LA LEGENDE DES QUATRE ROYAUMES...

 
   

Disclaimer : Tout l'univers de Saint Seiya que vous reconnaîtrez aisément appartient à Masami Kurumada. L'auteur n'en retire aucun profit si ce n'est le plaisir d'écrire et d'être lue. Les personnages de la mythologie appartiennent à tout le monde et les autres, ceux que vous ne connaissez pas, appartiennent à l'auteur.

Genre
:
Univers Alternatif à tendance celtico-médiévale et Heroic Fantasy. Aventure/Romance. Certains couples sont très inhabituels. Yaoi, het et lemon bien sûr.

Rating : interdit au moins de 18 ans.

Auteur : Scorpio-no-Caro

Betalecteur : Frasyl

J'espère que vous aimerez...

 


Carte de ce monde

Avant de commencer la lecture du chapitre, cherche les lecteurs de la page en la faisant défiler.
Lance le chargement de tous les lecteurs en cliquant d'abord sur" lecture" et dès que le chargement démarre clique sur "pause".
Le chargement va se poursuivre et tu pourras écouter la musique sans à-coups ni interruption.
Une fois cela fait, il te suffit de cliquer sur "lecture" pour écouter le morceau correspondant au passage que tu lis.
Attention ! Plus il y a de lecteurs, plus le temps de chargement sera rallongé car le serveur sera d'avantage sollicité .
Je recommande de mettre le son au plus bas pour une écoute d'ambiance.
Bonne lecture et bonne écoute.

Clique ici pour écouter toutes les musiques

 

Chapitre 22

Partie 2

Année 10219 de la Licorne, mois d'avril, Royaume des Ténèbres…

Quelques jours après l'arrivée de Dame Alcmène au Palais d'Ébène, le Comte de la Harpie fut pris d'une irrésistible envie de se rendre sur le Mont Elysion. C'était si impérieux dans son esprit, si fort, qu'il céda. Une pluie fine tombait. Mu par une impulsion qu'il ne s'expliquait pas, il grimpa. Il dépassa le Manoir où étaient retenues les deux captives et poursuivit son ascension. La chaleur dégagée par le volcan commençait à être difficilement supportable. Il laissa son cheval et continua à pied. Jamais il n'était venu là, pourtant il avait une étrange impression de déjà-vu. Le chemin devint très escarpé. Sous ses pieds, les pierres noires roulaient, le faisant tituber à chaque pas. Mais il ne s'arrêtait pas. Il aperçut une fissure dans la paroi rocheuse et s'engagea sans la moindre hésitation. La peur lui vrillait le ventre, mais c'est comme si quelqu'un bougeait son corps contre sa volonté. Alors qu'il s'attendait à s'enfoncer dans le noir total, une torche murale s'enflamma à son approche. Sa raison lui hurlait très clairement qu'il ne devrait pas être là. Mais son instinct…

Alta Harpyès (1) … fit une étrange voix de femme dans sa tête.

Valentine sentait son cœur battre à tout rompre dans sa poitrine, mais curieusement, sa peur reflua en entendant la voix.

— Qui est là ?

Viens… Nous te révèlerons tout…

Il déboucha dans une immense salle suintante d'eau. La chaleur avait permis le développement d'une mousse sur la roche. Des torches étaient allumées. Ce pouvait-il que quelqu'un vive ici ? Et c'est là qu'il les vit. Des créatures d'une beauté à couper le souffle.

— Qui êtes-vous ? murmura le Comte en avançant pour mieux les voir.

Tu es le Seigneur des Harpies et nous sommes à tes ordres. Je suis Daiichi, la première-née et voici mes sœurs. Approche-toi, Seigneur…

Naruto Shippuuden - Girei - Takanashi Yasuharu
L'héritage surprenant de Valentine

La Créature expliqua à Valentine ce qu'elles étaient et les raisons de leur présence. Elle répondit à toutes ses questions. Et pendant qu'elle parlait, le Comte ne pouvait s'empêcher d'être sous le charme de la Harpie. Elle avait un corps de femme parfait. Sa peau semblait, par endroits, recouverte de minuscules plumes, plus fines qu'un duvet. La couleur gris-bleu faisait ressortir le rouge vif de leurs prunelles. Chacune avait une nuance de cheveux différente. Daiichi les avait noirs comme la roche du Mont Elysion. Ces longues jambes étaient terminées par des serres de vautour et ses immenses ailes repliées dans son dos la faisaient paraître plus grande qu'elle ne l'était en réalité.

— Tu dois accomplir le rituel, maintenant, déclara-t-elle à voix haute, une voix indiscutablement féminine, mais rauque et résonnante.

— Que dois-je faire ?

— Bois ceci, ensuite tu mêleras nos sangs.

— Quel est ce breuvage ? demanda Valentine, plus que méfiant.

— Il te permettra d'assumer ton statut de Seigneur des Harpies. N'ais crainte. Tu sais au fond de toi que nous ne te voulons aucun mal.

Le Comte s'exécuta. Il but le contenu de la coupe en terre cuite, puis entailla sa paume et celle de Daiichi pour mêler leur sang. À l'instant où les deux plaies entrèrent en contact, il fut pris d'un vertige. La Harpie le rattrapa et l'allongea sur le sol de mousse.

— Ce n'est rien. Tu vas maintenant nous donner ta semence pour que nous puissions renaitre et nous mettre au service de tes héritiers lorsqu'ils auront besoin de nous.

— Comment ?... Mais…

Il sentit qu'on le dévêtait, qu'on le caressait. Une brulure voluptueuse naquit au bas de son ventre. À travers le flou de sa vision, il vit Daiichi le chevaucher puis une chaleur moite l'entoura. La créature prit ses mains pour les poser sur ses seins. Elle ouvrit la bouche dans un râle de plaisir, dévoilant des canines fines comme des aiguilles. Il comprit soudainement, au milieu des brumes de sa conscience, qu'il avait avalé un aphrodisiaque. De brusques bouffées de chaleur montaient de son ventre à son visage, il perdait le contrôle. Il entendait les gémissements de plaisir de la Harpie qui se déhanchait sur lui. Ses griffes entaillaient sa chair, mais il ne sentait pas la douleur. Il fut pris d'une frénésie incontrôlable. Il renversa la créature sur le dos et la prit violemment. De toute évidence, c'est ce qu'elle attendait. Il se déversa en elle en poussa un long cri rauque et presque inhumain. Il n'eut pas le temps de reprendre ses esprits qu'une seconde Harpie le sollicita. Toutes, les unes après les autres, extirpèrent de son corps ce nectar de vie qui leur était indispensable. Valentine s'endormit sur le sol de mousse, épuisé.

À son réveil, elles étaient toujours là. Il n'avait donc pas rêvé. Il s'assit et commença à se rhabiller.

— Vous allez rester ici ? leur demanda-t-il en ajustant son pourpoint.

— Oui. Nous attendrons que tu nous appelles.

— Vous ne mangez pas ?

— Uniquement sur le champ de bataille, répondit une autre avec de longs cheveux jaune or.

— C'est-à-dire ?

— Nous dévorons nos ennemis et nous achevons les blessés, fit une troisième.

Valentine ouvrit la bouche, incapable de parler, de savoir s'il devait se réjouir de la nouvelle ou bien aller vomir derrière un rocher.

— Rassure-toi, reprit Daiichi, toi et ceux que tu nous indiqueras comme étant tes alliés n'ont rien à craindre de nous.

— Je l'espère bien… Au fait, c'est une sorte d'aphrodisiaque que vous m'avez fait boire ?

— Pas uniquement. Il nous fallait attiser ton désir, mais surtout te donner la force de nous honorer toutes les six.

— Hum, fit le Comte, pensif. C'est très efficace…

— Tu peux nous avoir autant que tu veux, Seigneur, ronronna l'une d'elles. Jamais nous ne te dirons non…

— Nous sommes à tes ordres…

— Tu es notre Seigneur et Maître…

Valentine fut vite entouré des Harpies qui semblaient plutôt bien disposées à son égard. Il dut faire un gros effort de volonté pour ne pas se laisser aller à une nouvelle scène de luxure. Il les quitta et se retrouva dans la fournaise des pentes du volcan qui contrastait avec l'agréable et inattendue fraicheur de la caverne. Il ne trouva pas son cheval qui avait dû repartir vers la ville. Ceux qui le verraient rentrer sans son cavalier s'inquièteraient très certainement. Il soupira et se résigna à retourner à pied…

Ooooo00000ooooO

Ce soir-là, le hasard réunit la Comtesse de la Harpie, la Baronne de Minotaure et la Marquise de Myrmidon avant son départ avec le Duc de Garuda auprès de la Marquise d'Œchalie. Dinya avait croisé Endéis dans les couloirs et l'avait guidée dans le Palais, tandis que Dame Ariane avait bien volontiers accepté de rendre visite à Alcmène à la demande de son mari. Les quatre femmes étaient attablées devant un copieux repas et faisaient connaissance.

— Vous avez su vous y prendre, ma chère, disait Alcmène à Dinya. Vous faire épouser d'un homme qui est dans l'entourage immédiat du Roi, bravo.

