tes pensées.
- Hier c'était la nouvelle lune. Je sais que tu as observé les étoiles, le ciel était clair. Ça m'a toujours intrigué d'ailleurs, ce phénomène.
- C'est-à-dire ?
- La nuit, le ciel des Ténèbres est clair la plupart du temps. Mais dans la journée, il se couvre de nuages épais que le soleil a du mal à percer. Nous pourrions avoir de bien meilleures récoltes s'il brillait plus souvent. Alors, tu as observé les étoiles ?
- C'est exact…
- Queen ?
- Oui ?
- Faudra-t-il que je t'arrache les mots de la bouche ? Qu'as-tu vu dans les étoiles ?
- Sors de là et nous en discuterons tranquillement.
- Ça ne me dit rien qui vaille, ça…
- Et tu as raison. Allez, sors, je vais te sécher…

Le Marquis d'Alraune prit un grand drap de coton et le Roi s'enroula dedans. Le jeune homme s'arma d'un peigne en bois et démêla les longs cheveux d'ébène encore mouillés. Il fit ça avec beaucoup de douceur et de patience. Brusquement Hadès se retourna et fit tomber Queen sur ses genoux pour l'embrasser goulument.

- Pourquoi ? murmura-t-il en desserrant son étreinte à laquelle sa proie n'avait pas tenté d'échapper.
- Pourquoi quoi ?
- Pourquoi ce que je ressens pour toi est si fort ? Tu m'as ensorcelé, c'est ça ?
- Non, pas du tout, sourit le jeune Marquis. Moi je ne me demande pas pourquoi je t'aime. Je t'aime, c'est tout.
- J'ai tenu dans mes bras probablement les plus belles femmes du monde, mais c'est d'un homme dont je suis tombé éperdument amoureux. C'est à n'y rien comprendre…
- Alors n'essaie pas, fit Queen en embrassant son amant. Habille-toi, je dois te parler très sérieusement.
- D'accord… J'arrive… Dis à Markino de nous faire servir le dîner.

Quelques minutes plus tard, les deux hommes étaient attablés devant un copieux repas de viandes rôties, de pâtés et de petits légumes. Le vin était plus léger que celui que le Roi avait siroté avant de prendre son bain, mais tout aussi délicieux. Hadès raconta plus ou moins sa journée à son amant qui fit de même. Le Marquis avait passé la majeure partie de son temps enfermé dans le donjon qui jouxtait son appartement au château pour mettre au point de nouvelles potions. En observant son Roi, il se demanda une fois de plus si ce n'était pas parce qu'il était un puissant magicien qu'Hadès avait décidé de le garder près de lui. Très près. Un proverbe bien connu dit : "Garde tes amis près de toi et tes ennemis encore plus près" . Il voulait croire que les sentiments d'Hadès pour lui étaient sincères et profonds. La plupart du temps, il en était persuadé, mais par moment, il ne pouvait empêcher le doute d'assaillir son esprit et cela l'attristait.

- A quoi penses-tu ?

La voix chaude le tira de ses réflexions et il sourit machinalement. Il eut soudain honte de ses pensées en voyant le regard rempli d'amour posé sur lui. Comment pouvait-il douter ? Hadès lui avait prouvé maintes et maintes fois ses sentiments. Il se traita mentalement d'idiot.

- Je songeais à ce que je dois te révéler.
- Installons-nous devant la cheminée. Tu veux encore une coupe ?
- Non, merci. Ce vin est espiègle et je préfère garder l'esprit clair.

Allongés sur le large banc garni d'épaisses fourrures et de coussins pour le confort, les deux hommes ne disaient rien. Queen regardait les flammes dans la cheminée, lui aussi fasciné par elles. Hadès portait régulièrement sa coupe à ses lèvres d'une main et de l'autre, il caressait le bras du Marquis.

