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LA LEGENDE DES QUATRE ROYAUMES... |
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Disclaimer : Tout l'univers de Saint Seiya que vous reconnaîtrez aisément appartient à Masami Kurumada. L'auteur n'en retire aucun profit si ce n'est le plaisir d'écrire et d'être lue. Les personnages de la mythologie appartiennent à tout le monde et les autres, ceux que vous ne connaissez pas, appartiennent à l'auteur. Betalecteur : Gajin, Frasyl et Hyma. J'espère que vous aimerez... |
Carte de ce monde |
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Chapitre 21 Année 10219 de la Licorne, mois d'avril, Royaume d'Asgard…
Une fois de plus, Jing avait disparu. Tout le monde au château était surpris par sa croissance incroyablement rapide. Il avait presque sa taille adulte, alors qu'il n'avait pas quatre mois. Fenrir soupçonnait un artifice magique allié au fait qu'il entendait toujours un bourdonnement dans sa tête en présence de l'animal. Il pouvait même dire si celui-ci se rapprochait ou s'éloignait de lui. Là, il semblait particulièrement loin. Le Médecin Royal en avait assez de toujours craindre que l'animal, qui n'avait certainement pas oublié qu'il était sauvage, ne s'en prenne à quelqu'un. Curieusement, il savait exactement dans quelle direction il était parti. Il descendit aux écuries et fit seller son cheval. Il partit vers le sud du Lac de la Walkyrie, vers la forêt où il cueillait les plantes médicinales dont il avait besoin. Il y avait encore beaucoup de neige, mais le printemps arrivait. Les bourgeons des plantes et arbustes étaient gonflés, les cours d'eau n'étaient plus prisonniers du gel. Le vent était encore froid, mais la belle saison s'imposait tout doucement. Il sut rapidement qu'il était sur la bonne route. Le bourdonnement sous son crâne s'intensifiait. Bientôt, il fut certain que Jing n'était plus très loin. Il était arrivé devant une barre rocheuse creusée de plusieurs cavernes dont les entrées étaient en partie cachées par les ronces du sous-bois. C'était une tanière idéale pour un loup. Gunro(1) ne bronchait pas. Preuve qu'aucun animal dangereux n'était à proximité. Pourtant Jing était forcément là. Il le savait au fond de lui. Il mit pied à terre et grimpa vers les grottes. Un grondement sourd le stoppa net. La peur lui déchira le ventre, mais son cheval ne s'affolait pas. Donc c'était son loup. Les deux animaux étaient habitués l'un à l'autre et se reconnaissaient à l'odeur. Fenrir se tourna lentement. Dans l'ombre de la végétation, il aperçut une silhouette. Non, ça ne pouvait être Jing. C'était bien trop grand. La créature finit par se dévoiler. Le Baron écarquilla les yeux de stupeur. Avant qu'il n'ait pu esquisser le moindre geste, l'animal fut sur lui. Fenrir recula, perdit l'équilibre et se retrouva au sol. Le loup se dirigea vers le cheval qui lui fit bon accueil. Alors c'était bien Jing. Fenrir le détailla. C'était bien la même couleur de fourrure, les mêmes yeux, mais les immenses ailes repliées sur chaque flanc n'étaient pas là la dernière fois qu'il l'avait vu, il en était certain. Le loup revint vers l'homme et glissa son énorme tête sous la main qui l'avait si souvent caressé.
- Tu es le Seigneur des Loups Ailés d'Asgard , entendit clairement le Baron dans son esprit. - Je ne comprends pas, formula Fenrir de la même façon, instinctivement - Nous existons par la volonté d'Odin. Nous sommes les protecteurs du Royaume et tu es notre Seigneur. - Notre ? - Nous sommes huit. - Mais… Gunro… - Il sait depuis longtemps que nous sommes là et que nous ne vous ferons aucun mal. - Mais qui êtes-vous exactement ? - Nous sommes soumis aux Lois de la Magie Ancienne. Si nous nous sommes révélés à toi, c'est parce que d'importants évènements vont se produire. Suffisamment grave pour avoir perturbé les Forces Magiques. Mais nous ne saurions agir de notre propre initiative. Il faut un homme pour nous guider et nous dire quoi faire pour vous protéger. - Nous protéger de quoi ? De qui ? - Je l'ignore. Mais bientôt, nous saurons. Puis-je dire à mes compagnons de s'avancer pour que tu les voies sans en être effrayé ? - Ils sont aussi gigantesques que toi ? - Oui. Nous ne sommes pas des loups ordinaires, mais des créatures créées par la puissance des Dieux eux-mêmes. - Je comprends… Eh bien… qu'ils approchent. Fenrir essayait de ne pas laisser paraitre la terreur qui lui liquéfiait les entrailles. Il vit sortir du bois sept autres créatures aussi énormes que Jing. Il eut l'impression qu'elles inclinaient leur tête devant lui comme un salut ou bien en signe de soumission au mâle dominant de la meute. Très certainement. Les loups ont une hiérarchie bien établie et Fenrir était au sommet. Il osa faire un pas vers eux et caressa leur front ce qui dessina une sorte de rictus sur leur faciès qui aurait pu s'apparenter à un sourire. - Tu dois savoir que nous ne sommes pas les seuls à veiller sur Asgard. - C'est-à-dire ? - Nous sommes alliés aux Dragons de Glace qui obéissent à leur Seigneur tout comme nous t'obéissons. - Tout cela est complètement fou ! Des Dragons ? Ils sont aussi réveillés ? - Oui, depuis peu. - Et qui est leur Seigneur ? - Lorsque tu le verras, tu le sauras. - Jing, comment se fait-il que vous connaissiez le langage des hommes ? - Les Dieux et la Magie. C'est la seule explication que je puisse te donner. Il y a des choses dans ce monde qui dépassent notre compréhension. - Là, je suis bien d'accord. - Tu vas devoir rentrer maintenant. Je viendrai plus tard pour veiller sur le Palais de Glace. - Mais… tes ailes ? - Ne te fais aucun souci. J'aurai repris mon aspect habituel. Mes compagnons vont rejoindre les Dragons et ensemble nous allons attendre que vous ayez besoin de nous. - Est-ce inévitable ? - Malheureusement… Mais nous ferons tout pour qu'il y ait une issue heureuse… Rentre maintenant. - Une dernière question. La Reine Hilda sait-elle que des Créatures Magiques protègent le Royaume ? - Oui. Mais elle n'a aucun pouvoir sur nous. Ne t'inquiète pas. Le moment venu, tu verras de quoi ta Reine est capable. Tu dois terminer le rituel. Alors la Magie opéra et Fenrir sut ce qu'il devait faire. Il tira sa dague, entailla sa main et la patte du loup. Il mit les deux blessures en contact et une lueur bleutée s'éleva. Jing disparut dans la forêt avec sa meute. Fenrir resta un instant à observer le chemin désormais vide par lequel ils étaient partis, se demandant s'il avait vraiment vécu ce phénomène. Seules les empreintes dans la neige témoignaient que plusieurs animaux étaient passés par là. Il regarda sa main. La plaie avait cicatrisé, mais il restait encore une trace rouge, preuve qu'il s'était bien ouvert la paume. Il retourna auprès de son cheval, toujours aussi calme et rentra au Palais. Une fois dans son appartement, il demanda qu'on lui porte un repas et alla voir sa fille. L'enfant jouait avec Jing qui leva vers lui un regard bienveillant, presque amusé, alors que le Baron l'observait d'un air surpris. On frappa à la porte. - Entrez ! - Seigneur Fenrir, fit le serviteur en s'inclinant, la Reine convoque un Conseil Royal extraordinaire cet après-midi auquel vous devez assister. Elle a insisté. - Fort bien, j'y serai. Tous les Ministres seront là ? - Oui, Mon Seigneur. Le Duc d'Alcor et le Baron de Phecda sont arrivés hier soir.
