LA LEGENDE DES QUATRE ROYAUMES...

 
   

Disclaimer : Tout l'univers de Saint Seiya que vous reconnaîtrez aisément appartient à Masami Kurumada. L'auteur n'en retire aucun profit si ce n'est le plaisir d'écrire et d'être lue. Les personnages de la mythologie appartiennent à tout le monde et les autres, ceux que vous ne connaissez pas, appartiennent à l'auteur.

Genre
:
Univers Alternatif à tendance celtico-médiévale et Heroic Fantasy. Aventure/Romance. Certains couples sont très inhabituels. Yaoi, het et lemon bien sûr.

Rating : interdit au moins de 18 ans.

Auteur : Scorpio-no-Caro

Betalecteur : Gajin, Frasyl et Hyma.

J'espère que vous aimerez...

 


Carte de ce monde

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Chapitre 09

Stepping Stones - Musicbank
Entrevue entre Kanon et Kassa

Année 10219 de la Licorne, mois de février, Palais de Corail, Royaume des Océans…

Le Général SeaDragon avait trop remis l'entrevue qu'il s'apprêtait à avoir avec le Marquis de Lyumnades. Il n'appréciait pas cet homme et se satisfaisait de ne le côtoyer qu'en cas d'absolue nécessité. Pourtant, le travail du Marquis était indispensable, voir même vital au Royaume. C'est ce qu'il se répétait en marchant dans le couloir, mais malgré tout, il ne pouvait se défaire d'une méfiance instinctive à l'égard de cet homme. Peut-être était-il temps de percer l'abcès ? Il ne supportait plus cette suspicion. Kanon frappa à la porte du bureau. Il n'entendit aucun bruit jusqu'à ce que celle-ci s'ouvre soudainement, le faisant légèrement sursauter.

- Kanon ? Que puis-je pour toi ? demanda Kassa sans le laisser passer.
- Souhaites-tu que nous en parlions dans le couloir ?
- Tout dépend du sujet de la discussion… rétorqua le Ministre du Renseignement en plissant les yeux, suspicieux.
- Lorsque l'on vient te voir, c'est bien souvent pour parler de ton activité. Si elle n'est un secret pour personne, la façon dont tu t'y prends et sur qui tu exerces tes talents restent cependant confidentiels, non ? A moins que tu n'aies changé tes méthodes ?
- Entre, finit par accepter le Marquis.

Kanon pénétrait dans ce bureau pour la première fois. Toutes les entrevues qu'il avait pu avoir avec son pair s'étaient toujours déroulées chez lui ou dans un salon du Palais. Il n'imaginait pas un seul instant que cet homme puisse être sensible à l'art. Sur l'un des murs, au-dessus d'une commode, était accrochée une tapisserie représentant un château en haut d'une falaise battue par d'énormes vagues et au premier plan, sur une plage on voyait l'épave d'un navire de guerre. Il y avait plusieurs morceaux de coraux de différentes tailles et aux multiples couleurs sur des étagères. Les fenêtres étaient garnies de tentures bleues mer et au-dessus de son lit que le Général aperçut dans la chambre par la porte entrouverte, une autre tapisserie représentait les armoiries de la famille de Lyumnades aux côtés de celle de la famille Royale. Il régnait une grande sérénité en ce lieu qui, incompréhensiblement, rassura et apaisa Kanon.

- Une coupe de vin ? proposa Kassa tout en se servant.
- Non, merci. Je voudrais savoir si tu as des nouvelles de tes hommes à Giudecca ?
- Pourquoi ?
- Cela fait plusieurs jours que tu leur as envoyé un message, et je me demandais si tu avais eu un retour.
- Non, pas encore, mais ça ne saurait tarder. Tu es juste venu pour ça ?
- Non, admit le Général, je voulais connaître les détails de ce que tu sais sur Asgard et Giudecca.
- Pourquoi ?
- Arrête de toujours poser cette question ! C'est agaçant ! Je ne suis pas un ennemi ! Je suis le Général en chef des Marinas dont tu fais partie. Ce qui fait de moi ton supérieur. Alors j'aimerais bien que tu répondes à mes questions sans que j'aie à t'arracher les mots de la bouche !
- Très bien ! Du calme ! Je voulais te tester… savoir combien de temps tu tiendrais avant de t'énerver.
- Et à quoi cela te sert-il ?
- A savoir que tu n'es pas quelqu'un de patient.
- Je n'ai aucune patience quand les intérêts du Royaume sont en jeu !
- Tu m'intrigues…

Kanon prit le temps de s'asseoir confortablement avant de revenir à son interlocuteur. Par les Dieux ! Que cet homme lui faisait froid dans le dos. Il avait l'impression d'avoir devant lui un fantôme. Qui pouvait apparaître et disparaître à volonté. Jamais il n'avait vu quelqu'un d'aussi fuyant, d'aussi difficile à cerner et ça le mettait mal à l'aise. De plus, le physique de Kassa n'avait strictement rien de remarquable. Un homme banal somme toute, capable de passer inaperçu dans une foule.

- Depuis que le Roi nous a annoncé le prochain mariage de Julian avec la Princesse Saori, les enjeux ont changé. Le Sanctuaire va passer du statut d'ennemi héréditaire à celui d'allié inconditionnel.
- C'est étrange comme les choses peuvent évoluer si radicalement en si peu de temps, observa Kassa d'un ton badin, en sirotant son verre de vin.
- Je suis bien d'accord avec toi. Te serait-il possible maintenant de faire surveiller Egide ?
- J'ai toujours pu. Je ne l'ai pas fait pour des raisons de discrétion. Je savais qu'il y avait chez nous des espions de Mitsumasa et je ne voulais pas qu'en… représailles on va dire, il trouve les nôtres chez lui. C'est pour cela que j'ai préféré passer par Asgard.
- C'est astucieux, je le reconnais. Mais ces espions, tu les as laissé agir librement sur notre territoire ?
- Avec l'accord du Roi. Tout ce qu'ils ont pu rapporter, ce ne sont que des rumeurs invérifiables dont je suis à l'origine, pour la plupart. Mes hommes par contre, nous ont bien transmis des informations sûres. Ils sont beaucoup plus doués. Peut-être même sont-ils les plus doués que je connaisse.
- As-tu des espions aux Ténèbres ?
- Oui, mais comme je l'ai dit au Conseil, il n'est pas facile d'entrer à Giudecca. Mes informateurs n'ont jamais réussi à passer la première cour de la forteresse. Ce n'est pas faute d'avoir essayé. L'homme qui est chargé du même ministère que moi est particulièrement redoutable.
- Qui est-ce ?
- Le Duc Rhadamanthe de Wyvern. Il y a quelques semaines, il a formé des groupes qui sont partis au Nord et à l'Est de leur Royaume. Mes hommes ont tenté de les suivre mais en vain. Impossible de savoir ce qu'ils ont fait ou pourquoi. Quand ils sont revenus, même chose. Aucun n'a lâché le moindre mot sur leur déplacement.
- Même en buvant quelques verres ? sourit Kanon.
- Ils ne boivent pas. Pas même de la bière. Je ne sais pas comment ce Wyvern s'y prend mais ils sont très disciplinés.
- Autant que les tiens…
- Merci. J'ignorais que tu avais une si haute opinion de mes effectifs.
- Kassa, je ne t'aime pas, mais ce n'est pas pour ça que je ne suis pas capable de reconnaître tes compétences. Je sais ne pas me laisser aveugler par mes sentiments et être objectif.
- Puis-je savoir pourquoi tu ne m'apprécies pas ?
- Parce que je n'arrive pas à me faire une opinion sur toi. Tout ce que je sais c'est que ton dévouement et ta loyauté sont indiscutables. Et tu l'as prouvé. Ce que j'ignore, c'est pourquoi. Personne ne sait rien de toi, à part le Roi, sûrement. Et ça, vois-tu c'est perturbant. J'ai besoin de connaître mes hommes pour les utiliser au mieux de leurs capacités pour le bien du Royaume.
- Je ne rends de comptes qu'à Poséidon. De ce fait, j'échappe à ton commandement. Crois-moi, je ne suis pas le monstre que tu penses.
- Comment puis-je en être sûr ? Tu ne parles jamais de toi, tu ne te mêles jamais à nous lors d'un repas amical. On ne te voit qu'aux Conseils. Je ne sais même pas si tu préfères les hommes ou les femmes, alors que c'est une chose que je connais chez tous les autres ! finit par dire Kanon en souriant.
- J'aime les deux, si c'est ça qui t'inquiète.
- Comment es-tu devenu Ministre des Renseignements ?
- Tu veux que je te raconte ma vie, c'est ça ?
- Oui ! Oui ! C'est exactement ça ! J'en ai assez de me méfier de toi. Surtout que je n'ai aucune raison de le faire, ton travail est exemplaire mais je ne peux m'en empêcher.
- C'est tout à ton honneur de faire le premier pas. D'autres auraient tenté d'obtenir ce genre d'informations par des moyens détournés. Mais je m'en serais rapidement aperçu.
- Qu'est-ce à dire ? Que tu nous espionnes nous aussi ?

