LA LEGENDE DES QUATRE ROYAUMES...

 
   

Disclaimer : Tout l'univers de Saint Seiya que vous reconnaîtrez aisément appartient à Masami Kurumada. L'auteur n'en retire aucun profit si ce n'est le plaisir d'écrire et d'être lue. Les personnages de la mythologie appartiennent à tout le monde et les autres, ceux que vous ne connaissez pas, appartiennent à l'auteur.

Genre
:
Univers Alternatif à tendance celtico-médiévale et Heroic Fantasy. Aventure/Romance. Certains couples sont très inhabituels. Yaoi, het et lemon bien sûr.

Rating : interdit au moins de 18 ans.

Auteur : Scorpio-no-Caro

Betalecteur : Frasyl

J'espère que vous aimerez...

 


Carte de ce monde

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Chapitre 22

Partie 1

Année 10219 de la Licorne, mois d'avril, Royaume des Ténèbres…

 

Deux jours après le départ du Roi, Eaque reçut une visite qui allait changer beaucoup de chose dans sa vie. En effet, alors qu'il s'apprêtait à entrer dans son bureau pour y démarrer sa journée de travail, il fut surpris de voir une femme qui semblait l'attendre dans le couloir.

— Puis-je vous aider ? lui demanda-t-il, curieux de savoir comment elle était arrivée jusque là.

— Êtes-vous le Ministre des Armées ?

— En effet. À qui ai-je l'honneur ?

— Je suis la fille du Baron de Myrmidon (1). Je me nomme Endéis (2). J'avais rendez-vous avec le Ministre de l'Intérieur, mais il est fort occupé et m'a dit de m'adresser à vous.

— Minos vous envoie vers moi ? Venez, entrons dans mon bureau. Vous allez me dire ce qui vous arrive.

Eaque ouvrit la porte et s'effaça pour laisser entrer la jeune femme qu'il détailla au passage. Elle avait une démarche élégante et serrait autour d'elle une lourde cape à capuche en velours marron qui cachait en partie ses cheveux rouges comme le sang. Elle devait avoir environ le même âge que lui, estima le Duc. Il lui indiqua un siège et raviva le feu dans la cheminée. Lorsqu'il se retourna, elle le dévisageait, débarrassée de son manteau. Il fut surpris de découvrir une telle force dans ce regard gris franc et droit.

— Je vous écoute.

— Mes terres se trouvent de l'autre côté du Massif des Lamentations. Si vous avez une carte, je vous montrerai. Depuis quelque temps la région semble être la destination préférée des déserteurs des armées de nos voisins. Quand je dis des déserteurs, c'est leur nombre qui nous a fait parvenir à cette conclusion. Nos métayers sont agressés et brutalisés lorsqu'ils ne sont pas tout simplement tués. Je voulais que la Police du Roi intervienne, mais le Duc de Griffon m'a dit d'aller vous voir sans même écouter ce que j'avais à dire.

Elle avait une voix claire où perçait une certaine autorité. Une femme qui ne s'en laissait pas compter de toute évidence. Et que Minos ne la reçoive pas l'avait clairement vexée.

— Montrez-moi sur cette carte où se trouve votre domaine.

— Ici, fit-elle en pointant le doigt sur la grande feuille de parchemin.

— Minos m'a confié qu'il y avait encore des régions éloignées qu'il devait sécuriser, mais le voyage du Roi a nécessité l'utilisation d'une grande partie de ses effectifs pour protéger Giudecca. Le Marquis de Basilic, son secrétaire n'était pas disponible non plus ?

— Je le comprends parfaitement, Monseigneur et non, son secrétaire n'était pas là. Mais je suppose que les soldats de votre armée sont tout autant capables de faire régner l'ordre que les policiers du Ministre de l'Intérieur.

— Tout à fait. Et c'est certainement la raison pour laquelle il vous a dirigée vers moi. Tant que le Roi ne sera pas de retour, le Seigneur Minos ne pourra réduire la garde de la Cité. Avez-vous, vous-même, vu ces groupes de… de déserteurs ? Combien sont-ils à votre avis ?

À mesure qu'ils discutaient, Eaque la sentait se détendre. À l'évidence, elle paraissait rassurée d'avoir à faire à l'une des plus hautes autorités du Royaume. Cette situation ne pouvait être réglée par une simple milice composée de quelques paysans, même s'ils étaient farouchement déterminés à se battre pour leurs terres.

— J'avoue avoir du mal à évaluer leur nombre, mais plus d'une trentaine, c'est certain. J'ai contacté mes voisins et nous avons convenu de vous porter notre requête directement.

— Vous paraissent-ils organisés ?

— Comment cela ?

— Eh bien… par exemple… Pendant que certains volent le bétail, d'autres tiennent vos gens éloignés en les menaçants avec des armes.

— Je dirais que oui. Si ce sont vraiment des déserteurs comme nous le supposons, ce sont donc des soldats entrainés qui savent se battre. Que peuvent faire quelques paysans avec des fourches et des pelles ?

— Oui… c'est sûr. Je vais envoyer un escadron d'une centaine d'hommes dans votre région pour patrouiller et sécuriser les lieux. Par contre, il faudra que vos voisins et vous-mêmes leur offriez l'hospitalité et la sécurité de vos châteaux.

— S'ils savent se tenir et s'ils respectent nos gens, ils seront les bienvenus. Mais je vous préviens qu'au moindre écart de conduite, je me plaindrai à qui de droit.

— Rassurez-vous, Madame, je les accompagnerai. Mais je doute qu'ils se comportent mal. Ils savent que le Roi n'a aucune clémence pour ce genre d'attitude.

— Quand pensez-vous pouvoir nous envoyer cet escadron ?

— Dans deux ou trois jours. Me ferez-vous l'honneur d'être mon invité au Palais d'Ébène ? Ainsi, nous partirons ensemble. Vous n'avez quand même pas fait tout ce chemin seule ?

— Non, trois de mes serviteurs m'accompagnent. Ils ont pris des chambres dans une auberge.

— Ce sera à mes frais. Envoyez-leur un message pour les prévenir que vous êtes ici afin qu'ils ne s'inquiètent pas. Et qu'ils ne se privent de rien. Je vais aller faire prendre vos bagages. Valentine ?

— C'est fort généreux de votre part, Monseigneur. Vous avez toute ma gratitude.

— Je vais demander qu'on vous prépare un appartement, déclara Eaque en sortant de son bureau et avisant un serviteur à qui il expliqua ce qu'il voulait.

— Tu m'as appelé ? fit le Secrétaire aux Armées en passant la tête par la porte entrebâillée.

— Oui, Dame Endéis va demeurer quelques jours ici. J'aimerais que tu préviennes ses serviteurs, elle te donnera le nom de l'auberge où ils sont descendus, et que tu fasses amener ses bagages ici. Fais-lui aussi préparer une chambre.

— À tes ordres, répondit le Comte de la Harpie.

— Pardonnez ma curiosité, mais votre père n'a-t-il pu venir lui-même ? Ou votre époux ? reprit Eaque et s'intéressant de nouveau à la jeune femme.

— Lors de la purge des fidèles au Roi Cronos, des hommes de Pontos ont investi notre château. Mon père est tombé de cheval en se battant et a eu les jambes brisées. Quant à ma mère, elle a voulu protéger les enfants d'une servante. Les soldats les ont tués toutes les deux.

— Je suis désolé. Je ne voulais pas raviver de mauvais souvenirs, s'excusa le Duc, gêné.

— Il n'y a pas de mal. C'était il y a une dizaine d'années, bien avant que le Roi Hadès ne revienne. Et je n'ai pas d'époux.

— Suivez cet homme, dit Eaque, quand le serviteur se présenta bien à propos pour guider la jeune femme. Dinerez-vous avec moi ce soir ?

Surprise elle le regarda un instant. Il ne semblait y avoir aucune arrière-pensée dans ses yeux violets qui la fixaient. Et n'ayant pas d'argument pour étayer un refus, elle sourit.

— Avec plaisir, Monseigneur.

Eaque regarda sans la voir la porte qui venait de se refermer sur la jeune femme. Il était ému. Il savait que des horreurs avaient été commises sur les partisans du père d'Hadès, mais il n'avait encore jamais rencontré quelqu'un qui en avait été victime. Il mesura pleinement la chance que lui et ses compagnons avaient eue d'avoir été éloignés de ce conflit. D'un autre côté, étaient-ils les mieux placés pour gérer un pays dont ils ignoraient toutes les souffrances endurées ? Il y avait encore des blessures à vif, non cicatrisées et visiblement loin d'être guéries. Eaque avait bien perçu l'amertume dans la voix d'Endéis. Dix ans, ça peut paraitre long, mais pour la jeune femme, c'était hier. Perdre sa mère de cette façon devait être terriblement traumatisant. Elle semblait avoir surmonté le drame. Peut-être que s'occuper de son père invalide et du domaine l'avait obligé à reléguer sa peine au second plan pour faire face à l'urgence du moment, mais Eaque savait que la douleur était toujours là. Il soupira et compatit sincèrement. Elle lui plaisait bien cette jeune femme, elle avait du caractère et il décida de faire ce qu'il fallait pour sécuriser la région. Ainsi, lorsque Minos enverrait ses hommes, ils n'auraient qu'à prendre la relève de ses soldats.