En début d'après-midi, Fenrir se dirigeait vers la Salle du Conseil lorsqu'il entendit des voix dans le couloir. Non qu'il ait envie d'espionner, mais il ralentit le pas pour savoir qui pouvait bien parler comme des comploteurs. - Tu es sûr ? - Oui. Nidhogg m'a dit que des loups énormes l'avaient rejoint. - Mais qui sont-ils ? - Les Loups Ailés d'Asgard. - Fenrir ! sursautèrent Bud et Siegfried. - Je suppose que tu es celui qui commande aux Dragons de Glace, poursuivit le Baron en s'approchant des deux hommes. - Comment es-tu au courant de ça ? gronda le Duc de Dubhe à voix basse. - Jing m'a dit que d'autres créatures s'étaient éveillées elles aussi. - Jing ? Ton loup ? demanda Bud, surpris en s'approchant son tour. - Fenrir et moi commandons à ses créatures, expliqua le Duc. N'est-ce pas ? - C'est exact. Nous devons aussi en parler à Hilda. Par contre, je ne m'explique pas pourquoi Bud est dans le secret. - En quoi cela te pose-t-il un problème ? s'énerva le Duc d'Alcor qui n'apprécia pas le ton suspicieux de son ami. - Il était avec moi lorsque… lorsque les choses se sont produites, intervint Siegfried. - Je vois… Allons au Conseil, nous verrons la Reine après. Qu'en dis-tu ? - Que c'est une bonne idée !
Le Conseil n'avait pour autre but que d'informer les Ministres de la présence repérée de quelques drakkars Viks au large de la côte nord du Royaume. Étant donné ce qui s'était passé quelques semaines plus tôt, la Reine avait jugé bon d'en avertir ceux en particulier dont les domaines étaient au bord de la mer. La salle se vida, mais Fenrir et Siegfried restèrent en arrière. À sa plus grande satisfaction, le Duc de Dubhe n'éprouvait aucune tristesse d'être confronté à son ancienne maitresse en si petit comité. Il en fut d'autant plus soulagé et une tendre pensée pour Bud le fit sourire. - Messieurs, vous souhaitez m'entretenir d'une chose précise ? leur demanda Hilda en avançant vers l'immense fenêtre qui donnait sur le fjord. Les deux hommes s'entreregardèrent, ne sachant trop comment aborder le sujet. Les Loups avaient bien affirmé que la Reine connaissait leur existence, mais ça restait quelque chose de complètement surréaliste. Ne risquaient-ils pas de se ridiculiser ? - Savez-vous qu'il existe des créatures qui protègent Asgard ? lâcha finalement de Baron d'Alioth qui dansait d'un pied sur l'autre. - Vous voulez parler des Dragons de Glace et des Loups Ailés ? sourit Hilda sans se retourner. Les deux hommes, encouragés par cette réponse poussèrent un discret soupir de soulagement. - Ils se sont réveillés, dit Siegfried en avançant vers sa Souveraine. Celle-ci fit brutalement volte-face et planta ses yeux de glace dans ceux de son Ministre. Le Duc de Dubhe fut surpris par la violence qu'il y avait dans le regard de sa Reine. D'instinct, Fenrir se rapprocha de son ami. - Pourquoi les avez-vous invoqués ? demanda-t-elle, en colère. - Nous ne l'avons pas fait, se défendit le Médecin. Ils se sont réveillés seuls, à cause de grandes fluctuations dans les Forces Magiques. - J'ignorais même qu'elles existaient, se défendit Siegfried. - Moi également. - De grandes fluctuations…, répéta Hilda, bien consciente que ces deux hommes étaient trop ignorants de la Magie pour lui tenir de tels propos et que, de ce fait, ils ne pouvaient que dire la vérité. - C'est ce qu'ils nous ont expliqué, affirma le Duc de Dubhe. - N'avez-vous pas perçu ces… perturbations ? s'enquit Fenrir d'un ton doux, craignant qu'elle ne se mette à nouveau en colère. - Bien sûr que si, mais je ne pensais pas qu'elles étaient à ce point violentes pour réveiller les Loups et les Dragons. Par les Dieux ! Nous allons au-devant d'un désastre… Elle se laissa tomber lourdement sur le fauteuil qu'elle occupait à chaque réunion du Conseil Royal. Le bras en appui sur l'accoudoir, elle couvrit son visage d'une main, envahie d'une grande lassitude. Deux fois. Deux fois seulement, ces créatures avaient été invoquées par leurs maitres pour protéger Asgard. Jamais deux sans trois, dit le proverbe, mais là, il n'était pas question d'invocation. La Magie du monde était à ce point perturbée qu'elle les avait réveillés. - Ils nous ont dit que d'autres comme eux étaient probablement éveillés. Savez-vous qui ils sont ? - Je ne sais pas tout sur ces Êtres Magiques créés par les Dieux, Seigneur Fenrir. Mais il en existe effectivement d'autres. Elles sont au service d'hommes qui œuvrent pour le bien ou le mal. Après, leur utilisation dépend de leur maitre. - Mais pourquoi cette… Magie permet-elle que des créatures mauvaises existent ? - Ce sont les Dieux qui les ont créés, Seigneur Fenrir. Aujourd'hui ils défendront Asgard contre un ennemi. Mais si demain, je deviens une Souveraine ambitieuse qui veut dominer le monde, je vous ordonnerai de les mettre au service de cette ambition. Et comme ce sera dans l'intérêt du Royaume, elles obéiront. - Ce qui veut dire que nous risquons d'affronter des monstres qui voudront nous détruire ? s'inquiéta Siegfried. - Si tel est le désir de leur maitre…, souffla la Reine, visiblement atterrée par la situation. Il va me falloir percer le message des étoiles. - Avez-vous besoin d'aide ? lui proposa Fenrir. - Non, merci. Informez les autres de… de cette nouvelle. Il faut mettre l'armée sur le pied de guerre. Nous ne savons pas quand la menace se révèlera à nous, mais une chose est sûre, c'est pour bientôt. Les deux hommes laissèrent leur Souveraine seule. Hilda ne put retenir quelques larmes de peur et de rage. Pourquoi maintenant ? Alors que la paix allait enfin être établie, si on faisait abstraction du message annonçant le conflit impliquant le Roi Hadès, il fallait que quelque chose d'inconnu et de particulièrement terrifiant vienne tout gâcher. Elle ferma les yeux et se concentra. Il ne lui fallut pas longtemps pour percevoir les