Kassa ne répondit pas et eu un sourire énigmatique qui fit frissonner le Général.

- Rien de ce qui se passe dans ce Palais ne m'échappe. Je suis au courant de tout.
- Tiens donc… Prouve-le-moi !
- La veille de partir pour Lycos, tu as passé la nuit avec Io !

Kanon écarquilla les yeux de surprise. Il n'y avait pourtant personne dans les couloirs. A l'allée comme au retour. Alors comment Kassa pouvait-il être au courant ?

- Comment sais-tu cela ?
- Ne me demande pas de te dévoiler mes secrets, je ne le ferai pas.
- Tu as agi sur ordre du Roi ?
- Non. Mais c'est grâce à ça que j'ai pu démanteler le réseau d'espionnage des Amazones. L'un des nôtres avait une maitresse alors je me suis renseigné sur elle. Et c'est comme ça que j'ai découvert le pot aux roses. Si je n'avais pas installé mon propre réseau de surveillance, jamais je ne m'en serais aperçu, ni même douté. C'était une espionne d'Antiope. Son but était d'arriver à approcher le Roi ou ses ministres pour obtenir des informations de première main avec la certitude qu'elles soient exactes. Pourquoi crois-tu qu'il soit impossible de pénétrer le Palais d'Ebène ?
- Vu sous cet angle, on ne peut pas t'en vouloir.
- En fait ce n'est pas tant vous que j'espionne que ceux qui gravitent autour de vous. Ton écuyer, Ethain, a fait l'objet d'une enquête de ma part et je te rassure, il est blanc comme neige. Enfin plus tout à fait depuis qu'il a passé une nuit dans les bras d'une jeune marchande, sourit Kassa.
- Tu sais ça aussi ?
- Oui.
- Tu ne m'as pas répondu tout à l'heure. Comment as-tu été nommé Ministre ?

Kassa posa sur le Général un regard insondable. Impossible de savoir ce qu'il pensait. Une fois encore, Kanon eut l'impression qu'il allait se volatiliser sous ses yeux.

- Dès mon plus jeune âge, mon père m'a formé à ce… métier. J'ai reçu une éducation stricte et des plus variées. Un jour, je devais avoir quatorze ou quinze ans, il m'a confié ma première mission. Je devais lui faire un rapport sur les activités de chaque Ministre durant une journée. Ce que j'ignorais, c'est qu'il allait faire la même chose de son côté pour voir si j'allais tout remarquer. Et j'ai accompli ma mission. J'ai passé ce test haut la main. Il en a parlé au Roi, mais je n'en ai pas su d'avantage. Il y a cinq ans, tu dois te souvenir de la bataille du Main Bread Winner, Poséidon avait enrôlé tous ses hommes. Mon père est parti se battre. Il s'est fait tuer. Quelques temps plus tard, le Roi m'a nommé Ministre des Renseignements à sa place, tout simplement.
- Il avait préparé le terrain pour toi…
- On peut dire ça…
- Mais… quel âge avais-tu ?
- Vingt-quatre ans.
- Le Roi devait avoir confiance en tes capacités pour te nommer si jeune.
- Chacun de nous était jeune et sans expérience quand nous avons dû reprendre un Ministère. Mais nous n'avions pas le choix, Kanon. Le Royaume devait continuer à fonctionner. Nous avons appris au fur et à mesure.
- Et ta mère ?
- Décédée, il y a dix ans d'une pneumonie.
- Je suis désolé, je pensais qu'elle était encore en vie.
- Ce n'est rien…, répondit le Marquis en détournant le regard.
- J'aimerais que tu mettes l'accent sur Giudecca, enchaina le Général, gêné de sa maladresse. Il faut absolument qu'on en sache plus. Hadès est-il dangereux pour nous ou pas ?
- Je m'en occupe, compte sur moi.

Kanon sortit après l'avoir remercié. Kassa appela son secrétaire et lui demanda de convoquer deux de ses espions. Quelques instants plus tard, une femme et un homme entraient dans le bureau de leur Général et s'assirent sur les sièges qu'il leur indiqua.

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Blissfull Stillness - Dan Gibson's Solitudes
Thétis et Isaak se rencontrent

La journée était froide mais ensoleillée. Bien à l'abri au pied de certains arbustes ou au creux de quelques pierres, les premiers crocus et perce-neiges avaient montré le bout de leurs coroles bleues et blanches(1). Les températures étaient relativement douces en bord de mer et il ne neigeait que rarement. Alors ces jolies fleurs ouvraient leurs boutons et formaient des taches de couleurs un peu partout sur les plaines et les prairies. Un cavalier empruntait le chemin étroit qui menait à la plage. Enveloppée dans un chaud manteau de laine, la jeune femme avait ôté sa capuche et ses longs cheveux blonds flottaient au vent. La jument baie, répondant au joli nom de Doris(2), avançait d'un pas sûr sur le chemin pierreux. Arrivée sur le sable de la plage qui bordait le bas des falaises, Thétis éperonna sa monture qui s'élança au triple galop. Penchée sur l'encolure, la jeune femme l'encourageait de la voix à aller toujours plus vite. Elle se laissa bercer par le martèlement des sabots étouffé par le sable gris et humide. Le vent frais lui cinglait le visage et faisait pleurer ses beaux yeux. Elle était heureuse.

Au loin, elle vit se profiler la silhouette d'un cavalier. Elle ralentit l'allure et le rejoignit en souriant. Il la regarda avec une lueur d'émerveillement dans le seul œil qui lui restait, l'autre ayant été emporté par un soldat du Sanctuaire. Une vilaine balafre le défigurait, mais ça n'avait aucune importance.

- Bonjour Seigneur Isaak, fit la jeune femme en s'approchant encore jusqu'à coller les flancs de leurs chevaux l'un contre l'autre.

Pour toute réponse, il attrapa vivement sa nuque et colla ses lèvres au siennes. Elle répondit au baiser sauvage.

- Viens… lui souffla-t-il.

Il talonna son cheval et se dirigea vers la falaise. L'entrée d'une caverne se dessina où les deux jeunes gens pénétrèrent. Après avoir attaché leurs chevaux à un vieux tronc d'arbre certainement apporté là par une tempête, ils s'enfoncèrent dans les profondeurs de la roche. Le boyau qu'ils longeaient bifurqua sur la gauche et s'ouvrit sur une petite salle ou brulait un feu, seule source de lumière dans ce lieu. Au sol étaient étalées des fourrures de phoques sur lesquelles un panier était posé.

- Tu as soif ? demanda Isaak en l'ouvrant pour en sortir deux coupes en argent et une bouteille de vin.
- Oui, merci.
- Assied-toi. Ton frère sait-il que tu es là ?
- Sorrento sait que je viens tous les jours faire du cheval sur la plage…

Installés sur les fourrures, ils sirotèrent leur boisson en silence sans se lâcher des yeux.

- Nous devrions lui parler, non ? dit le jeune Baron en enlevant sa cape.
- Je pense qu'il se doute de quelque chose, mais il doit attendre que tu fasses le premier pas.
- Et que je lui demande officiellement la permission de te faire la cour.
- C'est ça… Si tu lui demandes directement ma main, il va comprendre que nous nous voyons en secret depuis longtemps…
- … et il pourrait se braquer…
- Exactement…
- Et toi ? Qu'en penses-tu ?
- J'ai hâte d'être ta femme…

Disant cela, elle s'approcha et embrassa son prétendant avec douceur.

- C'est bientôt ton anniversaire, non ? reprit-elle en se levant pour faire le tour du feu.
- Dans quelques jours…
- J'ai un cadeau pour toi… mais je ne crois pas que je vais pouvoir attendre pour te l'offrir…
- Je suis impatient de savoir de quoi il s'agit…

Thétis s'agenouilla auprès du jeune homme, sur les fourrures et passa une main tendre sur sa joue. D'un geste empreint d'une grâce infinie, elle dénuda son épaule, puis l'autre. Isaak déglutit avec difficulté. Il avait soudain la bouche sèche. La robe de laine glissa jusqu'à la taille, dévoilant un buste parfait. Le Marquis sentit le désir lui tordre violemment le ventre. Son œil unique caressait amoureusement la moindre courbe.

- Je veux être à toi, murmura-t-elle, je veux être ta femme…
- Thétis…, souffla-t-il.

Sans trop savoir comment, il se retrouva emprisonné entre deux bras fins mais forts, allongé sur un corps qu'il désirait plus que tout. Il se redressa un instant pour ôter son pourpoint et sa chemise. Un gémissement de plaisir franchit les lèvres de Thétis lorsqu'elle sentit la peau brulante de son promis contre la sienne. Elle commençait à entrevoir les délices dont elle avait souvent entendus parler par ses servantes. Mais elle était loin d'imaginer que cela pouvait être aussi intense, aussi fort.