 

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The Sense Part III - Eastern Harmony
L'héritage inattendu de Minos

— Le Duc de Griffon posa le pied sur la mince corniche qui courait le long de la falaise du canyon de l'Achéron. Depuis plusieurs jours, il ne cessait d'entendre un bourdonnement dans sa tête et il se sentait inexplicablement attiré vers ce lieu. Aujourd'hui, c'était devenu si envahissant qu'il n'avait pas pu résister.

Le vent soufflait fort entre les deux falaises et il devait s'accrocher comme un forcené pour ne pas être emporté. Mais que lui avait-il pris de venir là ? La corniche s'élargit devant un creux de la roche. Là, dans une anfractuosité de la pierre, il vit une immense fissure. L'entrée d'une grotte. Faisant fi du danger dont il avait une conscience aiguë, il se glissa à l'intérieur. L'air était frais. Le bruit dans sa tête se faisait plus fort et il eut un vertige. S'appuyant contre le mur, il continua d'avancer. Curieusement, il ne faisait pas sombre. Une lueur apparut au bout du boyau qu'il longeait. Il déboucha sur une vaste salle éclairée par la lumière du jour qui passait pour un trou dans le plafond. Mais ce qu'il découvrit le laissa abasourdi.

Le sol et les murs brillaient comme de l'or pur. Au centre, il y avait un bassin alimenté par les gouttes qui tombaient des stalactites. Et au fond, il ne dénombra pas moins de douze créatures extraordinaires qui le fixaient. À bien y regarder, le lieu avait l'apparence d'un nid. D'un énorme nid.

— Alta Gryffs(3) ! entendit-il dans son esprit.

Un flot de souvenirs submergea sa mémoire. Lorsqu'il avait retrouvé le château de sa famille, peu après le coup d'État d'Hadès, Minos avait parcouru quelques ouvrages des chroniques de sa lignée qui avait miraculeusement échappé à l'acharnement destructeur de l'occupant des lieux, un proche du Prince Pontos. Le Duc avait découvert ce qu'il avait pris à l'époque pour une légende sortie de l'esprit dérangé d'un de ses aïeux. Il avait écrit que des créatures fantastiques, les Griffons, avaient été invoquées par leur Seigneur pour aider le Royaume dans la guerre qui l'opposait au Sanctuaire, quelque sept cents ans plus tôt. Un conflit qui dura plusieurs mois, pour la possession de quelques arpents de terre. Et l'histoire semblait être sur le point de se répéter. Décidément, les hommes ne tiraient jamais les leçons de leurs erreurs. Les Griffons étaient-ils là parce qu'Hadès avait annexé les terres frontalières ? Quelque chose clochait dans le raisonnement de Minos. Ou plutôt, un élément n'avait pas la bonne signification. Il contourna le bassin et s'approcha des créatures. Elles lui parurent gigantesques avec leur tête, leurs ailes et leurs serres d'aigle et leur corps de lion.

— Termine le rituel, entendit-il à nouveau.

Cela venait du Griffon qui se trouvait devant, lui. Les plumes entre ses deux yeux semblaient d'une couleur différente, légèrement dorée, et formait un motif. Une serre à trois griffes.

— Que dois-je faire ?

— Tu le sais.

Ainsi donc, il pouvait communiquer avec elles. Il tira sa dague, s'entailla la main puis la peau entre les griffes et mit les deux plaies en contact. Sa raison lui hurlait que c'était complètement surréaliste, qu'il devait s'enfuir loin de ce lieu, mais il ne pouvait lutter contre cette force qui le poussait à accomplir ce geste.

— Nous sommes désormais liés à toi.

— Qui vous a invoqué ?

— Personne. La seule responsable est la Magie.

— Pourquoi ?

— Le Seigneur des Griffons peut nous invoquer à volonté. Mais si la Magie elle-même nous réveille, c'est que le Royaume des Ténèbres est en grand danger.

— Quel danger ?

— Nous l'ignorons. Mais si nous sommes là, à tes ordres, la nature de cette menace devrait bientôt être dévoilée. Parle au Magicien du Roi. Il confirmera tout cela.

 

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Rhadamanthe se dirigeait vers la plaine de la Caïna pour vérifier une information que lui avait fournie un de ses hommes. Il venait de franchir les douves lorsque le galop d'un cheval et des cris lui firent tourner la tête. L'animal filait comme le vent, son cavalier, ou plus exactement sa cavalière, agrippée à son encolure. Les cris de terreur couplés à ceux des personnes qui courraient derrière, inutile d'être devin pour comprendre ce qui se passait. Il enfonça les talons dans les flancs de Great qui bondit. Le cheval inconnu était rapide. Il fallut au Duc pousser sa monture pour commencer à le rattraper. Ce n'est qu'aux abords du Lac Pyriphlégéton qu'il arriva à sa hauteur et se saisit du mors. Aussitôt, il ralentit les deux bêtes. Il démonta et se porta au secours de la malheureuse jeune femme. Mais sentant le cheval à l'arrêt, elle sauta de la selle et se tordit la cheville sur une pierre.

— Ne bougez pas, s'écria-t-il en s'agenouillant près d'elle.

— Je vais faire abattre ce cheval ! hurla-t-elle dans une rage folle.

— Que s'est-il passé ?

— C'est un trouillard ! Voilà tout ! À peine entend-il un chien aboyer qu'il s'enfuit ! Aïe !

— Pardonnez-moi. J'ai bien peur que votre cheville ne soit cassée.

— Qu'en savez-vous ? Êtes-vous médecin ? Aidez-moi à me relever.

Le Duc prit le parti de sourire de la réaction de la jeune femme. Il passa derrière elle et la releva soudainement en plaçant ses mains sous ses aisselles. Elle tituba et se raccrocha à son bras en grimaçant.

— Vous pourriez être plus délicat…

— Et vous plus reconnaissante.

— Je ne vous ai rien demandé !

— Fort bien. Bonne journée.

Il remonta sur son cheval et commença à s'éloigner au pas, incapable de retenir le sourire amusé qui s'affichait sur son visage.

— Dites donc ! Vous manquez singulièrement d'esprit chevaleresque !

— Et vous de gratitude ! finit-il par crier, finalement agacé par les caprices de cette mégère. Non seulement je vous sauve la vie, je m'inquiète pour votre cheville et vous m'envoyez paître ? Ma patience a des limites. Je ne vais certainement pas vous laisser piétiner ma dignité. Débrouillez-vous !

— Attendez ! S'il vous plait… ne partez pas. Je vous présente mes excuses, vous avez tout à fait raison. Auriez-vous la gentillesse de m'offrir votre aide ?

— Il y a du progrès. Vous voyez, ça ne vous a pas arraché la bouche d'être aimable et polie.

— Veuillez me pardonner. J'ai un caractère emporté qui m'a souvent joué de mauvais tours. Et cette vieille carne m'a mise hors de moi !

— Vous avez mal à la cheville ?

— Oui… assez.

Rhadamanthe prit la jeune femme par la taille et la hissa sur Great puis il monta à son tour. Il empoigna la longe de l'autre cheval et se dirigea vers la ville.

— Je me nomme Alcmène, Marquise d'Œchalie (4). Mon époux était le premier fournisseur de chevaux de l'armée et depuis sa mort, j'essaie de faire vivre notre domaine et le haras. Malheureusement, je n'ai aucune affinité avec ces bestioles.

— Pourtant vous montez.

— Il le faut bien, mais j'ai horreur de ça. Regardez où ça m'a mené !

— Je vais vous emmener voir le Médecin du Roi.

— Vous prétendez connaître un tel homme ? railla-t-elle en se tournant pour le regarder. Inutile de raconter des balivernes pour m'impressionner.

— Je n'essaie pas de vous impressionner, j'ai bien compris que c'est une perte de temps. Il se trouve que c'est le meilleur que je connaisse.

Arrivés devant les portes du Palais, Rhadamanthe pris la Marquise dans ses bras et demanda à un serviteur d'aller chercher Queen. Elle dut se rendre à l'évidence. Cet homme avait ses entrées au château. Il la déposa sur un fauteuil dans un petit salon du rez-de-chaussée et demanda qu'on leur apporte du vin chaud.

— Vous ne vous êtes pas présenté, Chevalier, l'apostropha-t-elle, provocante.

— Si je vous donne mon nom, vous allez encore croire que je veux vous impressionner.

— Rhadamanthe ? Que se passe-t-il ? Tu vas bien ?

— Bonjour Queen. J'ai rattrapé au vol cette dame dont le cheval s'était emballé. En sautant de la selle, elle s'est tordu la cheville. Tu peux regarder ?

— Bien sûr. Permettez, ma Dame ?

Rhadamanthe se délectait de la mine stupéfaite de la Marquise qui n'en revenait pas de se retrouver devant deux illustres personnages du Royaume. Si la plupart des gens n'avaient jamais vu leur visage, leur nom, lui, était connu de tous.

— Ouille ! Là, c'est douloureux, geignit la Marquise en sursautant.