courants Magiques qui parcouraient le monde. Invisibles et puissants, ils étaient le moyen que les Dieux avaient trouvé pour protéger les hommes. Les Dieux ? Vraiment ? Peut-être est-ce tout simplement une création de la nature, de la Terre-Mère qui accueille les êtres vivants, les fait vivre et mourir ? Les Dieux ne sont-ils pas une invention de l'esprit humain pour expliquer l'inexplicable ? Pour se rassurer face à l'inconnu ? Pourquoi des créatures extraordinaires sont-elles au service des hommes et leur obéissent-elles aveuglément ? Qu'est-ce que la Magie ? Quels sont donc ce pouvoir, cette force dont elle-même est investie ? Son esprit commença à dériver dans le flux. Elle se laissa porter, mais bien vite, c'est comme si elle devait nager dans une mer déchainée. Ses paupières se soulevèrent et elle réintégra ce monde. La tempête qu'elle venait d'entrapercevoir était tout simplement colossale.
Par la fenêtre de son bureau, elle vit partir le Seigneur Hyoga. Fortement bouleversé par la disparition de Freya, celui-ci avait émis le souhait de regagner son pays pour s'y ressourcer. Elle s'attendait au retour de son Ambassadeur d'un jour à l'autre. Il devait prendre des dispositions pour son père et veiller à ce que les domestiques s'occupent bien sur lui. Il avait prévu de rester quelques semaines pour cela. En voyant les longs cheveux blonds du descendant de la Maison du Cygne s'éloigner, elle songea qu'elle n'avait pas vraiment remarqué que les sentiments qu'il éprouvait à l'égard de la jeune fille étaient si profonds. Depuis qu'ils avaient appris sa disparition, il n'était plus que l'ombre de lui-même. Elle leva son regard délavé vers le ciel et constata que l'après-midi touchait à sa fin. Bientôt il ferait nuit et elle devrait monter sur la tour pour observer les étoiles. Mais cette fois, ce serait dangereux. Pourtant, elle n'avait pas d'autre choix si elle voulait éclaircir ce message dont la teneur, plus qu'inquiétante, semblait être un élément déterminant de leur destinée à tous. Un conflit où le Roi Hadès est vaincu, mais pas perdant qui précède une menace plus grande encore. Mais laquelle ? Le repas qu'Angus avait apporté à sa Reine était là, sur la table et refroidissait. Hilda n'y avait pas touché, trop préoccupée par ce qu'elle avait ressenti et ce qu'elle devait faire. Assise devant la fenêtre de son salon, elle observait la lumière du jour décliner rapidement et les étoiles s'allumer une à une. Bientôt, il serait temps. Le rituel qu'elle devait accomplir pour obtenir une vision plus aiguisée allait drainer une bonne partie de ses forces physiques. Elle allait avoir besoin d'aide. Mais il lui faudrait quelqu'un capable de maitriser la créature qu'elle allait devenir. D'un mouvement las, elle se leva et entra dans une petite pièce adjacente à son appartement qui lui servait de laboratoire. Son regard erra un instant sur les étagères surchargées de fioles, de flacons, de bocaux. D'autres croulaient sous le poids des grimoires. Elle prit un bol en terre cuite et le posa devant elle. Elle se saisit d'un très vieux livre qu'elle ouvrit avec beaucoup de précautions. Il était relié de cuir et la couverture s'ornait d'un triskèle (2). Hilda se perdit dans la contemplation des circonvolutions emmêlées du motif, symbole de la Magie Ancienne, de sa puissance et de sa complexité. C'est à elle qu'elle allait se confronter. Elle l'ouvrit et tourna quelques pages jusqu'à celle qu'elle cherchait. Elle était couverte d'une écriture fine et pointue. De l'index, elle parcourut les lignes puis alla vers une étagère. Elle prit trois flacons. Du foie séché de lapin et réduit en poudre, de l'urine de chauve-souris, de la résine de pavot et du thym, en provenance du Sanctuaire, pour atténuer le gout ignoble qu'allait très certainement avoir cette potion. Elle ne l'avait jamais utilisé, mais c'était la seule assez puissante pour lui permettre d'ouvrir son esprit au monde mystérieux de la Magie Ancienne. Un monde qui ne vous acceptait pas facilement. Un monde qui vous considérait toujours comme un intrus, qui vous méprisait jusqu'à ce que vous fassiez la preuve que vous êtes digne d'en découvrir quelques secrets. Hilda ignorait totalement ce qu'elle allait bien pouvoir trouver. Un frisson de crainte lui remonta l'échine. Elle mélangea les ingrédients en respectant scrupuleusement les doses et laissa la préparation reposer. Dans sa chambre, elle se dévêtit complètement et ne s'habilla que de son épais manteau en fourrure d'otarie. - Angus ? appela-t-elle, certaine qu'il l'entendrait de son bureau. - Majesté ? - Tu vas m'accompagner sur la tour. Je vais faire une transe. Elle repartit dans son laboratoire et revint avec le bol. - Quand j'aurai bu ceci, tu ne devras plus m'adresser la parole. - Est-ce dangereux ? demanda-t-il alors que c'était la première fois qu'il la voyait prendre une potion pour utiliser ses pouvoirs. - Oui… ça l'est. Plus que les autres fois où tu m'as assistée. Il se peut que tu aies l'impression que ton esprit veut te quitter. Tu devras résister de toutes tes forces. Ce sera certainement moi qui m'accrocherai à lui pour revenir dans ce monde. Quoi que je fasse, ne bouge pas. Quoi que je dise, obéis. Et quoi que tu voies se produire, n'interviens pas sauf si cela met ma vie ou la tienne en danger. Si je perds connaissance, tu as juste le droit de me rattraper pour m'éviter une lourde chute. Si ça se produit, allonge-moi sur le sol et couvre-moi de mon manteau. - Comment saurai-je que c'est terminé ? - Tu le sauras. Tu devras me ramener à l'intérieur. Te sens-tu capable d'assumer tout cela ? - J'assumerai, répondit le secrétaire en rivant son regard sombre aux perles limpides de celui de sa Reine. - Si tu as des questions, pose-les maintenant tant que tu peux encore parler. - Je n'en ai pas. - Bien.