Les mains et les lèvres d'Isaak parcouraient avec une lenteur respectueuse ce corps offert et dont il avait tant rêvé. Même si la jeune femme était consentante, il savait qu'elle ignorait tout de ce qui allait suivre. Oh, il se doutait bien qu'elle était parfaitement au courant de ce qui se passait entre un homme et une femme, mais le savoir et le vivre étaient deux choses bien différentes. Alors, malgré le désir qui lui raidissait les reins, il s'appliqua à lui faire découvrir les joies du corps, jusqu'à ce qu'il sente qu'elle était prête à aller plus loin, à l'accueillir.

Elle cria sous l'intrusion douloureuse, mais très vite, le plaisir lui fit tout oublier. Elle serra Isaak contre elle, enroula instinctivement ses longues jambes autour de ses hanches et l'accompagna dans ses mouvements. Elle s'offrait complètement, avec l'abandon total que seul l'amour peut inspirer.

Le cœur du jeune Baron cognait à tout rompre dans sa poitrine. Dans la chaleur de ce ventre, il crut se perdre mille fois. Il usa de toute son expérience dans ce domaine pour donner du plaisir à la femme qu'il aimait plus que tout. Les cris qu'elle poussait étaient une véritable torture pour lui. Douce, certes, mais ô combien usante pour sa résistance. Lui aussi finit par gémir dans le creux chaud de son cou. Il la sentit se tendre comme un arc lorsque le plaisir ultime la foudroya, alors il se laissa aller lui aussi à l'éprouver.

Ils restèrent longtemps blottis dans les bras l'un de l'autre, à regarder les flammes danser sur les buches, au milieu du cercle de pierre du foyer, savourant le bien-être qui berçait leurs corps et leurs esprits.

- Thétis ?
- Hmm…
- Je ne veux pas attendre plus longtemps. Je veux t'épouser.
- Moi aussi je veux qu'on se marie, mon amour, mais tu connais mon frère. Il est très conservateur. Tu devras d'abord me courtiser.
- Et pendant combien de temps ?
- Jusqu'à ce qu'il soit certain que tes sentiments envers moi sont bien sincères.
- Nous en sommes donc réduits à nous voir en cachette en attendant que Sorrento me fasse confiance pour assurer ton bonheur.
- J'en ai bien peur…
- Thétis, je t'aime, déclara-t-il en se redressant pour la regarder. Je suis sûr de mes sentiments pour toi. Pourquoi dois-je encore attendre pour te faire Baronne ? fit-il en regardant la jeune femme.
- Moi aussi je t'aime, poursuivit-elle en s'asseyant à son tour. Malheureusement, Sorrento est très attaché aux traditions.
- Pour notre plus grand malheur…

Les deux jeunes gens se rhabillèrent car il fallut songer à rentrer. La nuit tombait vite en cette saison et les sentiers qui devaient les reconduire au Palais de Corail ne seraient bientôt plus visibles. Ils se séparèrent sur la plage non sans avoir échangé un baiser fiévreux et empreint d'impatience de se donner encore l'un à l'autre désormais. Ils ne virent pas la silhouette d'un cavalier qui les observait, au sommet de la falaise…

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Le Roi Poséidon revenait de la crypte funéraire de la famille Royale(3). Il était resté longtemps à l'intérieur. Entièrement construite en corail blanc, il resta à regarder les six colonnes cannelées qui supportaient le fronton triangulaire sans vraiment les voir avant de faire demi-tour. Comme à chaque fois, son pas était lourd, ses épaules voutées. Son regard d'ordinaire vif et brillant était terne, éteint. Une fois par mois, il allait se recueillir dans le tombeau de son épouse. La Reine Amphitrite avait été pour lui, une femme hors du commun. Fille d'un riche commerçant, il était tombé éperdument amoureux d'elle. Mais il était destiné à épouser une Princesse et son père s'était radicalement opposé à cette union. Mais il mourut prématurément et une fois sur le trône, Poséidon put se marier avec Amphitrite. Elle avait dirigé le Palais de Corail d'une main de fer et les habitudes prises par les serviteurs étaient toujours respectées. Elle avait assisté aux Conseils Royaux et Poséidon lui demandait souvent son avis. Si au début cela avait surpris, voir même choqué ses ministres, il s'avéra que son point de vue, purement féminin, n'était pas dénué d'intérêt, ni même de bon sens.

Ce furent les plus belles années de sa vie, malgré la guerre qui faisait toujours rage. Puis elle lui donna Julian. Et son bonheur fut complet. Son décès, suite à un accident de cheval, l'avait laissé meurtri. Le Prince n'avait que huit ans quand survint le drame . Une intensification des combats le tint éloigné de son fils et de son éducation qu'il laissa aux précepteurs et maîtres d'armes. Le jeune homme comprit bien vite qu'il pouvait plus ou moins en faire à sa guise, étant donné que tout le monde, ou presque, obéissait au Prince héritier.

Aujourd'hui, cet espoir de paix entre les Océans et le Sanctuaire allait lui donner la possibilité de renouer avec son fils des liens qui n'auraient jamais dû être négligés. L'arrivée de Kanon, sa fermeté, sa sévérité parfois, avait plus d'une fois recadré Julian, lorsque celui-ci dépassait les bornes. Et maintenant, c'était à lui de reprendre en main son fils, son seul et unique enfant, celui que lui avait donné son épouse adorée. En lui, il retrouvait la beauté de sa mère, son emportement également, sa fougue, mais aussi sa douceur. La guerre avait privé Julian de son père depuis bien trop longtemps.

The Anascaul Polka - O'Connor Celtic Band
Julian et Yadav

Cette résolution fut comme un baume sur son cœur broyé. Poséidon redressa les épaules et parcourut, d'un pas plus assuré, la fin du sentier qui le ramenait au Palais. En pénétrant dans son bureau, il demanda à son Chambellan d'aller chercher son fils.

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Julian menait un train d'enfer, suivit de près par Yadav(4) le fils du Baron de Chrysaor. Les deux jeunes gens s'entendaient bien et l'on voyait rarement l'un sans l'autre. Partis pour faire une promenade à cheval, les voilà en train de se défier pour savoir lequel des deux arriverait le premier aux écuries. L'Akhal-Teke(5) du Prince était indéniablement plus rapide que l'Andalou de son ami, mais pas de beaucoup. Julian ne cessait de se retourner. Il entendait le galop du pur-sang derrière lui. Il se coucha sur l'encolure et éperonna les flancs de l'animal qui accéléra.

Ils franchirent la herse des remparts dans un tonnerre de sabots et ne s'arrêtèrent que dans la cour de l'écurie où deux jeunes palefreniers prirent les chevaux en charge pour les mener à leur stalle.

- Ah ! J'ai encore gagné ! s'écria Julian en narguant son ami.
- Décidément, ton cheval est imbattable !
- Non ! Son cavalier est excellent ! Ce n'est pas la même chose ! fanfaronna le Prince.
- En tout cas, personne n'a encore pu battre le pur-sang Arabe(6) du Seigneur Kanon ! Même le tien !
- Tinos(7) est encore jeune et manque de musculature. Attend encore deux ans et même Kanon ne verra que son arrière-train !
- De qui verrai-je l'arrière-train ?

La voix grave derrière eux les fit sursauter. Ils se retournèrent pour tomber nez à nez avec le Général qui avait du mal à ne pas rire.

- Je disais à Yadav que…
- J'ai entendu… On en reparlera dans deux ans ! Vous êtes-vous inscrit à la course des Trois Rivières ?
- Si tu y participes, ça ne sert à rien ! bougonna le Prince. Tu vas encore gagner !
- Sont-ce là des paroles dignes d'un futur Roi ? Où est ta combativité ? Ton courage ? Si tu en a assez de me voir remporter la course, tu dois y venir et faire de ton mieux pour me battre !
- C'est ce que me dit mon père, fit Yadav en bombant le torse. Et puis, un jour ou l'autre, quelqu'un sera plus rapide que vous.
- Ça ne fait aucun doute ! sourit Kanon en reportant son regard sur Julian. Ton père t'attend dans son bureau. J'ai croisé Orion qui te cherchait.
- J'y vais. Ah oui, pourrais-tu me rejoindre chez moi un peu plus tard ? J'ai quelque chose à te demander.
- Je dois aller voir quelqu'un. Mais je viendrai dès mon retour.

Le Général et Yadav regardèrent le Prince s'éloigner. Le jeune homme se tourna vers l'ami de son père et l'observa. Cet homme l'impressionnait par son charisme.

