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LA LEGENDE DES QUATRE ROYAUMES... |
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Disclaimer : Tout l'univers de Saint Seiya que vous reconnaîtrez aisément appartient à Masami Kurumada. L'auteur n'en retire aucun profit si ce n'est le plaisir d'écrire et d'être lue. Les personnages de la mythologie appartiennent à tout le monde et les autres, ceux que vous ne connaissez pas, appartiennent à l'auteur. Betalecteur : Gajin, Frasyl et Hyma. J'espère que vous aimerez... |
Carte de ce monde |
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Chapitre 20 Année 10219 de la Licorne, mois d'avril, Royaume des Océans...
La Passe de Charybde n'était plus qu'un souvenir. Kanon y était resté bloqué deux jours à cause d'orages violents comme il s'en produit parfois en montagne. Lors de son précédent voyage pour ramener le corps de sa mère à SeaDragon, ils avaient eu la chance de traverser par beau temps. Là, le tonnerre semblait vouloir ébranler la montagne elle-même. Il s'était réfugié dans l'une des petites grottes creusées par l'homme qui jalonnaient le chemin encaissé entre deux hautes falaises. Au matin du troisième jour, trempé et gelé jusqu'aux os, il avait pu reprendre sa route. Son but était de chercher des informations sur qui il était. Il avait longuement réfléchi avant d'entreprendre ce voyage mais c'était une chose qu'il n'arrivait pas à se sortir de la tête. Son humeur s'en était ressentie et c'est le Roi en personne qui lui avait dit de partir à la recherche de son identité. Le mariage de Julian n'aurait lieu que dans deux mois et l'armée n'avait plus besoin de lui sur le front. Il avait le temps d'aller à SeaDragon, de faire ses investigations et de revenir. Il avait pris son temps pour préparer son voyage. Il ne voulait rien laisser d'inachevé dans son travail pour ne pas trop déléguer ses responsabilités. Son rôle de Général pouvait attendre maintenant que la paix entre les Royaumes semblait en bonne voie, quant au Ministère des Armées, il le confierait temporairement au Prince Julian sous la houlette de son père. Et finalement, le moment était venu de se lancer à la recherche de sa véritable identité Tout d'abord, il devait rejoindre le château familial. A partir de là, il irait dans les villages avoisinants en remontant vers le Nord. Pour une raison qui lui échappait, l'idée qu'il venait peut-être d'un village du Sanctuaire ne le quittait pas. Depuis que Maya lui avait révélé ce secret et que le Roi en personne l'avait confirmé, il était de plus en plus persuadé qu'il n'était pas né sur la terre des Océans. Liadan avait vu son humeur se dégrader jour après jour et lorsqu'il lui avait fait part de son désir de partir à la recherche de ses origines, elle l'avait encouragé. Il aurait rejoint SeaDragon plus vite s'il n'avait pas été coincé dans la Passe de Charybde. Maintenant, il voyait la silhouette massive du château se détacher dans le lointain. Il y serait en fin de journée. Il voyageait léger, chassait pour se nourrir et lorsqu'il était bredouille, les rations de porc ou de poisson séchés lui remplissaient l'estomac. Il avait croisé quelques groupes de soldats qui rentraient du front. Certains le reconnurent. Ils avaient combattu à ses côtés. Il prit le temps de parler avec eux, de leur confirmer que le mariage mettait un terme définitif à cette guerre, qu'ils allaient enfin rentrer chez eux, revoir leur famille, retourner dans les champs. Il en vit certains pleurer. C'est alors qu'il se demanda quelle serait désormais son utilité. Sans guerre, un Général n'a pas de travail. A la limite, un Ministre des Armées peut veiller à ce que les soldats soient toujours parfaitement entraînés, équipés, vigilants. Il allait donc avoir du temps de libre pour s'occuper de son fils. C'était une idée qui lui plaisait beaucoup et un sourire étira ses lèvres. Celle de voir revivre SeaDragon lui remplissait aussi le cœur de joie. Ça ne serait pas pour tout de suite, certes, mais le duché avait une nouvelle Duchesse ainsi qu'un héritier. L'avenir ne s'annonçait pas trop mal. Kanon se glissa dans l'enceinte du château par une porte latérale et laissa Golden à l'écurie. Certes, elle manquait dramatiquement d'entretien mais il ferait office de palefrenier. Ce ne serait pas la première fois. Il pénétra dans l'immense hall d'entrée au fond duquel un double escalier en fer à cheval conduisait aux étages supérieurs. Un flot de souvenirs submergea son esprit, comme la dernière fois. Il ferma un instant les yeux et voyagea dans sa mémoire. Lorsqu'il les rouvrit, un doux sourire flottait sur son visage. Alors c'est ainsi que la quête de son identité allait commencer ? Par un pèlerinage dans son passé ? Il allait fouiller dans ses souvenirs pour, peut-être, trouver qui il était Il décida qu'il était inutile de s'installer dans son ancienne chambre, au deuxième. Après y être allé, il avait été envahi par un sentiment de tristesse et une profonde nostalgie. Il décida finalement de rester en bas, dans ce qui avait été les appartements des serviteurs, même si c'était moins confortable. Il posa ses affaires dans une petite chambre non loin des cuisines. Elle était grise de poussière. Il ouvrit la fenêtre mais ne vit rien. La nuit était tombée. L'idée de dormir dans une pièce aussi sale ne l'enchantait guère. Aussi attrapa-t-il ses fourrures et couvertures et rejoignit son cheval. La chaleur de l'animal et celle du vieux foin ferait l'affaire pour cette nuit. Demain, il nettoierait un peu la petite chambre pour la rendre salubre. Golden vint sentir le visage de son maitre lorsque celui-ci se fût allongé. Kanon caressa les nasaux, prononça quelques mots à voix basse et s'enroula dans les couvertures. Ereinté par son voyage, il sombra rapidement dans un sommeil sans rêve. Il fut réveillé par le bruit des sabots de Golden qui frappaient le sol. Il s'arrêta aussitôt lorsqu'il vit son maitre assis qui le regardait d'un œil mauvais. - Foutu canasson ! grogna-t-il en s'étirant. Le destrier hennit doucement, comme s'il riait de l'insulte. En fait il avait juste faim et soif. Le Duc le mena dans le champ, derrière le château. L'herbe y était verte et grasse et un petit ruisseau le traversait. Kanon gagna les cuisines, alluma un feu, se disant qu'il allait devoir chasser. Et pourquoi ne pas pêcher ? Voilà bien longtemps qu'il ne s'était pas adonné à ce plaisir simple. Il descendit sur la plage par un escalier taillé dans le granit de la falaise, au pied du château. Il trouva le petit cabanon intact, bien à l'abri des tempêtes et de la marée. D'un coup vigoureux de l'épaule, il ouvrit la porte et trouva le lieu comme il s'en souvenait. Il y avait des filets, des cannes, du fil, des hameçons de différentes tailles en fonction de ce que l'on veut pêcher. Il y avait tout ce qu'il fallait. Rapidement, il monta une ligne. Soudain, il s'arrêta. Un autre souvenir s'imposa à lui. Il ne devait avoir que huit ou neuf ans…
Il était venu voir les pêcheurs. Il s'était assis à côté d'un vieil homme plié en deux par l'âge et au visage parcheminé. Il l'avait observé un instant puis était rentré dans le cabanon pour y chercher de quoi faire une canne à pêche. L'homme ne lui expliqua rien et Kanon monta sa ligne tout seul, comme s'il avait ça toute sa vie. - Qui t'as appris ? lui demanda le vieux pêcheur. - Je ne sais pas, je sais le faire, répondit-il Le vieil homme sourit sous sa barbe hirsute et lui indiqua un endroit où trouver des moules pour appâter. Dans le milieu de l'après-midi, le jeune garçon revenait avec pas moins de trois dorades et une roussette.(1) Le vieil homme connaissait l'histoire de Kanon comme tous ceux qui travaillaient au château. Ce jour-là, il avait acquis la certitude que le petit garçon était un fils de pêcheur et le dit au Duc. Un coin du voile du mystère qui entourait l'enfant se soulevait un peu. Kanon pénétra dans le cabanon et reproduisit les mêmes gestes. Il ramassa quelques moules qu'il ouvrit et accrocha le mollusque à l'hameçon. Il s'installa sur un rocher, à quelques mètres au-dessus de l'eau, jeta sa ligne et attendit. Pas longtemps. Un coup dans la canne, il ferra et sortit une belle dorade. Le poisson d'un naturel particulièrement vorace, ne résista pas à ce repas qui flottait sous son nez entre deux eaux. Après en avoir attrapé trois autres, le Duc estima qu'elles suffiraient à son repas de midi. De retour à la cuisine, il les vida, ôta les écailles tant bien que mal et les plaça sur une grille au-dessus des braises après leur avoir rempli le ventre d'une poignée d'herbes aromatiques. Rapidement, une délicieuse odeur s'éleva dans la pièce. Il n'y avait pas de vin alors il alla chercher de l'eau à la fontaine, dans la cour. Il déposa le pichet sur la table et dans une assiette en étain qu'il avait lavée, il disposa les quatre poissons cuits. Un festin de roi pour qui n'avait mangé que du porc salé et du gibier maigre pendant plusieurs jours. Il conclut son repas d'un rôt retentissant, preuve qu'il était