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LA LEGENDE DES QUATRE ROYAUMES... |
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Disclaimer : Tout l'univers de Saint Seiya que vous reconnaîtrez aisément appartient à Masami Kurumada. L'auteur n'en retire aucun profit si ce n'est le plaisir d'écrire et d'être lue. Les personnages de la mythologie appartiennent à tout le monde et les autres, ceux que vous ne connaissez pas, appartiennent à l'auteur. Betalecteur : Gajin, Frasyl et Hyma. J'espère que vous aimerez... |
Carte de ce monde |
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Chapitre 16 Année 10219 de la Licorne, mois de mars, Royaume d'Asgard, Duché de Dubhe…
Il faisait encore très froid mais les averses de neige étaient moins fréquentes et souvent mêlées de pluie. Par contre le blizzard ne faiblissait pas. C'était une période intermédiaire. Plus tout à fait l'hiver rude, pas tout à fait le printemps doux. C'était aussi un moment dangereux. Le froid pouvait revenir d'un jour à l'autre, meurtrier et implacable et si le temps se faisait plus clément, les risques de fonte des glaces et de leurs conséquences, s'élevaient aussitôt. Que la couche de glace d'un lac sur lequel on a l'habitude de marcher pour raccourcir un trajet soit plus fine et plus fragile et l'on pouvait passer à travers sans la moindre chance de s'en sortir. Les torrents de montagne brisaient le gel à leur surface et l'eau glacée dévalait dans les plaines à une vitesse vertigineuse, emportant tout sur son passage. Siegfried et Bud s'étaient replongés dans les Chronique Familiales des Dubhe dès que le Duc se sentit en état de le faire. Sa congestion était guérie, mais il était encore affaibli et de temps à autres, il toussait. Bien sûr, il n'était pas question pour lui de sortir et encore moins de s'octroyer des séances d'entraînement avec son ami. Ils avaient bien essayé pour se changer un peu les idées, mais Siegfried se fatiguait trop vite. - Jamais je n'aurais cru qu'il se passait autant de choses dans une famille, soupira-t-il de lassitude. Malheureusement, le visage du Duc d'Alcor était trop connu. Depuis qu'il avait démantelé le réseau de la Reine Antiope en plein jour, tous avaient compris quelle était son activité dans le gouvernement. Siegfried se souvenait encore de sa surprise lorsqu'il l'avait appris. L'espionnage était une activité complexe. On pouvait surveiller un voisin en apparence sans intérêt pour obtenir des informations sur un autre comme le Sanctuaire. Personne n'irait penser que les Amazones pouvaient envoyer des hommes et des femmes dans un pays aussi hostile qu'Asgard. La façon de raisonner était subtile et très réfléchie. - Je crois que je comprends… Cette inactivité me pèse, c'est incroyable ! râla Siegfried en s'étirant sur sa chaise. Les deux hommes mangèrent bon appétit et prirent une infusion chaude dans l'appartement du Duc de Dubhe. Assis devant l'échiquier, Siegfried le regardait sans le voir. Il était perdu dans ses pensées. Il songeait à la sensation éprouvée dans la grotte lorsqu'il avait touché les pierres, à cette voix qu'il avait entendue dans sa tête. Puis il était tombé malade et maintenant qu'il allait mieux, il avait de nouveau l'impression de l'entendre. Il avait besoin d'en parler mais d'un autre côté, il craignait qu'on le prenne pour un fou. Et par-dessus toutes ces préoccupations, il devait aussi gérer le trouble que la présence de Bud faisait naître en lui. Il avait une sensation de dépendance. Comme si le Duc d'Alcor était devenu indispensable à son existence. Il avait bien admis qu'il éprouvait de l'attirance pour lui, mais là, c'était autre chose. Au début, il s'était bien demandé pourquoi sa compagnie lui plaisait. Petit à petit à force d'y penser, il en était parvenu à la conclusion que ce n'était pas uniquement pour sa gentillesse, son amitié, son intelligence, son humour, sa réserve aussi à certains moments, mais parce qu'il éprouvait des sentiments plus profonds. Du respect avant tout, et finalement il avait cessé de se voiler la face. Il désirait Bud. Mais ce n'était pas logique. Il était attiré par un homme qui avait les mêmes traits que celui qui avait pris sa place dans le lit de la Reine Hilda et qui indirectement était responsable de sa profonde déprime. Non, ce n'était pas logique. Pourtant, il n'en avait jamais voulu à Syd. Hilda faisait ses propres choix et personne n'avait rien à dire puisque tout était clair dès le départ. Et puis, les jumeaux n'avaient pas le même caractère. Syd était plus calme que son frère, plus réservé alors que Bud avait plus tendance à écouter ses instincts. Il était plus remuant, plus direct dans ses propos, ces gestes. Ses opinions étaient plus tranchées. Avec lui c'était noir ou blanc. Syd avait toute une palette de nuances de gris. Peut-être cette rigueur sous-jacente chez Bud lui plaisait davantage. Il recherchait sa compagnie, il aimait simplement le regarder, entendre le son de sa voix, croiser ses yeux ambre, chauds et pétillants. Il aimait aussi son odeur lorsque celui-ci s'approchait et se penchait par-dessus son épaule pour lire un texte. Tout en Bud lui plaisait. Et lorsqu'il comparait ses sentiments-là avec ceux qu'il avait éprouvés pour Hilda, il devait bien s'avouer qu'il y avait une énorme différence. Peut-être aurait-il pu continuer à aimer la Reine s'il était resté à ses côtés, si elle n'avait pas mis un terme à leur relation. Mais jamais il ne s'était senti aussi malheureux à l'idée qu'elle le quitte, même s'il en avait été très éprouvé et pendant de longs mois. Alors que là, s'il tentait d'imaginer son quotidien sans Bud, il avait des sueurs froides, un étau lui broyait le cœur, il suffoquait presque. Devait-il en conclure que ses sentiments pour le Duc d'Alcor étaient plus intenses que pour la Reine ? Mais comment avaient-ils pu se développer si vite ? C'est vrai qu'ils vivaient ensemble depuis plusieurs semaines maintenant pour faire ces recherches, mais était-ce suffisant pour créer des liens aussi forts ? Ne s'était-il pas enticher de son ami temporairement ? Lui qui n'avait eu que des maîtresses et un seul amant, voilà qu'il était attiré par un homme. Son expérience en la matière était des plus limitée. Comment alors être sûr de bien interpréter tout ce qu'il ressentait ? A nouveau ce grondement dans sa tête le tira de ses réflexions. Bud s'aperçut de son changement d'attitude et plissa les yeux. Il savait que Siegfried était tourmenté. Surtout depuis la découverte des pierres. Il percevait aussi un malaise plus profond. Il voulait aider son ami mais celui-ci devait lui parler avant tout. Et il ne pouvait pas l'obliger à le faire. Mais peut-être pourrait-il créer une ambiance propice aux confidences. - Que