- Comment faites-vous pour gagner cette course depuis cinq ans maintenant ? lui demanda-t-il alors qu'ils entraient dans l'écurie.
- Tu veux connaître mon secret ? Crois-tu vraiment que j'en ai un ?
- Je ne sais pas… Dites toujours…
- Il n'y a aucun secret, Yadav. Je connais mon cheval, je sais ce qu'il peut endurer. Le reste est question de tactique, de stratégie. Savoir sur quelle partie du parcours il faut accélérer ou maintenir l'allure.
- Que me conseilleriez-vous ?
- Tu connais le tracé de la course. Arpente-le, étudie-le. Définis ta propre tactique, réfléchis, établis une stratégie de course. A l'arrivée tu constateras si elle a été efficace ou pas. Si ce n'est pas le cas, tu en changeras à la prochaine.
- Ça parait simple à vous entendre…
- Parce que quelque part, ça l'est.
- Mais vous appliquez une méthode que l'on emploie à la guerre, sur un champ de bataille !
- C'est un peu ça…
- Je n'ai jamais combattu…
- Et avec de la chance, ça n'arrivera pas. Demande à ton père de t'aider. Dis-lui aussi que je passerai le voir demain matin ! termina le Général en enfourchant Golden d'un bon puissant.
- Je lui dirai !

Le jeune homme regarda Kanon s'éloigner au galop vers les portes de la Cité , faisant fuir tous ceux qui se trouvaient sur le passage de son cheval. Puis il rejoignit le sien. Il avait envie de rester avec lui, de s'en occuper. Il était persuadé qu'en faisant preuve d'affection, l'animal le sentait et qu'il en était reconnaissant.

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Depuis la mort de son père, Kanon avait installé sa mère dans une petite maison, de l'autre côté du lac Patras. Le duché de SeaDragon était situé sur la côte nord-est du Royaume, dans une région dévastée par la guerre. Aussi Kanon avait-il jugé plus prudent de loger sa mère plus près du Palais de Corail où il résidait en permanence. Son château et ses terres étaient complètement à l'abandon et une femme de son âge n'y aurait pas été en sécurité. De plus il était totalement inutile de risquer la vie de quelques personnes pour s'occuper d'elle et de son domaine. Il serait temps de le faire si, un jour, la paix régnait à nouveau. Et peut-être que cela arriverait plus tôt que chacun ne le croyait.

Une servante s'occupait de la Duchesse de SeaDragon, parfaitement consciente de qui était son fils. Aussi prenait-elle bien soin de la vieille femme, ne sachant trop que, quelque part, elle était privilégiée. Ce n'était pas donné à tout le monde d'être au service d'un ministre, surtout du plus influant en ces périodes de troubles. Aussi ne fut-elle pas étonnée d'entendre un galop. Elle posa la marmite sur le feu et jeta un œil par la fenêtre juste à temps pour voir Kanon sauter de son cheval.

Machinalement, elle rajusta sa mise et se rendit auprès de Maïa(8), qu'elle regarda avec une certaine tendresse. Elle avait fini par s'attacher à la vieille Duchesse qui lui racontait, parfois, dans ses rares moments de lucidité, comment était son mari, Glaucos(9), lui aussi Général du Roi ou comment, ils avaient recueilli leur fils. Comprenant là qu'elle détenait une information qui valait son pesant d'or, Darina(10) la garda précieusement pour elle. Peut-être aurait-elle l'occasion de la monnayer. Mais jusqu'à présent, la crainte de cet homme puissant, Ministre de son état et surtout Général de Sa majesté avait retenu la jeune femme de parler. Et puis, elle ambitionnait de se faire épouser alors, il valait mieux passer pour quelqu'un en qui on peut avoir confiance.

Mais avec le temps, son attachement à Maïa lui donna mauvaise conscience. On ne pouvait en vouloir à qui que ce soit d'avoir sauvé un enfant d'une mort certaine. Et surtout, à chacune de ses visites, Darina tombait un peu plus sous le charme du Général. Et pour rien au monde, elle ne voulait lui nuire. Elle s'approcha de Maïa et prit ses mains dans les siennes.

- Votre fils vient d'arriver, lui murmura-t-elle en souriant.

Aussitôt le visage de Maïa reprit vie. Ses prunelles rose foncé s'illuminèrent de ce qu'on aurait pu appeler un éclat de joie.

- Je vais l'accueillir, reprit-elle, délaissant la vieille femme.

Elle s'empressa d'aller ouvrir la porte pour voir Kanon revenir de l'écurie où il avait laissé son cheval. Il leva la tête et lui sourit. Le cœur de la jeune femme battait à tout rompre dans sa poitrine. Elle rougit légèrement.

- Bonjour Darina !
- Bienvenu chez vous, Seigneur Kanon.
- Comment va ma mère ?
- Elle est un peu agitée ses jours-ci, surtout la nuit. On dirait qu'elle fait des cauchemars.
- Ça ne me surprend guère. Elle a perdu la notion du temps qui passe, mais on dirait qu'elle sait que l'anniversaire du décès de mon père est dans deux jours. Vous reste-t-il de la tisane prescrite par le Seigneur Antée ?
- Oui, un peu. Je lui en donne de temps en temps.
- Vous pouvez lui en donner tous les soirs. Antée m'a dit que cette préparation est totalement inoffensive mais très efficace pour un sommeil paisible.
- Alors il faudrait que vous en rapportiez à votre prochaine visite.
- Je le ferai. Et vous ? Comment allez-vous ?
- Je vais bien Seigneur. Merci.
- Je me doute qu'être au service d'une vieille femme ne doit pas être amusant tous les jours, et je vous remercie pour votre dévouement.
- Ce serait mal venu de ma part de me plaindre. Je suis bien payée et le travail n'est pas si pénible, sourit-elle.
- Vous devez vous sentir seule par moment. Votre famille ne vous manque pas ?
- Si, bien sûr, mais je profite de vos visites pour me rendre auprès d'eux.
- Alors ne traînez pas. Je suis là, allez voir les vôtres ! Je m'occupe de ma mère.
- Merci Seigneur. Je serai de retour pour préparer le diner.

Il la regarda grimper les escaliers deux par deux jusqu'à l'étage supérieur où se trouvait sa chambre. Un sourire étira ses lèvres. Il se dirigea vers le salon où il savait trouver sa mère. Il se débarrassa de sa cape et de ses armes sur l'un des fauteuils et alla vers elle. Il s'agenouilla devant elle et capta son regard.

- Bonjour mère, murmura-t-il en prenant sa main fine et ridée dans la sienne.

Elle baissa vers lui un regard vide. Elle le voyait, mais semblait ne pas le reconnaître. Puis une lueur apparut.

- Glaucos ?
- Non mère. C'est moi, Kanon, votre fils.
- Mon fils ? Où est Glaucos ? Où est mon époux ? s'agita-t-elle, regardant de partout dans la pièce.
- Je suis navré, père n'est plus là. Il est… il est mort… à la guerre.
- Mort ? Ah oui… je me souviens… Qui êtes-vous, jeune homme ?
- Je suis votre fils, Kanon.
- Mon fils ? Je n'ai pas de fils.
- Allons mère, souvenez-vous des promenades à cheval que nous faisions sur la grande plage de notre domaine.
- Oui… Les promenades… vous devez être cet enfant que nous avons trouvé sur la grève et que nous avons adopté et élevé…

Pour une raison obscure, Kanon sut que la Duchesse disait la vérité. Son premier souvenir était le visage de Maia. Il se rappelait des bains de mer. Il savait nager, tout comme monter à cheval. Mais avant ce premier souvenir, rien. A part ce cauchemar où il se noyait et appelait un nom… Son cœur se glaça dans sa poitrine en proie à une douleur infinie.

- Vous n'êtes pas mon fils… Je n'ai jamais pu avoir d'enfant…

Ooooo00000ooooO

Wisdom - Ron Allen et One Sky
Le secret de SeaDragon

Lorsque Darina rentra, il faisait presque nuit. Aussitôt, elle alla à la cuisine et suspendit la marmite de soupe au-dessus du feu de la cheminée. Elle fila déposer ses affaires dans sa chambre et redescendit au salon. Elle le trouva plongé dans le noir. Allumant rapidement quelques chandelles, elle fut surprise de trouver la Duchesse paisiblement endormie sur son fauteuil et le Duc assis devant la fenêtre, sa tête appuyée contre ses bras croisés sur ses genoux repliés. Lui aussi semblait dormir. Elle s'approcha et posa une main sur son épaule pour le réveiller. Il releva la tête et plongea son regard dans les yeux de la jeune femme. Ce qu'elle vit la laissa sans voix. Ce regard d'ordinaire si pétillant, si charmeur était débordant de tristesse et de douleur. Elle fronça les sourcils en une question silencieuse, mais avant qu'elle n'ait pu la formuler à voix haute, elle se retrouva prisonnière de deux bras puissants. Le Duc sanglotait comme un enfant, le visage enfoui dans sa jupe contre son ventre.

- Seigneur Kanon…, murmura-t-elle après quelques instants, ne sachant trop quelle attitude adopter. Que se passe-t-il ? osa-t-elle enfin demander.
- Vous saviez, n'est-ce pas ? fit-il une voix éteinte, entre deux sanglots.
- Quoi donc ? Je ne comprends pas… Ne restez pas là par terre, vous allez attraper froid. Je vais vous préparer une boisson chaude mais d'abord, aidez-moi à mettre votre mère au lit.

Il obéit sagement et porta la Duchesse jusque dans sa chambre. Darina la prépara rapidement pour la nuit avant de revenir au salon où elle trouva le Général à nouveau assis devant la fenêtre.