— Je n'ai rien prémédité, Marquise. Il se trouve que… j'ai cédé à son charme et… voilà, sourit timidement la jeune femme. Je ne voulais pas le lui dire.

— Mais il l'a su et c'est très bien, déclara Ariane. Nos hommes batifolent à droite et à gauche, laissant parfois un fardeau bien lourd à porter à celles qui ont eu la faiblesse de leur céder. Nous avons deux enfants avec Gordon, mais qui me dit qu'ils n'ont pas de demi-frères ou de demi-sœurs ? Il est bon que de temps à autre, ils assument leur frivolité.

— Cela vous perturbe pour vos enfants ? demanda Endéis.

— Eh bien, qui sait si un jour l'un d'eux ne va pas venir réclamer une part de l'héritage de leur père ?

— Encore faut-il qu'ils sachent qui il est, et que votre époux les ait légitimés. Sinon, ils n'auront rien, affirma Alcmène.

— Mais ce n'est pas juste pour ces enfants qui n'ont pas demandé à venir au monde, soupira Dinya.

— C'est vrai, reprit Ariane. Mais peut-on réellement imposer à nos maris d'être fidèles ? Nous-mêmes ne le sommes pas.

— Ariane ! s'exclama Dinya. Tu veux dire que…

— Eh bien quoi ? Lors de notre mariage, il n'a été fait mention nulle part de fidélité. Certes, c'est une notion implicite, mais Gordon ne m'a jamais rien dit. Et qu'il ne s'amuse pas à le faire ! L'essentiel est que nos enfants soient assurés de leur héritage et que la Baronnie continue à prospérer pour le bien du Royaume...

— Et si jamais tu tombais enceinte ? s'inquiéta encore la Comtesse de la Harpie.

— Le Seigneur Queen a des potions très efficaces, répondit-elle laconiquement en plongeant le nez dans sa tasse d'infusion.

Les trois autres femmes se regardèrent, surprise pour Endéis, choquée pour Dinya, compréhensive pour Alcmène. Certes les hommes étaient moins discrets dans leurs tromperies, mais les femmes ne se privaient pas non plus d'assouvir un besoin, un désir. Elles étaient juste beaucoup plus mesurées. L'infidélité d'une femme passait toujours pour une trahison envers son mari, un manque de respect pour celui qui l'assure de sa protection, qui lui donne un titre lorsqu'il s'agit d'un mariage entre personnes de la noblesse. Aussi l'épouse infidèle était plus sujette aux critiques et à la médisance. Les hommes au contraire étaient beaucoup moins ennuyés par ce fait. Qu'ils soient adultères et laissent quelques bâtards derrière eux était, implicitement, une preuve de leur virilité. Les sentiments n'entraient jamais en ligne de compte au départ. Si avec les années il se développait de l'affection et de la tendresse, on était bien loin d'un amour passionnel. Il arrivait que cela se produise, mais c'était très rare.

Et les quatre femmes en avaient parfaitement conscience. Si Dinya aimait follement Valentine, elle savait très bien que son amour était à sens unique. Elle espérait qu'avec le temps, son mari l'aimerait un peu. Dame Ariane avait été très claire sur le sujet. Alcmène avait été mariée, mais ne connaissait rien de cette union qu'est le mariage. Son époux avait d'autres désirs que le corps de sa femme. Aussi finit-elle par chercher ailleurs ce qu'elle ne trouvait pas chez elle. La première fois, elle eut honte d'avoir trompé son mari, mais quand elle entendait ses ébats derrière le mur qui séparait leurs chambres, sa culpabilité se fit de moins en moins lourde jusqu'à disparaitre complètement. Elle n'en restait pas moins extrêmement circonspecte. Elle ne voulait surtout pas qu'on puisse lui reprocher quoi que ce soit. Et si par malheur elle tombait enceinte, son mari saurait très bien qu'il n'était pas le père. Il était donc inutile de lui donner matière à la répudier. Après tout, elle était Marquise, fortunée, et ne se privait de rien. Pas question de tout perdre pour un bâtard.

Quant à Endéis, elle était encore célibataire. S'occuper de sa propriété ne lui laissait guère le loisir d'avoir une vie sociale qui lui aurait permis de croiser, si ce n'est l'amour, mais au moins des partis intéressants. Elle ne semblait pas pressée outre mesure et entendre ses compagnes débattre sur le sujet, la faisait sourire. Bien sûr, comme toutes les femmes, elle espérait rencontrer le grand amour, un homme qui l'aimerait passionnément pour elle et non pas pour son domaine et qui la rendrait heureuse jusqu'à la fin de ses jours. Mais elle avait suffisamment la tête sur les épaules pour savoir que ce n'était qu'un beau rêve. Si déjà elle trouvait un époux qui la respecte et l'honore assez pour lui faire des enfants, elle s'estimerait satisfaite. Elle étouffa un bâillement qui lui rappela que le lendemain, elle repartait pour ses terres avec le Duc de Garuda.

Alcmène poussa un soupir discret. Elle se sentait bien, là. Elle appréciait la compagnie de ces femmes, elle pourrait s'habituer à cette vie au Palais d'Ébène. Mais encore faudrait-il qu'elle ait une bonne raison d'y rester. Elle laissa ses pensées vagabonder en buvant son infusion par toutes petites gorgées, n'entendant plus que vaguement la discussion entre les trois autres jeunes femmes. Son regard accrocha la bourse remplie de gemmes que lui avait rapportée Rhadamanthe. Son image s'imposa à elle et elle sentit son cœur battre plus vite…

Ooooo00000ooooO

Le jour même du départ d'Eaque, Minos reçut un courrier qui le fit sourire. Reconnaissant le sceau de Thalamée, il l'ouvrit sans attendre. Il n'avait plus vu Pasiphaé depuis qu'il s'était rendu chez elle et même s'ils avaient eu une correspondance suivie, le Duc n'avait pas eu l'occasion de lui rendre à nouveau visite. Il parcourut rapidement la missive et fronça les sourcils. Hormis les habituelles formules de politesse et quelques banalités, la Vicomtesse souhaitait le voir, mais elle ne pouvait se déplacer jusqu'à Giudecca. Sa curiosité piquée au vif, il décida de se rendre sur place. Il convoqua son Secrétaire pour lui faire part de son projet.

— Je te confie la sécurité de la Cité, Sylphide, annonça-t-il au Marquis de Basilic. Il n'y a pas grand-chose à faire.

— Ne t'inquiète pas, lui avait répondu ce dernier. Nous avons mis en place ce système tous les deux, je sais quoi faire. Tu seras absent longtemps ?

— Je l'ignore. Quelques jours tout au plus. Fais-toi aider de Valentine en cas de problème. Il dirige l'armée en l'absence d'Eaque. Et puis Queen et Hypnos sont là.

— Très bien. Sois prudent.

Le lendemain de cette conversation, Minos partit pour Thalamée aux premières lueurs de l'aube où il arriva en fin d'après-midi. Un garçon d'écurie se chargea de Thread dont les flancs étaient recouverts d'une sueur blanche tandis que le majordome l'accueillait et le faisait patienter dans le salon du rez-de-chaussée. Rien n'avait changé dans la pièce. Elle était la même que dans ses souvenirs, meublée du strict nécessaire. Dans la cheminée, une belle flambée réchauffait le lieu et la lumière de cette fin d'après-midi entrait par les grandes fenêtres. Minos eut soudain un éclair de compréhension. La plupart des maisons et châteaux du Royaume étaient pourvus de fenêtres hautes qui atteignaient presque le plafond. C'était pour faire entrer un maximum de lumière. Le ciel des Ténèbres était toujours nuageux et malgré les jours qui rallongeaient avec l'arrivée de la belle saison, les débuts de soirée devenaient rapidement sombres. Et ces grandes ouvertures permettaient d'attendre plus longtemps l'allumage des torches et des bougies. Un froissement d'étoffe le fit se retourner vivement. Pasiphaé se tenait dans l'encadrement de la porte.

— Tu m'as manqué, lui murmura-t-il une fois qu'elle fut dans ses bras.

Elle se serra contre lui et cacha son visage dans sa poitrine. Elle respira son odeur à pleins poumons. Une odeur de transpiration mêlée à celle de son cheval et du cuir de son pourpoint. Une odeur qui n'appartenait qu'à lui.

— Tu n'es pas trop fatigué ? s'enquit-elle en plongeant ses yeux dans ceux du Ministre.

— Un peu fourbu, mais je suis plus inquiet pour toi. Pourquoi ne pouvais-tu pas venir à Giudecca ?

Tout en parlant, ils s'étaient approchés et assis sur les deux fauteuils devant la cheminée. Minos voyait que quelque chose préoccupait la Vicomtesse, mais il ne voulait pas la presser de question. Il préférait qu'elle lui parle de son plein gré.

— Il y a bien longtemps que nous ne nous sommes vus, commença-t-elle.

— Je sais… Je suis désolé. Il s'est passé beaucoup de choses qui requéraient ma présence en particulier depuis que le Roi est parti en voyage.