dirais-tu d'aller à la salle d'armes ? On pourrait s'entraîner un peu est dès que tu te sens fatigué, on va aux bains et on poursuit nos recherches. Siegfried leva les yeux vers lui et sembla réfléchir un instant. Quelle prévenance. Bud faisait tout pour le distraire, ce qui prouvait bien qu'il avait senti qu'il était troublé. Il n'avait aucun argument à lui opposer pour refuser. - Pourquoi pas ? Après tout, il faut que je me remette à bouger. Je serai plus vite en forme. Le Duc d'Alcor constata avec plaisir que son ami allait effectivement mieux. Du moins physiquement. Il eut du mal à le désarmer et à la lutte à mains nues, il eut plus de difficultés à le déséquilibrer que les fois précédentes. L'eau chaude des bains leur fit le plus grand bien et ils se laissèrent gagner par la somnolence. Mais Bud était bien décidé à en savoir plus. - Je me doute que je risque d'être indiscret mais je sais que quelque chose te tracasse. Si tu veux m'en parler, je saurai t'écouter. Tu sais que tu peux tout me dire. Le Duc de Dubhe planta son regard de glace dans celui de son compagnon. Par quoi commencer ? La voix dans sa tête ou bien ses sentiments ? Laquelle des deux choses Bud était-il plus enclin à comprendre ? Et à accepter ? Il détourna les yeux. - Quand on a découvert ces pierres, alors que tout le monde dormait, je me suis levé et je les ai touchées. Il y a eu comme un petit éclair et j'ai ressenti un choc désagréable dans la main. J'ai aussi entendu une voix dans ma tête. Une voix lugubre, très grave comme un grondement. La proximité de Bud était insupportable. Son corps réagissait sans qu'il ne puisse rien y faire. C'était un véritable supplice. Il ouvrit la bouche pour prendre une grande inspiration et tenter de se calmer. - Peut-être devrais-je demander conseil à la Reine ? dit-il pour reprendre le contrôle de la situation qu'il sentait lui échapper. Le Duc de Dubhe fixa un regard perçant sur son compagnon. Pourquoi était-il certain que sa dernière phrase avait un double sens ? - Et moi, pour toi, rétorqua-t-il en ôtant une mèche de cheveux qui s'était collée sur la joue de Bud. Le Duc d'Alcor sourit et lui emboita le pas. Dans la salle des archives, ils se replongèrent dans leurs recherches.
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Royaume d'Asgard, Palais de Glace…
Jing mâchonnait un chausson de cuir que Fenrir avait renoncé à lui enlever. Ce devait être le troisième ou le quatrième que le louveteau s'appropriait pour se faire les dents. L'animal regardait son maître de ses yeux où perçait encore l'innocence du bébé. Occupé à bercer sa fille qui avait fini par s'endormir, il observait le jeune animal. Il l'avait recueilli quelques semaines plus tôt et trouvait qu'il avait beaucoup grandi. Mais connaissant mieux la vitesse de croissance chez les chiens que chez les loups, il en avait conclu que ces derniers grandissaient plus vite. Dehors l'orage faisait rage. Une pluie glaciale et drue s'abattait sur la Cité de Walhalla depuis le milieu de l'après-midi. Les éclairs illuminaient le ciel et les murs tremblaient sous les coups de tonnerre. Il regarda Sunniva et sourit en se demandant comment elle faisait pour dormir avec un tel vacarme. - Tu te sens en sécurité, tout simplement, murmura-t-il en déposant un baiser sur ses cheveux d'un gris clair bleuté, comme les siens. Il la coucha délicatement dans son berceau et claqua des doigts. Jing lâcha le chausson et le suivit aussitôt. Il se rendit au dispensaire pour une dernière tournée de ses malades avant la nuit. Tout semblait calme, les aides-soignants montaient une garde vigilante. Il entra dans la pièce dans laquelle il auscultait les gens à l'abri des regards indiscrets pour vérifier s'il avait tous les remèdes qui lui fallait pour le lendemain, que rien ne manquait. Soudain, il se figea et sourit. Le grognement de Jing lui confirma qu'il ne s'était pas trompé. - Entre Hagen. Le Comte de Mérak ne se fit pas prier. Amoureux depuis longtemps de Fenrir, il avait été très malheureux lorsque celui-ci avait annoncé son mariage. Bien qu'il soit de convenance, savoir que le Médecin Royal devait partager le lit de son épouse fut une cruelle brulure. Mais lorsque celle-ci décéda, il compatit sincèrement à la tristesse de son ami parce qu'il savait que lui aussi avait souffert de cet état de fait. Bien sûr, cela ne les avait pas empêché d'avoir une liaison, mais devoir se cacher ne lui avait pas plu. Et il savait que Fenrir n'avait pas plus que lui apprécié la situation. Il enlaça son amant et lui donna un baiser à faire rougir une prostituée. Un petit couinement les interrompit. - Si ce loup avait la parole, il nous dirait d'aller faire ça ailleurs, sourit Hagen. Tout en parlant, les deux hommes avaient regagné l'aile du Palais où se trouvaient leurs appartements. Après avoir fait un brin de toilette, et changé de vêtements, Fenrir ordonna à Jing de veiller sur Sunniva et il rejoignit Hagen, chez lui. Un petit couinement de déception lui parvint, mais l'animal se coucha docilement au pied du berceau, sous le regard attendri de la nourrice. Durant le court trajet qui séparait son appartement de celui d'Hagen, Fenrir laissa son esprit vagabonder. Il songeait aux étranges sensations qu'il éprouvait depuis quelques temps. Une sorte d'impatience latente, comme s'il attendait une révélation qui mettait du temps à arriver. C'était d'autant plus frustrant qu'il était incapable d'en définir la nature. Et il ressentait cette sensation plus fortement lorsqu'il s'éloignait de Jing, ne serait-ce que de quelques mètres. Décidément, ce petit loup avait pris une place importante dans sa vie en l'espace de peu de temps. Et il grandissait si vite. Il lui arrivait déjà au genou. A ce rythme, il aurait sa taille adulte avant l'été. Il frappa à la porte du Comte de Mérak et attendit. Aucune réponse ne lui parvenant, il entra. - Hagen ? C'est moi, dit-il à voix haute en refermant derrière lui. Soudain, deux bras le ceinturèrent et le soulevèrent pour le jeter sur le lit. Vif comme l'éclair, il se retourna pour découvrir Hagen torse nu, une lueur perverse dans les yeux. Le Comte de Mérak tortura son amant jusqu'à la frontière de la folie. Plus tard, épuisés et comblés, ils somnolaient, enlacés. - Qu'est-ce que tu ne me dis pas, Fenrir ? demanda Hagen d'une voix douce. Fenrir s'éveilla en sursaut. Une peur panique lui tordait les tripes et l'esprit. Il se leva rapidement et enfila sa robe de chambre. Qu'est-ce qui avait bien pu le réveiller ? Il avait fait un rêve étrange où il entendait les couinements de Jing. Il sursauta. Ce n'était pas un rêve. Le loup était derrière la porte et grattait le bas avec ces griffes. Il ouvrit et Jing jappa comme un chiot en le voyant. Il