— Veuillez m'excuser. Votre cheville n'est pas cassée, mais vous avez une entorse.

— Queen, je dois retrouver deux de mes… collaborateurs. Je te confis Dame Alcmène, Marquise d'Œchalie. Tu n'as qu'à dire à Valentine de l'installer ici, si vous êtes d'accord ma Dame, le temps que votre cheville guérisse.

— Ça ne vous dérange pas trop de décider pour moi, Duc de Wyvern ? cingla Alcmène en insistant sur le nom, le regard furibond.

— Je me sens responsable de vous. Acceptez l'hospitalité du Palais le temps de votre convalescence. Le Seigneur Valentine vous fournira tout ce dont vous aurez besoin. Il vous suffira de demander.

— Va faire ce que tu as à faire, je m'occupe de notre invité, intervint Queen, conscient de l'impatience et de l'agacement du Duc.

— Merci. Je vous verrai plus tard, Marquise.

Et Rhadamanthe sortit du salon sous le regard médusé de la jeune femme et celui amusé de Queen. Il demanda à une servante d'aller chercher le Comte de La Harpie et de préparer une chambre pour la Marquise.

— Il est toujours comme ça ? demanda-t-elle en se calant dans le fauteuil d'un mouvement agacé.

— La plupart du temps. C'est un homme habitué à diriger. N'en soyez pas offusquée. En l'occurrence, c'est pour votre bien.

— Je sais prendre soin de moi, grogna-t-elle encore. De plus il est d'une arrogance exaspérante.

Queen souriait doucement. De toute évidence, Rhadamanthe avait fait fort impression sur la jeune femme. Il la détailla du coin de l'œil, tout en continuant à masser la cheville pour amoindrir l'hématome qui s'était formé. Elle était plutôt jolie avec ses longs cheveux bouclés d'un gris clair et ses grands yeux d'un bleu turquin. Le nez était un peu long et la bouche fine, mais l'ensemble était fort agréable à regarder. Elle n'avait pas la beauté de Dame Pasiphaé, mais elle avait du charme. Et surtout du caractère.

— Queen ? Que se passe-t-il ?

— Ah, Val. Rhadamanthe te confie son invité. Voici la Marquise d'Œchalie.

Le Médecin raconta brièvement les circonstances de la présence de la jeune femme et Valentine prit les choses en main.

— Décidément, je passe la matinée à installer des visiteurs au Palais, grommela celui-ci en s'avançant vers la Marquise.

— Qu'est-ce que tu veux dire ? s'enquit Queen, surpris par la déclaration de son ami.

— Je t'expliquerai. Y a-t-il des personnes à prévenir pour qu'ils ne s'inquiètent pas de votre absence ? demanda le Comte à la jeune femme en soulevant la blessée dans ses bras pour la conduire jusqu'à la chambre qui allait lui être préparée.

— Non, je suis venue en ville pour régler une affaire. Mon domaine est juste de l'autre côté du canyon de l'Achéron. Dites-moi, vous agissez tous avec autant de familiarité envers les gens que vous ne connaissez pas ?

— Peut-être préférez-vous marcher ? lâcha abruptement le Comte de la Harpie. Le Marquis d'Alraune passera vous voir un peu plus tard, ajouta-t-il devant le silence de la blessée. Une servante viendra régulièrement s'assurer que vous n'avez besoin de rien. Je vais également demander à mon épouse de vous rendre visite.

— Je… je ne sais pas quoi dire. Tout ceci est fort aimable de votre part à tous. Merci beaucoup, déclara-t-elle d'un air pincé, bien consciente qu'il serait fort mal venu de sa part de se plaindre.

— À votre service, ma Dame.

Alcmène poussa un long soupir. Assise sur un fauteuil, le pied surélevé sur une table basse, elle tenait encore à la main sa botte. Tout s'était passé si vite, qu'elle en était tout étourdie. Elle d'ordinaire, si maitresse de ses actes, s'était retrouvée complètement débordée et à la merci du Duc de Wyvern. Elle n'avait pas pu protester une seule fois. Ou si elle le fit, c'était tombé dans le vide. Si cet homme l'avait écouté, il n'avait pas un seul instant tenu compte de son opinion. Il était exaspérant. Machinalement, elle laissa son regard errer sur la pièce. C'était plus confortable qu'il n'y paraissait au premier abord. Il y avait toujours cette pierre noire omniprésente, mais tout le reste semblait être fait pour qu'on l'oublie. Les tentures de la fenêtre étaient d'un rouge profond, le bois du mobilier était clair. Au-dessus de la cheminée, une tapisserie reproduisant le blason d'Inferno couvrait la presque totalité du manteau. Il y avait de nombreuses torches allumées. Du fait, l'atmosphère était chaleureuse.

— Je ne vous dérange pas ?

— Pardon ? sursauta la Marquise.

— J'ai frappé, mais vous ne m'avez pas répondu. J'ai pensé que vous dormiez.

— Pardonnez-moi, mais… vous êtes ?

— Oh, je suis désolée. Je suis Dinya, Comtesse de la Harpie, se présenta la jeune femme en s'asseyant sur le fauteuil libre. Mon époux m'a raconté votre mésaventure. Vous devez vous sentir un peu perdue et encore sous le choc. J'espère que ma compagnie vous fera paraitre le temps moins long tant que vous serez parmi nous.

— Eh bien Comtesse…

— Dinya. Laissons tomber le protocole.

— Dinya… j'apprécie beaucoup les attentions que tout le monde a envers moi. J'ai peur d'abuser de votre gentillesse à tous.

— Vous êtes l'invité du Duc de Wyvern. À ce titre, vous serez traitée comme une princesse.

— Pour un simple Ministre, il semble avoir beaucoup de pouvoirs, grinça-t-elle à la simple évocation de ce nom.

— Il est le meilleur ami du Roi avant toute autre considération, lui apprit Dinya. Alors oui, on peut dire qu'il a beaucoup de pouvoirs. C'est surtout un homme bon, honnête et d'un dévouement exemplaire.

— Tient donc ! Il a bien caché ces facettes de sa personnalité avec moi.

— Que voulez-vous dire ?

Alcmène lui raconta sa rencontre brutale avec le Duc de Wyvern. Bien sûr, sa version de l'évènement lui donnait le beau rôle. Elle n'avait pas été agressive, il avait été brusque avec elle, elle ne l'avait pas envoyé sur les roses, c'est lui qui avait été désagréable. En d'autres mots, c'était un goujat de la pire espèce, indélicat et sans éducation. Dinya ne cacha pas son amusement. Elle qui commençait à bien connaître Rhadamanthe se demandait si toutes les deux parlaient bien du même homme.

— Et vous alors ? s'enquit Alcmène en désignant le ventre de la Comtesse d'un mouvement du menton.

— C'est prévu pour le début du mois de juin.

— Vous êtes resplendissante. La grossesse vous va bien.

— C'est très gentil. Mais j'avoue que là, je commence à être vraiment fatiguée. J'ai un terrible mal de dos et mes pieds ont doublé de volume.

— Le Médecin ne peut rien faire pour vous soulager ?

— Il fait tout ce qu'il peut, mais ses remèdes ne peuvent rien comme la nature elle-même. C'est notre lot à nous, pauvres femmes. Il est presque midi, voulez-vous que je nous fasse porter un déjeuner ?

— Eh bien… j'avoue que ce n'est pas de refus.

 

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Tôt le lendemain matin, Eaque entra dans le bureau de son amant. Il le trouva assis derrière la table, les pieds dessus, triturant le sceau familial autour de son doigt d'un geste inconscient. Il ne leva pas la tête en sentant la présence de son amant et ne réagit pas plus quand celui-ci posa ses mains sur ses épaules.

— Quelque chose ne va pas ?

— Je ne sais pas, répondit le maitre des lieux après un moment de silence.

— Je n'aime pas te voir comme ça… Tu es trop… trop sérieux, ça ne te va pas, sourit le Duc de Garuda en contournant l'homme assis.

Minos leva un regard sombre, plein de doutes, de crainte de suppliques muettes. Eaque fut surpris et s'accroupit devant le Duc. Ils se regardèrent un long moment puis le Duc de Griffon ferma les yeux. Il attira Eaque à lui qui se releva et entoura sa taille de ses bras, enfouissant son visage contre son ventre.

— Minos… Que se passe-t-il ?

Il sentit celui-ci trembler avant de s'écarter pour s'asseoir sur ces genoux. Il se blottit dans son giron et lui raconta tout ce qu'il avait découvert. Eaque ne posa aucune question. Il se contenta de serrer son amant contre lui pour le rassurer.

— J'étais venu te prévenir de mon absence pendant quelques jours, mais là je n'ai plus du tout envie de partir.

— Où vas-tu ?

— Sécuriser une région derrière la Massif des Lamentations en attendant que tu réorganises tes patrouilles pour prendre la relève. Des bandes de déserteurs semblent sévir par là-bas. Je pars demain avec une centaine d'hommes.

— Vas-y. Ne t'inquiète pas pour moi. Je ne suis pas seul ici…

— Minos, je ne t'ai jamais vu aussi effrayé.

— Tu ne le serais pas toi, en pareilles circonstances ?