— Je ne te reproche rien, dit-elle avec un doux sourire. Je sais bien qu'il me faudra toujours te partager avec ta charge.

Avec plus que ma charge… Si tu savais… , songea le Duc en détournant le regard vers les flammes. Alors ? Si tu m'expliquais pour quelle raison tu voulais me voir ?

— Avant tout, je te remercie d'être venu si vite, dit-elle avec dans la voix un manque d'assurance que Minos ne lui connaissait pas et qu'il remarqua immédiatement. La dernière fois que tu étais là, nous avons eu… une étrange conversation, mais qui fut utile.

— Pasiphaé, où veux-tu en venir ? s'impatienta le Ministre.

— Nous l'ignorions à ce moment, mais tu m'as laissé un souvenir. Un merveilleux souvenir et je ne parle pas de la nuit que nous avons passée.

Son sourire devint tendre, ses yeux bleus se mirent à briller et ses mains passèrent sur son ventre dans un geste machinal. Minos la regardait attendant qu'elle poursuive.

— Je vais avoir un enfant.

Le Duc de Griffon n'eut aucune réaction. Il continua à la fixer comme si les mots qu'elle venait de prononcer l'avaient été dans une langue étrangère. Puis tout doucement, ils prirent enfin toute leur signification. Il commença à sourire à son tour, un sourire timide qui s'élargit jusqu'à devenir éblouissant. Il se leva et s'agenouilla auprès de la jeune femme. Il baissa les yeux sur son ventre et c'est à ce moment qu'il remarqua qu'il était légèrement plus visible sous l'étoffe de sa robe. Avec beaucoup de délicatesse, il posa une main dessus aussitôt recouverte par celles de la Vicomtesse.

— Tu attends un enfant ? murmura-t-il. Nous allons avoir un bébé ?

Atlantean Sword - BO Conan le Barbare - Basil Poledouris
Un nouvelle bienvenue

La joie qui illumina le visage de Pasiphaé aurait éclipsé le soleil lui-même s'il brillait plus souvent. Minos avait dit "nous". Il s'incluait dans cet évènement. Ce qui voulait dire qu'il ne la laisserait pas seule face à cette épreuve, qu'il assumerait ses responsabilités, son rôle de père. Il se redressa légèrement et l'embrassa.

— Pourquoi ne m'as-tu rien dit plus tôt ?

— Je voulais en être bien certaine et… j'avoue que je ne savais pas trop comment tu allais prendre la chose, se défendit-elle sans se départir de ce sourire qui semblait ne plus vouloir quitter ses lèvres.

— Comment j'allais prendre la chose ? Pasiphaé, je suis le Duc de Griffon, Ministre d'Hadès, Chef de la Police du Royaume. Crois-tu vraiment que j'aurais pu ne pas assumer ma paternité ?

Elle eut une moue de regret. Non pas qu'elle le pensait capable de se défiler, mais il est toujours délicat d'annoncer ce genre de chose à un homme qui n'est pas votre mari.

— Eh bien… nous nous connaissons encore si peu… je n'arrivais pas à deviner ta réaction.

— Ma réaction, elle est très simple. Tu portes mon enfant, le futur Duc de Griffon et Vicomte de Thalamée. Nous allons nous marier. Et j'ai terriblement envie de te faire l'amour. Là, maintenant, tout de suite…

Et alors que la jeune femme lui lançait un regard surpris, il se leva, la prit dans ses bras, l'embrassant à pleine bouche et grimpa à toute vitesse les escaliers qui menaient à la chambre. Là, il la posa au sol et commença à se dévêtir.

— Dis-moi, il n'y a rien qui nous empêche de…

— Euh… non…, il faut juste… que tu sois… que tu n'écrases pas trop mon ventre…, répondit-elle amusée et un peu gênée, mais également excitée.

Minos ne portait plus que son pantalon. Il l'aida à délacer sa robe qu'il lui enleva ainsi que sa chemise. Il la regarda, remarquant que ses seins semblaient plus lourds. Son ventre s'ornait d'un adorable renflement qui attira irrésistiblement la main du Ministre. Il s'agenouilla et posa ses lèvres sur la peau qui commençait à se tendre. La Vicomtesse eut un petit sursaut et sourit.

— Mon fils est là, chuchota Minos en levant les yeux vers elle.

— C'est peut-être une fille, fit-elle sur le même ton.

— Qu'importe… C'est notre enfant… Quand dois-tu le mettre au monde ?

— En octobre…

Il l'obligea à reculer jusqu'au lit où ils s'allongèrent. Immédiatement le Duc se mit à caresser la jeune femme dont la respiration s'accéléra. Le baiser qu'il lui donna et auquel elle répondit voracement n'avait rien de chaste. Il sentit ses mains déboucler sa ceinture pour le débarrasser de son pantalon. Elle était encore plus entreprenante que dans ses souvenirs. Octobre… Minos eut un désagréable frisson. L'avenir était incertain. Qui sait s'il serait encore là pour la naissance de son enfant ? Mais il chassa cette idée pour se concentrer sur Pasiphaé. Il déposa une myriade de baisers sur son visage avant de se perdre dans la contemplation de ses yeux. Il captura encore ses lèvres avant de dériver sur sa joue jusqu'à l'oreille qu'il mordilla. Un soupir lascif lui répondit. Il empauma un sein qu'il caressa avec douceur alors que sa bouche dévorait le cou et l'épaule. Contre lui, Pasiphaé se tendait, submergée par le désir. Allongée sur le côté, face à Minos, elle passa sa jambe sur la hanche de son amant, sentant mieux contre son ventre la verge dressée. Elle ondula son corps pour lui procurer du plaisir.

Minos laissa échapper un petit gémissement et happa entre ses lèvres la pointe dure d'un sein. La jeune femme eut un soupir de contentement et alla vers la bouche qui la torturait délicieusement. La repoussant sur le dos, le Duc la surplomba, placé entre ses jambes. Elle poussa un cri qui se termina dans un râle lorsqu'il entra en elle. Il commença à se mouvoir lentement, avec une infinie douceur. Pasiphaé s'accrochait à ses épaules musculeuses, passait ses mains sur le torse puissant avant de les glisser sur les reins pour l'inciter à aller plus vite. Mais le Duc ne l'entendait pas de cette oreille. Il se retira, récoltant un soupir de frustration qui fut rapidement remplacé par de nouvelles plaintes de plaisir à mesure qu'il embrassait le ventre doux. Il chemina jusqu'à cet antre de feu qu'il gouta d'abord des lèvres. Dans ses cheveux, les mains de la Vicomtesse le maintenaient comme si elle craignait de le voir s'éloigner trop vite. Puis de la langue, il explora tous les replis secrets et humides arrachant un véritable cri d'extase à la jeune femme. Il ne s'arrêta que lorsqu'il la sentit trembler violemment en proie à une jouissance extraordinaire. Il remonta vers son visage et l'embrassa à pleine bouche, lui faisant gouter à sa propre saveur.

Minos lui laissa le temps de reprendre son souffle avant d'à nouveau s'installer entre ses jambes. Mais à sa plus grande surprise, elle le repoussa sur le dos et le chevaucha.

— C'est encore le meilleur moyen de ne pas écraser mon ventre, murmura-t-elle en souriant.

Et elle le fit disparaitre en elle. Minos se cambra sous la déferlante de plaisir qui lui cravacha les reins. Alors que Pasiphaé commençait à bouger, elle se pencha en avant, regardant son amant droit dans les yeux. Le Duc comprit instantanément ce qu'elle voulait. Il posa ses mains sur les seins qui ballottaient devant son visage pour mieux les embrasser. Il lécha la peau soyeuse, tirant d'adorables petits cris à sa maitresse. Il en téta un tandis qu'il pinçait doucement l'autre entre ses doigts avant d'inverser et de recommencer. Pasiphaé accéléra ses mouvements et Minos se délectait de son corps si sensible. Peut-être cela est-il dû à sa grossesse ? Il avait entendu dire que parfois les femmes enceintes devenaient insatiables. Il entoura sa taille de ses bras et augmenta la cadence de ses coups de reins. Leurs corps en sueur glissaient l'un contre l'autre. La Vicomtesse se redressa, la tête rejetée en arrière et laissa échapper un râle de jouissance alors que son corps tout entier semblait prit de convulsions. Le Duc rendit les armes à son tour et déversa son plaisir au creux de son ventre brulant. Elle s'écroula sur sa poitrine, le souffle court, encore bercée par les vagues de l'orgasme.

— Fais-moi encore l'amour, entendit-il à son oreille.

— Laisse-moi juste le temps de reprendre des forces, répondit-il en souriant avant de l'embrasser.