- Venez boire ceci, fit-elle en l'aidant à se lever pour le conduire jusqu'au fauteuil

Kanon se laissa faire comme un enfant. Il était anéanti, plus rien n'avait de sens. Sa vie ne voulait rien dire. Ce n'était qu'une mascarade, un mensonge. Il but ce que Darina lui mit dans les mains sans se poser de question. Cela aurait pu être du poison qu'il serait tombé raide mort, sans avoir eu la moindre méfiance.

- Que s'est-il passé ? Qu'est-ce qui vous a mis dans un tel état ? demanda-t-elle d'une voix douce et compatissante.
- Vous saviez que je ne suis pas leur fils ! assena-t-il, d'une voix grondante.

Il la dévisageait avec un regard plein de souffrance et de colère. D'incompréhension et de révolte. La jeune femme fut émue de voir cet homme si fort aussi fragile qu'un nouveau-né. Parce que c'est exactement l'impression qu'elle avait. Alors, sans vraiment savoir ce qu'elle faisait, elle s'assit à ses cotés et le prit dans ses bras pour le bercer. Il se laissa aller à ce contact, entourant de ses bras la taille de la servante.

- Elle m'en a parlé, il y a environ deux ans, commença-t-elle. A l'époque elle avait encore de longs moments de lucidité. Elle savait qui j'étais, qui vous étiez, que votre père était mort et les raisons pour lesquelles vous l'aviez installée dans ce petit manoir.
- Que vous a-t-elle raconté ?
- Ils vous ont trouvé sur la plage de votre domaine. Près de vous, il y avait des morceaux d'épave, ils en ont déduit que vous étiez à bord d'un bateau qui avait dû faire naufrage. Vous étiez encore vivant alors ils vous ont ramené chez eux. Vous êtes resté longtemps sans reprendre connaissance, plusieurs jours. Parfois vous deviez rêver, vous n'arrêtiez pas d'appeler quelqu'un.
- Qui ?
- Euh… Elle m'a dit le nom… Saka je crois…
- Saga ?
- Oui ! C'est ça ! Saga ! Quand vous vous êtes réveillé, vous ne vous souveniez plus de rien. Vous n'aviez qu'une médaille avec votre prénom dessus. Comme ils n'ont jamais pu avoir d'enfant, ils vous ont gardé et élevé comme si vous aviez été leur fils. Votre mère disait que vous étiez son cadeau des Dieux, termina-t-elle en souriant.

Kanon se redressa légèrement, soudainement conscient de ce que leur position pouvait avoir d'ambigu. Il regarda Darina et eut l'impression de la voir pour la première fois.

- Que pensez-vous de tout cela ?
- Je ne comprends pas votre question.
- Croyez-vous que ce soit la vérité ?
- Je n'ai pas connu votre père, et vous ne ressemblez pas à votre mère.
- Mon père était plus petit que moi, mais plus trapu. Il avait les cheveux noirs et courts et les yeux d'un orange flamboyant comme le soleil couchant. Sa peau était claire alors que la mienne est mate.
- Vous n'avez donc aucune ressemblance avec vos parents. Votre mère a certainement dit la vérité. Cela a l'air de vous mettre mal à l'aise.
- Darina, qui suis-je si je ne suis pas leur fils ? Qui sont mes vrais parents ? Et qui est ce Saga que j'appelle encore aujourd'hui dans mes rêves ?
- Vous faites des cauchemars ?
- Depuis quelques semaines…
- Peut-être que ces révélations vont vous aider à les comprendre. N'avez-vous jamais eu… d'intuitions ? De sensations étranges ?
- Comment cela ?
- Un peu comme si, par moments, vous ne vous sentiez pas à votre place ? Comme si vous vous sentiez étranger au sein de votre famille ?
- Eh bien… j'avoue qu'il m'est arrivé de ressentir quelque chose d'assez similaire, répondit-il après quelques instants de réflexion.
- Surtout n'allez pas croire que vous n'êtes personne, Seigneur Kanon. Vous êtes Général et Duc de SeaDragon. Si vous ne l'êtes pas par le sang, vous l'êtes par vos actes. Vous méritez vos titres et votre grade. Vous êtes digne de votre père et vous faites honneur à sa mémoire. Où qu'il soit, je sais qu'il est fier de vous.
- Votre admiration me flatte et me touche bien plus que je ne saurais le dire. Ces révélations m'ont beaucoup secoué. Il va me falloir un peu de temps pour… accepter.
- Si je puis me permettre…
- Quoi donc ?
- Ne dites rien à personne. Si pour la plupart des gens, cela ne changera rien parce qu'ils vous connaissent et qu'ils vous aiment, pour d'autres, qui auraient moins d'estime pour vous, ça ne ferait qu'apporter de l'eau à leur moulin. Ils seraient trop contents de clamer que vous n'êtes pas un noble, que vous ne méritez pas ce que vous avez. Et cela ne ferait que vous faire souffrir d'avantage.
- Est-ce que cela change quelque chose pour vous ?
- Vous savez bien que non. Je vous connais… Vous êtes un fils aimant et respectueux. Et si vous ne venez pas souvent, c'est parce que les affaires du Royaume requièrent votre présence. Non pas parce que vous n'avez pas envie de venir. Je sais bien que si vous aviez pu, vous auriez installé votre mère au Palais.
- C'est vrai, je le reconnais, sourit le Général. Vous ne me voyez donc pas avec d'autres yeux ?
- Non…
- Ça fait si mal… murmura-t-il, ses yeux s'emplissant à nouveau de larmes.

Darina l'attira à nouveau contre elle. Il se laissa aller dans la chaleur réconfortante de la jeune femme. Ça lui rappelait les tendres étreintes de sa mère lorsqu'il était encore très jeune et son père se moquait gentiment de lui. Sous son oreille, il entendait battre le cœur de Darina un peu vite. Elle devait être émue, elle aussi. En tout cas, il devait s'avouer qu'elle savait garder un secret. Elle était au courant depuis deux ans et n'avait rien dit. Il sentit qu'elle resserrait son étreinte, sa main caressant son épaule. Il se sentait mieux, il était bien là. Darina était douce et intelligente. Compréhensive aussi. Elle sentait bon le chèvrefeuille. Il releva un peu la tête et sa joue reposa tout contre la peau de sa gorge. Il la sentit poser sa tête sur la sienne, comme on le ferait avec un enfant pour le rassurer. A croire que toutes les femmes ont un peu les mêmes gestes lorsqu'il s'agit d'apaiser la peine de quelqu'un, quel que soit son âge. Mais ce qu'il commençait à ressentir n'avait rien d'enfantin.

Il s'écarta légèrement et la regarda. Elle soutint ce regard sans ciller. Lorsqu'il posa ses lèvres sur les siennes, elle ne se déroba pas. Elle répondit avec cette gentillesse qui la caractérisait. Et les choses allèrent très vite. Les mains d'abord, partirent se perdre sous les habits, cherchant la peau hérissée de frissons. Puis, rapidement, les vêtements girent au sol alors que sur le fauteuil, deux corps s'enlaçaient pour un ballet fiévreux et sensuel. L'impatience de Kanon ne surprit pas Darina qui s'offrit totalement à cet homme qu'elle désirait ardemment. Elle qui rêvait de se faire épouser, se contenterait d'être simplement sa maîtresse s'il lui faisait toujours l'amour ainsi. Elle ne compta plus le nombre de fois où elle se perdit dans les méandres du plaisir ultime. Il était fort dans ses étreintes, puissant dans ses coups de reins, tendres dans ses caresses, passionné dans ses baisers. Respectueux dans sa façon de la regarder jouir.

Pourquoi avait-il envie de sentir la chaleur d'un corps l'envelopper ? Il n'aurait su le dire, mais Darina était là, et visiblement consentante. Il prit tout ce qu'elle lui offrait. Il se délecta une bonne partie de la nuit de la peau soyeuse de ses cuisses, du velouté de celle de ses seins. Elle avait du savoir-faire et cela lui plut. Et toujours la même douceur dans les gestes et les yeux. Il en avait besoin et elle l'avait compris.

A leur réveil, ils virent qu'ils avaient dormi à même le sol, sur le tapis, leurs vêtements leur servant de couvertures. Darina s'habilla rapidement et s'enfuit dans la cuisine pour leur préparer quelque chose à manger. La Duchesse n'allait pas tarder à s'éveiller et il faudrait s'occuper d'elle.

- Tu regrettes ? fit la voix rauque de son amant de la nuit, nonchalamment appuyé contre le chambranle de le porte.
- Non.
- Pourquoi ne me regardes-tu pas ?

Elle se figea un instant, cherchant la réponse à cette question.

- Je crois que… que j'ai peur de ce que vous pourriez lire sur mon visage…
- Ou dans tes yeux. Regarde-moi.

Elle posa le couteau qu'elle utilisait pour trancher la miche de pain et se tourna vers Kanon, puis finit par lever les yeux vers lui. Il s'approcha et la prit dans ses bras.