repu. Il rangea rapidement la cuisine et alla chercher son cheval qu'il sella et s'équipa de ses armes. Il prit la direction du petit hameau non loin de là, sur les terres du duché. Tout en chevauchant, il songea à écrire à leur ancien régisseur. Comme tous, il avait trouvé refuge dans un village plus au sud où il avait de la famille quand le front s'était dangereusement rapproché du domaine. Puisque la guerre était finie, SeaDragon allait pouvoir revivre avec le retour des serviteurs et surtout l'arrivée d'une nouvelle Duchesse. C'était à elle qu'allait incomber la tâche de gérer le personnel. Il passa devant les premières maisons. De toute évidence, elles n'étaient plus entretenues depuis longtemps. La chaume des toits avait disparu par endroit, les volets des fenêtres pendaient tristement par un gong et claquaient au vent. Il continua d'avancer et soudain, il entendit des bruits de voix et de vaisselle. Non loin de là, l'auberge semblait ouverte. Il attacha Golden à un anneau fiché dans le mur de pierre et entra. - Oh ! Bienvenue voyageur ! s'écria un petit homme rondouillet à la mine joviale couronnée d'une touffe de cheveux neigeux. Assis à l'une des tables, trois autres hommes plutôt âgés, buvaient de la bière certainement. En temps de guerre, c'était encore le breuvage le plus facile à faire. - Désirez-vous manger quelque chose, Chevalier ? - Euh, non merci. De la bière, si vous avez. - Je vous sers ça. Il est rare de voir des voyageurs par ici. Qu'est-ce qui vous amène, si ce n'est pas indiscret ? - Ça ne l'est pas. Je cherche une famille qui aurait perdu un enfant, il y a un peu plus de vingt ans. - Vingt ans ? s'étonna l'un des trois clients. Ça fait loin. Comment s'appelle cette famille ? - Justement, je l'ignore. Mais il est possible que le drame soit survenu à cause d'un naufrage. - Moi ça ne me dit rien, grommela le deuxième homme, alors que l'aubergiste posait une pinte devant Kanon. - L'enfant a été retrouvé ? demanda le plus vieux des trois. - Oui. Et après avoir entendu son histoire, j'ai décidé de l'aider à retrouver les siens. - C'est fort aimable de votre part, reprit le tavernier. Il existe d'autres bourgs plus au nord. Peut-être aurez-vous plus de chance. Mais faites attention, la frontière n'est pas loin. - Il n'y a personne d'autre dans le village ? s'enquit Kanon et jetant une perle fine sur le comptoir pour la bière. - Les femmes et les enfants sont dans les bois pour la cueillette. Nous ne sommes plus très nombreux. Et les hommes sont sur le front, termina-t-il d'une voix où perçait la tristesse. - Rassurez-vous. La guerre est finie, les hommes vont bientôt rentrer. - Finie ? s'écria l'aubergiste incrédule. Mais aucune annonce n'a été faite ! - C'est récent. Les hérauts sont partis d'Atlantis il y a seulement quelques jours pour sillonner le pays et apporter la bonne nouvelle. - Eh jeune homme ! l'interpella à nouveau le plus âgé des trois hommes. Tu m'as l'air bien renseigné. Qui es-tu donc ? Kanon sourit. Il ôta son gant et montra sa bague. - Je suis le Duc de SeaDragon. Ministre des Armées de Sa Majesté Poséidon et Général en Chef des Marinas. - Ah ouais ? Et ne devrais-tu pas être sur le front avec tes hommes ? lui reprocha toujours le même vieillard, pas le moins du monde impressionné d'être devant son Seigneur. - Je n'y ai plus ma place, puisque la guerre est terminée, je vous l'ai dit. Les soldats vont revenir et les villages vont renaitre. Vous pouvez répandre la nouvelle. Merci pour la bière. Laissant quatre hommes complètement sous le coup de la surprise, Kanon sortit, enfourcha Golden et repartit vers le nord-ouest. En fin de journée, il arriva dans un autre village un peu plus grand que le précédent. Bien qu'il soit très proche de la frontière du Sanctuaire, il semblait être plus peuplé. Là aussi, il avisa la taverne et entra. Un rapide coup d'œil lui fit comprendre que l'établissement faisait aussi office de bordel. Une femme à la forte carrure trônait derrière le comptoir, surveillant que ses "serveuses" ne soient pas ennuyées plus que nécessaire par des clients trop avinés. Dès qu'elle le vit, elle s'approcha.
- Bienvenue Monseigneur, minauda-t-elle comme si elle pouvait rivaliser de charme avec ses filles. Désirez-vous mangez ? Dormir ? Les deux ? Ou bien juste… sourit-elle de tous ses chicots gâtés en laissant planer le sous-entendu. - Juste manger et dormir, merci. - Prenez place, je vous apporte ça tout de suite. Kanon s'assit à une table à l'écart et observa la salle. Il y avait une douzaine de personnes. Deux hommes étaient accompagnés de deux femmes, peut-être les leurs, trois autres avaient entamé une partie de cartes, deux autres encore trouvaient les "serveuses" tout à fait à leur goût à en juger par la façon un peu vulgaire dont ils les interpellaient, et les trois derniers étaient plus âgés, plus calmes, certainement là pour boire quelques verres et rien d'autre. Le Duc vit une jeune femme venir vers lui, un plat à la main. - C'est du ragoût, lui dit-elle. Elle ne devait pas avoir plus de vingt ans. Elle était timide, effacée et pas du tout à sa place dans cet endroit. Kanon n'osa même pas imaginer ce qu'elle avait dû subir quand les soldats du Sanctuaire étaient arrivés jusqu'ici. Ils étaient même descendus plus loin dans les terres. - Je peux avoir de la bière ? Elle repartit, glissant entre les tables comme une ombre, mais l'un des hommes présents l'attrapa par la taille pour l'asseoir sur ses genoux. Elle se débattit, cherchant à se défaire de ses mains qui la touchaient. Kanon était prêt à intervenir mais elle échappa au client. Lorsqu'elle revint avec son pichet à la main, elle fit un détour pour éviter de passer près du client indélicat. - Dis à ta patronne qu'on me prépare un bain. J'ai de quoi payer. Et je veux que ce soit toi qui t'en occupes. A ces mots, elle releva vivement la tête, une expression de terreur dans les yeux. - Ne crains rien, lui intima-t-il. Ça t'éloignera de cette salle et je dirai que tu passes la nuit avec moi. Elle baissa la tête et alla voir la maquerelle. Celle-ci l'écouta puis lui donna une brusque bourrade. Quelques instants plus tard, le Duc la vit faire des allers-retours avec des seaux d'eau chaude. Il termina tranquillement son repas, vida le pichet de bière et monta dans sa chambre. Elle était propre et devant la cheminée, il trouva le baquet d'eau fumante. La jeune fille était là, attendant qu'il ait besoin d'elle. - Comment t'appelles-tu ? - Fenella(2), souffla-t-elle d'une voix à peine audible. - C'est un joli nom. Lave-moi le dos. Depuis qu'il était parti d'Atlantis, Kanon n'avait pas pris un bain. Se laver dans les ruisseaux d'eau glacée ne donne pas envie de s'y tremper plus qu'il n'est utile. Aussi, il apprécia grandement l'eau chaude et le parfum qui s'en dégageait. Fenella lui lava également les cheveux. - Passe-moi ce drap. Il s'enroula dedans pour se sécher et la jeune femme mit de l'ordre dans ses affaires. - Si tu veux profiter de l'eau, vas-y. Je te tournerai le dos. Elle le regarda avec des yeux ronds de surprise. Elle hésitait sur ce qu'elle devait faire. A l'évidence, cet homme avait une idée derrière la tête. - Ecoute, Fenella, je comprends que tu ne veuilles pas paraitre à ton avantage étant donné les gens qui passent par ici. Rassure-toi, je ne te ferai rien. Je n'ai pas pour habitude de forcer une biche aux abois(3). Cette nuit, tu seras tranquille et loin de ces hommes. Pour une raison qu'elle ne s'expliquait pas, elle savait qu'elle pouvait avoir confiance en lui. Tout dans sa personne indiquait qu'il était honorable et honnête. Quand elle commença à se dévêtir, Kanon tint parole et lui tourna le dos. Il entendit le clapotis de l'eau et sourit. Pauvre gosse. Bien sûr qu'elle ne prenait pas soin d'elle. Jolie comme elle était, elle aurait passé ces journées au lit avec des clients peu délicats et parfois même violents. Il venait de lui offrir une nuit de répit et il était persuadé qu'elle allait vouloir le remercier. - Veux-tu que je t'aide pour ton dos et tes cheveux ? - Pourquoi feriez-vous ça ? Vous n'êtes pas un serviteur. - Aucune importance. Tu te sentiras mieux après. Et sans attendre sa réponse, il s'approcha et lui prit des mains le tampon en lin. Mais brusquement, il stoppa son geste. Sur la peau, il constata la présence de marques qui ne pouvaient avoir été faites que par une badine au mieux, un fouet au pire. - Qui t'a fait ça ? demanda-t-il d'une voix où perçait la colère. - La patronne, il y a bien des années, quand j'ai commencé à travailler ici. - C'est elle qui t'a… - Au début, je travaillais aux cuisines, j'avais dix ou onze ans. Après j'ai servi dans la salle, et quand j'ai eu quinze ans, elle a dit que j'étais assez grande pour m'occuper d'un homme. - Et ton père n'a rien dit ? - Ma mère est morte en me mettant au monde. Quand mon père a été enrôlé dans l'armée, il a fallu qu'il me donne à garder à quelqu'un. Après, il est mort aussi et comme je n'avais nulle part où aller… Kanon ferma les yeux et tenta de