lui sauta dessus posant ses pattes sur ses épaules puis redescendit. Il fit quelques pas, se retourna et le fixa de son regard jaune et revint vers lui. Il recommença le même manège et s'élança dans le couloir. Le Baron d'Alioth le suivit en courant jusqu'à son appartement. Là, il vit la nourrice en train de tenter de calmer sa fille en pleurs. A peine la toucha-t-il qu'il comprit. La petite était brulante de fièvre. Il prépara rapidement un remède et le fit avaler à Sunniva. Puis il la prit dans ses bras et la berça jusqu'à ce que le médicament fasse de l'effet et qu'elle se rendorme. De toute évidence, elle avait attrapé froid. Il la déposa dans son lit et s'assit dans le fauteuil juste à côté. Il passa une main lasse sur son visage et son regard se posa sur Jing. L'animal le regardait, paisiblement, presque fier de lui. Il avait senti que quelque chose n'allait pas et il était allé le chercher. Fenrir l'observa plus attentivement. Quelque chose avait changé chez le loup. Il n'arrivait pas à savoir quoi, mais c'était une évidence. Puis soudain, il comprit. Les yeux. Les yeux du loup avaient perdu leur innocence, leur naïveté. Jing le regardait avec les yeux d'un loup adulte, avec la sauvagerie qui réside toujours au fond d'un tel regard. Il repensa aux paroles d'Hagen. Il claqua des doigts et l'animal se coucha à ses pieds, la tête levée vers lui. Il caressa les oreilles dressées, la mâchoire et passa sur le front. A peine effleura-t-il la petite tâche en forme de croissant de lune qu'un éclair apparu avec un choc désagréable dans la main. - Alta Lupys Aelys (1) Fenrir retira vivement sa main et se leva. Il observait l'animal avec méfiance. Il venait d'entendre clairement ces mots dans son esprit. Il devina qu'il s'agissait de la Langue Ancienne, mais il ne la comprenait pas. Sunniva toussa et aussitôt il se pencha sur son petit lit. Elle dormait à poings fermés. Son attention revint vers Jing. Il n'était plus là… Ooooo00000ooooO
Le visage de la Reine Hilda était livide. Elle tremblait violemment. Ses yeux étaient écarquillés et regardaient sans les voir les flammes de la cheminée. Angus se tenait à ses côtés, prêt à intervenir si sa Souveraine défaillait. Un garde venait de leur rapporter qu'ils avaient trouvé un chariot dans un ravin avec des restes d'os impossible à identifier. Cela ressemblait au véhicule de ces marchands qui avait offert les bracelets à la Reine et à Freya ainsi que le baudrier à l'Ambassadeur Hyoga. Un garde avait également confirmé qu'il les avait vu quitter la cité tous les trois. Angus avait fait envoyer un héraut au château de Megrez et l'intendant avait dit que la jeune femme n'était pas là. Immédiatement, Hilda avait ordonné des recherches. Qu'avait-il donc pu se passer ? Les chevaux s'étaient-ils emballés jusqu'à conduire l'attelage dans le ravin ? Avaient-ils été victimes d'une bande de voleurs ? Attaqué par des loups dans la nuit ? Hilda était effondrée. Elle leva les yeux vers son secrétaire dont le cœur se serra douloureusement à la vue de ce visage ravagée par la tristesse. - Majesté…, murmura-t-il en faisant un pas vers elle. Brusquement, elle se réfugia dans les bras de l'homme qui n'hésita pas à la serrer contre lui. Machinalement, il posa une main sur les cheveux soyeux et les caressa en murmurant des paroles de réconfort. La Reine pleura longtemps. Une servante entra et Angus lui demanda de porter une infusion calmante. Quelques instants plus tard, le secrétaire faisait asseoir la Reine sur un fauteuil et s'assit à ses côtés. Elle s'agrippait désespérément à lui mais finit par boire et se calma. - C'est notre faute, Angus, souffla-t-elle, toujours appuyée contre son épaule. Nous aurions dû partir immédiatement à sa recherche lorsque nous nous sommes aperçus de son départ. Hilda leva les yeux vers cet homme qui était plus solide qu'un roc et sur qui elle savait qu'elle pourrait toujours s'appuyer. Elle le dévisagea un instant, et un sourire triste finit par naître sur ses lèvres. Elle caressa la joue imberbe. - Angus… Qu'est-ce que je deviendrais sans toi… Tu es la force qui me fait parfois défaut… Angus prit une profonde inspiration et resserra légèrement son étreinte. Bercé par les battements du cœur de l'homme, Hilda s'endormit, vaincue par l'émotion. Son secrétaire la souleva dans ses bras et la porta jusque sur son lit où il la couvrit avec les fourrures. Assis sur le bord, il la regarda dormir. Il l'aimait tellement. Mais ce n'était pas un sentiment guidé par la loyauté et la dévotion d'un serviteur envers son souverain. C'était bien plus que cela. C'était au fond de son cœur et de son corps que cet amour prenait naissance. Il voulait la protéger, la rendre heureuse, veiller sur elle jusqu'à la fin de ces jours. Il n'aspirait qu'à l'aimer de tout son cœur, de toute son âme. De tout son corps. Il la désirait si fort. Et il souffrait tellement lorsqu'il l'entendait s'unir à Syd de Mizar. Il aurait tant voulu être celui qui provoquait ces gémissements et ces cris de plaisir… Il finit par se lever, bien conscient que jamais elle ne verrait en lui autre chose qu'un homme à son service. Il s'était résigné depuis longtemps à l'aimer en secret, mais là, il avait bien failli commettre un geste qui lui aurait valu le bannissement. Il ne savait par quel miracle, il avait réussi à se contenir alors qu'elle était dans ses bras, si fragile… Ooooo00000ooooO En début d'après-midi, l'Ambassadeur du Sanctuaire s'était rendu dans le Bureau Royal, à la demande de la Reine. Et maintenant, lui aussi était effondré. Syd de Mizar était également présent. - Je ne peux m'empêcher de garder espoir, répétait sans cesse le représentant de la Maison du Cygne. Nous n'avons aucune preuve directe qu'il s'agisse bien de Freya et de ces deux marchands. Syd s'inclina et sortit. Il soupira profondément et sourit tristement. Cette fois-ci, sa relation avec la Reine était bel et bien terminée. Il en était un peu triste, mais moins qu'il ne l'avait pensé. Depuis qu'il avait regagné le Palais de Glace, il est vrai qu'il avait très peu vu Hilda en dehors des Conseils Royaux. Peut-être s'était-il fait tout doucement à cette idée et maintenant que c'était évident et irréversible, il était beaucoup moins affecté que ne l'avait été Siegfried. Il allait tourner la page. Il devait tourner la page. Et puis, il savait qu'elle ne serait jamais seule. Angus était là, qui veillait silencieusement et discrètement dans l'ombre. Ooooo00000ooooO Le Comte de Benetnash arriva au Palais de Glace deux jours après cette douloureuse entrevue. Il fut informé de la situation par Syd et alla présenter ses respects à sa Reine qui lui parla de la tragédie plus en détail. Le moral au plus bas, il s'obligea à rejoindre son bureau et à se mettre à jour dans ses dossiers. En tant que Ministre du Commerce, il ne pouvait rester trop longtemps éloigné de sa charge. Hagen lui raconta par le détail l'arrestation des contrebandiers et de leurs contacts à Asgard. Mime fut profondément choqué et en colère de l'attitude du chef des entrepôts qu'il avait lui-même nommé. - Ne sois pas trop dur avec toi-même, lui avait répondu son ami. Quand tu l'as nommé, je suis certain que lui-même ne savait pas qu'un jour, il se laisserait corrompre. Hagen sortit de la pièce, signifiant ainsi qu'il ne voulait plus entendre la moindre protestation. Mime sourit tristement. Ses compagnons étaient vraiment des hommes d'exception. Cette pensée lui redonna du courage et c'est le cœur plus léger qu'il ouvrit un des parchemins qui recouvraient la presque totalité de la surface de son bureau. Son esprit s'égara un instant, quelque part vers le Sanctuaire, vers Orphée, puis il revint à ses occupations. Ooooo00000ooooO Royaume d'Asgard, Duché de Dubhe…