- Je sais que tu as des sentiments pour moi.
- Non ! Ce n'est pas… enfin… je sais… je vous trouve séduisant et… attirant, mais c'est tout…
- Vraiment ? Moi j'ai beaucoup d'affection pour toi et c'est en grande partie parce que tu t'occupes très bien de ma mère. Mais pas uniquement.
- Ne dites pas de telles choses, protesta-t-elle en se dégageant doucement pour retourner couper le pain.
- Pourquoi ? Parce qu'elles te mettent mal à l'aise ?
- Un peu… Ecoutez, ce qui s'est passé, nous le voulions tout le deux. Ce n'est pas comme si vous alliez m'épouser parce que nous avons fait une bêtise.
- La bêtise est peut-être déjà faite. Je ne sais pas si j'ai pu me retirer à temps à chaque fois.
- Oh… Eh bien… ce n'est pas grave. Si c'est ainsi que ça doit être, alors cela sera. Il reste du rôti d'hier mais il est froid.
- Ce sera parfait. Darina, si tu es enceinte, j'assumerai mes responsabilités.
- Non ! s'écria-t-elle en le clouant d'un regard furieux.
- Pardon ?
- Vous croyez que j'ai envie qu'on dise de moi que pour me faire épouser, je me suis laissée engrosser volontairement ? Si je suis enceinte, je me débrouillerai. Vous n'aurez pas à endosser ce fardeau.
- Mais il n'est pas question d'endosser quoi que ce soit ! Et avant de tout refuser en bloc, écoute ce que je veux te dire !

Kanon avait haussé le ton pour se faire entendre car le petit bout de femme qu'il avait devant lui était persuadé qu'il pensait qu'elle l'avait piégé.

- Si tu es enceinte, je ne t'épouserai pas. J'ai bien compris que tu prendrais cela très mal. Mais par contre, tu ne manqueras de rien et je reconnaîtrai mon enfant. Si comme tu le dis, ce doit être le destin, alors ce sera ainsi. Je n'ai pas pour habitude de fuir mes responsabilités. Si tel était le cas, je serai un bien piètre Général.
- Oh… fit-elle, penaude. Eh bien… élever un enfant seule n'est pas simple, et si je n'ai pas à me soucier de ses besoins, j'accepte votre proposition. Mais nous mettons peut-être la charrue avant les bœufs. Je ne suis peut-être pas enceinte.
- C'est juste. Mais si c'est le cas, je veux que tu me le dises. Ne t'avise pas de me cacher une telle chose !
- Non ! Je vous en informerai. Repartez-vous aujourd'hui ou bien resterez-vous encore un peu avec votre mère ?
- Je dois repartir. Merci pour le repas.
- Je vous en prie.
- Darina ? l'appela-t-il alors qu'elle sortait de la cuisine.
- Oui ?
- Merci pour ma mère… d'avoir été là pour moi… enfin pour tout.
- Vous n'avez pas à me remercier. Il y a des choses pour lesquelles vous me payez, quant au reste, nous nous sentions seuls, il ne faut pas chercher d'autre d'explication.

Il s'approcha et l'embrassa tendrement. Il la sentit se pâmer sous son baiser.

- Tu mérites mieux que moi. Tu mérites de trouver un homme qui t'aimeras vraiment, pour toi, pas uniquement pour ce que tu fais pour lui. De mon côté, je ne pourrai pas te donner cela.
- Je sais… Je sais que vous préférez les hommes…
- Comment sais-tu cela ? s'étonna le Général, un sourire en coin.
- Parfois, des marchands ambulants s'arrêtent. Je leur achète des fruits et des légumes. Ils sont informés de ce qui se passe au Palais.
- Et tu crois ces commérages ?
- Eh bien… si je n'avais entendu cela qu'une seule fois, je n'y aurais pas prêté attention. Mais c'est une rumeur qui m'a été rapportée assez souvent. Certaines disent même que vous êtes l'amant du Prince Julian.
- Alors premièrement, saches que je ne suis l'amant de personne et certainement pas du Prince. Et deuxièmement, tu sauras qu'il ne faut accorder aucun crédit à des ragots de basses cours ! Surtout lorsqu'ils sont colportés par des marchands ambulants qui ne s'arrêtent jamais assez longtemps quelque part pour être certains que ce qu'ils entendent est vrai.
- Oh… Veuillez m'excusez si je vous ai manqué de respect.
- Mais non ! Ce n'est rien. Bon, je vais me préparer.

Il déposa un baiser sur son front et s'en fut récupérer ses vêtements dans le salon. Il terminait d'attacher son baudrier lorsqu'il entendit sa mère appeler Darina. Il se précipita dans la chambre et trouva la Duchesse assise sur son lit.

- Bonjour mère, fit-il en s'asseyant près d'elle et l'embrassant sur la joue.
- Kanon ? Mon enfant ! Ça fait bien longtemps que tu n'es pas venu me voir ! Tu as l'air en pleine forme ! Comment se porte le Roi ? Et le Prince Julian ? Quel âge a-t-il maintenant ?

Le Duc échangea un regard surpris avec Darina qui venait d'entrer à son tour et qui se dirigea vers la fenêtre pour ouvrir les tentures.

- Le Roi et le Prince vont bien et Julian va fêter ses vingt-deux ans.
- Déjà ? Comme le temps passe vite. Tu es encore venu en coup de vent et tu t'apprêtes déjà à repartir à ce que je vois.
- Je suis arrivé hier mais… vous dormiez déjà, mentit-il. Et il y a des affaires qui ne peuvent souffrir mon absence plus longtemps.
- Et moi ? Dois-je souffrir l'absence de mon fils ? Kanon, essaie de venir plus souvent. Tu me manques terriblement. Depuis la mort de ton père, je me sens si seule. Non pas que Darina ne soit pas d'excellente compagnie, mais toi ce n'est pas pareil.
- Je comprends, mère. J'essaierai... Je suis navré de vous quitter ainsi, mais il faut que j'y aille.
- Je raccompagne votre fils et je reviens m'occuper de vous, ma Dame.

Elle emboita le pas à Kanon qui descendait les escaliers comme s'il fuyait un monstre.

- Mais comment…, s'étrangla-t-il, les larmes aux yeux.
- Il lui arrive parfois d'avoir des moments où elle redevient elle-même. Mais ils sont de plus en plus rares. Peut-être que si vous remontez maintenant, elle ne saura plus qui vous êtes.
- Darina, prends soin d'elle. Elle est la prunelle de mes yeux. Surtout après tout ce que j'ai appris. Et prends soin de toi.
- N'ayez crainte.

Il sortit et gagna l'écurie. Golden hennit doucement en sentant son maître arriver. Kanon le sella rapidement et l'enfourcha. Il s'éloigna au triple galop, le cœur gros, le vent séchant les larmes qui coulaient sur ses joues…

Ooooo00000ooooO

Lorsqu'il arriva au Palais de Corail, Kanon alla immédiatement au bureau du Baron de Chrysaor. Une voix l'invita à entrer et quelle ne fut pas sa surprise de voir son pair en train de besogner une jolie servante aux jupes relevées jusque sur la tête.

- Assieds-toi ! J'en ai pas pour longtemps !

Kanon, un peu gêné aurait préféré ressortir, mais Krishna l'apostropha.

- Je pensais que tu viendrais plus tôt !
- J'ai passé la nuit auprès de ma mère. Je viens à peine d'arriver.
- Comment va-t-elle ?
- Ça ne s'arrange pas…
- Aah… Par les Dieux… T'es aussi étroite qu'une pucelle !

Du coin de l'œil, Kanon vit son ami accélérer ses coups de reins et le gémissement qu'il entendit lui indiqua qu'ils allaient enfin pouvoir se mettre au travail.

- Rien de tel pour bien démarrer la journée ! s'écria le Baron en rajustant ses vêtements.

Il servit un verre de vin et en proposa au Général qui refusa poliment. Krishna s'assit en face de lui et l'observa en silence quelques instants.