— Je suppose que oui… Je ne sais pas si le moment est bien choisi, mais je veux que tu saches une chose importante et dont je ne t'ai jamais parlé, murmura Eaque d'un ton grave qui fit hausser un sourcil au Duc de Griffon.

— C'est toi qui m'inquiètes, maintenant.

— Je t'aime, Minos. Je ne voulais pas me l'avouer, poursuivit-il avant que son amant ne l'interrompe, mais je dois me rendre à l'évidence. Ton absence d'hier et personne qui ne savait où tu étais… J'ai cru que j'allais devenir fou… Je t'aime tellement…

— Eaque…

Ils échangèrent un baiser d'une tendresse folle, d'une douceur inouïe. Tout ce qu'ils éprouvaient l'un pour l'autre passa dans ce simple contact. C'était un baiser qui n'appelait rien de plus, qui n'était pas le prélude à une union charnelle. Un baiser débordant d'amour, de respect, qui vous fait prendre conscience de l'immensité de vos sentiments. Minos étreignit Eaque dans ses bras à l'étouffer. Il avait le souffle court, la gorge serrée, les yeux humides.

— Moi aussi, je t'aime… Eaque, je t'aime si fort… Mais Pasiphaé…

— Chut… Épouse-la, fais-lui un enfant… Je sais que tu as de l'affection et de la tendresse pour elle, mais je sais aussi que jamais tu ne l'aimeras comme tu m'aimes. Ne me demande pas comment je le sais. Je le sais, c'est tout. Les temps qui s'annoncent sont sombres. Nous devons faire des concessions pour le bien des Ténèbres. Le Royaume doit survivre.

— J'ai envie de passer la nuit avec toi, murmura le Duc de Griffon, sans même essayer d'amadouer son amant par des baisers ou des caresses plus explicites.

— Je dois finir de sélectionner les hommes qui m'accompagneront, mais je me libèrerai tôt. À ce soir, ajouta-t-il en déposant un baiser sur les lèvres de son amant.

Minos soupira profondément. Eaque le rassurait tellement. Il puisait sa force en lui. Il eut un léger sourire, il était heureux.

 

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Le Duc de Wyvern décida de rendre visite à la Marquise d'Œchalie. Il jeta sa lourde cape sur ses épaules et descendit au premier étage du Palais, où elle avait été installée. Il toqua doucement à la porte et une voix claire l'invita à entrer.

— Bonjour Dame Alcmène, la salua-t-il en souriant. Avez-vous passé une bonne nuit ?

— Seigneur Rhadamanthe. Non, pas très bonne, ma cheville me fait souffrir. Une servante vient d'apporter une infusion. Servez-vous, je suis encore dans l'incapacité de me déplacer seule.

— En désirez-vous une ? lui proposa-t-il en déposant sa cape sur un fauteuil.

— Avec plaisir.

— Le Seigneur Queen ne pourra venir vous voir aujourd'hui, mais une aide-soignante du dispensaire vous donnera les soins nécessaires, lui expliqua-t-il.

— J'ai reçu la visite de la Comtesse de la Harpie, hier. C'est une jeune femme absolument exquise.

— Je suis de votre avis et je…, s'interrompit le Duc en entendant frapper à la porte qu'il alla ouvrir.

— Je viens du dispensaire, fit une femme d'un certain âge avec un sourire avenant après s'être respectueusement inclinée. Je dois m'occuper de la Marquise.

Rhadamanthe s'effaça pour la laisser entrer. Elle salua Alcmène, posa son panier au sol et commença ses soins. Elle releva la robe jusqu'au genou et le Duc nota une légère rougeur sur les joues de la Marquise, de même qu'il apprécia la finesse de la jambe et le galbe du mollet ainsi exposé. L'aide-soignante massa la cheville avec un onguent parfumé au chèvrefeuille dont l'odeur se répandit dans la pièce.

— Est-ce douloureux, par rapport à hier ? demanda la femme en regardant sa patiente.

— Un peu moins, mais c'est toujours enflé.

— Je pense que d'ici deux jours vous devriez pouvoir à nouveau marcher en vous aidant d'une béquille pour ne pas trop solliciter votre cheville.

— Et il n'y aura pas de séquelles ? De douleurs récurrentes ?

— En principe non. Mais il ne faut pas trop utiliser votre pied. Vous devez y aller progressivement.

— Peut-elle monter à cheval ? interrogea soudainement Rhadamanthe.

— Si on l'aide à monter et à descendre, bien sûr. Mais pas avant deux jours comme je viens de le dire.

— De toute façon, je ne vais pas remonter de sitôt, déclara fermement Alcmène.

— Je vous emmène en promenade après demain. Avez-vous amené le document signé par votre débiteur ?

— Oui. Pouvez-vous me passer ce sac, s'il vous plait ?

— Voilà. Le bandage n'est pas trop serré ?

— Non, c'est parfait. Je vous remercie.

— À votre service, ma Dame. Monseigneur.

Le Duc donna le sac à Alcmène qui en sortit un parchemin qu'elle lui tendit. Il le déroula et le parcourut rapidement.

— Confiez-le-moi. Demain, je reviendrai avec votre dû.

— Vous semblez bien sûr de vous. C'est un homme malhonnête capable de tout.

— Pourquoi donc avez-vous fait affaire avec lui ?

— Parce que quand il est venu me voir, il ne m'avait pas du tout donné cette impression.

— Vous avez négocié en gemmes à ce que je vois. Vos aurez vos pierres demain.

— Seigneur Rhadamanthe, je…

— Demain.

 

Ooooo00000ooooO

 

Le Duc de Wyvern fit irruption dans le bureau du Baron de Minotaure, le Secrétaire à la Justice qui sursauta.

— Rhadamanthe ?

— Tu as un instant ?

— Ai-je le choix si j'en juge par ta façon d'entrer ?

— Excuse-moi. Jette un œil là-dessus.

Gordon lut à son tour le parchemin de la Marquise et leva un regard d'incompréhension vers son ami.

— Le contrat est-il légal ?

— Il m'en a l'air. C'est quelque chose qui doit te tenir à cœur pour que tu sois dans un tel état.

— C'est juste un escroc qui a voulu profiter de la faiblesse d'une veuve et elle est venue ici pour se faire payer ses chevaux.

— C'est la Marquise d'Œchalie dont j'ai entendu parler ? Voilà donc pourquoi elle est à Giudecca.

— C'est elle, effectivement.

— Je ne suis pas expert dans ce domaine. Allons voir Pharys.

— Au fait, ton épouse est au Palais ?

— Oui, pourquoi ?

— Aurait-elle la gentillesse de passer voir la Marquise justement…

Et le Duc lui expliqua comment il l'avait rencontrée. Tout en discutant, les deux hommes étaient arrivés chez le Baron de Sphinx. Il les accueillit lui aussi avec surprise

— Que me vaut le plaisir de votre visite ?

— Ceci.

— C'est un contrat de vente standard entre un fournisseur et un acheteur, déclara le Baron après l'avoir rapidement lu. Parfaitement légal et rédigé dans les normes. Que ce passe-t-il ?

— Je suis donc en droit de réclamer le paiement.

— Si le créancier t'a donné son accord par écrit. Accord qu'il peut rédiger sur le bas du contrat en y apposant son sceau.

— Et si le débiteur ne peut pas ou ne veut pas payer ?

— Il est passible d'une peine de trois mois de prison. En sortant, il a un mois pour régler sa dette. S'il ne le fait pas, l'état dédommage le créancier. Il estime les biens du débiteur et se rembourse et la peine de prison passe à un an. Et on lui reprend le bien qu'il n'a pas payé.

— Risquer trois mois au Tartare pour quelques chevaux est complètement stupide, déclara doctement Gordon en secouant la tête.

— Certaines personnes peu scrupuleuses comptent sur le fait que les gens ne porteront pas plainte. Et malheureusement, c'est vrai la plupart du temps. Heureusement, les litiges finissent par se régler d'eux-mêmes bien souvent. Mais là, ce type a joué de malchance. La Marquise est tombée sur moi. Merci mes amis.

Gordon et Pharys sourirent à la sortie de leur ami, ayant une pensée compatissante pour l'homme qui allait avoir à faire au Duc de Wyvern. Rhadamanthe retourna voir la Marquise d'Œchalie qui consentit à lui donner son accord concernant son acheteur malhonnête.

 

Ooooo00000ooooO

 

Le lendemain, Rhadamanthe fit le tour de trois tavernes avant de trouver Korvac et Téméyès, les deux hommes qui avaient exploré les Océans avec lui. L'homme qu'il devait voir était exploitant d'une carrière. Les chevaux lui servaient à déplacer les dalles et les blocs de pierre et à les hisser sur les chariots qui les transportaient jusque sur les chantiers. Les pauvres bêtes ne tenaient pas le coup bien longtemps malheureusement. De plus elles n'étaient pas soignées comme elles auraient dû. Mieux nourries, leurs chances de vivre plus longtemps auraient été meilleures. Mais il revenait moins cher à cet homme d'acheter de nouveaux chevaux que de leur fournir davantage de fourrage. Beaucoup de demandes, peu de denrées, les niveaux des échanges s'envolaient. Mais cela ne devait pas l'empêcher de payer ses fournisseurs.