maîtriser la colère qu'il sentait monter en lui. Encore une victime indirecte de cette foutue guerre. Il soupira longuement et rinça les cheveux de Fenella. Il tendit un drap devant elle et détourna encore la tête lorsqu'elle sortit du baquet. Elle s'enroula dans le tissu, se recroquevilla sur le fauteuil devant la cheminée et entreprit de démêler ses cheveux roux. "Par les Dieux, qu'elle est belle," songea Kanon en l'observant du coin l'œil. A l'évidence, elle ne savait plus comment se comporter maintenant. Certainement s'attendait-elle à ce qu'il lui dise de se mettre au lit pour le payer des attentions qu'il venait d'avoir. - Il est tard, je vais me coucher. Tu devrais venir près de moi. Je te l'ai dit, je ne te ferai rien. Elle leva vers lui un regard gris rempli de gratitude et de confiance. Elle lui faisait penser à une petite souris, craintive et curieuse à la fois. Elle quitta le fauteuil, Kanon ouvrit les draps et elle se précipita dans le lit, remontant la couverture jusque sous son menton. - Bonne nuit, Fenella, murmura-t-il avec un sourire bienveillant. - Bonne nuit Monseigneur… merci, ajouta-t-elle dans un murmure. Le Duc souffla la bougie et la chambre ne fut plus éclairée que par le feu de la cheminée. Alors qu'il se sentait partir dans les limbes du sommeil, le lit sembla bouger. De petites vibrations, comme des tremblements. - Viens contre moi, tu es gelée, dit-il en tendant le bras. Aussitôt Fenella se blottit contre lui et cessa de grelotter peu après. A nouveau le sommeil vint pour l'emporter mais cette fois-ci, ce fut une caresse sur son torse qui le fit fuir. Peut-être était-ce simplement un mouvement inconscient dû au sommeil ? Mais lorsque cette caresse se fit plus précise et descendit sur son ventre, Kanon comprit que la jeune femme ne dormait pas. - Fenella, qu'est-ce que tu fais ? - Vous n'avez pas envie ? - Je t'ai dit que je voulais dormir. J'ai chevauché toute la journée et je suis fatigué. - Je ne vous plais pas ? - La question n'est pas là. Tu es ravissante mais j'ai dit que je ne te toucherai pas. En revanche, si tu me provoques, ne sois pas surprise s'il t'arrive des bricoles. - Avec vous, je sais que ce sera pas pareil. Les autres se contentent de s'allonger sur moi et de bouger dans mon corps. Mais vous… vous… je sais que vous n'êtes pas comme eux… - Jamais aucun homme n'a été gentil avec toi ? demanda-t-il, en se redressant sur un coude pour la surplomber, tout en connaissant la réponse. - Non… J'aimerais que pour une fois, ce soit… différent… - Fenella, je ne crois pas que… Hé ! La jeune femme venait de passer sa main sur son entrejambe et le caressait doucement. - S'il vous plait… juste une fois… Elle savait s'y prendre, la gueuse ! Kanon ne résista pas longtemps à ce traitement. Mais avait-il vraiment cru que les choses n'iraient pas si loin ? Inconsciemment peut-être, ou peut-être pas tant que ça, il savait comment tout ceci allait finir. Il s'empara de ses lèvres avec avidité et constata avec surprise que c'était probablement son premier baiser. Ou peu s'en faut. Il s'exhorta au calme et décida de lui faire connaitre l'ivresse des sens. Après la vie qu'elle avait eue, elle méritait amplement une vraie nuit d'amour. Kanon fut tiré du sommeil par des galops de chevaux et des cris. Il réveilla Fenella et tous deux s'habillèrent en hâte. Dans la salle, des soldats des Océans venaient de faire leur entrée et réclamaient à boire et à manger en vociférant comme des putois. La tenancière faisait son possible pour les satisfaire lorsqu'elle vit sa serveuse. - Allez ! Bonne à rien ! Au travail ! Dépêche-toi ! la houspilla-t-elle en la poussant vers les cuisines. - Général ? cria l'un des hommes. - Général SeaDragon ! - C'est le général ! - Alors, c'est vrai ? La guerre est finie ? Le silence se fit. Tous étaient suspendus à ses lèvres dans l'attente de sa réponse. Allait-il confirmer ou infirmer la nouvelle ? - C'est vrai, lâcha-t-il enfin. Vous allez tous pouvoir rentrer chez vous. - Vous êtes un général ? s'étonna la patronne. - Non, ce n'est pas un général. C'est LE Général en Chef de l'Armée des Marinas, le Duc de SeaDragon, rectifia l'un des hommes. Kanon croisa à cet instant le regard de Fenella. Il reflétait l'incompréhension la plus absolue. En un éclair, sa décision fut prise. - Capitaine, dit-il à l'un de ses hommes, une fois que vous vous serez restaurez et que vos chevaux seront reposés, vous repartirez pour Atlantis et vous emmènerez cette jeune femme avec vous. Vous la confierez à mon épouse avec un message que je vais rédiger. Vous répondrez d'elle sur votre vie. Tous. - Comment ça, elle part avec eux ? s'égosilla la mère maquerelle. C'est ma meilleure gagneuse. J'veux une compensation ! s'écria-t-elle sous la colère, oubliant de toute évidence à qui elle s'adressait. Les yeux de Kanon se plissèrent et un éclat meurtrier passa dans son regard. Il s'avança lentement vers la tenancière qui recula, terrifiée. - Tu veux une compensation ? Très bien. Je ne rase pas ton bordel jusqu'aux fondations et je te laisse en vie. Il lui tourna le dos et alla vers Fenella. Alors que la patronne allait répliquer, un soldat la retint. - Estime-toi heureuse. Ta vie et tu peux continuer ton commerce. - Comme si vous alliez vous en plaindre, hein ? Vous êtes bien contents de trouver du réconfort dans des établissements comme celui-ci, non ? - Evidemment, et c'est justement ce qui motive la décision du Général. Mais ne force pas ta chance, femme. Des bordels, il y en a dans tous les villages. Il nous suffira juste d'aller un peu plus loin pour trouver du réconfort, comme tu dis. Maintenant, tu vas aider cette fille à emballer ces affaires. Désormais, elle est sous la protection du Général. Ne t'avise pas de l'oublier. A l'autre bout de la pièce, Fenella regardait Kanon avec une incompréhension totale. - Votre femme ? - Oui. - Vous l'aimez ? - Bien sûr. Lorsque tu arriveras au Palais de Corail, mon écuyer, Ethain, s'occupera de toi. Ma femme se nomme Liadan. C'est la Duchesse de SeaDragon. Je vais leur faire parvenir un message pour leur expliquer ta situation et… - J'ai une fille. - Quoi ? - Elle est chez la nourrice, à deux maisons d'ici. Je ne veux pas la laisser. - Très bien. On l'emmène. Va emballer tes affaires et tu iras la chercher avec deux de mes hommes. Tiens, fit-il encore en lui glissant quatre perles fines dans la main. Pour la nourrice. Allez, dépêche-toi. - Pourquoi faites-vous tout ça pour moi ? - Peut-être parce que je me sens un peu responsable de la vie que tu as eu et que tu ne méritais pas. J'ai mené cette guerre qui t'a pris ton père et qui t'a obligé à vivre ici. Aujourd'hui, j'ai la possibilité de… de réparer un peu les dégâts. - Vous n'êtes pas responsable… - Possible, mais je ne vois pas les choses de la même manière que toi. Si tu préfères rester ici, c'est ton droit. Mais saches que si un jour tu décides de venir à Atlantis, tu y seras la bienvenue. La décision t'appartient. - C'est d'accord, déclara-t-elle après quelques instants de réflexion. La vie qu'elle allait pouvoir offrir à sa fille serait d'une tout autre qualité que ce qu'elle aurait pu faire ici. - Capitaine ! - Mon Général ? - Je vous confie… Dame Fenella, déclara-t-il en souriant à la jeune femme. Elle doit arriver auprès de mon épouse et de mon écuyer saine et sauve… avec sa fille. - Sa fille ? - Oui. Euh… quelle âge a-t-elle ? - Huit mois. - Voilà, Capitaine. Vous voyagerez en compagnie d'une femme et d'un bébé de huit mois. Assignez deux hommes pour l'aider et veiller sur elle. - A vos ordres, Général. - Le voyage sera long jusqu'à Atlantis ? demanda Fenella. - Une dizaine de jours, lui répondit le Capitaine. Alors la maquerelle ? C'est emballé ? - Voilà ! cracha-t-elle en jetant un sac, fort peu volumineux au demeurant, aux pieds de la jeune femme. Sale petite ingrate ! T'es une putain et tu seras toujours une putain ! La gifle que lui assena Kanon du revers de la main la jeta lourdement au sol. Les deux autres filles, qui avaient fini par descendre en entendant tout ce bruit, aidèrent leur patronne à se relever. - J'espère pour toi qu'il ne manque rien dans ce sac, la menaça le Duc en pointant un index vers elle. - Non, tout ce qui lui appartient est dedans. Je tiens peut-être un bordel mais je suis pas une voleuse ! - Heureusement pour toi. Maintenant donne à manger à mes hommes et à leurs chevaux. Plus vite que ça ! La patronne et les deux autres filles sursautèrent au cri de Kanon et filèrent aux cuisines. Le Capitaine s'approcha de lui. - Général, vous êtes sérieux ? Une femme et un bébé ? - Très sérieux, Capitaine. Le Duc veilla à la bonne exécution de ses ordres et laissa ses hommes peu après la mi-journée pour reprendre sa route. L'escadron quitta le bourg presque en même temps que lui. Le Capitaine lui avait dit que le prochain village était encore assez loin et qu'il ne l'atteindrait pas avant le lendemain dans la matinée. Il était aussi de l'autre côté de la frontière, sur les terres du Sanctuaire. Le Duc chevaucha à bonne