Et elle vida le bol avec une grimace de dégoût. Elle sortit par une porte qui donnait sur l'escalier qui montait sur la tour d'où elle avait l'habitude d'observer les étoiles. Le vent soufflait assez fort, mais semblait moins froid. À peine posa-t-elle le pied sur la dernière marche qu'elle sentit la potion commencer à faire de l'effet. D'un geste elle indiqua à Angus de se tenir derrière elle. S'approchant des créneaux, elle laissa tomber son manteau pour apparaître dans toute la splendeur de sa nudité. Angus eut un sursaut de surprise et détourna pudiquement les yeux. Mais bien vite, il la regarda à nouveau. Hilda avait les bras levés vers le ciel et sa respiration s'était accélérée. Sa concentration était si intense qu'une fine couche de sueur commença à faire briller son visage. Elle plongea dans le flux de la Magie et son esprit s'élança vers les étoiles. Son corps se mit à bruler, elle gémissait. Angus, inquiet, s'approcha d'elle. Ce qu'il vit le terrifia. Les yeux de la Reine étaient entièrement noirs et sur sa peau diaphane des sortes de tatouages apparaissaient en forme de volutes. Un instant, il la crut possédée par un esprit maléfique. Il recula, craignant de la perturber sans la quitter du regard. Hilda reconnut sans difficulté l'alignement d'étoiles qui concernaient le Roi Hadès depuis maintenant plusieurs mois. Et toujours en direction de Sirius, cette menace indéterminée qui semblait ne pas vouloir s'éloigner, bien au contraire. Et puis… - Srel rendul to aoloch gi hotan mindimish ? (Que viens-tu faire ici, petit esprit ?) - Jo na lidj ne utlaigh ada elparush im sitobraig xu valvil taosish. ( J'ai besoin de réponses pour prévenir les hommes d'un grand danger.) - Akrim to srel jo gotor u im durtagh ziled otasrel to im keddash ? (Crois-tu que je vais te les donner simplement parce que tu les demandes ?) - Srel judul jo aoloch ada im karimin ? (Que dois-je faire pour les obtenir ?) - Ya falbratis ! To judul aoloch im bisk srel sia midimish anin blesarinh gorn ada yomel lulalya (Te battre. Tu devras faire la preuve que ton esprit est suffisamment fort pour connaitre l'avenir.) - Srol anin vol ? (Qui êtes-vous ?) - Im alapresh ri im omelresh. Im sush ri im lif. Im welan ri im badan srol domortaigh do mash ubra mun korokin im sitobraig. Ela srel setal gorn gotor everin sha im lif ada srel rol busindre onto im terrum ri aoloch im welan vorys ne iva. Im moni anin tuluch cashim vloguntar bu im suchri im badan srol menekem, ul ghetal ne im nash covh. Shaza me im gorn ne sia korokin ! Im gorn ne sia mindimish ! (Le commencement et la fin. L'ombre et la lumière. Le bien et le mal qui sommeillent au plus profond du cœur des hommes. Ceux qui sont forts iront toujours vers la lumière pour qu'elle règne sur le monde et feront le bien autour d'eux. Les autres seront trop souvent tentés par l'ombre et le mal qui s'y tapit, à l'affût de la moindre faiblesse. Montre-moi la force de ton cœur ! La force de ton esprit !) Au début, elle ne sentit que de légers effleurements, comme un souffle sur son esprit, mais suffisamment puissant pour la faire vaciller. Elle n'aurait su dire combien de temps cela dura. Elle comparait cette étrange expérience à la mer. Une mer d'un calme plat, presque un miroir. Puis les courants forcirent, la ballottant de plus en plus sans qu'elle ne puisse rien empêcher. Elle ne comprenait pas ce qu'elle devait faire. La force de son cœur ? De son esprit ? C'était pour l'instant des paroles bien mystérieuses. Puis les bousculades devinrent plus rudes. Elle avait l'impression d'être au milieu d'un jeu d'enfants où l'un d'eux a les yeux bandés et doit attraper et reconnaître les autres. Une brutale poussée l'envoya très loin vers les étoiles. Instinctivement, elle se retourna et fit de même. Il lui sembla entendre un cri. Angus était terrifié. Il craignait pour sa Reine. Celle-ci était nue, livrée au vent glacial qui soufflait en rafales. Son corps, tendu à se briser était parfois pris de tremblements. Des sons rauques sortaient de sa bouche et sa peau se couvrait de plus en plus d'arabesques noires. Il voulait intervenir, mais il avait dit qu'il assumerait, quoi qu'il se passe. Alors il recula, posa un genou à terre et se résigna à attendre. Il récupéra le manteau d'Hilda qui gisait sur le sol et le tint contre lui. L'odeur de la Reine emplit ses narines. Il respira à pleins poumons en fermant les yeux. Mais qu'était-elle donc en train de faire ? Combien de temps cela allait-il encore durer ? Ainsi c'était ce qu'elle devait faire. Oui, la voix qu'elle avait entendue le lui avait dit. Elle devait se battre. Se battre pour obtenir des réponses. Avec son cœur et son esprit pour en éprouver la force. Elle rendait coup pour coup aussi fort qu'elle le pouvait. Elle surnageait dans une mer déchainée. Une mer ? Non. Un océan fait de flux, de courants magiques d'une puissance qu'elle ne soupçonnait pas. Comment avait-elle pu croire un seul instant qu'elle était de taille à affronter ça ? Ainsi donc voici les forces invisibles qui parcouraient le monde et que seuls quelques rares êtres privilégiés, dont Hilda, pouvaient se targuer de connaitre. Non, mais quelle audace ! La Reine venait de prendre conscience qu'elle ne connaissait rien à la Magie. Que c'était une force qui la dépassait totalement. Elle comprit surtout qu'elle allait être sanctionnée pour avoir osé croire qu'elle la maitrisait. Ce fut le silence soudain qui fit ouvrir les yeux à Angus. En fait de silence, il n'entendait que le vent qui soufflait en rafales. Devant lui, Hilda s'était retournée et l'observait. Il aurait pu en être heureux sauf que la créature qu'il avait devant lui n'était pas sa Reine. C'était son corps, mais ce n'était pas elle. Ses yeux étaient toujours noirs, et sur sa peau, les arabesques sombres étaient animées d'une vie propre. Son visage se tordit en un horrible rictus animal agressif et inquiétant. Avant qu'il n'ait pu esquisser le moindre geste, la créature se jeta sur lui, referma ses mains sur sa gorge. Il attrapa ses poignets pour lui faire lâcher prise, mais elle déployait une force colossale. Il roula sur elle, la plaqua au sol de tout son poids