Plus tard, alors que Pasiphaé s'était endormie dans ses bras, Minos pensait. Il était certes, fatigué, mais malgré tout, il avait du mal à trouver le sommeil. Il songeait justement à l'avenir. Il essayait d'imaginer tout ce qui pouvait arriver avec cette menace qui planait au-dessus de la tête de son Roi et des Ténèbres. Et maintenant, il fallait qu'il intègre une nouvelle donnée dans l'équation : sa future paternité. Il était très heureux de cet état de fait. Et même si son cœur battait pour une seule et unique personne, il n'en éprouvait pas moins des sentiments profonds pour la femme qui sommeillait contre lui. Et étrangement, là, à cet instant, il regrettait qu'Eaque ne soit pas à sa place. Puis il se demanda comment il allait lui annoncer la nouvelle. Son amant était jaloux et un peu possessif et lui-même devait s'avouer que si leurs rôles étaient inversés, il ne verrait pas la chose d'un bon œil. Mais l'un et l'autre devraient s'en accommoder. Finalement le sommeil l'emporta, alors que dans son esprit se superposaient les visages d'Eaque et de Pasiphaé…

 

Le lendemain matin, la chambrière fut surprise de voir que la Vicomtesse avait un invité. Elle allait sortir lorsque celle-ci l'appela.

— Dis aux cuisines de préparer un déjeuner copieux et vois si tu peux trouver quelques vêtements pour le Duc.

— Non, non ! refusa Minos qui s'était également éveillé. Nous partons aujourd'hui pour Giudecca. Je veux que tu viennes vivre au Palais.

— Mais, je ne peux pas monter à cheval, c'est pour ça que je t'ai demandé de venir, lui rétorqua-t-elle après avoir congédié la servante d'un geste de la main.

— Eh bien, tu iras en chariot. Il y en a un dans l'étable. Il est en assez bon état et il pourra même emporter tes malles.

— Minos ! Tu es sérieux ? s'étonna Pasiphaé qui avait du mal à croire ce qu'elle entendait.

— Évidemment. Tu crois que je vais te laisser seule au fond de ta campagne alors que tu portes notre enfant ? Au Palais, ce sera plus confortable et Queen, le Médecin du Roi, veillera à ce que tout se passe bien pour toi. Et le bébé.

Trois jours plus tard, Minos franchissait les portes de Giudecca en compagnie de sa future épouse, d'un de ses serviteurs et de deux servantes.

Ooooo00000ooooO

Rhadamanthe trottait sur un sentier qui s'enfonçait dans un petit sous-bois. Au sortir du bosquet, dans l'immensité de la plaine de la Caïna, il vit deux silhouettes assises sur un rocher aux côtés de deux chevaux. Elles se levèrent à son approche. Il avait changé d'avis et choisi deux autres de ses subordonnés. Zelos n'était pas le plus efficace pour un combat au corps à corps si jamais ça devait se produire. Le Ministre des Renseignements préféra donc revoir son choix.

— Personne aux alentours ? demanda le Duc en descendant de sa monture.

— Non, Seigneur, répondit l'un des individus.

— Avez-vous peaufiné les détails de votre mission ?

— Il ne manque que le point de départ de nos recherches que nous voulions vous soumettre, fit le deuxième.

— Quand le Roi reviendra, vous lui exposerez vous-même votre plan. Violate, Kagaho… les interpella-t-il alors qu'il remontait sur Great, je sais que vous avez très peu d'affinités l'un avec l'autre. J'espère que vous saurez mettre vos désaccords de côté pour assurer le succès de votre mission.

Les deux concernés s'entreregardèrent, non sans une certaine animosité, et opinèrent du chef. Le Duc les laissa et regagna la Cité.

— Avoue que ça blesse ta fierté de mâle de te retrouver sous les ordres d'une femme, Kagaho.

— Uniquement si nous sommes en présence d'Amazones, Violate, ne l'oublie pas. Uniquement dans ce cas-là.

La jeune femme eut un sourire méprisant et libéra ses longs cheveux d'un noir violet de leur attache. Le vent les rabattit sur son visage.

— Je suis sûre que tu aimerais être dominé par une femme, le provoqua-t-elle.

— Dans certaines circonstances, je ne dis pas non. Je te ferai une petite démonstration, si tu veux.

— Trêve de plaisanteries. Toi et moi avons l'habitude de travailler seuls. Si nous voulons réussir cette mission, va falloir apprendre à compter l'un sur l'autre.

— Crois-tu que je l'ignore ? Pour le Roi, je suis capable de tout. Même mourir à ta place s'il le faut.

— Mourir à ma place ? Je m'en souviendrai, rétorqua-t-elle, sarcastique.

Le dénommé Kagaho, Chevalier du Bénou et espion de Rhadamanthe de son état, ébouriffa ses courts cheveux bleu-gris et enfourcha son cheval. Provocant, il lui envoya un baiser du bout des lèvres avant de partir au galop vers la Cité de Giudecca. Violate serra les poings et le suivit. Elle savait par avance qu'elle allait détester cette mission. Habituée à travailler seule, elle doutait de pouvoir s'entendre avec son partenaire imposé. Mais ce qu'elle redoutait par-dessus tout c'était la violence et la cruauté dont était capable cet homme. Sa réputation dans ce domaine n'était plus à faire et elle était loin d'être usurpée.

Une rumeur persistante disait que Kagaho avait fait avouer à un homme qu'il était un sympathisant de Pontos en torturant sa fille de quatorze ans sous ses yeux. À une époque où Hadès n'avait aucune pitié pour les alliés de son oncle, Kagaho avait laissé une trainée sanglante derrière lui. Et pour le récompenser de son efficacité, le Roi l'avait fait Chevalier. Violate n'avait aucun doute quant au dévouement et à la loyauté de son partenaire envers le Roi. Elle se demandait juste ce qui motivait de tels sentiments. Pour elle c'était plus simple. Ce qu'elle éprouvait pour Eaque l'avait poussée à entrer dans l'armée, mais elle était trop douée dans certains domaines et c'est tout naturellement que le Duc de Garuda l'avait recommandée à Rhadamanthe. Elle ne s'en plaignait pas. De par sa fonction d'espion, elle avait toute latitude pour observer l'homme qui faisait battre son cœur. Elle n'ignorait rien de ses faits et gestes. Pas même sa liaison avec le Duc de Griffon. Elle en avait été profondément affectée, mais s'il était heureux, c'est tout ce qui comptait aux yeux de la jeune femme. Et elle avait bien conscience qu'Eaque ne l'aurait jamais regardé. Elle était trop masculine, trop indépendante, trop insoumise. Le Duc préférait sans doute les femmes qui décoraient bien un salon, en tant que bibelot dudit salon bien sûr. Pas question qu'une femme soit son égale. Et avec l'entraînement qu'elle avait reçu, nul doute que dans un combat singulier, elle aurait mis Eaque en difficultés. Elle devait se faire une raison. Celui qu'elle aimait était amoureux d'un homme. Fin de l'histoire. Elle entra dans la taverne où l'attendait Kagaho et s'assit à sa table. Ils commandèrent quelques pintes de bière, en tendant l'oreille aux rumeurs et récits des marchands et des voyageurs, comme tout bon espion qui se respecte. Soudain Kagaho se leva.

— Où vas-tu ?

— Prendre du bon temps avec cette jolie serveuse. Tu veux venir ?

— Tu aimerais que je dise oui, hein ?

— Ça ne me déplairait pas, mais je doute que tu en aies le courage.

Encore une fois, il mima un baiser dans la direction de Violate qui fulminait. Mais la discrétion était leur devise. Elle ravala sa colère et le regarda s'éloigner en direction d'une porte qui donnait vers les cuisines et certainement d'autres coins plus tranquilles.

Ooooo00000ooooO

Les Gorges du Styx…

Silent Sentinel - Adrian von Ziegler
Un voyage mortel

Un lieu presque aussi effrayant que la prison du Tartare. Une route qui ne pardonnait pas la déconcentration. Un chemin qui semblait guetter la moindre faiblesse de ceux qui décidaient de l'emprunter. Il faisait à peine plus de quatre mètres dans sa plus petite largeur et tout juste six pour la plus grande. Les roues des chariots flirtaient dangereusement avec le bord abrupt. Il fallait un conducteur habile pour ne pas faire tomber l'attelage dans le vide.

La légende racontait qu'en des temps reculés, un Dieu en colère avait assené deux coups d'épée à la montagne. Le morceau central s'était effondré et la lame rocheuse avait créé cette route encaissée entre deux hautes falaises que même les chamois et les mouflons n'auraient pu escalader malgré leur agilité. Et de chaque côté, un abime sans fond plongeait dans les entrailles de la montagne. Mais bien que fort dangereux, cet itinéraire était assez fréquenté. Il évitait le contournement du Massif des Lamentations qui prenait une dizaine de jours alors que là, il n'en fallait que deux ou trois. Le vent violent qui s'engouffrait dans la brèche pouvait désarçonner les cavaliers et nombreux étaient ceux qui avaient disparu corps et biens dans ce lieu.

La colonne s'engagea dans le passage. Eaque chevauchait au pas aux côtés d'Endéis dont le visage fermé trahissait son angoisse. Le Duc décida de la prendre avec lui. Ils n'échangèrent aucun mot et la jeune femme lui en fut reconnaissante. À l'aller, elle avait marché avec ses serviteurs, mais là, les soldats ne semblaient pas décidés à descendre de leurs chevaux. Une pluie fine s'était mise à tomber, rendant le sol glissant. Parfois, très rarement, le chemin s'élargissait et l'abime disparaissait créant des espaces naturels de bivouac. Endéis n'avait qu'une hâte, arriver à l'un de ses endroits. Pourtant, une question la chiffonnait.