- Alors ? Les étoiles sont-elles si néfastes ?
- Pour la première fois depuis bien longtemps, leur message n'est pas clair, ou du moins, il me semble incomplet.
- Explique-toi…
- Un conflit menace…
- Comment ça ? Personne n'a les ressources en hommes et en matériel pour nous attaquer !
- Ce n'est pas pour tout de suite, mais si tu n'arrêtes pas de m'interrompre, je vais avoir du mal à t'expliquer tout ça ! gronda le magicien.
- Très bien, je t'écoute…
- Un conflit nous menace dans un avenir plus ou moins proche. Nous serons vaincus, mais pas perdants.
- Vaincu mais pas perdants ? C'est plutôt contradictoire comme notion, tu ne trouves pas ?
- C'est bien pour ça que j'ai dit que le message des étoiles me paraissait incomplet.
- Tu ne peux pas être plus précis ?
- Ce n'est pas moi qui manque de précision, ce sont elles…
- Qui me dit qu'un autre magicien n'interprèterait pas cela d'une autre façon ?
- Alors fais appel à quelqu'un d'autre, souffla le jeune homme, blessé par les paroles de son Roi. Mais c'est bien trop facile à voir pour que cela soit traduit d'une autre façon. Même un apprenti magicien saurait le déchiffrer.
- Excuse-moi…
- Ce n'est rien…, je sais que tu cherches à te rassurer…
- Et ce que tu me dis m'inquiète… Ne peux-tu essayer d'en voir plus ?
- Tu sais que pour cela, je dois entrer en transe et que je déteste ça. A chaque fois, il me faut au moins deux jours pour m'en remettre.
- Je sais, mais tu ne crois pas que c'est important ? Si je dois plonger le Royaume dans une guerre, j'aimerais avoir un minimum d'informations !
- C'est normal… Dorénavant, dis-toi que chacune des décisions que tu prendras pourra modifier l'avenir. Et les étoiles me le diront. Si la menace s'éloigne ou si elle se confirme, je le saurai. Et si un doute persiste, alors seulement j'entreprendrai une transe.
- D'accord, murmura Hadès en glissant sa main dans la robe de chambre de Queen pour caresser son ventre.

Celui-ci frissonna et sourit. Il savait ce que son amant avait en tête et s'en réjouissait d'avance. Un imperceptible gémissement franchit ses lèvres quand les dents d'Hadès mordillèrent la base de son cou.

Quelques instants plus tard, devant la cheminée, sur l'épais tapis de fourrure, deux corps d'hommes, enroulés l'un autour de l'autre, dansaient une merveilleuse sarabande érotique, rythmée par leurs gémissements et leurs plaintes de plaisir…

Ooooo00000ooooO

Le soleil n'était pas encore levé lorsque Markino entra dans la chambre royale. Le Roi et le Marquis avaient atteint le lit pour s'y effondrer, pêle-mêle. Pas le moins du monde gêné par la nudité des deux hommes dont il avait l'habitude, le chambellan s'approcha d'Hadès et le secoua pour le réveiller.

- Pardonnez-moi Sire, mais un messager désire vous voir de toute urgence.
- D'où vient-il ? marmonna le Souverain d'une voix pâteuse et ensommeillée.
- Il a dit que ceci vous renseignerait.

Markino tendit au Roi un sceau sur lequel était gravée une feuille d'arbre et une flamme. Hadès bondit hors du lit et passa sa robe de chambre.

- Où est-il ? demanda-t-il, pour le coup, parfaitement réveillé.
- Il attend dans l'antichambre de la salle du trône. Majesté ! Et votre épée ? s'écria Markino en tendant l'arme au Roi.
- S'il était dangereux, tu ne l'aurais pas fait entrer !
- Est-ce une raison pour être imprudent ?

Warriors - Michael Flatley's
Visite d'Antiope

Hadès prit son arme et gagna la salle du trône en courant dans les couloirs. Il entra dans l'antichambre et se figea devant la personne qui se trouvait là. Vêtu d'une tenue de voyage légère et poussiéreuse, le messager s'était agenouillé, le visage caché par la capuche de son manteau.

- Qui t'envoie ?
- Moi-même !

La personne se releva et découvrit son visage. Hadès eut un hoquet de stupeur.

- Reine Antiope ?
- Roi Hadès !

Il s'attendait à tout sauf à voir cette femme devant lui. Et sa présence n'augurait rien de bon. Il devinait pourquoi elle était là. Enfin, il n'expliquait pas sa présence à elle, mais il n'était pas surpris de recevoir un messager du Royaume des Amazones.

- Je vois que tu as l'air en pleine forme, reprit la Souveraine.
- Par les Dieux ! Que fais-tu ici ?
- Aurais-tu oublié les règles de l'hospitalité que je t'ai enseignées ?

Pris en flagrant délit de manquement aux règles du savoir vivre, il appela Markino et donna des ordres. Quelques instants plus tard, la Reine Antiope savourait un rôti de dinde froid et buvait une coupe de vin.

- Tes cuisiniers sont excellents !
- Que fais-tu ici ? Et à une heure aussi matinale ?
- Je suis désolée d'avoir écourté ta nuit. Je suis venue te rappeler la promesse de ta mère.