et appuya à son tour sur son cou avec son avant-bras. Mais il réalisa soudain qu'il s'agissait quand même du corps d'Hilda. Il se redressa, la furie toujours accrochée à lui et la coinça brutalement contre le mur. Elle cria et sa prise se fit moins forte. Angus put se dégager. Il avait le souffle court et la peur au ventre. Hilda sentit que quelque chose se passait. La présence était plus éthérée et les coups moins violents. Elle chercha mentalement quelque chose à quoi se raccrocher et trouva l'esprit d'Angus. Mais il était en proie à une grande agitation. Elle força sa perception et comprit ce qui se déroulait dans le monde réel. - C'est comme ça que tu te bats ? songea-t-elle dans une colère noire. Tu t'en prends aux miens pensant que je vais lâcher prise ? Jamais ! Maintenant que je suis là, j'aurai mes réponses ! Elle s'accrocha à l'esprit d'Angus qui le sentit. Il avait l'impression qu'elle allait le sortir de sa tête. La créature lui tournait autour, cherchant une ouverture pour l'agresser encore. Mais la présence d'Hilda lui donnait un courage fabuleux malgré sa lutte presque désespérée pour résister à sa Reine et en même temps se concentrer sur son combat. Elle se jeta encore sur lui. Il la cueillit avec un coup de poing dans le ventre tout en s'excusant auprès de la Souveraine. Son coup semblait avoir fait mouche. - Jo arkhon nen utlaigh ! (Je veux des réponses !) hurlait Hilda. Ri jo arkhon ria kaalha (Et je veux mon corps !) Et alors que d'un coup vicieux, la créature s'apprêtait à faire basculer Angus par-dessus le parapet de la tour, la Reine laissa exploser toute sa rage et par la force de son esprit et de sa volonté, elle dévasta ce lieu qui se trouvait entre le néant et le rien. Ou du moins c'est ainsi qu'elle le ressentait. Elle savait qu'au départ elle avait voulu s'élancer vers les étoiles et leurs mystères, mais maintenant où était-elle ? Brusquement Angus se sentit libre. Il se rétablit sur la tour et regarda la créature qui s'éloignait de lui en titubant. Sur sa peau, les volutes commençaient à disparaitre. Il s'approcha lentement, attentif à la respiration laborieuse qui sortait de la bouche qui l'avait cruellement mordue à l'épaule. Soudain, elle s'immobilisa, leva les bras vers le ciel en renversant la tête en arrière. Un cri inhumain éclata dans la nuit glaciale. Un hurlement à terrifier les loups et les ours eux-mêmes. Un cri à vous pétrifier le sang dans les veines. Il vit le corps vaciller et s'élança juste à temps pour le recevoir dans ses bras. Hilda se sentit happée dans un tourbillon. Il n'y avait aucun repère stable auquel se raccrocher. Il lui sembla hurler de terreur ou peut-être fut-ce son esprit. Et puis plus rien. Lorsqu'elle ouvrit les yeux, il vit le ciel noir piqueté d'étoiles. Elle était glacée et fut prise de violents tremblements. Elle réalisa qu'elle était allongée sur le sol et recouverte de son manteau. Angus avait appliqué ses instructions à la lettre. Mais où était-il ? - Angus ? tenta-t-elle d'articuler. Mais ce ne fut qu'un gargouillis guttural qui sortit de sa bouche. Pourtant, il l'avait entendu. Aussitôt, elle vit le visage de son secrétaire déformé par l'inquiétude, au-dessus d'elle. - Rentrons. Il la prit dans ses bras aussi aisément que si elle avait été une petite fille. Elle laissa sa tête tomber contre l'épaule solide et ferma les yeux. Si le parcours pour arriver à sa chambre n'était pas aussi court, elle se serait endormie, bercée par le pas régulier d'Angus. Qu'avait-il pu se passer pour qu'il ait une telle expression de frayeur sur le visage ? Il faudra qu'il lui raconte tout. Oui, absolument tout. Parce qu'elle ne se souvenait de rien. Angus l'installa dans le fauteuil devant la cheminée et prit l'aiguière posée sur la table avec un linge propre pour lui laver les pieds. Ils étaient écorchés à cause de leur lutte. Il dénuda le dos et constata que la peau était râpée à certains endroits ainsi que les coudes et les genoux. Il l'enduisit d'un baume cicatrisant après l'avoir désinfectée. Il coucha la Souveraine dans le lit et la couvrit avec les fourrures, mais elle tremblait toujours. - Que s'est-il passé ? lui demanda-t-elle dans un chuchotement à peine audible. Il lui fit le récit de ce dont il avait été le témoin. Les yeux de la Reine s'emplirent de larmes et elle caressa le visage triste dans un geste qui suppliait pour être pardonné. Un sourire peiné lui répondit. - Je suis désolée de t'avoir fait endurer cela, s'excusa-t-elle. - J'avais dit que j'assumerais, la rassura-t-il. Vous ne m'avez pas forcé la main. - Mais je suis ta Souveraine et je sais que tu n'aurais jamais refusé même si ce n'était pas un ordre. C'est de cela que je me sens coupable. - Vous avez encore froid, observa-t-il alors qu'elle grelottait toujours. - Je n'arrête pas de trembler... - Vous et moi savons qu'il n'y a qu'un seul moyen véritablement efficace pour réchauffer un corps glacé. C'est comme si vous étiez tombée dans un lac ou une rivière en plein cœur de l'hiver. - Je sais… Fais ce qu'il faut… Peut-être que quand je me sentirai mieux, les souvenirs me reviendront. Gêné, Angus se leva et tourna le dos à Hilda qui eut la délicatesse de ne pas le regarder se dévêtir. Elle le sentit se glisser dans le lit et s'approcher d'elle. Il enroula ses bras autour de sa Souveraine et colla son corps au sien. Il était à la torture. Il avait si souvent rêvé d'un moment pareil, mais pas dans les mêmes circonstances. Il priait tous les Dieux qu'il connaissait pour qu'ils l'aident à rester maitre de lui. Hilda eut un profond soupir de bien-être en sentant ce corps brulant contre le sien. C'est alors qu'elle prit conscience que jamais elle n'avait eu aussi froid. Au sommet de son crâne, le souffle calme et profond d'Angus faisait voleter une mèche de cheveux. Elle était en sécurité, elle était bien. Elle s'endormit. Les tremblements du corps entre ses bras se calmèrent lentement et l'homme resserra son étreinte. Il avait posé une main sur le ventre doux et le caressait du pouce comme pour s'excuser de l'avoir frappé. Il finit lui aussi par s'endormir, rassuré d'entendre le souffle régulier et profond de la Reine.