Le Duc s'éveilla bien avant l'aube. Pour une raison inconnue, il n'arrivait plus à se rendormir ne serait-ce que quelques instants encore. Il descendit aux cuisines, vêtu d'un chaud manteau de laine. Bien que le temps se dirige lentement vers des jours plus cléments, l'énorme bâtisse gardait encore dans la pierre de ses murs, le froid glacial d'un hiver rigoureux. Il réveilla le commis chargé d'entretenir le feu de la cheminée et du four où seraient bientôt cuits les mets qui constitueraient les différents repas de la journée pour tous ceux qui vivaient et travaillaient au château, une fois que le chef cuisinier serait réveillé. Le jeune garçon sursauta et ouvrit de grands yeux craintifs, persuadé qu'il allait se faire réprimander pour avoir failli à sa mission. - Prépare-moi une infusion et dis-moi où je peux trouver quelque chose à manger, murmura le Duc comme si parler plus fort était inadapté à ce moment de calme et de paix qui précédait le réveil de la maisonnée qui allait bourdonner comme une ruche tout la journée. Siegfried mangea de bon appétit et gagna la bibliothèque. Les recherches qu'il avait entreprises avec Bud depuis maintenant plusieurs semaines n'avaient rien donné et il commençait à désespérer de trouver quelque chose. Il posa la tasse d'infusion fumante sur la table et s'assit sur un large fauteuil, le regard flottant au dessus du plateau couvert de documents. Par la fenêtre, il vit l'horizon se colorer doucement des lueurs d'un jour nouveau. Il prit la coupe et but une gorgée. Machinalement, ses yeux parcoururent les étagères et les rayonnages encore chargés de rouleaux de parchemins et de livres reliés aux couvertures de cuir. Son regard s'arrêta sur un niveau assez haut. Il lui sembla que sa vue lui jouait des tours. Avait-il encore sommeil à ce point qu'il en avait des hallucinations ? Il se leva, prit l'escabeau, le plaça au bon endroit et monta les degrés. Sur la cinquième étagère, derrière les manuscrits poussiéreux, il vit la paroi luire d'une étrange lumière bleutée. Il ôta les livres, les déposa soigneusement de chaque coté et constata effectivement l'étrange phénomène qui venait d'une pierre du mur. Il avança sa main et aussitôt la bague qu'il portait à l'index droit se mit à briller de la même manière. Il eut un geste de retrait, les yeux écarquillés par la surprise. Et la crainte. De la Magie ? De la sorcellerie ? Son cœur battait à tout rompre, mais la curiosité lui soufflait de poursuivre son investigation. Il tendit à nouveau la main et posa le bout de ses doigts sur la surface froide. Un déclic se fit entendre et la pierre s'enfonça dans le mur avant de coulisser sur le côté, dévoilant une cavité secrète. A l'intérieur se trouvait un livre. Epais et lourd, relié de cuir travaillé et décoré d'enluminures dorées. Siegfried prit l'ouvrage fermé par une patte en fer ciselé. Il descendit de l'échelle et s'installa sur la grande table. Sur la couverture, il reconnut le blason de sa famille mais ne comprit pas les mots qu'il y avait dessous. C'était des caractères qui lui étaient inconnus. Il chercha un recueil de Langue Ancienne. Peut-être parviendrait-il à traduire l'inscription. Le livre était bien fermé et il n'avait pas la clé. Il le tourna dans tous les sens, en vain. Après quelques recherches, il comprit ce qui semblait être le titre du manuscrit. Rorhin Alta Drakys Isen. Le Livre du Seigneur des Dragons de Glace, traduisit le Duc en s'aidant d'un autre ouvrage qu'il avait déniché. Il remarqua que la patte de fer comportait une encoche qui ne lui était pas étrangère. Prit d'une soudaine inspiration, il ôta sa bague et plaça le sceau dans l'encoche. Il tourna, la ferraille s'ouvrit. Il mourrait d'envie de parcourir les pages tout en redoutant ce qu'il allait trouver dedans. De plus, le grondement dans son esprit se faisait de plus en plus présent, à un point tel qu'il ne parvenait plus à l'ignorer. Instinctivement, il savait qu'il n'avait d'autre alternative que de prendre connaissance du contenu du livre. Mais serait-il capable de comprendre la Langue Ancienne ? Sinon, il allait lui falloir des jours pour traduire les textes. Il prit une profonde inspiration et l'ouvrit. A cet instant précis, il eut la sensation que son esprit était absorbé dans le livre. Il fut prit d'un violent vertige et dut s'asseoir. Une douleur lancinante lui martela les tempes, puis elle disparut aussi soudainement qu'elle était apparue. Et pour la première fois depuis bien longtemps, Siegfried entendit le silence dans sa tête. Il posa les yeux sur la première page et commença à lire. Cet ouvrage est destiné au Seigneur des Dragons de Glace et à sa descendance. Toi qui lis ces lignes, c'est que le noble sang des Dubhe coule dans tes veines et que tu es digne de connaître le secret de notre famille. Peut-être ce secret t'a-t-il été transmis par ton père ou ton grand-père, mais si ce n'est pas le cas, ce livre t'aidera à comprendre et à accepter ton destin, le moment venu. Je suis Ansfried(2), septième Duc de Dubhe, ton ancêtre, et voici l'histoire de notre famille. En des temps reculés, les Dieux combattaient sur terre aux côtés des hommes. L'un d'eux, Odin, confia à notre ancêtre, le premier Duc de Dubhe, la lourde responsabilité de protéger le Royaume d'Asgard lorsque le temps serait venu de le faire sans aide divine. Pour cela, il lui donna le pouvoir de commander aux Dragons de Glace d'Asgard. Mais pour jouir de ce pouvoir, celui-ci ne devait être utilisé qu'en cas d'absolue nécessité et pour le bien du peuple, jamais pour un profit personnel. L'histoire dit qu'à cet instant, un énorme dragon s'approcha du Dieu et du mortel. Odin mêla leurs sangs et ordonna à la bête d'obéir à l'homme en toutes circonstances