Hadès soupira. C'était donc bien pour ça qu'Antiope était là. Lorsqu'il fut en âge de comprendre, bien des années après la mort de sa mère, la Souveraine des Amazones lui avait remis une lettre écrite par la Reine Rhéa à l'attention de son fils. Elle lui expliquait pourquoi les Amazones avaient consenti à le prendre sous leur protection. Rhéa avait promis que son fils épouserait la Princesse héritière Penthésilée, et ainsi leur union garantirait la paix et la prospérité entre les deux Royaumes. Ce mariage était la seconde partie de la dette qu'Hadès se devait d'honorer. La première étant d'avoir conçu des enfants avec des Amazones.

- Je vois que tu sais de quoi je veux parler…
- Et alors ? Pourquoi es-tu là ? Je sais que ce que ma mère t'a dit.
- Je suis là pour que tu tiennes son engagement. Il est temps pour toi d'épouser ma fille !
- C'est hors de question !
- Pardon ? s'exclama l'Amazone, s'étranglant presque avec un morceau de rôti.
- Ce n'est pas le moment !
- Tu as pacifié ton Royaume, il recommence à prospérer. Oh, certes, il faudra encore du temps pour que les choses aillent vraiment bien, mais c'est en bonne voie. Je ne vois pas pourquoi ce mariage ne pourrait pas avoir lieu !
- As-tu une magicienne qui lit dans les étoiles ?
- Evidemment ! Et je sais que le Royaume des Ténèbres est menacé par un conflit !
- Alors tu dois comprendre pourquoi le moment est mal choisi !
- Au contraire ! Mes guerrières seront de formidables alliées et pourront faire basculer le destin. Rien n'est écrit Hadès ! Epouse ma fille, et tu ne seras pas un vaincu même si tu n'es pas perdant.
- Je te le répète, c'est non ! A aucun moment ma mère ne t'a donné de délais. Si ce mariage doit se faire, ce sera quand je l'aurai décidé ! Et tu devrais commencer à éduquer Penthésilée pour qu'elle se conduise comme une femme de mon Royaume et non plus comme une Amazone !
- Qu'est-ce à dire ?
- Que même si je l'épouse, elle ne sera jamais couronnée Reine. Qu'elle devra être obéissante et soumise à son Roi qui sera aussi son Seigneur et Maître. Je ne tolèrerai pas qu'elle se comporte en terrain conquis avec mes hommes. Aucun ne lui obéira. Aucun ne lui est inférieur !
- Comment oses-tu… cria Antiope en se levant vivement devant l'affront qu'elle venait d'essuyer.
- J'ose ce que je veux ! tonna à son tour Hadès. Je ne suis plus le Prince que tu as éduqué ! Je suis un Roi tout comme tu es une Reine ! Je suis ton égal que ça te plaise ou pas ! Et n'oublie pas que c'est ma mère qui t'as fait cette promesse ! Moi, je ne t'ai rien promis du tout !
- Tu veux dire que tu serais capable de ne pas respecter ses dernières volontés ? se risqua-t-elle à demander d'une voix blanche de colère.
- Ce n'était pas ses dernières volontés. Ses dernières volontés, je les ai accomplies. Tu oublies que j'étais à son chevet, qu'elle est morte dans mes bras. Ses dernières paroles m'exhortaient à reprendre mon trône le moment venu. Et c'est ce que j'ai fait !
- Tu ne devrais pas faire de moi ton ennemi, Hadès ! Ton pays est encore bien faible. Mon armée ne ferait qu'une bouchée de la tienne…
- Ce n'est pas en me menaçant que tu obtiendras quoi que ce soit de moi. Et tu ne me fais pas peur. Mais je ne veux pas d'un conflit entre nos deux Royaumes, alors voilà ce que je te propose. Laissons le destin prédit par les étoiles s'accomplir. Mon magicien m'a dit que chacune de mes décisions influencera l'avenir. Et je viens de prendre celle de ne pas épouser ta fille pour l'instant. Voyons ce qui découlera de mon choix. Quand l'échéance sera passée, j'envisagerai alors une alliance avec toi.
- Et tes conditions ne changeront pas ?
- Non. Penthésilée sera comme je le veux, sinon tu peux commencer à lui chercher un autre époux. De plus, il ne serait pas correct de ma part de mettre ta fille en danger. Si je l'épouse maintenant et que je perds cette guerre comme le disent les étoiles, qui nous dit qu'elle en sortira vivante ? Ou même moi ? Vaincu mais pas perdant ne garantit pas que je serai encore en vie.
- C'est un argument, je le reconnais, consentit Antiope après un moment de réflexion. Faisons donc ainsi. Mais je te préviens que je saurai tout ce qui se passe chez toi.
- Si tes espionnes se font prendre à l'intérieur de mes frontières, elles seront exécutées. Sans procès. Alors ne gaspille pas inutilement des vies précieuses !
- Encore faut-il qu'elles se fassent prendre justement !
- Antiope ! Tu as l'âge d'être ma mère mais parfois, tu manques cruellement de lucidité. Les Amazones sont toutes tatouées à leur naissance. Il suffit que je dise à mes hommes à quoi ressemble ce tatouage et où il se trouve et s'en est fini d'elles ! Je t'en prie, soit raisonnable. Il est inutile d'en arriver là. Je sais que tu méprises les hommes, mais si une fois dans ta vie tu dois te fier à l'un d'eux, alors que je sois celui-là.