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Le Baron Albéric de Mégrez était arrivé chez lui quelques jours plus tôt. Il avait quitté Égide dès qu'il avait reçu le courrier de sa Souveraine l'informant de la disparition de sa sœur. Il avait demandé à être reçu par le Roi Mitsumasa et ne lui avait fait part que d'un sérieux problème familial. Le Roi connaissant l'état de santé du père de l'Ambassadeur n'avait pas posé de question et avait assuré le jeune homme de toute sa sympathie. Et de plus, il eut été malvenu de la part d'un Souverain de s'enquérir trop ouvertement de ce qui relevait de la vie privée. Aussitôt qu'il eut franchi la porte de son château, il alla s'enfermer dans sa chambre en attendant qu'on lui prépare un bain et un repas chaud. Il ôta ses vêtements poussiéreux et humides et se laissa tomber sur un fauteuil au velours violet. Deux serviteurs entrèrent portant l'eau pour le bain. L'un des deux alluma un feu dans la cheminée, tandis qu'une servante les rejoignait, apportant du linge propre. Albéric ne leur adressa même pas un regard, trop préoccupé par le sort de sa sœur. - Monseigneur, votre père est encore réveillé si vous souhaitez le voir, lui annonça la jeune femme avant de se retirer. - Merci. Pour le bain, attendez que je revienne.. Il parcourut rapidement le couloir pour arriver jusqu'à la chambre de son père. Normalement, il n'aurait dû être Baron qu'à la mort de celui-ci, mais la Reine Hilda avait constaté par elle-même que le vieil homme n'avait plus sa tête et qu'il était incapable d'assurer sa charge d'Ambassadeur au Sanctuaire. C'est le Premier Ministre, le Comte Asmita de Vierge qui avait émis les premiers soupçons. Soucieux de l'honneur du Baron, il fut convenu avec la Reine Hilda et le Roi Mitsumasa de demander au diplomate de rentrer à Asgard. Après quelques semaines, son état se dégrada brutalement et malgré les connaissances et les compétences de Fenrir, il en arriva à la conclusion que jamais le Baron ne retrouverait totalement ses esprits. Aussitôt la Reine transféra le titre de Baron à Albéric et lui offrit le poste d'Ambassadeur. Elle lui assura que sa sœur recevrait toute l'aide nécessaire pour prendre soin de leur père et le jeune homme ne put qu'apprécier et accepter. Et pendant des semaines, il fut heureux de pouvoir servir sa Reine et son Royaume, l'esprit tranquille. Parfois, il se sentait un peu coupable de laisser reposer sur les épaules de Freya la lourde tâche de s'occuper de leur père, mais c'était ainsi. Il avait beaucoup appris avec lui sur la diplomatie et avait un don inné pour ça. Aussi le mit-il à profit pour le bien d'Asgard et pour faire honneur à sa famille. Et Freya avait le rôle le plus ingrat. Pourtant jamais il ne l'entendit se plaindre. Cette situation était presque devenue normale pour lui. Mais maintenant que sa petite sœur était en danger, il réalisait à quel point il avait été égoïste. En proie à toutes ses réflexions, il entra dans la chambre. Les fenêtres s'ouvraient sur l'ouest et le frêle soleil de ce pays donnait une lumière orangée à la pièce. Il avisa le fauteuil devant la cheminée et s'approcha. L'homme qui était assis là semblait avoir le double de l'âge qu'il avait en réalité. Son regard était vide, fixé sur une chose que lui seul voyait. Les domestiques arrivaient à peine à le nourrir avec de la soupe. Il avait maigri et bien que tous les jours il était lavé et habillé, Albéric eut l'impression d'avoir un mendiant devant lui. Il eut un choc. Ne l'ayant pas vu depuis plusieurs mois, il n'imaginait pas que son père fut diminué à ce point. Il s'approcha sans bruit et s'assit sur l'épais coussin que Freya devait utiliser lorsqu'elle était là. Et que faisait-elle ? Lui parlait-elle ? De la pluie et du beau temps ? Lui faisait-elle la lecture ? Il regarda autour de lui et ne vit aucun livre qui lui aurait confirmé cela. Se contentait-elle d'être présente ? Souvent dans ses lettres, elle lui avait dit qu'elle avait l'impression que leur père réagissait à sa présence. Il ne savait pas quoi faire. Il se leva, prit un livre de poèmes dans la bibliothèque et revint s'asseoir.