— Nous sommes nombreux pour camper, comment va-t-on faire ? demanda-t-elle au Duc.

— Comme nous pourrons… La plupart des hommes dormiront sur le chemin. Nous y mettrons les chariots et vous pourrez vous y installer avec vos serviteurs.

La jeune femme avait bien senti la tension dans la voix d'Eaque aussi préféra-t-elle éviter de lui parler alors qu'il se concentrait sur la conduite de son cheval. Instinctivement, elle se serra contre lui pour se rassurer et pour profiter de sa chaleur. Malgré leurs capes de cuir, ils étaient tous trempés et frigorifiés. Tard dans la soirée, ils arrivèrent enfin à cette esplanade. Un des capitaines fit avancer la cohorte jusqu'à ce que les chariots puissent être conduits à l'écart de la route. Sur l'un d'entre eux, les hommes montèrent rapidement un abri de fortune pour la jeune femme. Le repas se résuma à des tranches de bœuf séchées, du pain et de l'eau. Et le joueur de lyre resta silencieux.

Endéis se glissa dans la tente, bien contente de se retrouver au sec. Elle alluma une lampe à huile et changea de vêtements. Elle se décida à mettre le pantalon qu'elle avait emporté. Ce n'était pas une tenue très féminine, mais elle était bien pratique surtout dans un tel voyage. Lorsqu'elle était venue de Myrmidon, elle avait pris son temps. Mais là, la cadence des soldats était beaucoup plus soutenue. Eaque l'avait prévenue, mais sur l'instant, elle avait cru qu'il exagérait. Eh bien, elle devait admettre que non. Il ne leur avait fallu que cinq jours au départ de Giudecca pour atteindre l'entrée des Gorges, alors que pour la même route en sens inverse, elle en avait mis trois de plus. D'un autre côté, elle était plutôt contente de voir qu'elle rentrerait plus tôt chez elle. Vêtue de sec, elle s'allongea sous les fourrures et se recroquevilla pour essayer de garder un peu de chaleur. Elle somnolait lorsqu'elle sentit le chariot bouger. Eaque entra et se coucha à côté d'elle sans un mot.

— Je peux savoir ce que vous faites là ? s'indigna-t-elle alors qu'il la prenait dans ses bras pour la serrer contre lui.

— Les hommes dorment par deux ce soir pour se tenir chaud. Nous faisons comme eux.

— Mais je ne vous permets pas ! s'écria-t-elle avant d'être bâillonnée par une main froide et rugueuse.

— Je ne vous demande pas votre avis. Couchez-vous et dormez !

Et il souffla la lampe.

Un épais brouillard les accueillit au réveil. Au-delà de quatre ou cinq mètres, la visibilité était nulle. Eaque claqua ses gants de cuir dans sa main, contrarié. Pour l'instant, il n'avait eu à déplorer aucun accident, mais la journée ne faisait que commencer. Le camp fut rapidement levé et les hommes se remirent en route dans un silence sinistre. Même le bruit des sabots des chevaux résonnait de façon lugubre entre les deux murailles de pierre. À nouveau, le repas se composa de viande séchée, de pain et d'eau à dos de cheval. Il était inutile de s'arrêter pour si peu. Plus à l'aise dans son pantalon, Endéis refusa poliment l'offre d'Eaque de la prendre sur Flap (2) et le suivit aussi calmement que possible.

À croire que les Gorges du Styx ne laissaient jamais passer qui que ce soit sans prélever une taxe, un tribut. Même Endéis en avait fait l'expérience lors de sa première traversée. Un des sacs qui contenait quelques vêtements s'était décroché d'un cheval et était tombé. Et là, des cris la firent se retourner, juste pour voir un homme et sa monture basculer dans le vide. Elle ferma les yeux et baissa la tête. Eaque remonta la colonne et s'enquit des circonstances de l'accident. Rien n'était à reprocher au malheureux. Son cheval avait tout bêtement glissé sur la roche mouillée. Il revint près de la jeune femme et la regarda ravaler ses larmes. Elle ne voulait pas pleurer.

— Ne vous retenez pas, ma Dame, fit l'un des soldats tout poche. Pleurez pour nous tous. C'est une chose qui lui aurait plu. Il disait toujours que personne ne pleurerait sa disparition, parce qu'il n'avait pas de famille. Alors savoir que quelqu'un est triste pour lui, là où il est, ça doit le faire sourire.

— Mais… pourquoi ? hoqueta-t-elle en se laissant finalement aller à sangloter.

— Ce sont des soldats, ma Dame, fit la voix du Duc. Ils ne verseront pas de larmes pour l'un des leurs, mais ils apprécient que quelqu'un le fasse pour eux.

— C'était votre compagnon et… et ça ne vous fait rien ?

— Si ma Dame, il va beaucoup nous manquer. Il jouait bien de la lyre et avait une belle voix.

Sur un regard de son Général, l'homme s'éloigna et ils reprirent leur route. Endéis prit à cet instant la pleine mesure du danger auquel elle s'était exposée avec ses serviteurs. Qu'ils n'aient perdu qu'un sac relevait effectivement du miracle comme le lui avait dit Eaque. Le voyage se poursuivit dans une ambiance encore plus morose, si tant est que ce fût possible.

En fin d'après-midi, ils sortirent enfin des Gorges du Styx, remerciant tous les Dieux de la création de s'en tirer à si bon compte. Endéis vit avec soulagement la plaine en contrebas. Il faudrait encore une journée pour atteindre le pied du Massif et la moitié d'une autre pour arriver sur ses terres. Elle sembla reprendre vie et adressa un sourire triste et fatigué à Eaque. L'espace de bivouac fut rapidement investi et les hommes ne trainèrent pas longtemps autour des feux. Ces deux jours dans les Gorges, perpétuellement sur leurs gardes, les avaient bien harassés. Pas tant physiquement que moralement. Le Duc décida de réduire le nombre de gardes. De nouveau la pluie tomba, fine, froide, pénétrante. En se couchant, Endéis ne pensait qu'à une chose : un bon bain. Elle se sentait sale, poussiéreuse. Sa chevelure écarlate ressemblait à un chiffon usé, ses reins étaient une souffrance permanente, et elle accueillit Eaque et son cataplasme d'argile avec bonheur. Leurs rapports s'étaient stabilisés. Elle ne lui tenait plus tête, bien consciente que ce qu'il faisait c'était pour sa sécurité. Et puis, ce serait bien mal le remercier d'avoir accepté de déplacer autant d'hommes. Et d'en avoir perdu un. Aussi faisait-elle des efforts pour se montrer aimable, même si parfois, il lui en coutait et qu'elle retenait avec difficulté la réplique acerbe qui lui montait aux lèvres.

De son côté, Eaque n'avait cessé de l'observer. Il devait bien reconnaitre qu'elle avait du cran. Et du courage. Se lancer ainsi dans un tel voyage, peu de femmes l'auraient fait. Ce qui l'amena à lui demander pourquoi parmi ses voisins, aucun ne l'avait accompagné.

— Bon nombre sont des fidèles de Pontos, lui avoua-t-elle. Mais ils ont de plus en plus conscience que jamais il ne récupèrera le trône. Alors sans réellement apprécier le Roi Hadès, ils se contentent de vivre tranquillement en exploitant leurs terres.

— Pensez-vous qu'ils puissent être une menace pour le Royaume ou le Roi ?

— Sincèrement, je ne le crois pas. Et votre venue ne pourra que faire remonter le Roi dans leur estime. Il faudra bien qu'ils comprennent que c'est Hadès et non Pontos qui vient protéger leurs biens.

— Vous ne les aimez pas beaucoup, n'est-ce pas ? sourit Eaque en terminant de bander sa taille fine.

— Lorsqu'ils ont appris ce que les soldats de Pontos ont fait aux miens, ils se sont empressés de prêter serment d'allégeance à l'usurpateur au lieu de se battre contre lui.

— Ils ont voulu protéger leur famille, essaya le Duc, en vain.

— Et mes parents aussi ! Ma mère en est morte et mon père est invalide ! Eux ils sont encore bien portants.

— Je suis surpris que Pontos ne vous ait pas confisqué vos terres.

— Il l'a fait, mais depuis que le Roi Hadès est monté sur le trône, notre voisin qui s'était vu offrir Myrmidon, nous l'a rendu. Ce n'est pas un mauvais homme et il a compris où se trouvait son intérêt, voilà tout. Devant l'état de mon père, il nous a permis de rester chez nous. Il ne nous a pas chassés.

Tout en discutant, Endéis s'était assise. Elle n'avait pas remis sa chemise et gardait les bras croisés sur sa poitrine. Son regard était fixé sur la petite flamme de la lampe, aussi ne voyait-elle pas l'incendie dans les yeux du Duc. Il la dévorait de ses prunelles violettes assombries par le manque de lumière.