Antiope s'était laissée emporter par la colère. Mais les paroles d'Hadès étaient sages, elle devait l'admettre. Elle détailla l'homme devant elle. Quel dommage qu'elle n'ait pas vingt ans de moins. Elle l'aurait épousé elle-même. Depuis cinq ans qu'il avait quitté son Royaume, il avait changé. Il avait pris de l'assurance, il semblait plus large d'épaules. Son charisme s'était renforcé et son pouvoir de séduction ne la laissait pas indifférente. Et d'après les maîtresses qu'il avait eu chez les Amazones, c'était un amant exceptionnel. Mais quoi de plus normal. Il avait été instruit des arts de l'amour par les femmes les plus savantes en la matière. Un homme redoutable s'il en est, et dans de nombreux domaines.

- Tu peux rester ici et te reposer. Je t'offre l'hospitalité bien volontiers.
- Je te remercie, mais mon escorte m'attend à l'extérieur des remparts. Nous allons repartir immédiatement.
- Comme tu le désires. Je te souhaite un bon voyage de retour.

Les yeux bleus d'Antiope virèrent au violet sous l'effet de l'insulte. Poliment mais fermement, Hadès venait de la congédier comme une vulgaire servante. Et il l'avait fait sciemment. Il lui démontrait encore qu'il était le seul maître chez lui et qu'il ne la craignait pas. Après lui avoir baisé la main, il la laissa aux bons soins de Markino qui l'escorta jusqu'aux portes du Palais.

Nocturne - Secret Ggarden
Discussion entre Hadès et Queen après le départ d'Antiope

Le Roi se laissa tomber sur l'un des fauteuils de la pièce. Il regarda les reliefs du repas d'Antiope sans les voir. Un mouvement attira son attention.

- Depuis quand es-tu là ?
- Assez longtemps, répondit Queen en se glissant jusqu'à lui.

Il posa une main tendre sur son épaule qu'il serra doucement. Hadès ferma les yeux et emprisonna les doigts dans les siens avant de les porter à ses lèvres.

- Quand comptais-tu en parler aux membres du Conseil Royal ?
- Franchement ? Jamais… parce que j'avais complètement oublié…
- Donc, tu dois épouser cette Princesse… C'est une bonne chose que les Amazones soient nos alliées…
- Queen…, soupira le Roi, las.
- Elles sont prospères et leurs ressources sont abondantes…
- Queen…, répéta le Roi d'une voix plus forte.
- Oui ?
- Ce mariage n'est pas encore fait. Mes décisions influencent les étoiles as-tu dis, et je viens d'en prendre une. Attendons de voir ce qu'il va en ressortir. Quand pourras-tu me le faire savoir ?
- A la prochaine nouvelle lune…
- Viens, murmura Hadès en attirant le Marquis sur ses genoux. Je vais te faire une promesse que…
- Non ! Ne fais rien de ce genre. Tu ne sais pas si tu pourras la tenir, fit le jeune homme en posant un doigt sur les lèvres royales pour l'empêcher de parler.
- Celle-là, je la tiendrai. Si je dois épouser Penthésilée, je l'honorerai jusqu'à ce qu'elle conçoive un héritier. Une fois cela fait, je te promets que je ne la toucherai plus jamais. Elle aura peut-être ma semence, mais jamais mon cœur.
- Les femmes te dégoûtent ?
- Non, mais je suis amoureux d'un homme. Je t'aime Queen, tu le sais, mais…
- … mais la raison d'état ne doit pas s'encombrer de ce genre de considération, je sais…
- Effectivement, mais disant cela, tu t'adresses à ton Roi. N'oublie pas que je suis aussi un homme… avec ses défauts et ses faiblesses.
- Tu as des défauts, mais tu n'es pas faible. Un homme faible n'aurait pas accompli ce que tu as fait en quelques années pour une terre dont il se souvenait à peine.
- C'est encore de ton Roi que tu parles. Ne vois-tu rien d'autre en moi ? Ne vois-tu pas simplement l'homme derrière le Souverain ? Suis-je condamné à n'être qu'une couronne parce que j'en porte une ?