allure mais il se résigna à passer la nuit dans le petit bois qu'il s'apprêtait à traverser. Il allait descendre de cheval lorsque dans les derniers rayons du soleil couchant, il aperçut de la fumée qui s'élevait paresseusement au dessus des arbres. Il se dirigea vers elle et arriva devant une chaumière. Il n'y avait aucun bruit à l'intérieur mais la cheminée prouvait bien qu'elle était habitée. Il laissa Golden devant l'abreuvoir et tapa à la porte. Personne ne répondit. Il recommença, plus fort. - Voilà, voilà…, entendit-il. Qu'est-ce que c'est ? - Bonsoir. - Qui êtes-vous ? Un vieil homme se tenait devant lui, sur le pas de la porte. Il portait un pantalon de coton gris foncé avec des bottes usées, une épaisse chemise noire et une grosse veste sans manche en cuir doublé de peau de mouton. Ses petits yeux verts et malicieux démentaient son âge apparent. Il était plus jeune que le Général ne l'avait cru au départ. - Je me rends à Port Sounion mais je crains de m'être égaré. Nous offririez-vous l'hospitalité de votre étable à moi et mon cheval pour cette nuit ? - Port Sounion ? Vous êtes sur la bonne route mais effectivement vous n'y serez pas avant demain. Entrez, ne restez pas là. - Merci. - Posez vos affaires ici, lui dit l'homme en lui indiquant un coin à côté de l'armoire. La pièce n'était pas grande. Une table au centre avec deux chaises, la cheminée contre un mur avec sa réserve de bois, trois lampes à huile éclairaient le lieu. Derrière la porte ouverte, Kanon distingua un lit. Au dessus du feu, une petite marmite suspendue laissait échapper une bonne odeur de soupe. - Vous avez faim ? - Eh bien… j'ai de quoi manger dans mes sacs. Je ne veux pas vous déranger plus que nécessaire. - Y a pas de dérangement. Tenez. - Merci. Je m'appelle Kanon. - Hakurei. - La soupe est délicieuse. Vous êtes forgeron ? demanda le Duc, qui avait vu la forge à l'extérieur. - Maréchal-ferrant. Qu'allez-vous faire à Port Sounion ? - Je suis à la recherche d'une famille qui aurait perdu un enfant il y a plus de vingt ans. Au fait, la frontière n'est pas loin, non ? - Vous l'avez franchie depuis que vous êtes entré dans le bois. J'ai entendu parler d'une famille de pêcheurs qui a été endeuillée à la suite d'un naufrage. - C'est ça ! s'écria soudainement Kanon, le cœur rempli d'espoir. Vous pouvez m'en dire plus ? - Ils habitaient Port Sounion. Je ne les ai jamais vus mais si j'en crois ce que les gens racontaient à l'époque, la mère serait morte peu de temps après le drame. Le père et le fils ont survécus. Ils sont restés là quelques années puis le père est décédé à son tour. Quant au fils, je ne sais pas ce qu'il est devenu. - Vous n'avez pas d'autres détails ? demanda encore le Duc, le cœur battant à une vitesse folle et en proie à une émotion qu'il essayait de cacher. - Non. Vous voulez encore de la soupe ? - Euh… non, merci. - Port Sounion est complètement déserte depuis longtemps. Mais votre famille a certainement dû laisser des traces. Et vos souvenirs feront le reste. - Ma fam… ? Mais comment avez-vous deviné ? sursauta Kanon. - Ce n'est pas très difficile. Qui d'autre qu'un frère ou un fils entreprendrait ce genre de recherches ? - Oui, c'est juste… murmura-t-il en terminant l'infusion qu'Hakurei avait préparée. Le problème c'est que je ne me souviens de rien. Même pas du naufrage. Et peut-être que je n'ai aucun lien avec eux… - Peut-être qu'une fois là-bas, la mémoire vous reviendra, déclara doctement Hakurei sans relever la dernière phrase. - Je l'espère… - Bonne nuit, Kanon, fit-il en se dirigeant vers sa chambre. - Bonne nuit, Hakurei. - Je sais ce que c'est que de perdre un être cher, comme beaucoup d'entre nous, ajouta-t-il sans se retourner. Si vous recouvrez la mémoire, il n'y aura peut-être pas que de bonnes choses. La douleur, la tristesse, la peine des mauvais souvenirs, tout cela reviendra aussi. - Vous avez perdu quelqu'un ? - Mon frère. Il était le Médecin du Roi Mitsumasa… Il est tombé gravement malade et n'a pas été capable de se guérir… Le comble pour un homme dont la vocation était de sauver des vies… Kanon fut réveillé par son hôte qui leur préparait un repas matinal. Il se redressa et après s'être légèrement étiré, il jeta deux buches dans l'âtre, sur les braises mourantes. Rapidement, une belle flambée commença à réchauffer la pièce. - Bien dormi ? - Plutôt, répondit le Duc. - Il y a un petit bassin derrière la maison, si vous voulez vous rafraichir, pendant que je termine. Ensuite, je regarderai les fers de votre cheval. - Non, non, ça ira. Ne vous embêtez pas. - Si ça m'embêtait, je n'aurais rien dit. Voilà du lait de chèvre, du fromage et du pain que je fais moi-même, proposa le vieil homme en posant une assiette devant lui. - Hmm… c'est délicieux ! sourit le Général en mordant la miche à pleines dents. - Allez faire un brin de toilette, je m'occupe de… comment s'appelle votre cheval ? - Golden. - Je m'occupe de Golden. De toute évidence, Kanon n'avait pas le choix. Hakurei était le maître chez lui et il décidait de tout. En souriant, le Duc se soumit de bonne grâce. Il fouilla dans son sac pour prendre une chemise propre. Il faudrait qu'il pense à laver celle qu'il portait depuis plusieurs jours. Il contourna la maison et trouva rapidement le petit bassin dont lui avait parlé le forgeron. L'eau était froide mais pas glaciale. Il s'agenouilla sur le rebord en pierre après avoir ôté sa veste et sa liquette. Il suffoqua un instant puis apprécia de se sentir revigoré. Il se sécha avec sa chemise, enfila la propre puis revint vers la chaumière. Près de la forge, Hakurei était en train d'examiner les sabots de Golden. Contre toute attente, le fougueux destrier se laissait volontiers faire par cet inconnu. - Les Dieux veillent sur vous, l'ami. - Pourquoi ? - Votre cheval ne vous aurait pas mené bien loin avec de tels fers. Depuis quand n'ont-ils pas été changé ? - Je l'ignore… longtemps. - Trop longtemps. Je vais le faire. - Je vous suis reconnaissant pour votre aide, mais je n'ai pas trop le temps de m'attarder. - Eh bien prenez-le sinon Golden n'atteindra pas Port Sounion. Kanon s'assit sur un large rondin de bois, comprenant qu'il n'avait pas le choix. En silence, il observa le maréchal-ferrant à l'œuvre. Il commença par un curetage des sabots avant d'enlever les fers. L'homme en choisit d'autres, accroché sur des clous, au mur. - Activez le feu, fit-il en désignant du doigt une poignée en fer. Toujours obéissant, le Duc tira sur la chaine et le soufflet se gonfla, envoyant de l'air sur les braises qui rougeoyèrent. Hakurei y déposa le premier fer et d'un signe de tête lui demanda de continuer. Pendant ce temps, le forgeron prit une lime et rectifia le sabot de Golden qui allait être bientôt chaussé d'un fer neuf. Il retira l'objet du feu, le posa sur l'enclume et attrapa le marteau. Le bruit des coups retentit, clair, dans le silence paisible du matin, se répercutant contre la falaise de la barre rocheuse qui s'élevait non loin de là. Hakurei plongea le fer dans le seau et l'eau siffla sous la chaleur en dégageant une épaisse vapeur. Il le fit encore chauffer puis s'approcha du cheval. Il cala sa jambe entre ses cuisses et appliqua le fer sur la corne du sabot. Quelques clous plus tard, Golden avait une nouvelle chaussure. - Votre frère vivait donc à la cour de Mitsumasa, demanda Kanon pour faire la conversation tout autant que pour assouvir sa curiosité. - Vous voudrez bien dire le Roi Mitsumasa ou bien Sa Majesté. Il n'est peut-être pas votre Roi mais il est le mien. J'apprécierais que vous respectiez cela. - Je suis désolé. Il a donc étudié la médecine et les sciences ? - Oui. Très jeune, il a montré des dispositions pour ça. Un jour, le Conseiller du Roi passait dans le village. Il s'est blessé et mon frère, qui n'avait alors que quatorze ans, a aidé le guérisseur à le soigner en utilisant une technique plutôt complexe pour quelqu'un d'aussi jeune. L'homme a immédiatement proposé à Sage de l'accompagner pour qu'il puisse mettre son don au service du peuple et du Roi. Aujourd'hui, il aurait quarante-neuf ans, comme moi. Nous ne nous sommes revus qu'une seule fois, aux obsèques de notre mère. - Il n'est pas venu vous voir ? Vous auriez pu allez à Egide, non ? - La vie est ainsi faite, Kanon. Il avait beaucoup de travail avec les réfugiés et moi également. Il fallait ferrer les chevaux et les routes étaient dangereuses... C'était à une période où les combats entre nos armées s'étaient intensifiés. - Vous êtes, vous aussi, des victimes indirectes de la guerre. Elle vous a séparé. Vous avez dit que vous auriez le même âge. Vous étiez jumeaux ? - Oui. Voilà. Golden a de nouveaux fers. Il faut qu'il s'y habitue. Allez le faire marcher mais ne forcez pas. Si vous voyez qu'il renâcle, ramenez-le. Il aura peut-être besoin d'ajustements. Vous pourrez rester encore cette nuit et partir demain matin. - Je ne sais pas comment vous remercier. Peut-être que je peux chasser pour le diner de ce soir ? - Si vous voulez. Soyez prudent. Kanon harnacha