- Pourquoi ne fais-tu pas venir ta mère ici ?
- Je me soucie de sa dignité. Je sais qu'elle ne voudrait pas qu'on la voie ainsi diminuée. Je préfère qu'elle soit au manoir. La jeune femme qui s'occupe d'elle est vraiment très dévouée.
- Dévouée ? Jusqu'à quel point ?
- Tu te trompes. Darina n'est pas du genre à se faire bien voir pour se trouver un parti intéressant.
- Après Julian, tu es le parti le plus convoité du Royaume. De la plus noble à la dernière des mendiantes, n'importe quelle femme serait ravie de devenir Duchesse de SeaDragon. Etre à ton service et s'occuper de ta mère lui donne un sérieux avantage sur toutes les autres.
- De moi elle n'a que gratitude et reconnaissance. Je veux bien assurer ma descendance, choisir un jour mon héritier dans les quelques bâtards que j'aurai engendrés, mais jamais je n'épouserai leur mère.
- Tu as des enfants ?
- J'ai un fils. Un… accident… Mais j'assume et cet enfant ne manquera jamais de rien.
- Sait-il qui est son père ?
- Bien sûr. Je ne vois pas pourquoi il l'ignorerait. Et je participe à son éducation dans la mesure où ma charge me laisse souffler de temps en temps. Alors ? Les pillards et les déserteurs ?
- Les choses sont un peu différentes que lors de l'avant-dernier Conseil. Heureusement que nous avons pu arrêter les équipes que nous avions chargé d'empoisonner les terres pour couper l'approvisionnement arrière de l'armée du Sanctuaire.
- Oui, heureusement. Sinon les hostilités auraient repris avant même d'avoir cessé ! soupira le Duc, en se calant dans son fauteuil.
- Nous allons donc pouvoir utiliser ces hommes pour éradiquer ce fléau qui affaiblit l'autorité du Roi.
- Si le peuple voit qu'on ne fait rien, il se tournera vers quelqu'un qui peut le protéger. Et le premier beau parleur qui sortira de la fange fera une armée de tous ces déçus.
- Exactement. C'est pourquoi, je crois qu'il ne faut pas hésiter. On les traque, on les trouve et on les exécute sur le champ.
- Je ne sais pas si c'est une bonne idée, fit le Général, en se frottant le menton.
- Tu penses à autre chose ? demanda Krishna en arquant un sourcil.
- En bien, si tout se passe comme prévu, et il n'y a pas de raison que ça tourne mal, nous allons pouvoir entamer la reconstruction du Royaume. Pourquoi ne pas faire des prisonniers une main d'œuvre gratuite sous bonne surveillance ? Ainsi les fermiers qui ont été enrôlés pourraient retourner à leurs occupations et nourrir le peuple plutôt que d'être encore loin de leurs terres pour rebâtir le pays.
- Ma foi, c'est une bonne idée. Mais j'ai bien peur que l'encadrement de ces prisonniers ne soit problématique. A la première occasion, ils tenteront de s'échapper !
- Pas si nous les menaçons de jeter en prison leur famille si jamais il leur venait à l'esprit de vouloir s'évader.
- Kanon, si nous agissons ainsi, le gouvernement passera pour un groupe de vulgaires despotes. Nous sommes une monarchie absolue mais chacun sait que même si le Roi prend toutes les décisions, il n'en fait pas moins appel à des conseillers. Nous, en l'occurrence.
- Je n'ai pas dit que nous le ferions, j'ai dit que nous les menacerions. Crois-tu qu'ils iront vérifier si nous disons ou pas la vérité ? Par contre aucune évasion ou tentative d'évasion ne sera pardonnée. La peine de mort sera appliquée immédiatement.
- Je vois… L'idée est à soumettre au Roi. Elle n'est pas mauvaise, mais un peu trop radicale peut-être. Nous devrions pouvoir trouver quelque chose d'acceptable sans aller aussi loin.
- On peut toujours y réfléchir . Veux-tu que je commence à organiser des patrouilles ?
- Présentons d'abord ce projet à Poséidon. Je suis presque certain qu'il nous approuvera, mais faisons les choses dans les règles.
- Moi je sais qu'il acceptera. Je voulais juste anticiper pour gagner du temps.
- Après tout, pourquoi pas ? Les premières troupes ne seront pas de retour du front avant plusieurs jours, mais tu peux déjà organiser les effectifs présents à Atlantis.
- Eh bien voilà une bonne chose de faite. Dis-moi, ton fils va faire la course des Trois Rivières ?
- Oui, il veut se mesurer à toi ! répondit Krishna en souriant.
- Il m'a demandé si je n'avais pas un secret.
- Que lui as-tu répondu ?
- Que c'est à toi qu'il devait demander conseils et d'étudier le parcours pour établir sa stratégie.
- Alors nul doute qu'il le fera. Ne sois pas surpris qu'il se retrouve parmi les cinq premiers.
- Mais je l'espère bien.
- Le Prince y participe aussi, je suppose.
- Bien sûr. Il rêve de me battre. C'est un véritable défi pour lui.
- Il faut dire que chacun n'est pas loin de vous considérer, toi et ton cheval, comme deux démons à qui tout réussi parce qu'ils ont fait un pacte avec les Forces du Mal !
- Non, rien de tout cela mon ami ! sourit Kanon, juste du bon sens, une bonne connaissance de mon cheval et un peu de stratégie. Bien, je te laisse. Je vais commencer à réfléchir à tout ça ! A plus tard !

Alors qu'il se hâtait vers le bureau royal, Kanon se souvint que le Prince lui avait demandé d'aller le voir, la veille. Il pesta intérieurement d'avoir oublié. Ces temps-ci, il ne semblait faire aucun cas des désirs de Julian et il savait que le jeune homme le coincerait tôt ou tard et lui demanderait des comptes. Poséidon fut surpris de voir son Général en Chef et malgré le travail qu'il avait, il consentit à lui accorder un peu de temps.

- Ma démarche est personnelle, Sire. Elle ne concerne pas le Royaume.
- Tu attises ma curiosité. Que se passe-t-il, mon ami ?
- Je reviens du manoir de Patras et j'ai appris… certaines choses.

Le Roi se calla dans son fauteuil, joignit les mains et posa ses deux index contre sa bouche. Cette attitude ne fit que conforter Kanon dans ses doutes qui devinrent des certitudes. Poséidon savait.

- Saviez-vous que le Duc et la Duchesse de SeaDragon n'étaient pas mes véritables parents ?
- Je le savais, répondit le Roi après quelques instants de silence.
- Pourquoi personne ne m'a jamais rien dit ? s'emporta le Duc avant de se rappeler qui il avait en face de lui.
- Quelle importance que tu le saches ou pas ? Ça ne change rien !
- Pour moi oui, Sire. De qui suis-je le fils ? Kanon est-il bien mon véritable prénom ? Je… j'ai l'impression que mon monde s'écroule !

Le Général avait haussé le ton de ses dernières paroles. Dans ses yeux, le Roi put lire une immense tristesse et un profond désespoir. Cette nouvelle fragilisait son meilleur élément, à l'évidence. Et cela risquait d'amoindrir ses capacités. Et il avait trop besoin de Kanon pour le voir diminué. Son moral en avait pris un coup et il était de son devoir de le remotiver. Il prit le parti de lui révéler tout ce qu'il savait.

- Il y a vingt-trois ans, le Duc et la Duchesse de SeaDragon habitaient encore leur château. Les combats n'avaient pas encore atteint vos terres. Un jour qu'ils se promenaient à cheval sur la plage, ils t'ont trouvé. Tu étais à peine vivant. Autour de toi, les morceaux d'épaves leur firent conclure que tu étais sur un bateau qui avait fait naufrage. Ils t'ont ramené chez eux et ont envoyé un messager me prévenir pour que je demande à mon médecin de t'examiner. Le guérisseur du village voisin avait déjà nettoyé et pansé tes blessures. Antée n'a rien fait de plus, satisfait de voir qu'il y avait des gens compétents en soins médicaux. Il a juste prié les Dieux pour qu'ils t'accordent la vie sauve.

Le Roi se leva et se servit un verre de vin. D'un geste, il invita Kanon à se joindre à lui, mais le Général refusa.

- Tu es resté plusieurs jours sans connaissance, reprit Poséidon. A ce moment, j'étais venu rendre visite à tes parents. Ta mère t'a veillé jour et nuit. Elle ne te connaissait pas, mais déjà elle t'aimait et s'était attachée à toi. Tu as ouvert les yeux, tu nous as regardés. Le premier mot que tu as prononcé fut "Saga" Nous avons songé qu'il s'agissait peut-être d'un ami de ton âge ou de ton frère qui aurait pu être sur ce bateau avec toi. Tu semblais ne plus savoir ce qui s'était passé. Ta mère m'a demandé l'autorisation de te garder en attendant de retrouver tes parents. Ton père a sillonné les villages environnants, mais personne ne déplorait la perte d'un enfant ou d'un bateau. Finalement, ils t'ont gardé et adopté. J'ai signé les documents qui font de toi le seul et unique héritier de tous les biens de SeaDragon. Tes parents étaient bien tristes de ne pas pouvoir avoir d'enfant et voilà que tu leur tombais dans les bras. Ils y ont vu un signe.