Les trois hommes arrivèrent en vue de la carrière peu après midi. Elle était située au nord-est de Giudecca au pied d'une barre rocheuse. Ils avisèrent une cabane en bois qui tenait lieu de bureau à l'exploitant. L'endroit était lugubre. Il n'y avait pas un arbre, pas même un brin d'herbe. Tout le paysage n'était que concrétions minérales noires qui sortaient du sol. Ils entendaient les coups de pioche des tailleurs de pierres qui résonnaient contre les parois de la petite montagne. Ils virent aussi passer des chevaux qui n'avaient plus que la peau sur les os, trainant d'énormes charges.

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Quand Rhadamanthe s'énerve

— Ils démontèrent et s'approchèrent de la cabane. Korvac avait les yeux partout, Téméyès était à deux pas derrière son chef et Rhadamanthe arborait sa tête des mauvais jours. Il frappa à la porte. Elle s'ouvrit sur un homme à la stature de colosse. Il devait bien faire trois têtes de plus que le Duc.

— Qu'est-ce que c'est ? Qui êtes-vous ?

— Êtes-vous le dénommé Déclan, exploitant de cette carrière ?

— Ça dépend pour qui…

— Entrons, ordonna le Duc en le poussant à l'intérieur sans même lui répondre.

Les deux hommes s'engouffrèrent derrière lui et se postèrent de chaque côté de la porte. Le Duc sortit le contrat, le déroula et le mit sous les yeux du colosse.

— Tiens donc ! La petite Marquise a de quoi engager des encaisseurs ? Elle peut bien attendre encore un peu pour que je la paye alors, non ?

— Je ne crois pas, gronda Rhadamanthe avant d'assener un revers de la main à ce Déclan qui tomba sur sa chaise.

— Tu veux jouer à ça ? Ça me va ! rugit l'homme en se levant, prêt à se battre.

— Je suis le Duc de Wyvern, cria-t-il. Vous allez payer ce que vous devez à cette femme sinon je vous traine derrière mon cheval jusqu'au Tartare.

L'homme stoppa son geste et écarquilla les yeux. Puis il les plissa à nouveau.

— Prouve-le, le provoqua-t-il.

Pas le moins du monde impressionné, Rhadamanthe chercha des yeux un bâton de cire. Il la fit fondre sur un morceau de parchemin et appliqua sa bague d'un violent coup de poing.

— Tu reconnais ?

— Bah… peut-être, c'est pas très…

Mais il ne finit pas sa phrase. La dague de Korvac sous la gorge lui avait coupé la parole. Il se mit à transpirer à grosses gouttes.

— C'est pas "très" quoi, mon gros ? lui murmura l'espion d'une voix dangereusement basse. Tém, regarde dans ce coffre. Y a peut-être un trésor, hein, mon gros !

— Je dirais que… y a de quoi payer pas mal de choses, répondit l'autre espion en remuant le contenu de la boite.

— Prends ce qui est écrit sur le contrat plus dix pour cent pour les intérêts de retard et encore dix pour nous avoir fait déplacer, ordonna le Duc en lâchant la poignée de son épée.

— Eh ! Mais c'est pas légal ça ! protesta Déclan que Korvac avait relâché.

— Tu veux peut-être te plaindre à mon très bon ami, le Comte de Balrog, Ministre de la Justice ? railla Rhadamanthe en prenant le sac de gemmes que lui tendait Téméyès.

— Elle peut être tranquille la Marquise que j'me fournirai plus chez elle ! Elle est noble, elle a de la fortune et elle fait la difficile pour quelques jours de retard ? Plus personne se servira chez elle. J'vais pas gêner pour raconter comment elle s'y prend, cette garce !

Le coup de poing que lui assena le Duc lui éclata le nez. L'homme tomba de sa chaise, Rhadamanthe se jeta sur lui et le roua de coups jusqu'à ce que ces acolytes l'arrêtent.

— Si tu fais ça, c'est ta carcasse que tes chevaux tireront jusqu'aux buchers funéraires. Si elle se plaint encore une seule fois à ton sujet, je reviendrai. Je te le promets. Et ce n'est pas cette bourse-là que je prendrai. Tu comprends, n'est-ce pas ?

Le Duc sortit de la petite cabane, suivi de ses deux espions. Ils remontèrent à cheval et quittèrent la carrière. Arrivé en ville, il les remercia pour leur aide et rentra chez lui. Il prit un bain et se changea. Ses vêtements étaient salis de sang et de boue. Dans le couloir, il intercepta un serviteur pour lui dire d'apporter un diner pour deux chez la Marquise. La jeune femme l'accueillit avec un chaleureux sourire et le remercia de venir lui tenir compagnie.

— Je vous ai un peu forcé la main pour rester ici, je peux bien vous accorder du temps. C'est le moins que je puisse faire, déclara Rhadamanthe en lui servant une part de tourte à la viande.

— J'ai été un peu contrariée de voir quelqu'un décider pour moi, mais finalement vous avez bien fait. Ce n'aurait pas été raisonnable que je rentre chez moi avec une cheville dans cet état.

— Vous êtes habituée à tout gérer dans votre vie. Je me trompe ?

— Depuis la mort de mon mari, je suis bien obligée d'être Marquis et Marquise.

— Cela n'a pas l'air de vous affecter.

— Quoi donc ? Sa mort ? Je n'ai jamais été aussi soulagée. Cet homme était un monstre d'égoïsme. Il n'y en avait que pour ses chevaux.

— C'est quand même ce qui fait vivre votre domaine, non ?

— Bien sûr… Savez-vous qu'il n'a accompli son devoir conjugal qu'une seule fois ?

— Pardon ?

— Le soir de nos noces. Il m'a prise et c'est endormi comme une buche. Pendant des semaines, j'ai pleuré me demandant ce que j'avais bien pu faire de mal pour qu'il me délaisse ainsi. J'avais trouvé ça absolument répugnant et dégradant. Je n'avais que dix-sept ans à l'époque. Et puis j'ai découvert que ce monsieur préférait ses palefreniers et ses garçons d'écurie à sa femme. Il a couché avec moi parce qu'il fallait consommer notre mariage.

— Je comprends votre amertume, Dame Alcmène, fit le Duc en buvant une gorgée de vin pour cacher sa gêne.

— Ne vous méprenez pas sur mon ressentiment. Je n'ai rien contre le fait que deux hommes ou deux femmes soient ensemble et s'aiment, mais je me suis sentie humiliée. Il aurait au moins pu faire l'effort de me faire un enfant. Alors je me suis retrouvée à gérer la maison. Il fallait que tout soit toujours prêt à accueillir d'éventuels visiteurs.

— Vous en aviez beaucoup ? demanda Rhadamanthe, ravi qu'elle lui offre un autre sujet de conversation que sa vie intime.

— Beaucoup non, mais nous avions parfois la visite de quelques sympathisants de Pontos.

— Vous en êtes une ? se figea le Duc.

— Il ne manquerait plus que ça ! Ce monstre a fait tuer mes parents parce qu'ils soutenaient le Prince Cronos. J'étais encore bien jeune quand c'est arrivé. Je me suis retrouvée chez ma tante et je n'ai jamais été la bienvenue. La sœur de ma mère et son époux étaient de fervents partisans de l'usurpateur.

— Votre vie n'a pas été simple, on dirait.

— Non, mais j'ai survécu. J'ai pris le parti de continuer à fournir l'armée en chevaux ainsi que d'autres clients. Il fallait bien que je subvienne aux besoins des gens qui travaillent pour moi et que j'entretienne le domaine. Et un jour ce Déclan est venu me voir.

— Justement, puisque vous en parlez je me demande comment vous avez pu voir en lui un homme honnête ?

— Il avait de bonnes manières et j'avais besoin de renflouer mes coffres. Je suppose que vous n'avez pas réussi à le faire payer…

— Détrompez-vous, déclara le Duc en sortant une bourse bien pleine et en la posant sur la table. Ce qu'il vous doit plus les intérêts de retard !

— Comment ? Mais… Rhadamanthe, vous êtes merveilleux ! s'écria-t-elle en ouvrant la bourse et oubliant le protocole en l'appelant par son prénom. Mais je ne suis pas tombée de la dernière pluie. Si j'en juge par l'état de vos mains, ça n'a pas dû être facile.

— Oh ça ? fit-il en regardant machinalement ses phalanges écorchées. C'est arrivé après qu'il vous ait traité de garce. Sinon, j'avais déjà le paiement en poche.

Alcmène observa l'homme face à elle avec admiration et gratitude. Il semblerait effectivement qu'elle ait été un peu hâtive dans son jugement. Certes, il était arrogant, trop sûr de lui, exaspérant, mais il était aussi comme l'avait décrit la Comtesse de la Harpie. Elle se perdit un instant dans les yeux dorés qui ne cillaient pas, comme s'ils voulaient lui percer l'âme. Son visage se mit à picoter. Elle rougissait. Cet homme avait le don de l'énerver au plus haut point et en même temps, il l'apaisait. Elle se détourna et termina son vin.