sauf si cette obéissance devait aller à l'encontre des intérêts du peuple d'Asgard. Il leur donna aussi la capacité de communiquer. Et l'animal fantastique s'envola. Plus tard, le Duc découvrit qu'il s'agissait d'une femelle et qu'elle avait assuré sa descendance en pondant des œufs dans une immense caverne sous la montagne. Le Duc constata que chaque œuf, parfaitement rond, portait le sceau des Dubhe. Après que les Dieux eurent désertés la terre, laissant les hommes seuls maîtres de leur destiné, les Ducs de Dubhe n'eurent recours à l'aide des Dragons de Glace qu'à deux reprises pour protéger la terre d'Asgard et son peuple. Je fus le second à le faire. Et si tu es en train de lire ces lignes, c'est que tu as entendu l'appel et que tu vas, à ton tour, éveiller ces créatures pour le bien de notre Royaume. Bientôt tu sentiras en toi, gronder l'instinct du dragonnier(3), celui qui chevauche les Dragons, si ce n'est déjà le cas. Tu auras un besoin irrépressible d'être aux côtés de ceux en qui tu vas puiser ta force et qui te seront dévoués jusqu'à la mort. N'y résiste pas et va vers eux. Fais-toi connaître et impose-toi à eux comme le Seigneur des Dragons de Glace. Tu sauras quoi faire le moment venu car ce savoir coule dans tes veines. Ton sang de dragon te guidera. Fais-lui confiance. Lorsque ton esprit sera en osmose parfaite avec celui de la bête, tu sauras alors que tout ce que tu viens de lire est l'exacte vérité. Tu dois te demander pourquoi j'ai pris le risque de mettre tout ceci par écrit, alors que ce n'était transmis qu'oralement d'une génération à l'autre jusqu'ici. Tout simplement parce que j'ai tout découvert brutalement et seul. Ni mon père, mort quand j'étais très jeune, ni mon grand-père ne m'avait préparé à ce que j'aillais vivre. J'ai simplement voulu épargner cette épreuve à mes descendants. J'ai failli y laisser ma raison et je ne dois d'être sain d'esprit qu'à un Dragon, mon Dragon, celui que je montais pendant la bataille et qui a pris soin de moi comme si j'étais l'un d'entre eux. Je n'ai pas sombré dans la folie grâce à lui. Ne doute jamais du dévouement des Dragons de Glace à ton égard. Maintenant, tu vas découvrir dans les prochaines pages, le récit de la guerre à laquelle j'ai participé et ce que j'ai appris sur nos puissants alliés. La Magie n'est pas exclue des liens qui nous unissent à ces créatures, mais elle n'est pas l'essence de notre relation. Hâte-toi de lire ce livre, car une fois encore, si tu parcoures ces pages, c'est qu'un danger menace le Royaume d'Asgard et que tu devras intervenir à la tête des Dragons de Glace pour le protéger. Le temps t'est peut-être compté… - Siegfried ? Le Duc sursauta et leva la tête. Bud se tenait dans l'encadrement de la porte, les yeux encore collés de sommeil. - Bud ! Que… Qu'est-ce que tu fais debout si tôt ? Siegfried se tourna vers la fenêtre et vit le jour. Le soleil encore caché par les nuages, semblait effectivement être assez haut dans le ciel. - Pourquoi ne m'as-tu pas réveillé ? Le Duc d'Alcor se pencha sur le livre un instant puis se redressa et regarda son compagnon d'un air renfrogné. - C'est une plaisanterie ? grogna-t-il. T'ai-je jamais laissé entendre que je lisais la Langue Ancienne ? Siegfried lui raconta tout et lui traduisit même le texte qu'il venait de lire sans aucune difficulté. Les deux hommes restèrent silencieux, plongés dans leurs pensées. Ils étaient effrayés d'une certaine manière. Ce que le Duc de Dubhe venait de découvrir n'était pas rassurant du tout. Si c'était bien la vérité, ce dont Bud avait encore du mal à croire. - Viens avec moi, lui dit Siegfried en se dirigeant vers l'échelle. Il y monta, Bud derrière lui. Arrivé au niveau de la cinquième étagère, le Duc de Dubhe avança sa main. Aussitôt la pierre s'éclaira de la même lueur bleutée et le bloc se décala aux contacts des doigts de Siegfried. - Tu doutes toujours ? fit le maître des lieux une fois redescendu de l'échelle. Durant tout le temps de leur conversation, les deux hommes étaient restés debout de chaque côté de la table. Bud finit par se laisser tomber dans un fauteuil, le menton entre ses doigts, songeur, dans l'attente de la décision de Siegfried. - D'accord, finit par dire celui-ci. Mais si je sens une intensification de ce sentiment, on part sur le champ. Ooooo00000ooooO Il fallut cinq jours au messager pour rapporter la réponse de Syd qui leur souhaitait de découvrir le fin mot de cette étrange histoire. Les deux hommes partirent un matin très tôt, leurs chevaux chargés et traînant un troisième animal qui portait un abri en fourrure d'ours et en cuir ainsi que des sacoches contenant de la nourriture ce qui leur éviterait de chasser. Malgré la nuit qui régnait encore, la blancheur éclatante de la neige semblait éclairer leur route. Puis plus tard, le soleil se leva. Timidement, il lança ses premiers rayons sur la terre froide, balayée par un vent qui forcirait dans la journée, dégageant le ciel de tout nuage. Une première journée de printemps, peut-être. Bud arrêta son cheval. Ils étaient arrivés en haut d'une petite crête qui dominait toute la vallée. Le soleil donnait au paysage des couleurs allant du violet profond à l'orange vif, sa lumière accrochant le moindre relief de pierre ou de neige. La maigre végétation paraissait en flamme. Siegfried se porta à ses côtés et son regard parcourut le même paysage. - C'est beau, non ? murmura le Duc d'Alcor. Le vent glacé se renforça en fin de matinée et ils rabattirent leur capuche sur leur tête avant d'attacher le col de leurs manteaux devant leurs bouches et leurs nez. Ils firent une halte pour manger et laisser les chevaux se reposer puis repartir. A la tombée de la nuit, ils trouvèrent la petite grotte dans la montagne qui servait d'abri aux messagers lorsqu'ils parcouraient cette route, et ils s'y installèrent pour la nuit. Bien au chaud sous leurs fourrures, ils s'endormirent rapidement. Au petit matin, Bud ralluma le feu et fit chauffer de l'eau pour préparer une infusion. Il s'accroupit à côté de Siegfried et le regarda dormir un instant. Ses traits étaient détendus, paisibles. Il n'en était que plus beau. Le Duc d'Alcor se résigna à le réveiller et se fut deux ambres souriantes qui furent la première vision de cette journée. Avec des gestes routiniers, ils plièrent leur campement et reprirent la route. Deux jours se succédèrent ainsi, avec un temps plus ou moins clément. En fin d'après midi, alors qu'ils voyaient s'approcher le moment du bivouac pour la nuit, leur cheval perdit un des sacs qui contenait la nourriture. Ils ne s'en aperçurent que tardivement et durent rebrousser chemin. - Je le vois ! cria Bud qui longeait un ravin profond d'une quinzaine de mètres. Je descends !