- Et personne n'est jamais venu me réclamer ? demanda Kanon après un long silence.
- Non jamais.
- Est-il possible que… je sois venu du Sanctuaire ? hésita à demander le Général, ignorant quelle serait la réaction du Roi.
- C'est possible…
- Je pourrais être le fils d'un citoyen du Sanctuaire… Et ça ne vous choque pas ?
- Pourquoi donc ? Tu es mon Général. Tu as été élevé et formé par un homme qui l'était avant toi et dont je n'ai jamais mis la loyauté en doute. Tout comme en lui, j'ai une confiance aveugle en toi. Qu'importe le lieu de ta naissance. Tu as voué ta vie aux Océans. N'as-tu vraiment aucun souvenir ?
- Non. Quel âge avais-je à l'époque ?
- Sept ou huit ans. Ce que tu as vécu a dû être suffisamment traumatisant pour que ton esprit refuse de s'en souvenir. C'est ce qu'Antée a suggéré comme hypothèse à ton amnésie. Mais un jour, peut-être te souviendras-tu...
- Je pense à ces gens qui ont dû pleurer ma disparition…
- Ou peut-être ont-ils péri quand votre bateau a coulé…
- Peut-être… Qui d'autre est au courant de cette histoire ?
- Personne en dehors de moi-même et d'Antée.
- J'aimerais que cela reste ainsi et je vous demande l'autorisation de faire des recherches. Si je ressemble à mon père ou ma mère, il y a peut-être des personnes qui s'en souviendront encore.
- Tu as mon accord, mais je ne veux pas que ton travail souffre d'un quelconque relâchement de ta part.
- N'ayez crainte, Majesté. Je vous en suis reconnaissant.

Il se retira après s'être incliné puis une fois dans le couloir, il décida d'aller voir le Prince Julian. Celui-ci devait être suffisamment énervé d'avoir été négligé, mieux valait ne pas rajouter les caprices du jeune homme à ses soucis personnels.

- Faut-il que je transforme mes demandes en ordres pour que tu daignes y obéir ? l'accueillit Julian, encore plus en colère que le Général ne l'avait imaginé.

Il était vêtu d'une robe de chambre en soie bleue brodée de fil d'or sur un pantalon de coton très ajusté et de bottillons d'intérieur.

- Pardonne-moi, mais j'ai été…
- Je me fiche de tes excuses ! cria le Prince sans même laisser à Kanon la possibilité de s'expliquer.
- Voir ma mère ! termina-t-il en haussant légèrement le ton. J'ai passé la nuit à Patras.
- Oh… murmura le jeune homme dont la colère retomba immédiatement. Je l'ignorais.
- Si tu m'avais laissé te le dire au lieu de crier… Tu voulais me voir ?
- Oui, mais j'ai peur que le sujet de l'entrevue que je voulais avoir avec toi ne soit… un peu déplacé.
- Du fait que je sois allé à Patras ?
- Eh bien… oui… Comment va la Duchesse ?
- Aussi bien que possible, je te remercie. Que voulais-tu me dire ?
- Ça me gêne de te parler de ça, tu n'as certainement pas la tête à écouter ce que j'ai à te dire. Mais ce n'est pas grave, je suis sûr que tu sais à quoi je fais allusion.
- Je crois le deviner effectivement, et c'est vrai que je n'ai pas la tête à ça. Mais pas à cause de ma visite à ma mère. Il s'agit de tout autre chose.

Depuis la nuit où le Prince s'était introduit dans la chambre de Kanon pour le séduire et après avoir reçu une leçon d'humilité qu'il n'était pas prêt d'oublier, ni le jeune homme ni le Général n'avait abordé à nouveau le sujet bien trop occupés qu'ils avaient été. Ou bien Julian n'était pas encore sûr de lui.

- Je te renouvelle pourtant ma proposition, poursuivit Kanon. Quand tu seras prêt, viens me voir. Demain ou après-demain ou dans une semaine, je serai mieux disposé à… à te satisfaire.
- C'est à croire que c'est toi qui me fais une faveur ! se vexa Julian.
- Non, ne te méprends pas sur mes paroles. Je… J'ai eu… J'ai appris quelque chose qui m'a… bouleversé et il va me falloir un peu de temps pour remettre de l'ordre dans mes idées.
- Rien de grave, j'espère, s'inquiéta sincèrement le Prince en posant une main amicale sur le bras de son ami.
- Non, mais c'est très perturbant. Je suis désolé, ne m'en veux pas.
- Comment le pourrais-je ? A voir ta tête, je sais bien que tu ne cherches pas encore à te dérober.
- Je n'ai jamais cherché à me dérober et tu le sais, mais j'avoue que là… ce n'est vraiment pas le moment.
- Que vas-tu faire cet après-midi ? s'enquit le jeune homme pour changer de sujet.
- J'ai vu Krishna et nous avons eu une idée que nous soumettrons à ton père lors du prochain Conseil auquel je te suggère fortement d'assister. Je vais mettre au point les détails de ce projet.
- Je vais m'y ennuyer profondément, fit Julian en se laissant tomber sur les fourrures de son lit.
- Il va y être question de ton prochain mariage et de l'organisation de l'évènement. Tu pourras donner ton avis sur le déroulement des choses. C'est crucial, ne crois-tu pas ?
- Quelle importance… Le seul avis que j'aie à propos de ce mariage est que je ne veux pas me marier. Mais ça, tout le monde s'en fiche ! Alors à quoi bon…
- Julian, tu vas être amené à prendre de plus en plus souvent la place de ton père lors de futures négociations. Que ce soit avec les émissaires du Sanctuaire ou bien plus tard, avec nos partenaires commerciaux qu'il nous faudra reconquérir comme s'il s'agissait de jeunes pucelles. Personne mieux que ton père ne pourra t'instruire de l'art de la diplomatie et Bian se fera une joie de t'apprendre les lois qui régissent le commerce. Toi qui aimes jouer aux échecs, là tu pourras le faire grandeur nature.
- Etrange comparaison…
- Elle est pourtant adaptée. Tu te positionnes, tu avances tes pièces, des arguments, tu fais des sacrifices mais au final tu prends la Reine de l'adversaire et tu remportes un marché, tu signes un contrat à ton avantage.
- Bon, très bien… lâcha le Prince d'un ton las. Si tu dis que c'est intéressant, je vais faire un effort.
- Bien. Ton père sera fier de toi et moi aussi. Il faut que je te laisse, j'ai du travail.
- A plus tard, mon ami…

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Wind - Daniel May
Un repos bien mérité

Après avoir pris un bain préparé par Ethain, le Général s'octroya un moment de détente. Il s'allongea sur les coussins et la fourrure posés au sol devant la cheminée de son salon, un verre de vin à la main. Il n'avait vraiment pas envie de penser à leur projet commun à lui et au Baron de Chrysaor. De toute façon, il avait bien le temps de le faire avant le prochain Conseil. Les révélations de sa mère, les détails fournis par Darina et la confirmation du Roi, cela faisait beaucoup en une seule journée. Il n'arrivait plus à avoir une pensée cohérente.

Et si ses parents étaient des citoyens du Sanctuaire ? Ça lui semblait inconcevable. Et qui donc était ce Saga ? Un ami ? Un frère ? L'homme à qui appartenait le bateau ? Un animal qu'il aurait emmené avec lui ? Mais apparemment quelqu'un ou quelque chose d'important pour qu'il crie son nom dans ses rêves. Il avait beau se creuser la cervelle, il ne se souvenait de rien avant le moment où il avait ouvert les yeux et vu le visage de Maïa penché sur lui avec un sourire d'une incroyable tendresse. Rien.

Si ce n'est ce cauchemar récurrent qui était revenu le hanter après des années d'absence. Il avait froid, il faisait noir. Il savait qu'il était dans l'eau et il criait. Il criait ce nom : Saga. Il sentait l'eau lui remplir la bouche, il suffoquait, crachait, toussait. Puis il se réveillait en sursaut, en sueur avec l'horrible impression d'avoir perdu quelque chose de précieux, d'inestimable.

Le regard perdu dans les flammes de l'âtre, il s'endormit, épuisé par toutes ses pensées qui se bousculaient dans sa tête. Ethain ramassa la coupe de vin encore à moitié pleine et recouvrit son Seigneur avec sa cape en fourrures de loups. Même s'il faisait bon dans la pièce, Kanon était parterre et même sur le tapis, le froid de la pierre finirait par passer au travers. Ceci fait, il alla se coucher à son tour…

 

>> Chapitre 10 >>


(1) Crocus. Floraison de février à mars
Perce-neiges. Floraison de janvier à février.

(2) Dans la mythologie grecque, Doris est une Océanide, mère de Thétis.

(3) Le tombeau de la Famille Royale des Océans ressemble à cela en beaucoup plus grand.

(4) Yadav est un autre nom de Krishna dans l'hindouisme.

(5) Akhal-Teke de Julian. Cheval originaire du Turkménistan. Il est endurant, robuste, sobre, rapide et docile.
(6) Pur sang Arabe de Kanon. Tout aussi sauvage que son maître. ^^

(7) Tinos est une ile où était rendu un culte à Poséidon.

(8) Maïa : mère adoptive de Kanon. Elle est l'aînée des Pléiades, filles d'Atlas et de Pléioné. Séduite par Zeus, elle donne naissance à Hermès.

(9) Glaucos : père adoptif de Kanon. Dans la mythologie grecque, Glaucos est une divinité marine. Selon certaines légendes, il est le fils de Poséidon. Selon d'autres, il est au départ un simple mortel, pêcheur de métier. Un jour, il voit un poisson sauter à terre et manger une herbe particulière avant de retourner à la mer. Curieux, il goûte l'herbe en question et devient immortel.

(10) Darina : prénom d'origine irlandaise signifiant "fertile"



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