— Je comprends mieux maintenant pourquoi vous avez entrepris un tel voyage seule. Ou presque.

— Merci d'avoir accepté d'envoyer des soldats pour nous aider.

— Mais c'est naturel. Vous êtes des sujets du Roi. La sécurité du Royaume est une de ses priorités. Notre terre n'est pas très fertile, aussi il est normal d'aider et de protéger ceux qui possèdent de quoi nourrir le peuple. Comme vous.

La jeune femme leva son visage vers l'homme face à elle et se perdit dans ses yeux. Si elle ne comprenait pas consciemment la flamme qui y brillait, son corps lui, ne s'y trompait pas. Elle ne se déroba pas lorsqu'Eaque s'avança pour l'embrasser. Elle était comme hypnotisée, incapable de dire ou faire quoi que ce soit. Sauf répondre à ce baiser. Son premier baiser. Le Duc passa une main derrière sa nuque, sous les boucles emmêlées pour ne pas qu'elle s'éloigne. Mais il vit rapidement qu'elle n'en avait pas l'intention. Il délaissa ses lèvres pleines et douces qu'il n'avait pas tenté d'ouvrir pour découvrir et savourer la chaleur de son cou. Elle gémit et sursauta brusquement.

— Je… ne… Je vous en prie, arrêtez… souffla-t-elle en s'écartant un peu, resserrant ses bras sur son corps.

— Rhabillez-vous, Endéis, murmura Eaque, la tête basse. Rhabillez-vous et sortez d'ici… sinon je ne réponds de rien.

Confuse et profondément troublée, elle quitta la tente. Eaque leva la tête vers le toit de tissu et ferma les yeux en soupirant. Il ne l'aimait pas, il n'était pas amoureux d'elle, mais il la désirait si fort que ça en devenait une obsession. Foi de Garuda, elle lui appartiendrait !

Ooooo00000ooooO

Au Manoir d'Elysion, le temps s'écoulait avec une lenteur exaspérante pour les deux captives. Elles avaient appris à se connaître, s'entendaient bien et chacune était un soutien moral pour l'autre dont aucune ne saurait plus se passer. Freya était la plus calme. Elle était toujours en train de tempérer son amie qui menaçait plusieurs fois par jour de s'en prendre aux serviteurs qui leur apportaient leurs repas, préparaient leur bain ou faisaient le ménage. L'idée de ligoter deux des femmes et d'usurper leur place leur avait valu de longues discussions sans réellement aboutir à la mise au point d'un plan d'évasion. Le personnel du Manoir était assez réduit et ils se connaissaient tous. Jamais elles n'auraient pu passer pour deux servantes.

Alors, elles regardaient le temps qui s'écoulait jusqu'à en avoir perdu toute notion. La veille, Freya avait demandé la date. Le serviteur muet avait écrit sur un bout de parchemin : vingt-huitième jour du mois d'avril. Les deux jeunes femmes étaient anéanties. Deux mois que Freya était prisonnière ici et un pour Thétis. Elles avaient l'horrible impression que cela faisait des années.

La sœur du Premier Ministre du Roi Poséidon eut comme un vertige. Elle posa une main sur son ventre et s'assit sur le premier siège qu'elle trouva. Aussitôt Freya fut à ses côtés, inquiète.

— Tu ne te sens pas bien ?

— Je ne sais pas… J'ai… des crampes dans le ventre… et les reins…

— Veux-tu de j'appelle quelqu'un ?

— Non, je vais aller me rallonger un moment…

Elle se leva, fit quelques pas en direction de sa chambre et s'arrêta. Soudain elle se plia en deux, laissant échapper un cri de douleur et chuta lourdement sur le sol. Freya courut près d'elle et s'agenouilla. Elle dégagea les mèches de cheveux qui tombaient sur son visage.

— Thétis ! s'écria-t-elle. Qu'est-ce que tu as ?

— J'ai… j'ai mal… sanglota la jeune femme, recroquevillée sur elle-même.

— Je vais chercher quelqu'un ! fit son amie en courant vers la porte verrouillée. S'il vous plait ! cria-t-elle en cognant avec ses poings. Il y a quelqu'un ? Thétis est très malade ! S'il vous plait !

Elle entendit des pas précipités et le bruit d'un trousseau de clés. Elle se recula de la porte qui s'ouvrit sur une femme et deux hommes qui virent immédiatement Thétis au sol. Ils la soulevèrent pour la porter sur son lit quand la femme fit un signe à Freya lui montrant la robe de son amie. Elle ouvrit de grands yeux et mis les mains devant sa bouche. La jupe était tachée de sang. Freya n'avait même pas réalisé que la porte était restée ouverte et qu'elle aurait pu s'enfuir. Elle rejoignit Thétis qui était sur son lit, tremblant et gémissant de douleur. L'un des hommes sortit et une autre femme vint le remplacer. De toute évidence, les deux servantes avaient l'air de savoir quoi faire. Freya toucha le bras de l'une et écarta les mains en signe d'incompréhension que lui renvoya la domestique.

— Elle a besoin d'un médecin,

Et la femme hocha la tête. Ensuite, elle la poussa hors de la chambre pour qu'elles puissent s'occuper de Thétis. Lorsqu'elle fut autorisée à rentrer, son amie avait été lavée et changée. Elle semblait en proie au délire. Freya ne comprit qu'un seul mot : Isaak. Son fiancé. Elle s'assit à la tête du lit et baigna le front en sueur avec un linge humide. Après ce qui lui sembla une éternité, un homme entra dans la chambre. Il était entièrement vêtu de noir et avait un regard parme perçant et dérangeant qu'elle n'avait vu qu'une fois, mais qu'elle n'oublierait jamais.

— Vous ! cria-t-elle en se dressant devant lui.

— Dame Freya. Je suis heureux de constater que vous allez bien.

— Espèce de… Elle n'a pas besoin d'un sorcier vicieux, mais d'un médecin ! Sortez d'ici !

— Il se trouve que je suis le Médecin Royal, ne vous en déplaise. Et je ne suis pas sorcier, mais Magicien.

— Pour moi vous êtes un sorcier ! De la pire espèce !

— Laissez-moi passer ou votre amie va continuer à se vider de son sang.

L'argument fit mouche. Freya regarda derrière elle Thétis qui délirait toujours et consentit à s'écarter. Queen s'assit au bord du lit. Il toucha le front, prit le pouls puis descendit les couvertures. Il palpa le ventre d'abord au niveau de l'estomac puis plus bas. Arrivé sous le nombril, Thétis laissa échapper une plainte plus forte. Le Marquis se leva et se dirigea vers la table où il posa sa sacoche à médecines. Freya le regardait faire tout en surveillant son amie du coin de l'œil.

— Vous savez ce qui lui arrive ? demanda-t-elle tout doucement.

— Vous avait-elle dit qu'elle était enceinte ?

— Pardon ? s'effara la jeune femme. Non ! Elle n'a jamais fait allusion à ça.

— Vous n'aviez rien remarqué dans son état ? Des nausées matinales, une fatigue excessive, des changements d'humeur ?

— Non, rien de tout cela. Et que lui arrive-t-il ?

— Elle fait une fausse-couche. Elle est en train de perdre son enfant.

— Non !

Le cri leur fit tourner la tête et ils se précipitèrent vers la jeune femme en larmes.

— Non ! gémit-elle encore en s'agrippant aux bras du Médecin. Faites quelque chose… Je ne veux pas le perdre… mon bébé…

— Malheureusement, ma Dame, il est trop tard, répondit Queen d'un ton sincèrement compatissant. Malgré toutes mes connaissances, je ne peux rien faire pour vous éviter ce drame, si ce n'est soulager la douleur.

— C'est de votre faute ! hurla Thétis en se redressant sur le lit. Si vous ne m'aviez pas enlevée, je serais chez moi, auprès du père de mon enfant ! Et il serait encore dans mon ventre ! C'est à cause de vous et de votre Roi ! Soyez tous maudits !

— Je vais vous laisser de quoi lui préparer une potion qu'elle devra prendre trois fois par jour, expliqua Queen à Freya sans s'occuper des paroles de Thétis. Ne faites pas cette tête, c'est très simple à faire. Par contre ça n'a pas très bon goût, il faudra qu'elle se force. Je reviendrai dans deux jours.

— Vous êtes certainement un guérisseur compétent, vous venez probablement de lui sauver la vie et je vous en remercie sincèrement. Mais ça n'excuse en rien ce que vous nous avez fait. Je pense comme elle. Soyez maudits tous autant que vous êtes !

— Si elle a de la fièvre, faites-moi prévenir immédiatement, rétorqua le Magicien, se souciant comme d'une guigne qu'il venait d'être maudit pour la seconde fois en quelques instants.

Et il partit. Freya tremblait de rage, mais un sanglot la ramena vers Thétis. Elle s'assit sur le lit et la prit dans ses bras, ne sachant pas quoi faire d'autre.

— Tu savais que tu attendais un enfant ? finit-elle par demander d'une voix très douce.