Le Duc d'Alcor se laissa glisser le long de la pente enneigée et arriva sur la berge d'une petite rivière encore prise par les glaces. Il s'aventura prudemment sur la surface dure pour éprouver sa solidité et, confiant, se dirigea vers le sac. Mais ce à quoi il n'avait pas songé, c'est que le choc de la chute du lourd paquet avait fragilisé la glace. Dans un craquement sinistre, elle céda brutalement sous son poids. Son cri se répercuta à l'infini dans la campagne. Siegfried eut un instant de surprise. Il vit son ami disparaître dans l'eau glacée dont le fort courant entraînait les morceaux qui se brisait les unssur les autres, plus coupants que le fil d'une épée. Il le vit refaire surface, suffoquer, tousser pour s'enfoncer à nouveau. La peur le paralysa. Ses entrailles se nouèrent. Il ne respirait plus. Il regardait, incapable de bouger, comme si son esprit refusait l'évidence, comme s'il était victime d'une hallucination horriblement réaliste. La tête de Bud surgit à nouveau de l'eau et Siegfried réagit enfin. Il sauta de son cheval, attacha une longue corde à l'animal et se lança à la poursuite de Bud. Il n'arrêtait pas de l'appeler pour lui montrait qu'il était là, qu'il ne le laisserait pas. Il courut sur la berge, se jeta à plat ventre sur la glace plus épaisse et réussi à attraper la main de son compagnon. Après un long moment d'efforts acharnés, il parvint à le hisser hors de l'eau. Bud était à peine conscient. Il les attacha ensemble et de la voix, guida son cheval pour que celui-ci les tire et les remonte sur le bord de la route. - Tiens bon Bud ! On est presque à l'abri ! lui intima-t-il alors qu'il le portait dans ses bras. Il lia les trois chevaux avec une corde autour de sa taille et marcha sur la route blanche et glissante. Epuisé, il posa un genou à terre. Bud était lourd et Siegfried fatigué. La peur l'a vidé de ses dernières forces. Il vit l'entrée de la petite maison et puisa dans cette vision l'énergie pour l'atteindre et les mettre à l'abri. Arrivé, il posa son compagnon sur le sol et fit rapidement du feu. Puis en y réfléchissant, il en alluma un second. Aussi vite qu'il le put, il déploya les fourrures sur le sol. Il fit même entrer les chevaux. Lorsqu'il revint vers Bud, celui-ci tremblait violemment, sa peau était blanche, ses lèvres bleues. Il le déshabilla entièrement et le glissa dans le couchage. Il mit les vêtements à sécher devant le second feu et prit le temps de sortir ce dont ils auront besoin. L'eau, la nourriture, d'autres fourrures. Il prépara une infusion et tenta de la faire boire à Bud pour le réchauffer, mais il restait inconscient. Alors il fit ce que tout Asgardien sait depuis sa plus tendre enfance pour réchauffer quelqu'un tombé dans l'eau glacée. Il se déshabilla et se coucha sur le Duc d'Alcor. Il le prit dans ses bras et colla son corps contre le sien autant qu'il le put. Il ferma les yeux et se mit à prier tous les Dieux de la création. L'idée qu'il pourrait perdre Bud lui était insupportable. Il le serra contre lui, embrassa son front glacé, et il pria. Il pria. Longtemps. Puis, petit à petit, les tremblements s'apaisèrent. Siegfried s'en aperçut, un léger sourire étira ses lèvres. Il roula sur le côté, Bud toujours dans ses bras, et sombra à son tour.