Golden et l'enfourcha. Aussitôt l'animal hennit et frappa l'antérieur droit au sol. - Du calme, murmura Hakurei en soulevant le sabot. Il donna quelques coups de marteau sur un clou et relâcha la jambe. Le Duc l'éperonna doucement et le cheval avança. Il rajusta son arc et son carquois et s'éloigna sur le chemin, Golden au pas. Il s'enfonça dans le bois ombragé. Il n'y avait pas de vent et le chant des oiseaux était reposant. Soudain, sur le sol, il reconnut une piste de sangliers. Voilà un gibier qui ferait de nombreux repas pour le forgeron, songea Kanon. Il démonta et attacha son cheval à une branche. Il suivit la piste un moment et découvrit une petite mare de boue. Il se cacha dans les fougères, prépara son arc encoché d'une flèche et patienta. Au bout d'un moment, il entendit du bruit. Il scruta les fourrés, de l'autre côté de la mare. Un mouvement dans le feuillage lui indiqua qu'un animal arrivait. Bientôt il vit une laie déboucher et s'approcher prudemment de l'eau. Il banda son arc et visa l'animal. Au moment où il décocha son trait, la femelle sanglier bougea et son petit, juste derrière elle, fut touché à la gorge. Elle détala avec les trois autres. Kanon s'approcha du marcassin et lui planta son couteau dans le cœur pour mettre fin à sa douloureuse agonie. Il le vida rapidement de ses entrailles et de son sang puis le mit dans un sac qu'il accrocha à sa selle. En début d'après-midi, il retrouva la maison d'Hakurei. Celui-ci, assit sur le pas de sa porte, fumait sa pipe. - Vous aimez le marcassin ? demanda Kanon en souriant, plutôt fier de lui. - Vous ne rentrez pas bredouille, c'est bien. Voilà un gibier que je n'ai pas mangé depuis bien longtemps. - Je visais sa mère mais elle a bougé, expliqua le Général en ouvrant le sac pour montrer sa prise. - Il manque un peu de graisse mais je suis sûr qu'il sera délicieux. Comment Golden s'est-il comporté ? - Ça va. Il a fait quelques écarts mais au retour, il semblait s'être habitué. - Parfait. Je vais préparer ce marcassin. Vous voulez m'aider ? - Bien sûr. Une fois dans la maison, Kanon se débarrassa de sa veste, remonta ses manches et s'approcha de son hôte. - Dans le garde-manger, vous trouverez quelques carottes, un oignon et des pommes de terre. Epluchez-les et coupez-les dans ce récipient. - Très bien. - Et vous, Kanon, quelle est votre histoire ? Sans trop entrer dans les détails ni révéler son identité, le jeune homme lui raconta un peu sa vie. Mais le forgeron n'était pas dupe. - Ce que vous ne me dites pas ne fait que confirmer ce que je soupçonne, lança Hakurei avec un sourire en coin. - Et que soupçonnez-vous ? J'ai juste évité les détails sans importance. - Comme le fait que vous soyez le Duc de SeaDragon ? - Je vais finir par croire que vous êtes devin, sourit Kanon. - Et votre accent vous a aussi trahi. Votre duché n'est pas très loin. A l'époque où vos parents adoptifs vous ont trouvé, j'allais et je venais de chaque côté de la frontière pour mon travail. - Vous vous occupiez aussi de nos soldats ? s'étonna le Général. Ça pourrait être compris comme de la haute trahison. - Non, pas des soldats. Des civils qui avaient besoin de changer les fers des bêtes qui tiraient les chariots pleins de leurs maigres possessions. Ils fuyaient la région, d'un côté comme de l'autre. Certains habitants du Sanctuaire sont venus se réfugier chez vous et inversement. - Je l'ignorais… - Et comment auriez-vous pu avoir connaissance de ce genre de choses ? Vous menez une guerre depuis des années. Et pour combien de temps encore ? La dernière phrase fit sursauter Kanon. Hakurei ignorait que la guerre était finie. Il ne lui avait rien dit. Pas encore. - Si vous avez deviné que je suis le Duc de SeaDragon, vous devez alors savoir que je suis également le Général en Chef des Marinas. - Et Ministre des Armées du Roi Poséidon. Vous êtes un illustre personnage de votre Royaume et le plus puissant après lui. - J'ai une information qui va sûrement vous surprendre, déclara Kanon en plongeant son regard dans celui de son hôte, qui conservait encore un peu d'ironie. - Vous allez me dire que la guerre est finie ? - Qu'est-ce qui vous fait penser une telle chose ? - Le fait que vous soyez à la recherche de votre passé au lieu d'être sur le front, ou bien à Atlantis, à mettre au point des stratégies pour battre notre armée. Kanon eut un sourire énigmatique et s'assit à la table après avoir servit deux bols d'infusion. Hakurei suspendit la marmite au-dessus du feu et prit place en face de lui. Ses yeux étaient rieurs. - Vous avez raison. La guerre est finie. - Voilà une excellente nouvelle. - Vous me croyez ? Pourquoi ? - Vous êtes trop proche du Roi pour avoir des informations erronées et je ne crois pas que vous soyez du genre à vous vanter. Surtout qu'ici ça ne servirait à rien. - Le Prince Julian va épouser la Princesse Saori. Bientôt. - C'est donc ça, sourit le forgeron en soufflant sur son bol. Et… qui a eu cette idée ? - Votre Souverain. Et le mien n'a pas hésité un seul instant avant d'accepter. - Et maintenant ? Que va-t-il se passer ? - Mes troupes rentrent en ce moment même sur Atlantis et les hommes vont retourner chez eux. Je suppose que de l'autre côté, c'est la même chose. - Eh bien…, soupira le vieil homme. Je n'aurais pas cru voir ce jour de mon vivant. - Moi non plus. Nous n'avons connu que la guerre. Elle a toujours fait partie de nos vies. - Nous allons vivre un évènement historique. Nous sommes des privilégiés, Kanon. - Un chapitre de l'Histoire se termine et nous allons en écrire un nouveau. - Hier, en me réveillant, j'ai eu le pressentiment que ma journée ne serait pas ordinaire. Mais je ne m'attendais pas à ça. - Quoi donc ? - La Providence a croisé nos chemins. Je devais être celui qui allait vous donner des informations pour vous aider dans votre quête et vous, celui qui illuminerait mes vieux jours avec cette merveilleuse nouvelle. Non, je suis certain que nous ne nous sommes pas rencontré par hasard. Les deux hommes terminèrent leur infusion en silence, chacun plongé dans ses pensées. Un roulement de tonnerre ce fit entendre. - Il va y avoir de l'orage dans la montagne, cette nuit, déclara Hakurei, sûr de lui. Vous devriez allez faire courir votre cheval, voir comme il réagit. Demain vous avez un bon bout de chemin à faire jusqu'à Port Sounion. Kanon se leva et posa une main affectueuse sur l'épaule du forgeron avant d'enfiler sa veste et de sortir rejoindre son cheval. Il reprit le même chemin que le matin au petit trot. Son hôte avait raison. L'air devenait plus frais et se chargeait d'humidité. Un vent d'est s'était levé et se renforçait. Mais le Duc prolongea sa promenade. Il trouva une vaste plaine et lança Golden au triple galop. L'animal donna toute l'énergie qu'il avait et son cavalier sentit bien qu'il était heureux. Il ne soutint pas trop longtemps cette allure. Golden avait certes, envie de dépenser son trop plein de fougue, mais il fallait être prudent avec les nouveaux fers. D'ici un jour ou deux, ça ne serait plus un problème. Il rentra presque à la nuit tombée, conduisit Golden à l'étable et pénétra dans la maison. Hakurei était assis devant la cheminée et mâchouillait sa pipe. - Alors ? Comment a-t-il couru ? - Comme un démon. Encore merci pour ce que vous avez fait. - Il n'y a pas de quoi. Vous avez faim ? - J'avoue que le grand air m'a ouvert l'appétit. - Alors à table. Le marcassin ramené par Kanon et cuisiné par Hakurei fut un délice. Après s'être mutuellement complimentés, les deux hommes discutèrent comme de vieux amis. Avec la ruse due à l'expérience, Hakurei réussit à ce que Kanon lui raconte un peu sa vie, comment il était devenu l'homme qu'il est aujourd'hui et les épreuves qu'il avait traversées. Le lendemain matin, Kanon s'éveilla aux premières lueurs de l'aube. En silence, il rangea la pièce, nettoya la vaisselle de la veille et mit le reste du marcassin dans le garde-manger. Il alla derrière la maison pour faire un brin de toilette quand son regard fut attiré par une pierre. Il s'approcha et vit qu'il s'agissait d'une tombe. Il y en avait une seconde, plus ancienne, à côté. Sage Calcédie 10169 - 10201. Wynne Calcédie 10150 - 10192 (5) Ainsi son frère avait été enterré ici. Le corps avait été rapatrié d'Egide pour qu'il repose auprès des siens. Il ne vit pas la mention de leur père. Serait-il encore en vie ? Hakurei n'avait pas parlé de ses parents sauf pour dire qu'il n'avait revu son frère qu'à l'enterrement de leur mère. Kanon se rhabilla rapidement et retourna dans la maison. Il fit chauffer de l'eau et sortit du lait de chèvre, du pain et du fromage. Il réalisa que son hôte n'était pas encore levé. Il frappa doucement à la porte de la chambre mais n'obtint aucune réponse. Il ne décela pas le moindre bruit non plus en collant son oreille au panneau de bois. Il tapa encore, sans succès. Il décida d'entrer. La pièce était plongée dans une semi-obscurité. La lumière du soleil levant filtrait à travers les planches disjointes des volets. Il s'approcha du lit.