— Et vous ? Qu'elle est votre histoire ? demanda-t-elle curieuse de connaître un peu mieux cet homme qui la troublait plus qu'elle ne l'aurait voulu.

— Elle est très simple. Mes parents se sont exilés en Éleusis. J'ai grandi là-bas. J'ai été éduqué dans l'esprit de fidélité, de loyauté et très jeune, mon père m'a raconté comment Pontos avait usurpé le trône. Étant un proche de Cronos, il m'a fait promettre sur son lit de mort de suivre l'héritier légitime des Ténèbres si jamais je croisais sa route.

— Et c'est ce qui vous est arrivé.

— Exactement.

— Comment devient-on Ministre des Renseignements ? Je veux dire par là que n'importe qui ne peut pas s'improviser espion, sourit la Marquise.

— Je ne suis pas un espion. Mon visage est connu dans la Cité. Mais je travaille avec des gens qui ont la faculté de pouvoir disparaitre dans le décor et recueillir des informations capitales pour que le Roi puisse continuer à faire avancer le Royaume sur la route la plus sûre possible.

— Vous ne répondez pas vraiment à ma question, mais je comprends ce que vous voulez dire. Voudriez-vous m'aider à m'installer sur le canapé s'il vous plait ?

Alors qu'elle allait se lever en s'appuyant sur la béquille que lui avait apportée l'aide-soignante, Rhadamanthe la souleva dans ses bras et la déposa délicatement sans le moindre effort apparent sur le fauteuil devant la cheminée. Elle ne put retenir un léger sourire. C'était bien agréable de sentir les bras d'un homme autour de soi et il y avait bien longtemps que ça ne lui était pas arrivé.

— Vous voulez une infusion digestive ?

— Avec plaisir, merci. J'ai un peu honte d'abuser ainsi de votre gentillesse.

— Allons donc, ce n'est rien. Si cela m'ennuyait, je ne serais pas là. Je vous l'ai dit, je prends soin de mes invités.

— Vous devrez me laisser vous rendre la pareille. Il vous faudra venir séjourner à Œchalie.

— Je m'en ferai un devoir. Tenez.

La Marquise prit la tasse qu'il lui tendait et la porta à ses lèvres. Ils poursuivirent leur soirée en parlant de tout et de rien jusqu'à ce que le Duc estime qu'il était assez tard. Il prit congé d'elle et embrassa la main qu'elle lui tendit. À ce contact, elle frémit violemment et ce n'était pas quelque chose qui pouvait échapper au regard acéré du Duc.

— Je passerai vous voir demain et le jour suivant nous ferons cette promenade à cheval dont je vous ai parlé.

— Êtes-vous sûr que ce soit bien raisonnable ? … avec ma cheville ? se défendit-elle, pas très enthousiaste de retrouver sa monture, mais irrésistiblement tentée par cette idée.

— Et vous ? Qu'en pensez-vous ?

Et c'est ainsi qu'il la quitta. Sur cette question posée, avec une étrange lueur dans le regard…

 

Ooooo00000ooooO

 

C'était une aube semblable aux autres. Après une nuit claire, les premiers nuages commençaient à voiler le ciel des Ténèbres. Ce serait encore une journée sans soleil. À l'extérieur des remparts de Giudecca, l'escadron formé par Eaque attendait le signal du départ pour la Baronnie de Myrmidon. Endéis et ses trois serviteurs patientaient, un peu à l'écart de la cohorte, mal à l'aise. Il y avait là des dizaines de soldats armés jusqu'aux dents qui mettaient la dernière main à leur équipement. Des chariots transporteraient le matériel pour les bivouacs et un lieutenant avait fait un peu de place dans l'un d'eux pour que la jeune femme et ceux qui l'accompagnaient puissent y mettre leurs bagages. En voyant que les préparatifs étaient presque terminés, Endéis se demandait si les hommes n'avaient pas passé une partie de la nuit à cette tâche. Un galop de chevaux lui fit tourner la tête. Suivi par deux capitaines, le Général de Garuda venait d'arriver. Il donna un ordre à l'un des hommes qui étaient avec lui et s'avança jusqu'à la jeune femme.

— Bonjour Dame Endéis. J'espère que vous êtes bien reposée. Le voyage qui nous attend sera fatigant.

— Je suis venue jusque là, ne l'oubliez pas, rétorqua-t-elle vivement.

— Vous avez voyagé à votre rythme. Celui d'une armée est très différent, plus rapide. Jusqu'aux contreforts du Massif des Lamentations, les routes pavées nous permettront d'avancer assez vite. Lorsque nous gravirons la montagne, les choses deviendront plus dures.

— Essayez-vous de me décourager, mon Seigneur ? fit-elle, une lueur de défi dans les yeux.

— Certes pas, ma Dame. Je tiens juste à m'assurer que vous êtes bien consciente de ce qui vous attend. Je vous l'ai dit, se déplacer avec des soldats n'a rien d'un voyage d'agrément.

— Je suis sûre que vous veillerez à ce que mes gens et moi recevions de l'aide si cela s'avère nécessaire et que notre sécurité et notre confort seront une priorité pour vous.

— Votre sécurité sans aucun doute. Le confort est un luxe que l'on ne peut se permettre quand on est en campagne. Ou très peu. Aimeriez-vous chevaucher en tête de la colonne à mes côtés ?

— Avec plaisir, Général.

Les trois serviteurs se placèrent près du chariot qui transportait leurs effets tandis qu'Endéis trottait au côté du Général suivi par les deux capitaines. Et c'est dans un fracas assourdissant de métal et de sabots sur la pierre de la route que la cohorte s'ébranla. Rapidement, Eaque donna un rythme soutenu que la jeune femme semblait suivre sans difficulté. De toute évidence, c'était une excellente cavalière et le Ministre des Armées s'en félicita. Il avait craint, un instant, avoir à faire à une femme qui n'arrêterait pas de se plaindre et de geindre, aussi fut-il plutôt content de sa bonne fortune.

Silent Sentinel - Adrian von Ziegler
En route vers le destin

— La route passait à l'ouest du Lac Pyriphlégéton en longeant sa berge invisible, cachée par l'épaisseur de la végétation. Sur leur gauche, les cavaliers voyaient s'étendre la plaine des Marécages Noirs avec ces tourbières nauséabondes et ses mares de boue lourde et collante dont la surface brillait comme un miroir. Il y avait des sentiers sûrs qui traversaient les lieux, mais encore fallait-il bien les connaître pour s'y aventurer. À la moindre erreur, hommes et bêtes s'enfonçaient irrémédiablement dans la boue sans espoir d'en sortir. Ça et là, des nappes de brume se déplaçaient paresseusement au ras du sol donnant au paysage un aspect lugubre et fantomatique peu avenant. On n'entendait que les croassements des corbeaux et parfois le cri d'un rapace. Un vent tiède et faible apportait les exhalaisons de la chair et des plantes en décomposition. Si au début l'odeur était écœurante, après un moment, on finissait par s'y habituer.

La colonne allait bon train. Si les chariots ne ralentissaient pas l'allure, les soldats auraient mis leurs montures au grand trot. Mais Eaque avait tenu à emporter un minimum d'équipement pour monter un campement qui soit apte à accueillir une Dame. C'était la moindre des choses. À la mi-journée, ils firent une halte pour permettre aux chevaux de boire et se reposer tandis que les hommes grignotaient rapidement un morceau de viande séchée et un bout de pain. À la fin de la journée, ils avaient traversé le large pont de bois qui enjambait le fleuve qui arrosait la ville de Léthé et qui prenait sa source dans le Lac Pyriphlégéton. L'horizon leur était barré par le Massif des Lamentations. Le lendemain dans la matinée, peut-être en début d'après-midi, ils atteindraient les contreforts de la montagne.

Eaque ordonna le bivouac à l'écart de la route, dans une vaste clairière. Aussitôt quatre hommes s'occupèrent de monter la tente où dormirait Endéis et ses serviteurs ainsi que celle d'Eaque. Rapidement, les abris furent établis, les feux allumés et quelques soldats partirent chasser dans l'espoir d'améliorer l'ordinaire. L'un des Capitaines organisa les tours de garde tandis que le second veillait à la sécurité du camp.

Endéis et le Général de Garuda avaient conversé une partie du chemin au départ, mais la monotonie de la chevauchée avait fini par les gagner. La jeune femme ne fut pas mécontente de descendre de cheval. Elle fit quelques pas, les mains sur les reins, se cambrant pour tenter d'atténuer la courbature.

— Il faut de la chaleur, fit la voix d'Eaque derrière elle.

— Plait-il ?

— La douleur s'estompera si vous placez un cataplasme chauffant. Tous les cavaliers savent ça. Je vais vous en préparer un.

— Je crois que ça ira après une bonne nuit de repos, répondit-elle, nullement convaincue par les dires du Général.

— Si vous ne le faites pas, demain vous ne pourrez plus bouger et encore moins monter à cheval. Et mon offre n'était pas une suggestion.

La jeune femme plissa les yeux, sentant la colère bouillonner en elle. Ses yeux s'étrécirent et Eaque crut voir des éclairs traverser ces ciels d'orages. De toute évidence, elle n'aimait pas qu'on lui dicte sa conduite. Puis il la vit se calmer et détourna le regard.