Le Duc d'Alcor se sentit émerger du sommeil. Il se sentait bien, il avait chaud. Il resta immobile tentant de rassembler ses souvenirs. Le sac perdu, le ravin, la glace qui cédait sous son poids, l'eau froide, une main qui agrippait la sienne et plus rien. Il ouvrit doucement les yeux et vit le visage de Siegfried tout à côté du sien. Il regarda le torse qui se soulevait régulièrement au rythme de la respiration calme. Il réalisa qu'ils étaient nus tous les deux et il comprit ce que son compagnon avait fait. Il respira profondément et referma les yeux. L'odeur de son ami envahit ses narines, se mêlant à celle des fourrures et du crottin des chevaux, mais ça ne le gênait pas. Au contraire, il aimait cette odeur. Sa main reposait sur la poitrine et du bout des doigts, il en retrouva la douceur, celle qu'il avait déjà pu constater lors de leurs bains ensembles ou quand il avait veillé Siegfried lorsqu'il était malade. Il bougea un peu et se cala encore plus confortablement contre ce corps chaud, sur cette épaule solide. Il finit par se rendormir. Quand Siegfried ouvrit les yeux, le soleil était levé et sa lumière passait par les planches disjointes de la porte. Il regarda l'homme endormit contre lui et sourit. A sa respiration, il savait qu'il dormait paisiblement. Il s'extirpa tout doucement des fourrures et frissonna violemment. Malgré le feu qui avait presque tenu toute la nuit, il faisait froid. Il chercha ses vêtements et commença à se rhabiller. Il ne vit pas les deux prunelles ambrées qui brillaient entre les cils et qui se délectaient de spectacle qu'il offrait. Bud observait autant qu'il pouvait le dos large, les reins cambrés, les fesses rondes jusqu'à ce qu'un pantalon et une chemise le lui interdisent. Il se tourna sous les fourrures et aussitôt Siegfried s'approcha de lui. - Comment te sens-tu ? Une fois qu'il l'eut bu, Siegfried fouilla dans leurs affaires et sortit deux morceaux de viande séchée qu'ils grignotèrent en silence. - Tu n'as pas froid ? Ils prirent soin de débarrasser le crottin en le jetant dehors avec un balai qui avait certainement vu de meilleurs jours et se mirent en route après que Bud eut vérifié une dernière fois que tous les bagages étaient bien attachés sur leur cheval de charge, ce qui tira un sourire amusé à son compagnon. Tout se passa bien jusqu'en milieu d'après-midi. Siegfried remarqua qu'il n'entendait plus Bud parler depuis un bon moment. Le vent soufflait en fortes rafales et la lumière du jour déclinait rapidement. Il se retourna sur son cheval pour voir son compagnon endormit et sur le point de tomber. Il se porta à ses côtés et fit passer Bud en amazone sur sa monture avec son aide plus ou moins consciente. Il l'installa devant lui et instinctivement le Duc d'Alcor passa ses bras autour de sa taille, sous le manteau. - Merci…, entendit-il dans un souffle. Il se remit en route, son précieux fardeau bien serré contre lui. Il était tard lorsqu'ils franchirent enfin les portes du château de Mizar. Aussitôt Dillon, l'intendant de Syd, s'occupa d'eux. Siegfried ne voulait pas laisser Bud seul et s'installa dans un confortable fauteuil devant la cheminée de la chambre. Le Duc d'Alcor était inconscient mais sa vie n'était pas en danger. Il s'agissait du contrecoup de son bain forcé. Il était tout simplement épuisé, mais une bonne nuit de sommeil dans un lit chaud et un bon repas le remettraient sur pied rapidement. Dans la nuit, Siegfried fut réveillé par des gémissements. Aussitôt, il s'approcha de Bud et s'assit sur lit à ses côtés. Il vit qu'il tremblait et lorsqu'il toucha sa peau, elle était glacée. Il faisait un cauchemar et revivait sa chute dans la rivière. Son esprit en reproduisait tous les symptômes. Siegfried eut un soupire de résignation. Il se glissa dans le lit et prit Bud contre lui. Les tremblements cessèrent rapidement. Le cauchemar s'était peut-être transformé en rêve plus agréable et le Duc se rendormit une fois encore avec l'impression qu'il avait là, dans ses bras, un trésor. Bud s'éveilla et comme la fois précédente, il vit le visage de son ami. Il sourit. Décidément, les évènements ne cessaient de les jeter dans les bras l'un de l'autre. Devait-il y voir un signe ? Pourquoi pas ? Il fallait bien avouer que se réveiller dans les bras de quelqu'un était fort plaisant. Il se tourna sur le ventre et regarda son compagnon. Et plus il le regardait, plus l'envie de poser ses lèvres sur les siennes était difficile à ignorer. Le Duc de Dubhe ouvrit les yeux alors qu'il allait céder à cette envie. - Bonjour, murmura-t-il pour cacher son trouble. Siegfried se leva, enfila une robe de chambre qui avait certainement été posée là par un serviteur et sortit en quérir un dans le couloir. - On va nous apporter de quoi manger. Il était torse nu, son corps seulement couvert jusqu'à la taille et Siegfried était troublé. Il ne pouvait s'empêcher de jeter des regards à ce corps aux muscles ciselés. Il pensait avoir dépassé le stade de l'attirance physique mais le désir charnel était toujours là, amplifiant cette impression de dépendance. Oui, il dépendait de Bud. Inutile de tergiverser, d'essayer de trouver une autre explication, l'évidence était là et elle lui crevait les yeux. On frappa à la porte et il s'empressa d'aller ouvrir pour avoir quelque chose à faire. - Voilà de quoi nous redonner des forces, sourit-il à son compagnon. Bud éclata de rire. Il se rangea à l'avis de Siegfried. Pendant qu'il s'habillait pour se rendre aux thermes, il songea qu'ils s'étaient souvent retrouvés à avoir ce genres d'activités relaxantes tous les deux. Ça et s'éveiller côte à côte. Décidément, tout tendait à les rapprocher. Ça ne pouvait être de simples coïncidences. Il y avait quelque part une force qui jouait avec leur destin, il en était persuadé. Mais ça ne le dérangeait nullement. Bien au contraire. Ne pas avoir le contrôle de sa vie dans des moments pareils ne le perturbait pas le moins du monde. Surtout que cela servait l'intérêt qu'il avait à vouloir se rapprocher de Siegfried. Il en était amoureux, mais il ne voulait pas le brusquer. Alors, si laisser faire les choses pouvait lui faire atteindre son but, il laisserait faire. Après s'être délassés aux thermes et avoir avalé un bon repas, Bud s'était écroulé dans son lit. Siegfried le laissa et gagna sa chambre. Lui non plus ne résista pas bien longtemps au sommeil. Tôt le lendemain, ils se retrouvèrent pour prendre un repas auquel ils firent honneur avant d'emprunter un petit bateau qui devait les mener jusqu'au pied de la falaise effondrée, à l'entrée de la grotte. Bud ordonna aux hommes de son frère de rester sur la grève. Qui sait ce qui allait se passer à l'intérieur et il ne voulait pas mettre leur vie en danger.