Il y avait tant de tristesse dans ces derniers mots que le cœur de Queen se serra. Il étreignit Hadès et caressa ses cheveux encore emmêlés. Ce n'était pas facile pour lui non plus. Il aimait un homme qui était un Roi. Il devrait toujours le partager avec son Royaume. Mais il l'avait accepté dès le départ. Queen était jeune mais il n'était pas idiot. Il avait parfaitement pris la mesure de ce à quoi il s'engageait la première fois qu'ils s'étaient embrassés. Jusqu'à présent, il ne l'avait jamais regretté. Depuis trois ans, il était heureux comme jamais il ne l'avait été. Mais maintenant, le Roi semblait vouloir écraser l'homme. Et l'homme, résisterait-il au Roi ?

- Pour moi, tu es l'homme le plus merveilleux qui soit et je t'aime plus que ma vie. Et tu le sais. Moi aussi, j'ai un statut particulier. Le Marquis d'Alraune est le Magicien du Roi et je ferai tout pour te protéger et protéger le Royaume des Ténèbres. Mais Queen est l'amant d'Hadès et je ferai tout pour que tu sois heureux. Parce que ton bonheur est ma priorité. Je pourrais vivre sans le Roi, mais pas sans Hadès.

Celui-ci resserra son étreinte autour du corps chaud et ferme et enfoui son visage dans les cheveux auburn qui se mêlaient aux siens. Par les Dieux qu'il aimait cet homme.

- Il m'arrive parfois d'imaginer que nous avons une toute autre vie… chuchota-t-il d'un ton rêveur. Je ne suis pas Roi… tu n'es pas magicien… nous avons une petite maison… je chasse et tu cultives un bout de terre… tu prépares des potions médicinales, les gens viennent te voir lorsqu'ils sont malades et tu les guéris. Et moi, je suis infiniment fier de toi. Nous sommes heureux et c'est tout…
- Mais la réalité est tout autre, mon amour…
- D'un autre coté, j'aime ce que je suis. Gouverner un Royaume, prendre des décisions qui vont influencer la vie de milliers d'hommes et de femmes, faire en sorte que l'on soit prospère et fort… C'est un travail gratifiant et qui m'apporte beaucoup de joies…
- C'est pour cela que tu es un bon Roi. Parce que tu aimes ton peuple et les Ténèbres. Tu feras toujours ce qu'il y a de mieux pour eux.
- Qu'est-ce que je ferais sans toi ? fit doucement Hadès en plongeant son regard limpide dans celui parme et brillant d'amour de son amant. Tu es ma force… Sans toi, je ne suis rien…
- Ne dis pas de bêtise. C'est moi qui suis honoré de cet amour que tu me portes…
- Mais non…
- Si !
- Je crois qu'il est inutile d'essayer de convaincre l'autre, sourit le Roi en embrassant les lèvres humides de Queen qui frissonna délicieusement.
- Tu comptes parler de la visite d'Antiope au prochain Conseil Royal ? demanda le Marquis, redevenant plus pragmatique.
- Il va bien falloir… Je vais même en convoquer un extraordinaire…

 

A suivre…

J'espère que vous avez aimé.

 

17 18 19 21

 

>> Chapitre 2 >>

 

(1) Éleusis est une ville de Grèce, en Attique, à 20 kilomètres environ au nord-ouest d'Athènes, sur le golfe de Salamine où un culte était rendu à Dionysos. J'ai choisi de nommer ainsi son Royaume.
Littoral du Royaume des Ténèbres
Plaines arides des Ténèbres
Montagnes et vallées des Ténèbres
Forêts denses et sombres des Ténèbres
Acheron, le cheval d'Hadès est un
magnifique et puissant Frison.
 
Voici une vidéo faite au Festival Médiéval Lou Mirabeou, près de chez moi. Il s'agit de fauconnerie équestre avec deux frisons. Les images sont encore plus parlantes que les photos. Laisse juste le temps à la vidéo de se charger. N'oublie pas de couper la musique sinon, ça va être une vraie cacophonie. ^^
Vêtements que portent Hypnos et Thanatos sans le chapeau.
Poudlard est assez proche de l'idée que je me fais de la forteresse de Giudecca en plus massive et plus de donjons à crénaux, sans toit pointu.

Retour liste fanfictions