Il commença à lire les premiers vers, observant le malade, mais ne notant aucune réaction. Il poursuivit un instant, mais se rendit bien vite à l'évidence. - Qu'auriez-vous fait à ma place, père ? dit-il en tentant de lire dans ce regard aussi vert que le sien. Oh je le sais bien, vous auriez sacrifié votre fille pour le bien du Royaume. Mais je ne peux m'y résoudre… Des larmes commencèrent à couler sur ses joues et il posa tête sur le genou. Il se laissa aller à ce contact qui lui procura un certain réconfort. Il parla. Il raconta toute cette histoire complètement folle. Il dit à son père que sa fille, sa douce Freya qui s'était si bien occupée de lui, était en grand danger si lui, son propre fils, la chair de sa chair, ne livrait pas des informations sur Asgard et le Sanctuaire, trahissant par là son Royaume, sa Reine, son honneur. La respiration sifflante qu'il entendit soudain lui fit lever la tête. Il croisa le regard de son père qui semblait avoir repris vie. - Mon fils… ouït-il faiblement, j'aurais agi co… comme toi… les liens du… du sang… plus forts que… que tout. Tu dois… tu dois faire confiance… à la Reine… Sauve ta sœur… pour moi… Dans un dernier geste qui lui demanda probablement un effort surhumain, il prit la main de son fils et la serra de toutes ses forces avant d'expirer pour la dernière fois. Ses yeux ouverts restèrent fixés sur Albéric et celui-ci mit un moment avant de comprendre que son père venait de mourir. Il garda longtemps sa main dans la sienne, pensant à ses dernières paroles et pleurant sa perte. Même si la maladie et son poste au Sanctuaire les avaient éloignés, il restait son père. Il prenait brutalement conscience que la lignée des Mégrez était en grand danger. Freya était captive, peut-être même déjà morte et lui n'était pas encore marié. C'était une chose pour laquelle il pensait avoir le temps. Mais voilà que le temps le rattrapait. Et de la plus douloureuse des façons. Un serviteur entra, annonçant doucement qu'il était l'heure de coucher son père. N'obtenant aucune réponse il s'approcha et découvrit la scène. Délicatement, il releva Albéric et l'aida à s'asseoir sur l'autre fauteuil, devant la cheminée, puis il alla chercher de l'aide. À trois ils emportèrent le corps pour le préparer pour la veillée funèbre. Le jeune Baron sortit enfin de sa torpeur et demanda à ce que tous les domestiques se réunissent dans le grand salon. Lorsqu'il entra dans la pièce, les serviteurs avaient tous des visages sombres. Des femmes cachaient leurs larmes. Albéric s'avança et les observa tour à tour. Dans leurs yeux, il lisait le chagrin sincère. - Alors que vous êtes sous le coup du décès de mon père, je dois vous informer d'une autre mauvaise nouvelle. Dame Freya a disparu alors qu'elle venait ici. L'enquête diligentée par la Reine a conclu qu'elle a été attaquée par des loups. Son corps n'a pas été retrouvé. Aussi, même si elle est vide, je placerai son urne funéraire aux côtés de celle de mon père. Je vais écrire à la Reine pour lui faire part du deuil qui nous frappe. Elle fera peut-être le déplacement pour les funérailles, aussi je veux que le château soit prêt à la recevoir avec les honneurs et égards dus à son rang. Ce sera tout. Albéric regagna ses appartements. Il mangea rapidement le repas qui lui avait été apporté avant qu'il n'aille voir son père. Mais il dîna sans faim. Il demanda qu'on lui prépare un bain et se glissa dans l'eau chaude sans plaisir. Il s'immergea totalement, retenant son souffle. Peut-être que s'il se noyait, n'étant plus d'aucune utilité pour Hadès, celui-ci déciderait de libérer Freya. Et s'il la tuait ? Pour se venger ? Il sortit brusquement de l'eau et respira à pleins poumons. Non, il ne pouvait pas abandonner sa sœur. Les dernières volontés de son père étaient qu'il la sauve. Qu'il la sauve ? Oui, mais comment ? Il devrait peut-être effectivement en parler à la Reine. Lui avouer qu'il avait failli à son devoir de protection d'Asgard en trahissant son Royaume de la plus ignoble des façons. Oui, peut-être devrait-il tout lui dire… En sortant de son bain, il s'attabla à son bureau et rédigea un courrier pour sa Souveraine lui annonçant le décès de son père. Dans le pigeonnier, il choisit un oiseau au hasard et le regarda s'envoler vers l'est. Advienne que pourra…
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Depuis que Siegfried avait découvert Nidhogg et son clan, Bud et lui n'avaient pas eu l'occasion de reparler en tête à tête des paroles qui avaient été prononcées. Elles étaient pourtant capitales. Le jeune Duc qui marchait dans les couloirs du Palais de Glace n'avait qu'une idée en tête : trouver Siegfried. Il frappa à la porte de son appartement sans espoir d'y trouver le maitre des lieux. - Entrez ! Son cœur fit un bond dans sa poitrine, sa respiration s'accéléra, ses mains devinrent moites. Il lui fallut un instant avant de se reprendre et d'ouvrir la porte. - Bonjour, je ne te dérange pas ? - Non, pas du tout. Assieds-toi, serre-toi du vin. Bud verrouilla discrètement la porte derrière lui et remplit deux coupes. Il en tendit une à son ami qui la prit et s'assit dans le fauteuil, de l'autre côté du bureau. - Que disent tes rapports ? demanda-t-il sur le ton de la conversation. - Les choses habituelles. Nombre de morts, de blessés… mais les chiffres ont une nette tendance à la baisse depuis l'annonce du mariage de Saori et Julian. - Alors c'est enfin officiel. - Tu n'as pas entendu les hérauts ? - Non… enfin si, j'ai entendu qu'il y avait des harangues, mais je n'ai pas compris leur teneur. - Eh bien c'était ça. Et toi ? - Quoi moi ? - Tes espions ont-ils encore démantelé un réseau ? - Non, mais nous avons quelques individus sous surveillance. Mais je ne suis pas là pour parler de notre travail. - Et de quoi donc ? - Tu n'en as pas une petite idée ? Les deux hommes se regardèrent un long moment, laissant leurs souvenirs affluer. Et leurs craintes aussi. Pour l'un la peur de perdre l'homme qu'il aime, entrainé dans un tourbillon de Magie dont il ne sait s'il arrivera à le protéger. Pour l'autre, la joie de savoir ses sentiments partagés. Sentiments qui se sont développés sans qu'il ne s'en doute, ou presque et avec eux la résurgence du spectre de la douleur et de la souffrance. Encore. Bud s'était levé. Il avait posé sa coupe sur le guéridon