— Je m'en doutais, répondit son amie en se calant contre elle. J'avais des nausées au réveil depuis quelques jours.

— Je ne me suis aperçu de rien, je suis désolée. J'aurais peut-être pu t'aider…

— M'aider à quoi ? Je suis certaine que… que c'est cet enlèvement et l'état de nervosité et de peur dans lequel j'étais qui m'ont fait perdre ce bébé… À cause d'eux…

— Tu te sens un peu mieux ? demanda la sœur d'Albéric au bout d'un moment.

— La douleur est moins forte…

— Il a dit qu'il reviendra dans deux jours.

— J'ai entendu. Compte sur moi pour l'accueillir comme il le mérite…

Deux jours plus tard, Queen vint effectivement voir comment se portait Thétis. Si elle allait mieux, il se doutait bien qu'il allait en entendre de toutes les couleurs, mais il ne s'attendait certainement pas du tout au coup de poing magistral qu'elle lui assena à la mâchoire. Freya cria de surprise, et les deux gardes maîtrisèrent la furie blonde qui hurlait des obscénités inimaginables dans la bouche d'une femme. Le Médecin se massa la joue en souriant.

— Vous allez mieux, de toute évidence. Serait-ce trop vous demander que de vous calmer afin que je puisse vous examiner ?

— N'y pense même pas, chien ! Si tu poses tes sales pattes sur moi, je t'arrache la gorge avec les dents !

— Si vous m'obligez à vous attacher, ça n'en sera que plus désagréable pour vous. Je veux juste vous rassurer quant à votre capacité d'avoir d'autres enfants.

— Et qui sera leur père si je reste ici ? Toi ? Ou le Roi peut-être ? Pourquoi pas ?

— N'allait pas trop loin, Dame Thétis. Que vous vous en preniez à moi, je m'en fiche complètement. Mais ne parlez pas du Roi ! fit-il d'une voix glaciale, le regard aiguisé comme une lame. Alors, me laissez-vous faire ?

D'une ruade, Thétis se dégagea de la poigne des gardes en leur lançant un regard plein de venin. Elle s'allongea sur lit et Queen fit sortir tout le monde de la pièce. Quelques instants plus tard, la porte de la chambre s'ouvrit sur le Médecin. Freya le bouscula pour retrouver son amie emmitouflée sous les couvertures.

— Que lui avez-vous fait ? cria-t-elle au Magicien.

— Demandez-le-lui. Elle se fera un plaisir de me faire passer pour un méchant pervers, répondit-il en sortant.

Freya entendit la clé dans la serrure.

— Alors ? Que t'a-t-il dit ?

— Que tout va bien… Je pourrai avoir d'autres enfants, souffla Thétis d'une voix atone. Il a dit qu'il semblait ne plus rien y avoir… que mon corps avait… avait tout rejeté… que tout était en train de rentrer dans l'ordre…

— Mais comment peut-il le savoir ?

— Il… il m'a examiné… en appuyant sur mon ventre…

Freya eut un hoquet d'écœurement se demandant comment Thétis avait pu le laisser faire une chose pareille. Elle serra la jeune femme contre elle qui se mit à pleurer en silence…

Queen referma la porte de son appartement et s'appuya contre elle. Les questions qu'il s'était posées en découvrant le plan d'Hadès quelques mois plus tôt, il les avait reléguées dans un coin de son esprit, se disant qu'il y penserait plus tard. Mais voilà qu'elles revenaient le tarauder et le Roi n'était pas là pour y répondre. La plus importante était bien de savoir ce que son Souverain allait faire des captives, une fois qu'il serait assuré que personne ne viendrait lui disputer les terres frontalières. Comptait-il les garder prisonnières indéfiniment ? Ça lui paraissait absurde. Allait-il les donner en mariage à un noble des Ténèbres se garantissant ainsi une parfaite collaboration et soumission de ses vassaux ? Allait-il ordonner de les exécuter ? Non, cela Queen ne pouvait raisonnablement y croire. Hadès pouvait se montrer intransigeant, dur, cruel même, mais jamais il ne tuerait quelqu'un comme ça, juste parce que la personne est devenue inutile. Encore moins une femme.

Femme. Ce mot le ramena à la triste réalité. Quelles allaient être les conséquences de cet accident ? Une chose est certaine, jamais Thétis ne leur pardonnerait d'être responsables, ne serait-ce qu'en partie, de la perte de son bébé. Au Manoir, les deux jeunes femmes ne manquaient de rien, si ce n'était de liberté. Leur moral n'était pas forcément au beau fixe, mais elles étaient en bonne santé et c'était le principal. Était-ce les deux semaines en bateau qui avaient provoqué une anomalie dans le déroulement de la grossesse ? C'était une hypothèse à ne pas négliger. Queen était triste pour elle, mais rien ne dit qu'elle n'aurait pas fait cette fausse-couche malgré tout. Désormais, Thétis leur vouait une haine implacable qui ne s'éteindrait jamais. Si Hadès avait dans l'idée de les utiliser pour collaborer à ses plans d'une manière dont le Marquis n'avait pas la moindre idée, il ne fallait plus qu'il compte sur Thétis. Ni sur Freya. L'erreur avait peut-être été de les mettre en contact l'une avec l'autre. En les gardant séparées, le Roi aurait eu plus d'emprise sur leur moral. C'est plus facile de plier quelqu'un à sa volonté lorsqu'il n'a rien à quoi se retenir pour maintenir un semblant d'espoir. Là, elles étaient l'espoir l'une de l'autre. Elles se raccrochaient l'une à l'autre pour ne pas céder au découragement.

Il décida de s'occuper de ses autres malades, ceux qui attendaient sa visite au dispensaire. Il s'apprêtait à sortir de chez lui quand on frappa à la porte.

— Hypnos ? fit le Médecin, surpris.

— Bonjour Queen. J'ai entendu dire que tu avais été au Manoir ? Que se passe-t-il ?

— Viens, entre un instant.

Il s'effaça pour laisser entrer le Premier Ministre. Il leur servit deux coupes de vin et l'invita à s'asseoir.

— L'une de nos prisonnières a fait une fausse-couche.

— Quoi ? Elle était enceinte ?

— Pharys m'a expliqué comment le Capitaine Stand s'y est pris. Il a endormi la fille avec un puissant somnifère, mais j'ignore lequel. C'est très certainement lui qui a provoqué un problème dans le déroulement de la grossesse. Ça et la peur, il n'en a pas fallu plus pour qu'elle perde le bébé.

— Laquelle est-ce ?

— La deuxième, la sœur du Premier Ministre de Poséidon.

— Hadès risque d'être contrarié quand il l'apprendra.

— Rien ne dit qu'elle l'aurait gardé même si elle était restée tranquillement chez elle. Pour des raisons que l'on ignore, il y a des femmes qui n'arrivent jamais à mener une grossesse à terme. C'est malheureux, mais c'est ainsi.

— Alors que d'autres sont comme des lapines, soupira Hypnos en finissant sa coupe. Queen ? l'appela-t-il voyant que le Magicien semblait ne plus du tout l'écouter.

— Hmm ?

— Eh bien ! Où étais-tu donc ?

— Excuse-moi, sourit-il. Je pensais à autre chose.

— À Hadès ?

— Oui, bien sûr… mais également… En fait je me demandais quelles seraient les conséquences de ce plan que nous sommes en train d'appliquer.

— Tu doutes de sa réussite ?

— Je ne sais pas… Que vont devenir ces deux filles une fois que leur Royaume sera notre vassal ? Allons-nous les garder captives pour toujours ? Qui dit que quelqu'un ne va pas venir un jour pour tenter de les délivrer ?

— Je lui souhaite bien du plaisir !

— N'y avait-il pas un autre moyen d'étendre nos terres ?

— Pas aussi rapidement et nous avons agi dans l'urgence. Tu le sais aussi bien que nous.

— N'aurions-nous pas pu proposer à Mitsumasa et Poséidon d'exploiter leurs terres pour nourrir notre peuple en leur reversant une taxe ? Ils auraient peut-être vu d'un bon œil le fait que nous puissions donner à manger à leur peuple qui meurt de faim.

— Queen ! rit franchement Hypnos. Tu te rends compte de ce que tu dis ? Imagine un instant que dans quelques années, ces deux-là fassent la paix. Alors quoi ? Leurs soldats rentrent chez eux, ils redeviennent des fermiers et reprennent les terres sur lesquelles notre peuple s'est établi ? Sur lesquelles il a sué sang et eau ? Et comme ça on les lui enlève en disant qu'il n'a plus qu'à retourner d'où il vient ? Au revoir et merci ! Que crois-tu que nos gens penseraient de leur Roi ?

— Vu sous cet angle… je n'avais pas envisagé ça…

— De toute évidence. Non, ces terres nous les garderons et le Sanctuaire et les Océans seront nos vassaux. Ensuite, nous étoufferons les Amazones par voie de terres et de mers et Éleusis ne sera qu'une formalité. Hadès et les Ténèbres régneront sur le monde.