— Que me suggérez-vous comme médication ?

— Un cataplasme d'argile appliqué sur votre dos. Vous dormirez avec et demain vous ne souffrirez pas de courbatures. Mais d'abord, nous allons manger !

Le Duc rejoignit ses hommes autour d'un feu au-dessus duquel cuisaient plusieurs lapins ramenés par les chasseurs. Endéis l'entendit plaisanter et décida de se mêler à eux. Elle s'enveloppa dans sa lourde cape et s'assit sur une grosse pierre. Eaque s'installa à ses côtés et l'un des hommes leur porta des râbles dans une assiette en fer toute bosselée.

— La vaisselle à l'air d'avoir vécu, sourit la jeune femme en regardant son voisin.

— Les hommes la transportent dans les fontes de leurs selles et vous avez vu comment ils en prennent soin ! Mais tant qu'elle remplit son office, peu importe son aspect.

— Je comprends. Le lapin est très bon. Bravo aux cuisiniers ! lança-t-elle à la cantonade, s'attirant des remerciements et des sourires chaleureux.

Au bout d'un moment, ils entendirent le son d'une harpe, ou d'une lyre, Endéis n'aurait su le dire, et la voix grave d'un homme s'éleva. C'était une complainte, un soldat loin de chez lui, sur le champ de bataille pensait à son foyer, sa femme et ses enfants qui lui manquaient. La mélodie était mélancolique, mais pas vraiment triste.

— Il se fait tard et demain nous partons tôt. Venez, je vais vous préparer le cataplasme.

— Seigneur Eaque, je vous assure que ce n'est pas indispensable.

— À votre guise, capitula le Général. Mais demain, vous monterez à cheval et je ne veux pas entendre la moindre plainte sortir de votre bouche. Est-ce bien clair ?

— Manquez-vous toujours autant de compassion ? s'énerva la jeune femme devant l'attitude pour le moins dure du Duc.

— Je parle en connaissance de cause. Moi-même je n'ai pas chevauché ainsi depuis longtemps et je vais m'en faire un parce que j'ai également mal aux reins. Et nous avons encore une longue route à faire. Je ne peux pas vous obliger à accepter. Mais dans ce cas, il vous faudra assumer votre choix. Je vous ai prévenu que voyager avec des soldats n'était pas une partie de plaisir. Bonne nuit ma Dame.

Et il la planta là, devant sa tente pour rejoindre la sienne. Endéis, furieuse, pénétra sous son abri où l'attendaient ses trois serviteurs. Elle ôta sa robe de voyage et resta en chemise pour se coucher. Les trois serviteurs qui l'accompagnaient firent de même. Malgré la fatigue, elle ne parvint pas à trouver le sommeil. Sous les fourrures, Endéis se tournait et se retournait, commençant à ressentir une douleur franchement gênante dans les reins. Elle poussa un soupir de résignation et se leva. Elle mit sa cape, ses chaussons et sortit de la tente pour gagner celle d'Eaque. Cela lui coûtait de se l'avouer, mais les circonstances donnaient raison au Duc. Un garde la vit et la salua respectueusement avant de se retourner et de sourire. Son Général avait bien de la chance, car pour l'homme il n'avait aucun doute quant à la destination de la Dame et les raisons qui la menaient là.

Endéis souleva le rabat de l'entrée et risqua un œil à l'intérieur. Il faisait sombre. Seules deux lampes à huile éclairaient le lieu. Elle entra.

— Seigneur Eaque ? murmura-t-elle avant de se maudire, réalisant qu'il devait dormir. Seigneur Eaque ? dit-elle plus fort.

Dans le font de la tente, elle vit une silhouette bouger et se redresser sur ce qui devait être le lit. Une des lampes à huile sembla s'élever seule dans les airs et enflamma une torche.

— Dame Endéis ? marmonna le Duc encore dans les brumes du sommeil. Mais que faites-vous ici ?

La jeune femme sentit un picotement sur son visage. Elle rougissait à la vue du corps dénudé d'Eaque. Elle remarqua qu'il avait un bandage autour du ventre et comprit qu'il s'agissait là du cataplasme dont il lui avait parlé. Ainsi, il appliquait ses propres conseils. Ce n'était pas un mensonge.

— Pardonnez-moi… je pensais… je croyais que vous étiez encore éveillé…

— Vous avez un problème ?

— Oui… J'ai très mal au dos.

— Et vous vous êtes décidée à accepter mon aide.

— C'est cela.

— Fort bien, fit-il d'une voix lasse. Allongez-vous et relevez votre chemise.

Endéis remercia la pénombre de la tente qui cachait bien à propos la rougeur de ses joues que ces cheveux flamboyants n'auraient pas manqué de faire encore plus ressortir. Très mal à l'aise, elle alla s'asseoir sur la couche tout en observant le Duc s'affairer. Elle dénuda ses épaules jusqu'aux reins et attendit. Si elle l'avait relevée comme le lui avait dit le Duc, il aurait eu une vue imprenable sur la partie la plus charnue de son corps. Et ça, il n'en était pas question.

— Dégagez vos cheveux et allongez-vous. Vous devriez ôter votre chemise sinon, je risque de la salir. Je ne regarderai pas, déclara Eaque pour la rassurer, bien conscient de sa gêne.

Il se tourna et la jeune femme obtempéra. Revenant à elle, le Duc resta un instant interdit. Il avait tenu dans ses bras des femmes très belles aux corps sublimes, mais ce qu'il avait là, sous les yeux, frisait le divin. Jamais il n'avait pu observer une peau aussi dénuée de défaut. Pas la moindre tache de naissance, le plus petit grain de beauté. Sa pâleur laiteuse renforçait l'impression d'extrême douceur qu'il ne tarda pas à découvrir. Il avait utilisé un linge plié en deux dans lequel il avait étalé l'argile chaude. Il posa l'emplâtre dans le creux des reins à la courbure affolante et appuya légèrement dessus.

— Ce n'est pas trop chaud ? murmura-t-il.

— Non, ça va…

— Pour le maintenir en place, je vais devoir bander votre taille. Mettez-vous à genoux en me tournant le dos et en gardant vos cheveux sur votre épaule.

Docile, elle obéit, notant au passage que la chaleur du cataplasme semblait déjà faire de l'effet. Elle croisa ses bras sur sa poitrine tandis que le Duc commençait à entourer son ventre avec une longue bande de tissu en coton. Endéis était profondément troublée. Jamais aucun homme ne s'était tenu si près d'elle et encore moins ne l'avait touché de la sorte. Les mains du Général étaient chaudes et elle frissonnait à chaque fois qu'elles touchaient sa peau.

— Ce n'est pas trop serré ? entendit-elle si près de son oreille qu'elle sursauta violemment.

— Non, ça va…

La même réponse. Elle avait l'impression d'être incapable d'articuler autre chose. Eaque termina le bandage en faisant un nœud sur son ventre. Mais au lieu de la lâcher, il resserra ses bras autour d'elle sans comprendre ce geste irréfléchi. Il la sentit trembler.

— Vous êtes quelqu'un d'étrange, Endéis, chuchota-t-il le visage enfoui dans son cou. Je n'apprécie pas particulièrement les femmes. Je préfère les hommes. Mais quelque chose me pousse vers vous… Je l'ai remarqué dès notre première entrevue. Vous êtes une femme dangereuse.

— Je vous assure que…

— Vous n'y êtes pour rien, la coupa-t-il en déposant un baiser sur son épaule qui la fit délicieusement frissonner. Vous n'êtes même pas consciente de cela. Ne changez surtout pas. Si vous deviez réaliser le pouvoir que vous avez, vous deviendriez la pire des garces égoïstes et manipulatrices. Arrachez-vous à mes bras, car je n'ai pas la volonté de vous laisser partir.

Maladroitement et avec des gestes lents, Endéis enfila sa chemise et dut effectivement s'arracher de l'étau des bras puissants qui la retenait. Elle se couvrit de sa cape et, avant de sortir, jeta un dernier regard à l'homme qui venait de la soigner. Il était à genoux sur les fourrures, les bras le long du corps, la tête basse, le visage caché par ses longs cheveux violets. Soudain, il se redressa et planta son regard dans le sien. Elle ne comprit pas vraiment l'étrange lueur qui les animait, mais elle sentit dans son corps des sensations qui jusque là lui étaient inconnues. Elle laissa tomber le rabat et se précipita jusqu'à sa tente. Elle se coucha l'esprit en ébullition.