Avant leur départ, Siegfried avait lu le livre qu'il avait découvert dans le mur de sa bibliothèque, mais les faits relatés lui paraissaient complètement ahurissants. A deux reprises, ses ancêtres avaient eu recours aux Dragons de Glaces contre les Viks. Descendus des terres situées encore plus au nord qu'Asgard, ces peuplades barbares ravageaient tout sur leur passage. Ils étaient venus avec un nombre impressionnant de bateaux et sans l'intervention des Dragons, aujourd'hui Asgard serait à eux. La menace devait être de taille pour que les Ducs d'alors se battent à dos de Dragons. Après cette seconde défaite, les Viks ne firent plus parler d'eux si ce n'est pour des attaques sur des navires marchands. Ils avaient choisi la piraterie, bien lucrative parfois, car ils avaient bien compris qu'être plus menaçants les mettrait forcément face à ses créatures monstrueuses. Ils n'avaient pas de magie aussi puissante qui leur aurait permis de faire jeu égal avec Asgard. Munis de torches, Siegfried et Bud remontèrent le boyau d'accès et débouchèrent dans l'immense caverne. Les pierres rondes étaient là. Siegfried se demanda depuis combien de temps elles attendaient qu'arrive un descendant de la Maison de Dubhe. Ils allumèrent d'autres torches qu'ils avaient emportées et les plantèrent entre les rochers. Une lumière bleutée baignait le lieu. - Comment te sens-tu ? s'enquit Bud à mi-voix. Il n'était pas rassuré. Si ce que le livre racontait était vrai, il ignorait comment Siegfried pourrait réagir une fois qu'il aurait établi un lien avec ces créatures. Si c'était vrai… - Ça va… J'entends de nouveau le grondement dans ma tête, mais ce n'est plus aussi agressif. Il avança sa main pour la poser sur la sphère devant lui. Incompréhensiblement, c'était de celle-ci que semblait venir le son. Mais son geste fut stoppé par Bud. Celui-ci planta son regard dans celui de son ami. Il était inquiet. - Tu es sûr ? lui demanda-t-il. Si tout ceci est la vérité, il n'y aura peut-être pas de retour possible. Qui sait ce qui va t'arriver ? Disant cela, il avait pris la main de Bud pour la poser sur la garde de son épée. Le Duc d'Alcor tremblait. Jamais il n'avait vu autant de détermination dans le regard limpide qui le dévisageait avec une intensité brulante. Il capitula en baissant la tête. - Je le ferai, murmura-t-il, je t'en fais le serment. Mais avant ça, il y a une chose que je veux que tu saches. D'un geste vif, il attrapa la nuque de Siegfried et l'embrassa. D'abord surpris, le Duc de Dubhe se mit à répondre avec fièvre à ce baiser si impératif. Ensemble, leurs lèvres s'entrouvrirent pour approfondir ce contact. Il devint brutal, presque violent. Un frisson dont ils ne savaient si c'était de crainte ou de désir secoua leurs corps. Bud colla son front à celui de son compagnon. - Je t'aime, Siegfried. Alors bats-toi pour ne pas laisser ce… cette chose te dominer, te détruire. Bats-toi parce que sans toi, je ne suis rien. Si je dois te tuer, je me tuerai après. Les mots prononcés à voix basse revêtaient encore plus de signification. Siegfried en saisit toute la profondeur et toute la vérité et son cœur se serra douloureusement. Bud venait de le mettre face à ses propres sentiments et tout devenait clair. A nouveau leurs regards se croisèrent. - Promets-moi que tu me reviendras, lui intima encore son ami. Le nouveau baiser qu'ils échangèrent embrasa leur cœur et leur corps. Leurs bras s'enroulèrent autour d'eux, les serrant comme s'ils voulaient les fondre l'un en l'autre. Ce fut Siegfried qui mit un terme au baiser. Il s'écarta de Bud sans le quitter des yeux. Puis il se détourna brusquement et posa la main sur la sphère. Le Duc d'Alcor eut un geste pour se précipiter vers lui mais une lumière blanche d'une intensité aveuglante le fit reculer de plusieurs pas. Il leva son bras devant ses yeux pour se protéger, il ne voyait strictement rien. - Siegfried ! hurla-t-il, la peur au ventre. Petit à petit, la lumière décrut. Il put enfin regarder l'endroit où se trouvait son ami. Il était là, débout, face à un gigantesque dragon dont la tête atteignait presque la voute de la salle. Il s'approcha, tout doucement. La bête le fixa de ses yeux immenses du même bleu glacial que ceux de son compagnon et fendus d'une pupille noire verticale puis il les reporta vers… son maître ? - Siegfried ? appela Bud tout doucement, le ventre tordu par la peur. Le Duc d'Alcor n'en croyait pas ses yeux. La sphère qu'avait touchée Siegfried gisait à leurs pieds, brisée. Le Dragon devait faire plus d'une vingtaine de mètres de haut et l'envergure de ses ailes semblait plus grandes encore. Sa peau faite d'écailles, qui paraissaient plus dur que l'acier, avait diverses teintes de bleu allant du plus foncé au plus clair. Sa nuque était hérissée d'aiguillons telle la crinière d'un cheval et ses pattes griffues ressemblaient aux serres d'un aigle. Sa longue queue de serpent terminée par un dard, ondulait doucement derrière lui, et avait un aspect tout aussi redoutable que le reste. Mais le plus effrayant était sa gueule. Elle s'ornait de dents et de crocs à faire fuir un ours de terreur. D'une blancheur éclatante, ils étaient plus aiguisés que la plus affûtée des lames. - D'après ce que j'ai compris, commença Siegfried, le danger qui menace Asgard a réveillé la Magie qui gouverne ces créatures. Du fait, le sang de Dragon qui coule dans mes veines a réagi et c'est pour cela que j'ai été poussé à toucher ces œufs, la première fois. J'ai amorcé une réaction en chaîne qui ne s'arrêtera qu'avec notre victoire… ou notre mort. Avant que le Duc d'Alcor n'ait pu prononcer une parole de mise en garde, Siegfried tira sa dague et s'entailla la paume de la main. Il s'approcha de la bête qui leva son énorme patte pour la lui présenter. L'homme coupa la peau entre les doigts griffus et appliqua sa propre blessure dessus. Aussitôt une aura bleutée s'éleva à l'endroit du contact. Siegfried leva la tête vers le Dragon et leurs regards se perdirent l'un dans l'autre pendant un long moment. Puis un sourire éclaira le visage du Duc de Dubhe. Il lâcha la patte et s'aperçut que les deux blessures avaient déjà cicatrisées. - Tu communiques avec lui ? Siegfried approuva de la tête et le Duc d'Alcor s'approcha de la bête. Il était impressionné mais il avait bien compris qu'il ne devait pas le laisser paraître. Comme pour tout animal, il faut montrer que l'homme est le maître. Et même s'il n'avait aucune autorité sur lui, Bud voulait qu'il sache qu'il ne le craignait pas, qu'il était au service des hommes et pas le contraire. Il fit quelques pas lents vers l'énorme patte et posa sa main dessus. Elle était glacée et les écailles qui recouvraient la peau luisaient d'une lueur irisée sous la lumière des torches qui étaient presque éteintes. Lui aussi regarda l'animal dans les yeux et le Dragon le fixait d'un air que l'on aurait pu qualifier de bienveillant. Puis soudain, comme s'il répondait à une demande muette, il baissa sa tête jusqu'à l'homme devant lui. Bud s'approcha de son oreille. - Je sais que tu dois protéger Asgard et son peuple avant tout, mais vois-tu, l'homme à qui tu obéis est aussi celui que j'aime plus que ma propre vie. Sois gentil de garder un œil sur lui quand le moment de combattre viendra. Si je le perds alors je n'aurai plus aucune raison de vivre.
A suivre…
>> Chapitre 17>>
(1) Alta Lupis Aelys : Seigneur des Loups Ailés. (2) Ansfried : prénom d'origine franque qui signifie "Celui qui apporte la paix, la victoire avec l'aide divine" (3) Dragonnier : Ce terme ne m'appartient pas. Je l'ai emprunté au roman "L'héritage" de Christopher Paolini dont le film "Eragon" a été tiré. J'ai également utilisé la capacité du dragonnier à communiquer par télépathie avec son dragon. (4) Nídhögg ou Níðhöggr (Celui qui frappe férocement) en vieux norrois est un dragon ou un serpent de la mythologie nordique. Il vit sous Yggdrasil.
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