- Hakurei ? fit-il doucement en posant sa main sur l'épaule du vieil homme. Pas de réaction. Il recommença en secouant un peu plus son hôte, mais le forgeron semblait avoir le sommeil lourd. - Hakurei ? Réveillez-vous, c'est le matin. Soudain la tenaille de l'angoisse le prit à la gorge. Il ouvrit la fenêtre et les volets. La lumière inonda la chambre. Kanon se précipita sur la forme allongée et tourna le corps. Il se figea. Les yeux écarquillés, il osa poser une main tremblante sur la joue. Elle était glacée. La peau avait prit une couleur grisâtre. Hakurei était mort dans son sommeil. Le Duc recula sous le choc et chuta au sol, complètement ahuri. Il lui fallut un long moment pour reprendre ses esprits. Il finit par se lever. Dans l'armoire, il trouva un pantalon et une tunique propre ainsi qu'une grande cape à capuche. Il lava puis habilla le corps déjà raide et le porta derrière la maison. A côté de la tombe de Sage, il creusa une fosse et y déposa la dépouille du forgeron. Après l'avoir enseveli, il chercha dans les environs un rocher dans lequel il pourrait tailler une pierre tombale. Il la grava tant bien que mal avec les outils qu'il trouva dans l'atelier. Son travail était maladroit, mais il y avait mis tout son cœur. Il lui devait bien ça. Hakurei Calcédie 10169 - 10219 Il se recueillit longuement, un genou au sol. Puis, il quitta le lieu. Assis sur un ballot de paille, il ouvrit la lettre qu'il avait trouvée sur le chevet d'Hakurei et sur laquelle son nom était inscrit. A croire que le vieil homme savait qu'il ne passerait pas la nuit, sinon pourquoi ne pas lui avoir dit de vive voix ce qu'il y avait dans ce message ? Kanon, Je ne vous ai pas tout dit à propos de cette famille que vous cherchez. Vous craignez de n'avoir aucun lien avec elle, mais n'en doutez pas. J'ai rencontré votre père à plusieurs reprises pour ferrer son cheval et d'autres menus travaux de forge. Vous êtes son portrait craché. Lorsque vous avez frappé à ma porte, j'ai cru que Tyndare était revenu d'entre les morts. Vous ne l'avez peut-être pas remarqué mais j'ai eu un moment d'hésitation en vous voyant. J'ai également vu votre frère à deux reprises. Vous aussi, vous êtes jumeaux. Malheureusement, j'ignore ce qu'il est devenu ni même s'il est encore en vie. Je n'ai jamais connu son nom. Vous vous demandez certainement pourquoi je ne vous ai rien dit de tout cela. J'avoue que je l'ignore. Peut-être avais-je peur de me tromper, même si le doute n'était pas permis. Je ne voulais pas vous donner de faux espoirs. Vous m'êtes sympathique et quelles que soient les informations que vous allez découvrir, il vaut mieux que ce soit par vous-même. J'espère sincèrement que vous trouverez des réponses à toutes les questions que vous vous posez. N'en veuillez pas à un vieil homme d'avoir péché par excès de prudence. Je vous souhaite bonne chance pour la suite de votre voyage. Quelque chose me dit que vous n'êtes pas un homme ordinaire. J'avais déjà ressenti cela face à votre père et votre frère. Soyez prudent. Hakurei Kanon secoua la tête et replia le petit parchemin. Encore une énigme. Encore des questions. Bien qu'il ait appris beaucoup de choses en peu de temps, il avait l'impression d'être encore loin d'en voir le bout. Avant de reprendre son chemin, il libéra les chèvres et l'âne. Ils seraient des proies faciles pour les prédateurs de la forêt mais au moins ils ne mourraient pas de faim enfermés dans leur enclos. Il jeta plusieurs seaux d'eau dans la cheminée pour éteindre le feu ainsi que sur le foyer de la forge. Avant ça, il avait fermé les volets des deux seules fenêtres de la maison et verrouilla la porte avec la clé qui était toujours sur la serrure. Il la regarda dans sa main ouverte et finit par la glisser dans sa poche. Il enfourcha Golden et reprit sa route, l'esprit en proie à une grande tristesse. Son cœur se serra douloureusement aux souvenirs de ces deux jours qu'il avait passés en compagnie d'Hakurei. Peut-être le forgeron avait-il raison. Peut-être leur rencontre n'était pas un hasard. Il lui avait donné de précieux renseignements sur Port Sounion et lui, il lui avait annoncé la fin de la guerre. Il avait bien vu l'éclat dans le regard ancien. Il n'avait pas voulu trop montrer sa joie mais Kanon avait bien senti à quel point il était content. Il aimait à penser qu'il avait rendu un vieil homme heureux pendant les derniers instants de sa vie. Ils n'avaient pas eu de grandes discussions, l'un et l'autre n'étant pas des hommes très bavards, préférant parler utile que futile, mais Kanon garderait précieusement en mémoire ces deux jours riches en émotions et en découvertes. La journée était bien avancée et il ne serait pas à Port Sounion avant la tombée de la nuit. Mais, il s'en fichait. Il n'était pas à un jour près. Ooooo00000ooooO Golden avait mené bon train. Le Duc l'avait poussé au galop de temps à autres et l'animal semblait s'être fait à ses nouveaux fers. Ils arrivèrent en vue des premières habitations du village de Port Sounion en début de soirée. Kanon mit son cheval au pas et remonta ce qui avait dû être la rue principale. Il compta une douzaine de toits de chaume. Le lieu ne méritait pas l'appellation de village. C'était tout juste un hameau qui s'était construit autour d'une pêcherie. Immédiatement, une impression de déjà-vu assaillit le Général. Il ne se souvenait de rien pourtant il savait exactement où il était et où il devait aller. Il laissa les maisons abandonnées derrière lui et s'engagea sur un chemin qui descendait vers la mer. C'est là qu'il la vit. La petite maison était en ruine et le ponton de bois qui s'élevait au dessus de l'eau ne tenait debout que par miracle. Il laissa Golden à ce qui avait dû être l'écurie et fut surpris de trouver du foin dans la mangeoire. Du foin plus tout frais mais encore comestible puisque le cheval ne se fit pas prier pour s'en repaître. Il puisa de l'eau dans un seau pour lui donner. Il avait la désagréable sensation qu'il aurait dû reconnaître les lieux mais les souvenirs lui échappaient comme de la fumée dès qu'il essayait de les rendre plus précis. Il entra dans la chaumière et eut la conviction que quelqu'un était venu ici. Un chasseur peut-être, un déserteur. Ou plusieurs. La demeure comportait trois pièces. La cuisine et deux chambres. Dans l'une, un grand lit, dans l'autre deux petits. Son esprit était de plus en plus confus. Il aurait tellement voulu avoir un souvenir clair, quelque chose qui lui aurait apporté la preuve qu'il était bien dans son village. Il en était persuadé au fond de lui, mais si seulement il pouvait se rappeler… Il passa la nuit avec son cheval, dans l'écurie.
Au petit matin, il fut réveillé par les cris des goélands, des mouettes et autres oiseaux marins. Il grignota rapidement un morceau de viande séchée et alla voir pourquoi ces bestioles faisaient tant de raffut. Sur la plage de galets, il découvrit un phoque échoué, mort. Voilà donc pourquoi les oiseaux piaillaient tant. Sous les rayons du soleil nouveau, les lieux avaient une autre allure. Ils paraissaient moins lugubres. Il fit le tour de la maison et grimpa jusqu'aux cyprès qui s'élevaient non loin de là. De loin il devina trois sépultures. Décidément, il ne voyait que ça depuis deux jours. Il s'approcha pour lire les noms sur les pierres. Tyndare Gemini 10167 - 10206 Léda Gemini 10170 - 10196 Kanon Gemini 10189 - 10196 Son cœur rata un battement. Il était comme paralysé, incapable de bouger. Ses yeux ne quittaient pas la pierre de la troisième tombe. Kanon n'était pas un prénom courant. Jamais il n'avait rencontré quelqu'un d'autre le portant. Ce pourrait-il qu'il soit l'enfant perdu de cette famille ? Qu'avait dit Hakurei, déjà ? Le père et le fils étaient restés là plusieurs années avant le décès du père. Donc son frère était peut-être encore vie. Mais il n'avait aucune preuve. Il savait au fond de lui, il sentait qu'il était au bon endroit. Un frère. C'est certainement lui qu'il avait appelé dans son cauchemar lorsqu'il avait rendu visite à sa mère. Qu'avait dit Darina ? Saga. Il avait prononcé son nom dans son rêve. Saga… Mais il n'avait aucune preuve. Son instinct lui hurlait qu'il avait raison. Si seulement il pouvait mettre la main sur un détail alors peut-être que ses souvenirs seraient libérés. Il recula en titubant, le cœur battant la chamade. Ce n'était pas fréquent de se retrouver devant sa propre tombe et plutôt perturbant. Parce que c'était bien la sienne, il en était persuadé. Tous les éléments qu'il avait étaient cohérents. Les paroles de sa mère, le récit de Darina, du Roi et celui d'Hakurei. Mais il n'avait aucune preuve. Malgré les assertions du forgeron dans sa lettre. Ainsi donc, voilà son nom. Gemini. Kanon Gemini. Avait-il une signification particulière ? Il ne lui semblait pas inconnu. Il remuait quelque chose dans sa mémoire, mais aucun souvenir ne surgit. Combien de générations représentait-il ? Cette famille, sa famille, avait-elle une histoire ? La frustration le rendait fou. Il finit par redescendre et alla s'asseoir sur le ponton. Ses yeux se perdirent sur l'infini de la mer, vers l'est. Le soleil montait doucement dans le ciel et sa lumière lui fit plisser les yeux. Ses prunelles s'éclaircirent, prenant une couleur d'un vert doré. Il remonta dans ses souvenirs aussi loin qu'il le put, mais il arrivait invariablement à celui où il voyait le visage de Maïa pour la première fois. Avant cela, rien. Il ferma les yeux et respira profondément la brise matinale. Les odeurs lui étaient familières. Tout ici, lui était familier. Une image surgit dans son esprit. Un petit bateau avec une voile blanche où se tenaient un homme et un petit garçon. Il ne voyait pas leurs visages, juste leurs silhouettes. Il regardait le ponton et distinguait nettement la petite embarcation amarrée juste là. Il espérait à nouveau, mais après bien des efforts, plus rien ne se produisit. Il soupira lourdement. Après avoir sellé son cheval, il quitta Port Sounion en direction du sud. Il devait rentrer. Son absence commençait à être longue. Tard dans la nuit, il arriva à la forge d'Hakurei. Il dormit dans l'étable, par respect pour le vieil homme. Il ne se sentait pas le droit de passer la nuit dans la maison. Au matin, il se recueillit à nouveau sur sa tombe et cacha la clé de la chaumière sous l'une des pierres. Il aurait tant aimé lui poser d'autres questions. S'il en avait eu le temps, peut-être le vieux forgeron lui aurait confié ce qu'il avait écrit dans sa lettre ? Il ne saurait jamais pourquoi Hakurei ne lui avait rien dit. Il partit sans un regard en arrière, le cœur lourd. En l'espace de quelques jours, la nature avait changé. Les feuilles des arbres étaient bien apparentes, dans le ciel, Kanon voyait le premier vol de certains oisillons tout juste sortis du nid entourés de leurs parents qui voletaient autour d'eux pour les encourager. Une famille d'écureuils se réfugia à toute vitesse dans le creux d'un tronc d'arbre à son approche et dans les profondeurs de la forêt le brame d'un cerf résonna. La végétation s'était couverte de fleurs rivalisant entre elles d'odeurs entêtantes et de couleurs chatoyantes pour mieux attirer abeilles, papillons et autres insectes. Il longeait un large torrent lorsqu'il vit à la surface de l'eau bouillonnante des saumons sauter et remonter le courant pour frayer. Tout autour de lui, la vie hurlait. Pourtant, quelque chose l'empêchait d'apprécier tout cela à sa juste valeur. Depuis qu'il avait franchi la frontière, il entendait un bourdonnement incessant. Pas très fort mais c'était comme s'il avait reçu un coup sur la tête sans s'être évanoui. Il arriva à SeaDragon en fin d'après-midi et comme à l'aller, il s'installa dans la chambre du rez-de-chaussée qu'il avait nettoyée. Il se sentait épuisé mais c'était plus une fatigue morale que physique. Tout ce qu'il avait appris et vu au cours de son voyage, tournoyait dans sa tête sans qu'il parvienne à y mettre bon ordre. Il ne pouvait s'empêcher d'espérer. Même sans preuve réelle. Il grignota du bout des lèvres un morceau de viande séchée puis avec des gestes inconscients, il se défit de ses armes, de sa cape et de sa brigandine. Il s'enroula dans une fourrure et s'allongea sur le vieux matelas, son poignard à double lames(6) dans la main. Un sommeil lourd et profond le prit mais peuplé de rêves terribles où il se noyait… Il se réveilla avant l'aube. Quelque chose l'avait tiré de son sommeil. Il se couvrit chaudement et sortit dans la cour. Le bourdonnement qu'il entendait semblait s'être intensifié. Au point qu'il avait l'impression d'en connaître l'origine. Il alluma une torche et descendit l'escalier taillé dans la petite falaise qui menait à la plage. Une fois sur place, il tenta de percer les ténèbres mais il ne voyait rien. Il entendait juste le léger bruit du ressac. Il baissa la torche pour voir l'eau à un pas de ses pieds. Il jura vulgairement, se demandant ce qu'il faisait là. L'horizon commença à s'éclaircir. Une fine ligne claire se dessina à la frontière entre le ciel et la mer. Kanon fut fasciné par le phénomène et resta là, à l'observer.