Eaque se rallongea. Quel était donc ce pouvoir qu'elle avait subitement sur lui ? Il aimait Minos, il était amoureux de lui et voilà qu'il se laissait séduire par une femme. Une inconnue dont il ne savait presque rien. Elle avait du caractère, elle était jolie, désirable sans aucun doute, noble et avait des terres, mais c'était autre chose. Elle l'attirait de manière incompréhensible. Il la désirait. Il voulait la posséder comme un objet, qu'elle ne soit qu'à lui. Il eut un petit rire. Voilà qu'il faisait un caprice tel un enfant. Il se pelotonna sous les fourrures et s'endormit. Demain serait un autre jour. Peut-être la magie de l'instant ne se reproduirait pas ? Peut-être les circonstances qui avaient créé ce moment ne seraient plus réunies ? Peut-être…

Le lendemain en début d'après-midi, les soldats atteignirent les contreforts du Massif des Lamentations. La roche était d'un gris anthracite triste. Quelques sapins poussaient çà et là, mais à mesure que la colonne avançait et montait vers le sommet, la végétation se fit de plus en plus rare, jusqu'à disparaitre complètement. Il n'avait pas plu depuis longtemps et les chevaux soulevaient une poussière minérale irritante pour les yeux et la gorge. La plupart avaient couvert leur bouche et leur nez avec une étoffe, mais leurs yeux étaient rouges et larmoyants.

La nuit venait de tomber lorsqu'ils atteignirent l'espace du campement et les dernières centaines de mètres se firent à la lueur des torches. Eaque ordonna de réduire la garde. Il était peu probable qu'un ennemi vienne les chercher ici.

— Dame Endéis, l'appela le Duc alors qu'elle entrait dans sa tente que les hommes venaient de finir de monter. M'offririez-vous l'hospitalité pour la nuit ? Il n'y a pas assez de place pour établir deux abris ici.

— Je m'en ferai un devoir, Seigneur Eaque.

— Je ne vous ai pas demandé comment allait votre dos.

— C'était douloureux, mais supportable.

— Voulez-vous un autre cataplasme ce soir ?

— Je ne dis pas non, mais peut-être devriez-vous apprendre à l'un de mes serviteurs à le faire. Je ne veux pas vous déranger tout le temps.

Eaque s'approcha de la jeune femme, un étrange sourire aux lèvres.

— Êtes-vous certaine de vouloir qu'un autre que moi s'occupe de cela ?

— Qu'importe qui le prépare. L'essentiel est qu'il soit efficace, non ?

— Certes, mais je vous ai tenu dans mes bras hier soir, murmura-t-il, et je sais que vous avez violemment réagi à cette proximité.

— Seigneur Eaque, cette conversation prend une tournure qui me déplait fortement, cingla Endéis, le regard brillant de colère.

— Ça ne vous déplaisait pas pourtant…

— Effectivement, vous avez raison, sourit-elle durement. Le soulagement que m'a procuré le cataplasme m'a énormément plu. J'ai même… adoré ça !

Sur ces derniers mots prononcés sur un ton presque aguicheur, elle laissa le Duc sur le devant de la tente où elle s'engouffra. Elle serra les poings, réprima difficilement une envie de hurler de rage et se mit à marcher de long en large. Cet homme la rendait folle. Mais quelle mouche l'avait piqué pour qu'il adopte une telle attitude envers elle ? Avait-elle eu à son égard des mots, des gestes équivoques qui auraient pu lui faire croire qu'elle désirait qu'il la courtise ? Et quand bien même, il n'avait aucune élégance dans sa façon de faire la cour. Aucune délicatesse et pas la moindre subtilité. Et encore elle s'estimait heureuse qu'il ne se soit pas montré vulgaire ou trop entreprenant. Ses serviteurs entrèrent pour aménager l'intérieur de la tente afin qu'une cinquième personne puisse y dormir et Endéis préféra ressortir pour ne pas les gêner.

Elle fit quelques pas à l'écart de tout ce bruit et s'approcha du bord de la falaise qui plongeait à pic. Elle ne voyait rien, la nuit était totale et seule la faible lueur des feux éclairait les lieux. Elle se pencha légèrement pour tenter d'apercevoir quelque chose quand elle fut brutalement tirée en arrière pour se retrouver contre une cuirasse.

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La fureur d'Eaque

— Petite idiote ! gronda la voix d'Eaque. Le vent est assez fort pour vous jeter dans le vide ! C'est ce que vous cherchez ?

— Mais… quoi ? Mais non ! Et lâchez-moi ! s'écria-t-elle en se débattant pour échapper à la poigne du Général.

— Ne vous approchez jamais du bord ! C'est bien clair ?

— Je sais m'occuper de moi ! cracha-t-elle, furieuse. J'ai déjà parcouru ce chemin, je vous le rappelle.

— Si vous avez été si peu prudente, c'est un miracle que vous ayez atteint Giudecca ! Ne vous éloignez plus du camp !

— Je ne suis pas un de vos hommes ! Je n'ai pas à vous obéir !

— Très bien.

Et le Duc la prit fermement par le bras et l'entraina derrière lui. Il la poussa dans la tente et la jeta au sol. Il l'assit au pied du mas central et l'y attacha avec une corde qu'il avait attrapée au passage.

— Détachez-moi ! Espèce de brute ! Votre Roi entendra parler de vos façons de traiter ses sujets !

— Taisez-vous ! hurla le Duc, pour le coup agacé. Vous êtes inconsciente des dangers de ce voyage !

— Dame Endéis ? firent en cœur les trois serviteurs qui avaient accouru en entendant les cris de la jeune femme.

— Dehors ! rugit Eaque. Vous dormirez avec les soldats ! Et si jamais l'un de vous tente de la libérer, je lui tranche la gorge !

Et pour montrer qu'il ne plaisantait pas, le Général dégaina sa dague et s'avança vers eux. Ils ne se firent pas prier et prirent leurs jambes à leur cou. Eaque se retourna vers sa captive, l'esprit en proie à la plus grande confusion. Mais que lui arrivait-il ? Pourquoi réagissait-il de façon aussi violente ? Il prépara le cataplasme pour s'occuper les mains et l'esprit.

— Allongez-vous sur le ventre comme hier, dit-il d'une voix blanche.

Endéis vit bien qu'il contenait difficilement sa colère. Elle ne comprenait pas pourquoi il réagissait ainsi, mais elle préféra obtempérer sans discuter. Il s'approcha d'elle la détacha avant de lui ordonner de se dévêtir comme la veille. Il appliqua l'emplâtre et la laissa rajuster sa chemise avant de la ligoter à nouveau.

— Seigneur Eaque, commença-t-elle doucement, craignant de l'irriter davantage. J'ai bien compris ce que vous m'avez dit. Je ne m'approcherai plus du bord. Je reconnais que c'était irresponsable de ma part. Vous pouvez me libérer.

— Non. Vous subirez cette sanction jusqu'au bout, c'est-à-dire demain matin. Là, je serai vraiment certain que la leçon aura porté ses fruits. Maintenant, je suis fatigué et je voudrais dormir alors ne parlez plus.

Endéis en eut le souffle coupé. Attaché ainsi jusqu'au lendemain ? Allongée sur les peaux étalées sur le sol froid et dur de la tente ? Elle regarda Eaque se déshabiller et se glisser sous les fourrures de sa couche bien au chaud après avoir éteint les torches. Il ne laissa que deux lampes à huile allumées. La jeune femme pleura en silence puis glissa sur le sol et finit par s'endormir. C'est ce que le Duc attendait avant de la couvrir avec un épais plaid de laine. Il resta longtemps éveillé, les yeux fixés sur elle. Ou plutôt sur la forme noire recroquevillée au pied du mas. Bon sang ! Il détestait cette femme ! Parce qu'elle le faisait réagir d'une manière qu'il ne comprenait pas et qui ne lui plaisait pas. Il laissa son esprit partir à la dérive, évoquant les souvenirs de Minos. Il repensait à leur dernière entrevue, l'aveu de leurs sentiments, il revoyait leur dernière étreinte et un violent frisson le secoua. Inconsciemment, ses mains parcoururent son torse et son ventre. Il retint un gémissement, mais ne s'arrêta pas jusqu'à ce qu'il sente le liquide chaud et poisseux recouvrir ses doigts. Il finit par sombrer lui aussi dans un profond sommeil.

Deux jours plus tard, après une longue ascension sur un chemin étroit et périlleux, la colonne arriva sur l'esplanade de bivouac à l'entrée des Gorges du Styx…

 

 

À suivre…

 

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(1) Myrmidon : Sous la forme d'un aigle, Zeus emporte Égine dans les airs et la dépose sur l'île d'Œnone, appelée depuis Égine. C'est là qu'elle abandonne Éaque aussitôt après l'avoir mis au monde. Ayant grandi, il souffre de la solitude sur cette île alors déserte. Il demande à son père de la peupler. Zeus y consent et transforme en humains les fourmis qui vivaient sur le tronc d'un chêne sacré. Ainsi naît le peuple des Myrmidons (mot formé à partir de myrmex , "fourmi" en grec), dont Éaque devient le roi. Source Wikipédia

(2) Endéis : épouse d'Eaque dans la mythologie grecque qui lui donne deux fils : Pélée, le futur père d'Achille, et Télamon, qui deviendra le père d'Ajax. Eaque est donc le grand-père des deux héros de la guerre de Troie. De la Néréide Psamathée, il engendre aussi Phocos. Source Wikipédia

(3) Alta Griffs : Seigneur des Griffons en Langue Ancienne

(4) Alcmène : Dans la mythologie, elle est la veuve d'Amphitryon que Rhadamanthe épouse. Œchalie est une ville de Béotie ou s'exile Rhadamanthe selon la mythologie grecque. Ils auront deux fils, Erythros et Gortys. Source Wikipédia.


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