Il y avait tant de conviction et de passion dans la voix du Premier Ministre que Queen se laissa emporter par sa fougue. Il sourit, se trouvant soudainement stupide d'avoir douté de la réussite des ambitions du Roi pour son peuple. Jusqu'à ce jour, tout ce que le jeune souverain avait entrepris pour ses sujets avait été couronné de succès. Il n'y avait pas de raison pour que cela change.

Les deux hommes se séparèrent dans le couloir et le Médecin se rendit au dispensaire. Mais il y avait également autre chose qui le préoccupait. Pour une raison qu'il ne s'expliquait pas, il avait un mauvais pressentiment. Ça ne lui arrivait pas souvent, mais cette persistance le mettait mal à l'aise. Il était persuadé que quelque chose d'important allait bientôt se produire. Les Flux Magiques étaient si agités qu'il ressentait leurs perturbations sans même se concentrer, ou presque. Il avait l'impression de marcher au bord d'une falaise surplombant une mer déchaînée…

Passing - Adrian von Ziegler
La tempête se rapproche

Alors qu'il rentrait chez lui, à la tombée de la nuit, il fut surpris de trouver Minos et Valentine en train de l'attendre. Les deux hommes paraissaient inquiets et c'est ce qui alarma Queen. Il les fit entrer dans son salon et demanda à un serviteur qu'on leur apporte un dîner.

— Vous trouver là si tard ne me dit rien qui vaille, déclara le Magicien en leur faisant signe de s'asseoir.

— Tu as étudié l'Histoire des Ténèbres pendant que tu faisais ton apprentissage en Médecine et en Magie, non ? lui demanda Minos, sans trop savoir comment aborder le sujet qui les préoccupait lui et Valentine.

— C'est exact. Tu as besoin d'une information ?

— Eh bien… commença le Comte de la Harpie, nous nous demandions, Minos et moi, si par hasard, tes études t'avaient… comment dire… si tu avais lu quelque chose sur…

— Sur les Griffons et les Harpies ! termina le Duc qui en avait assez de tergiverser.

À ces mots, Queen se figea et les regarda, l'air ahuri. Il s'attendait à des précisions sur des évènements passés, leur date ou leurs conséquences, mais ça, jamais il n'y aurait pensé. Et ça ne le rassurait pas du tout. Il commençait même à sentir monter en lui quelque chose qui s'apparentait de très près à de la terreur.

— Où avez-vous entendu parler de… de ça ? se hasarda-t-il, mais craignant la réponse comme une épidémie de peste.

— En fait… nous n'en avons pas entendu parler, fit Minos en cherchant de l'aide vers Valentine. Moi j'avais lu quelque chose les concernant dans les Chroniques de ma famille, mais c'est tout. Sur le moment, j'avais cru à… une plaisanterie de mon aïeul ou au récit d'un fou.

— Ce sont elles qui nous ont appelées…, précisa le Comte.

Queen s'était levé d'un bond, renversant son siège. Il regardait les deux hommes avec une expression de colère noire. Il tremblait de la contenir.

— Vous êtes en train de me dire que les Griffons et les Harpies vous ont appelés et que vous avez répondu ? demanda-t-il d'une voix blanche.

— C'est… oui, c'est ça… confirma Valentine.

Comme un somnambule, le Marquis d'Alraune redressa son fauteuil et se laissa tomber dedans, le bras sur l'accoudoir, la main devant ses yeux.

— Racontez-moi tout.

Ce n'était pas un ordre, mais presque. Minos et Valentine lui relatèrent leur étrange aventure dans les moindres détails. C'était en venant le voir chacun de leur côté, qu'ils s'étaient croisés dans le couloir et qu'ils avaient senti chez l'autre cette aura empreinte de Magie qu'ils dégageaient.

Au terme du récit, un silence pesant s'établit dans la pièce. Queen avait la bouche appuyée contre son poing, les yeux fermés. Il tentait de se calmer.

— Est-ce que tu y comprends quelque chose ? s'enquit Valentine, inquiet de l'attitude du Médecin.

— Est-ce qu'il y a une relation avec ce que les étoiles disent à propos d'Hadès ? demanda Minos à son tour.

— Tu parles du message où elles montrent qu'il sera vaincu, mais pas perdant ? murmura le Marquis.

— Oui…

— J'en ai bien peur…

— Queen, si tu sais quoi que ce soit, tu dois nous le dire.

— Minos, loin de moi l'idée de vous cacher la moindre information. Il faut que vous sachiez que ces créatures n'ont été invoquées qu'à deux reprises seulement au cours de ces mille dernières années. Et elles le furent par leur Seigneur. Or là, nous sommes dans un cas de figure complètement différent. Ce n'est pas vous qui les avez invoquées, mais c'est la Magie qui les a réveillées.

— Tu peux être plus clair ? lui demanda Valentine qui était complètement perdu.

— Depuis plusieurs semaines, je ressens de très fortes fluctuations dans les Forces Magiques qui… je vais dire, qui traversent notre monde. D'ordinaire les courants sont calmes et réguliers. Là, ils sont déchaînés. Cela signifie qu'un ou plusieurs évènements vont se produire bientôt et que l'intervention des Griffons et des Harpies sera inévitable. Même si ces Créatures sont à vos ordres, les Forces Magiques nous envoient un message clair. Soyez prêts, il va se passer quelque chose de terrible.

— Terrible ? releva le Comte. Terrible comme quoi ?

— Je n'en ai aucune idée. Le message concernant Hadès est toujours là et bien là, malheureusement, celui concernant le Sanctuaire également. Il semble qu'une configuration pour les Océans se mette en place aussi. Mais le réveil des Harpies et de Griffons suggère quelque chose de plus effroyable encore… Que vous ont-elles dit d'autre ?

— Pour les Griffons, qu'ils attendent que je les appelle.

— Même chose pour les Harpies.

— Allons voir Hypnos. Il doit être informé.

Les trois hommes longeaient le couloir sans prêter attention aux gardes. Ils marchaient vite, en silence. Alors qu'ils arrivaient au bout du corridor, Queen s'arrêta soudainement. Il fixait avec insistance l'angle du mur.

— Queen ? fit Minos en revenant sur ses pas.

— Quelqu'un arrive…

— Quoi?? Probablement un serviteur…

— Tu entends ses pas ?

— Non.

— Moi je sens sa présence… Le voilà…

Un jeune garçon avec de longs cheveux blonds déboucha devant leurs yeux. Il portait un plateau vide et se hâtait. Si bien qu'il ne vit Valentine que quand il lui rentra dedans.

— Oh… Pardon mon Seigneur…

— Eh bien, mon garçon, fais attention… Tu aurais pu rencontrer un mur.

— D'où viens-tu ? lui demanda le Magicien, intrigué.

— J'ai été porter un en-cas au Seigneur Hypnos.

— Tu travailles ici depuis longtemps ? continua le Médecin.

— Je suis né ici, mon Seigneur. Ma mère travaille à l'intendance et moi aux cuisines depuis quelques mois. J'ai fait quelque chose de mal ? demanda le jeune garçon intimidé par la présence des trois hommes.

Queen s'approcha de lui et plongea son regard parme dans les deux prunelles d'un bleu comme il n'en avait jamais vu.

— Dis-moi, ne t'est-il jamais arrivé des choses étranges ?

— Comment ça ?

— Je ne sais… un feu qui s'allume seul, une porte qui se ferme juste parce que tu y as pensé…

— Euh… Eh bien… je ne sais pas… peut-être…

— Ne crains rien. Tu ne dois pas avoir peur. Comment t'appelles-tu ?

— Alone. Alone Pittore (3)

— Quel âge as-tu ?

— Treize ans.

— Alone, j'aimerais que tu viennes me voir demain en milieu de matinée au dispensaire. Il faut que nous parlions tous les deux. D'accord ?

— Oui, mon Seigneur, je viendrai.

— Allez, sauve-toi sinon ta mère va s'inquiéter.

Sans demander son reste, le jeune garçon partit presque en courant sous les regards amusés des trois hommes.

— Tu nous expliques ? demanda Valentine.

— Je viens de trouver mon apprenti, répondit le Magicien d'un ton laconique teinté de satisfaction.

Ils arrivèrent chez le Premier Ministre qui dégustait justement le repas qu'avait apporté Alone. Il ne cacha pas sa surprise de les voir s'inviter chez lui tous les trois si tard. Mais à mesure que Queen lui expliquait les raisons de leur présence, le visage d'Hypnos se ferma et son regard devint dur.

— Je vais renforcer la sécurité de Giudecca, déclara-t-il enfin.

— Crois-tu que cela arrêtera ce qui se prépare ? Et puis, ce n'est pas pour tout de suite, le rassura le Magicien. Mais j'ai quand même hâte qu'Hadès rentre.

— Tu n'es pas le seul… crois-moi…

 

À suivre…

 

17 18 19 21

 

>> Chapitre 22 partie 3 >>

 

(1) Alta Harpyès : Seigneur des Harpies en Langue Ancienne.

(2) Flap, l'étalon d'Eaque de race Mustang.

 

(3) Pittore = signifie peintre en italien.

 

 


Retour liste fanfictions