Soudain, quelque chose s'enroula autour de sa cheville et le tira dans l'eau. Il se débattit comme un diable mais il fut entraîné dans les profondeurs noires de la mer. Le manque d'air lui fit perdre connaissance. Mais avant cela, il entendit une voix très claire dans sa tête. - Alta Drako Maris(7) Lorsqu'il ouvrit les yeux, sa vision était floue. Il cligna des paupières à plusieurs reprises et distingua ce qui semblait être le plafond d'une grotte orné de longues et fines stalactites. Il frissonna dans ses vêtements mouillés et se redressa lentement sur un coude pour découvrir où il se trouvait. Une caverne de toute évidence. Immense. Non loin de lui, il y avait un lac souterrain. Bien qu'aucun feu ni aucune torche n'était allumé, il ne faisait pas sombre. Au contraire. Il se leva et fit quelques pas. Il n'y avait pas de sortie à première vue hormis un trou dans le plafond qui laissait passer un peu de lumière. Mais comment était-il arrivé ici ? Puis il se souvint. Il avait été entrainé sous l'eau. Serait-il possible que l'issue soit dans le lac ? Si c'était le cas, il n'était pas près de sortir de là. - N'aie pas peur , gronda une voix qui résonna sous son crâne. Kanon fit volte-face. Devant ces yeux écarquillés se tenait une créature gigantesque, dont le corps était en partie dans l'eau. Ses yeux rouges le fixaient, sa langue bleue sortait de sa bouche pour lécher ses babines. Des crocs étincelants comme de la nacre ornaient la mâchoire de la bête. Sa peau était lisse et grise comme celle des dauphins et d'innombrables protubérances y poussaient comme du lierre. - Que… qu'est-ce… - Qu'est-ce que je suis ? Tu devrais le deviner. - Je ne comprends pas. - Que représente le blason de ta famille ? - Le blason ? Un Dragon des M…, s'interrompit le Duc, encore plus incrédule. - Exactement. Et je suis à tes ordres. - A mes ordres ? Mais… mais je ne t'ai pas appelé… Je veux dire… Pourquoi es-tu là ? - Des évènements se préparent. Des évènements qui ont activés les Forces Magiques et c'est cette Magie qui m'a réveillée. - Je croyais que tu étais à mes ordres, cria-t-il pour tenter de masquer sa terreur. C'est bien ce que tu as dit, non ? Et c'est ce qu'on m'a appris, poursuivit le Duc, dont les souvenirs de l'enseignement de son père venaient de ressurgirent dans son esprit. - Il n'y a que deux façon pour moi de sortir de ma léthargie. Que mon Maître m'appelle en accomplissant le rituel ou bien que la Magie de ce monde soit fortement perturbée. Et dans le cas présent, il s'agit de la seconde option. - Mais pourquoi ? Quels évènements ? - Cela, je l'ignore. Mais ce qui va se produire dans un avenir plus ou moins proche va t'obliger à te servir de moi. - Je n'y comprends rien… murmura Kanon en s'asseyant sur un rocher. C'est toi qui m'as attiré ici ? - Oui et non. Mon réveil a provoqué une sorte de bourdonnement dans ta tête parce que tu es le dépositaire du secret qui nous lie. Et c'est un lien Magique. - Quand je me suis réveillé, j'ai eu l'irrésistible envie d'aller sur la plage… - Encore la Magie… Tu sais ce que tu dois faire, Kanon. Désormais où que tu sois, tu pourras m'appeler en prononçant mon nom et tu me trouveras sur la plage la plus proche de toi. Ici, ou bien sur la côte sud, à Atlantis. - Tu connais Atlantis ? - Je connais tout de ce monde. Je lis dans ton esprit. - Quoi ? - N'ai crainte. Je vis depuis des milliers d'années. Rien de ce que tu peux penser ne me choquera. Et de toute façon, je ne peux pas te désobéir, même si tu m'ordonnais de sacrifier ma vie. - Comment te nommes-tu ? - Rinjin .(8) - Eh bien… Rinjin… même si j'ai été initié aux secrets te concernant qui sont liés à ma famille, j'avoue que j'étais loin d'imaginer que nous nous retrouverions face à face. - Ce sont des choses qui arrivent. C'est pour cela que ces secrets doivent être transmis. - Je suppose que tu parles de mon fils ? - De qui d'autre ? Tu prends plutôt bien la chose, je trouve. Le dernier qui m'a vu a failli mourir de peur. - Je n'en étais pas loin… Et maintenant ? Que va-t-il se passer ? Que dois-je faire ? - Tu le sais. Alors termine le rituel qui nous liera irrémédiablement. La conversation surréaliste, il faut bien le dire, avait permis à Kanon de se reprendre un peu. L'enseignement de son père lui était revenu en mémoire. Au début, il avait pris ça comme une légende mais lorsque le Duc lui avait remis le médaillon orné du blason familial, il en avait éprouvé une certaine crainte. La légende devenait soudainement plus réelle. Et maintenant, la brulure qu'il ressentait sur sa poitrine prouvait bien que tout était vrai. Il se leva et sortit son poignard. Il s'approcha du bord du lac et fit signe au Dragon de lui tendre sa patte. Obéissant, le monstre sortit de l'eau ses effrayantes griffes. Kanon entailla la peau entre deux doigts puis se coupa la paume de la main. Il appliqua les deux plaies l'une sur l'autre, mêlant leur sang. Une lueur verte enveloppa la plaie et s'estompa. - Le fait que je sois un enfant adopté ne va-t-il poser de problèmes ? - Aucun. A partir du moment où l'initié sait tout ce qu'il y a à savoir et qu'il accomplit le rituel, les dés sont jetés. - Tu as dit que tu pouvais lire dans mon esprit. - C'est ce que j'ai dit. - Peux-tu… voir… ce que j'ai oublié ? - Tu veux dire avant d'être trouvé par tes parents adoptifs ? - Oui. - Je regrette. Je vois bien une zone noire en toi mais je ne peux y entrer. Je n'ai accès qu'aux souvenirs et aux pensées dont tu as la clé. Tu as perdu celle de cette zone. J'espère que tu la retrouveras. - Je vois… Merci…, souffla Kanon, profondément déçu. - De rien. - Et comment je retourne à la surface, maintenant ? - Installe-toi sur ma langue. - Pardon ? sursauta le Duc en reculant. - Allons, n'aie pas peur, sembla rire le Dragon des Mers. Tu sais bien que je ne peux rien te faire. Si tu meurs, je meurs. Allez, grimpe ! Et tu n'es pas obligé de t'adresser à moi à voix haute. Nos esprits sont en communication permanente. Tu n'as qu'à penser et je t'entendrai. Kanon dut se faire violence. Il se glissa dans l'énorme gueule, prenant bien soin de ne pas se blesser sur les crocs. La langue bleue était moelleuse. Et poisseuse de bave répugnante. Le Dragon des Mers ferma les mâchoires et ce fut le noir total. Lorsqu'il revit la lumière, la plage était devant ses yeux. Il sortit et se retourna vers l'animal fantastique. Il était encore plus grand qu'il ne l'avait cru au départ. Son corps était presque entièrement hors de l'eau et le Duc put prendre la pleine mesure du colosse qu'il avait sous les yeux. - Te voilà à bon port. - Que vas-tu faire maintenant ? demanda le Général par la pensée. - Attendre que les évènements se produisent et que tu m'appelles. - Tu ne peux pas sortir de l'eau, n'est-ce pas ? - Si. Je me transforme en homme mais ma puissance en est d'autant diminuée, même si je reste beaucoup plus fort qu'un simple humain. Une dernière chose Kanon. Je ne suis pas la seule Créature Magique qui va apparaitre. Il en existe d'autres. - Lesquelles ? - Je l'ignore. Nous sommes bien plus nombreuses que tu ne peux l'imaginer. - Je comprends. Et si ce que tu dis est vrai à propos de ces évènements, il me suffit d'attendre. - Tout à fait. Si j'en crois la puissance des remous qui agitent les Forces Magiques, nous seront nombreuses à être invoquées. Kanon hocha la tête et commença à s'éloigner. Il se retourna pour regarder le Dragon des Mers et lui fit un signe de la main. L'animal inclina sa tête en guise de salut et disparut dans les profondeurs marines. Le Duc n'en revenait pas. Il commençait même à se demander s'il n'avait pas rêvé, s'il n'avait pas été victime d'une hallucination. Il secoua la tête et repartit en direction de son château. La matinée était bien avancée et il fallait qu'il regagne Atlantis au plus vite. Son Roi pouvait avoir besoin de lui, sa femme aussi. Et il devait s'assurer que Fenella était bien arrivée avec sa fille. Il plia ses affaires, chargea Golden et repris sa route vers le sud en songeant à tout ce dont était capable ce Dragon des Mers. Oui, c'était véritablement une créature terrifiante dotée de pouvoirs inouïs. Tout en chevauchant, il se remémora les paroles de son père sur ce secret de famille. - N'oublie pas, Kanon. Où que je sois, j'entendrai ton appel, perçut le Duc dans son esprit. Ooooo00000ooooO
Pendant ce temps, au Palais de Corail, Cité d'Atlantis… Liadan était inquiète. Elle n'avait pas vu Thétis depuis plusieurs jours et personne n'était capable de lui dire où se trouvait la jeune femme. Elle avait donc pris son courage à deux mains et se rendit au bureau du Comte de Sirène. Elle frappa deux coups légers à la porte et attendit. Comme personne ne répondait, elle recommença, plus fort. - Entrez ! Elle respira profondément pour se donner du courage et ouvrit la porte. Elle referma derrière elle et se tourna. Elle fut surprise par l'austérité de la pièce. Il n'y avait en tout et pour tout qu'un grand bureau, quatre armoires, une cheminée, quelques sièges et une table basse sur laquelle étaient posés des coupes en argent et une carafe. - Dame Liadan ? Que me vaut le plaisir de votre visite ? sourit Sorrento en se levant pour l'accueillir. - Pardonnez mon audace, Monseigneur. - Allons, ce n'est rien. Venez donc vous asseoir. Que puis-je pour vous ? - En fait, je n'ai pas vu Thétis depuis plusieurs jours. Et comme personne n'est en mesure d'apaiser mes inquiétudes, j'ai pris sur moi de venir vous voir. J'espère qu'elle va bien, qu'elle n'est pas malade. Le Premier Ministre du Roi eut un temps d'hésitation. Il n'y avait aucune malice dans cette demande, dans cette voix, dans ce regard. Juste un réel intérêt pour le bien-être de sa sœur. L'espace d'un instant, il fut tenté de tout lui raconter. Il avait tellement besoin de se confier. De trouver quelqu'un à qui parler du dilemme qui lui déchirait le cœur. - Elle ne vous a rien dit ? - Non. Qu'aurait-elle dû me dire ? - C'est vrai qu'elle est partie précipitamment. Nous avons reçu un message de notre intendant. Il semble que notre domaine rencontre quelques soucis. Le château n'est plus aussi bien entretenu par manque de serviteurs et ma sœur c'est rendu sur place pour décider quelles seraient les réparations prioritaires. - Je comprends, vous m'en voyez rassurée. Il est vrai qu'un intendant ne peut pas prendre ce genre de décision sauf cas de force majeure. - Tout à fait. Malheureusement, j'ignore combien de temps cela lui prendra. Elle doit me tenir informé et je ne manquerai pas de vous prévenir pour vous rassurer. - C'est très aimable. J'apprécie beaucoup votre sœur. Sans elle, je crois que je me serais sentie très seule ici, sourit Liadan. - Thétis vous aime beaucoup également. Je crois que ce qu'elle aime chez vous, c'est votre simplicité. Par rapport aux autres Dames de la cour qui sont, à mon humble avis, un peu trop… comment dire… précieuses. Vous êtes comme un rayon de soleil. - Vous me flattez, Monseigneur. Lorsque vous lui écrirez, dites lui que je pense à elle et que j'espère son retour prochainement. - Je n'y manquerai pas. - Je ne vais pas vous déranger plus longtemps. Merci de m'avoir accordé un peu de votre temps. - Ce fut un plaisir. A bientôt ma chère. Lorsqu'il referma la porte, Sorrento s'appuya contre le panneau et baissa les paupières. Par les Dieux, que c'était dur. Qu'il était difficile de mentir aux gens lorsque ceux-ci sont gentils, lorsqu'ils ne vous montrent que sympathie et affection. Mais il ne devait pas céder à ce désir de parler. S'il cela arrivait, alors il révèlerait tout au Roi. Sauf que pour l'instant, c'était au dessus de ses forces. Liadan regagnait son appartement lorsqu'elle fut interceptée par un homme. Celui-ci mit un doigt sur sa bouche pour lui intimer de se taire et l'attira dans un recoin. - Seigneur Isaak ? Mais que… - S'il vous plait, Madame, dites-moi que vous avez été prendre des nouvelles de Thétis. - Thétis ? En quoi cela vous concerne-t-il ? - Je sais qu'elle vous a prise sous son aile quand vous êtes arrivée au Palais et que vous êtes proche. Etes-vous également inquiète de son absence ? Je vous en prie. C'est pour cela que vous vous êtes rendue chez le Comte de Sirène ? La Duchesse regarda plus attentivement le Ministre de la Justice. Il avait les yeux cernés, les traits tirés et dans son regard, elle pouvait lire une inquiétude proche de l'hystérie. Elle adoucit son expression car elle venait de comprendre. - Vous l'aimez à ce point ? - Elle est toute ma vie. Où est-elle ? De grâce Madame ! - Elle est au château de Sirène. Un souci d'intendance, d'après son frère. Il espère que cela sera vite réglé. - Quel genre de souci ? - L'entretien du château n'est plus assuré correctement parce qu'il n'y a plus assez de monde pour cela. Thétis doit décider des réparations prioritaires. - Oh… je vois… Elle est partie si vite, sans rien dire… - Moi aussi, je m'inquiétais, mais nous connaissons maintenant la raison de son départ précipité, sourit Liadan en captant le regard d'Isaak. - Merci Madame. Pardonnez-moi de vous avoir ainsi bousculée, mais… - Ce n'est rien. Je comprends très bien votre inquiétude, croyez-moi. Je n'ai pas de nouvelles de Kanon. Même si je sais à peu près où il est, je ne peux m'empêcher de m'inquiéter. - Et où est-il, si ce n'est pas indiscret ? - Il… euh… il est au duché de SeaDragon. Il doit évaluer les travaux qu'il y aura à accomplir lorsque qu'il y aura à nouveau des serviteurs, mentit-telle. Thétis et lui sont absents pour des raisons similaires. - C'est vrai que sans un entretien régulier, ces vieilles pierres pourraient bien nous tomber sur la tête, sourit le Baron de Kraken. Je ne vais pas vous retenir plus longtemps. Merci Madame de m'avoir rassuré. Il la raccompagna jusque chez elle et s'inclina avant de tourner les talons. La jeune femme se précipita sur la carafe pour se servir un verre d'eau. Son cœur battait à tout rompre. Elle avait bien failli ne pas savoir quoi répondre au Baron. Et si elle avait hésité trop longtemps, le Ministre aurait compris qu'elle lui mentait. Personne ne savait que Kanon était un enfant adopté qui n'avait aucun sang noble dans les veines. Elle but cul-sec et poussa un long soupir. Kynan n'allait pas tarder à revenir de son cours avec le précepteur puis il irait faire du cheval avec Ethain. Le petit garçon était impatient de montrer à son père les progrès qu'il avait fait. Quelques jours plus tard, un serviteur vint l'informer qu'un Capitaine de l'armée souhaitait la voir. Elle se précipita au mess des officiers, dans l'espoir d'avoir des nouvelles de Kanon. Elle prit connaissance du message de son mari que le soldat lui remit et détailla la jeune femme qui l'accompagnait, attendant que la Duchesse prenne une décision la concernant. Quelque chose dans le regard de Fenella lui mit la puce à l'oreille. Elle avisa une servante. - Conduisez cette jeune femme à la salle d'eau, qu'elle se lave. Trouvez-lui des vêtements propres et installez-la dans le quartier des mères. Elle travaillera aux cuisines. - Bien, Madame, s'inclina la femme qui avait déjà un certain âge. - Je compatis à ton malheureux destin, s'adressa-t-elle à la jeune mère. Je comprends la décision de mon mari. J'espère qu'ici tu te sentiras plus en sécurité. - Certainement, Madame. Je vous remercie de votre bonté, répondit Fenella en esquissant une légère révérence, le visage fermé. Liadan lui sourit en retour et quitta les lieux. Elle étouffait. Elle ne savait comment elle avait pu contenir sa colère. Lorsque Kanon reviendrait, ils allaient avoir une sérieuse discussion tous les deux…
A suivre…
(1) Roussette : taper " chien de mer poisson" ou bien "roussette poisson" sur Google pour celles et ceux qui ne connaissent pas et vous pourrez voir des photos de ces animaux. Il arrive que d'une région à une autre le nom change mais pas le poisson. Exemple : le bar est aussi appelé loup. (2) Fenella : prénom d'origine Gaélique qui signifie "épaule blanche" (3) J'aime beaucoup cette phrase empruntée au film "Angélique Marquise des Anges", prononcée par Geoffrey de Peyrac joué par l'acteur Robert Hossein.
>> Chapitre 21 >>
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