à côté de la carafe et s'était approché du Ministre des Armées qui ne le quittait pas des yeux. Le Duc d'Alcor se pencha et posa ses lèvres sur celles qui avaient encore le gout du vin. - Voilà de quoi je veux parler, murmura-t-il en s'écartant pour replonger ses yeux dans ceux de Siegfried. Celui-ci le regarda, les joues légèrement enflammées, le souffle un court. Il avait peur. Peur que ce qu'il avait vécu avec Hilda ne se reproduise. Peur de souffrir encore. Encore plus, parce qu'il aimait Bud comme jamais il n'avait aimé personne. - Bud…, commence-t-il, mais les mots restèrent dans sa gorge. C'en fut trop pour le Duc d'Alcor. Il attrapa Siegfried par le revers de son vêtement, le mit debout et dans le même geste, il l'embrassa. Mais ce n'était plus un baiser léger ou prudent. C'était un baiser passionné, brutal. Le Duc de Dubhe fut surpris par tant de fougue. Il s'appuya sur son bureau, mais son compagnon en profita pour se coller à lui. - Bud…, tenta-t-il de protester encore, le corps en feu. - Quoi ? - Attends… - Attendre ? Encore ? Sieg, depuis ce qui s'est passé dans la grotte, nous n'avons pas pu nous retrouver tous les deux. Je suis en train de devenir fou… Tu me rends fou… Et il replongea sur les lèvres entrouvertes. Mais Siegfried le repoussa encore une fois, tout doucement. - Je… Moi aussi je… je suis frustré, mais reconnais que ce n'est ni le lieu ni le moment… - Parce que d'après toi il y a des instants et des endroits plus propices que d'autres pour dire à l'autre qu'on l'aime ou lui montrer qu'on le désire plus que tout ? - Non, ce n'est pas ça… - Alors qu'est-ce que c'est ? De quoi as-tu peur Siegfried ? Celui-ci leva les yeux vers Bud et le dévisagea. Était-il donc si transparent ? - Tu crois que ce que j'éprouve va s'évaporer dans une semaine ou un mois ? Tu penses que je suis si inconstant dans mes sentiments ? Ce que je t'ai dit, je ne l'ai jamais dit à personne. Pas même à mon frère. Alors je te le redemande. De quoi as-tu peur ? - Je ne sais pas… La souffrance que j'ai endurée après ma séparation d'avec Hilda est encore récente dans mon esprit et je… - Oublie-la ! Ne pense qu'à moi ! Qu'à nous ! Je comprends maintenant pourquoi j'éprouvais tant de tristesse à te voir t'enfoncer petit à petit. C'est parce qu'à l'époque j'avais déjà des sentiments pour toi, mais j'ignorais leur nature. Ce n'est qu'après avoir vécu à tes côtés ses dernières semaines que j'ai compris… Je t'aime Siegfried… Je t'aime…
Cet ultime murmure eut raison des craintes du Duc de Dubhe. Il embrassa Bud avec toute la passion qu'il éprouvait en cet instant. Il ne leur fallut pas longtemps pour se retrouver sur le lit, roulant l'un sur l'autre, ôtant leurs vêtements à la hâte. À l'instant où leurs peaux s'effleurèrent, ce fut une chute dans un abysse de sensations de plaisir que ni l'un, ni l'autre n'avait connu jusqu'alors. Siegfried, hésitant dans ses gestes, finit par laisser Bud mener leurs ébats. Il crut devenir fou quand il sentit la bouche et la langue de son amant redessiner son cou, son épaule, son torse aux tétons hérissés de désir. Entre ses cuisses, le Duc d'Alcor ne laissait aucun répit à leurs virilités qui ne cessaient de glisser l'une contre l'autre, foudroyant leurs corps d'un plaisir toujours plus brulant. Le Duc de Dubhe devina ce qui allait se passer lorsqu'il vit Bud descendre sur son ventre dont il soulignait les creux et les sillons de sa langue. Ses cuisses furent écartées avec douceur et une pluie de baisers s'abattit sur la peau tendre. - Bud… attends… Il observa son amant, son sexe pulsant à côté de sa joue. Le Duc de Dubhe ne put s'empêcher de frémir devant cette vision si excitante. Les deux hommes se regardèrent et Bud comprit ce que Siegfried voulait lui dire. Il sourit et engloutit avec beaucoup de délicatesse la lance chair dans sa bouche. Son amant poussa un cri et se laissa tomber sur le lit, le corps cambré, le souffle haletant, l'esprit entièrement tourné vers ce déferlement de plaisir qui bouillonnait en bas de son ventre. Et alors qu'il était sur le point de succomber à la jouissance, il se sentit abandonné. Mais un poids sur ses hanches lui fit ouvrir les yeux. Bud le chevauchait avec dans le regard tout l'amour qu'il avait pour lui. Soudain, il fut enveloppé d'une incandescence délicieuse qui lui arracha un long râle. - Bud…, parvint-il à gémir, pourquoi tu… - Chut… entendit-il dans son cou alors que son amant commençait à bouger autour de lui. Tu n'es pas prêt… pas encore… - Annh… Bud… - Tu connaitras les délices de m'appartenir… mmmh… ouiii… fais-moi l'amour Sieg… Le Duc de Dubhe fut subjugué par la beauté virile et sensuelle de son amant qui ondulait sur lui. Par les Dieux ! Il aimait cet homme plus que sa vie. Il ne voulait que son bonheur par n'importe quel moyen. Et celui qu'il avait à sa disposition pour l'instant, c'était son corps. Alors il s'en servit et lorsqu'il vit les réactions de Bud, lorsqu'il entendit ses gémissements, ses râles, ses mots qui l'exhortaient à continuer, encore et encore, à ne jamais s'arrêter, son cœur se gonfla d'une joie qui menaçait de le faire éclater. Il se redressa, entoura de ses bras le corps tremblant de plaisir et l'accompagna dans ses mouvements. Bud s'accrocha à ses épaules et l'attira à lui. Les deux hommes basculèrent sur le côté et Siegfried roula sur Bud toujours enfoui en lui. Entre leurs ventres, la sueur provoquait des bruits de succion aussi indécents qu'excitants. D'une main, le Duc de Dubhe remonta la jambe de son amant sur son dos, caressa sa cuisse, sa fesse qu'il écarta un peu pour s'abimer encore plus loin en lui. Ses reins se creusaient à chaque fois qu'il allait se perdre dans ce corps agonisant de plaisir. Il augmenta la cadence de ses hanches puis ralentit, jusqu'à presque s'arrêter. Un regard furibond croisa le sien et il sentit une brutale pression sur son dos qui lui arracha un sourire amusé. Il se jeta sur les lèvres desséchées par la respiration saccadée. Leurs langues se caressèrent hors et dans leurs bouches avides. Le plaisir ne cessait de croitre. Leurs corps brulants d'une fièvre voluptueuse leur faisaient perdre toute retenue. Ils en avaient tant rêvé de cette étreinte, qu'ils y succombèrent, qu'ils se noyèrent dans ses tourbillons tempétueux. Siegfried fut le premier à s'abandonner à la jouissance qui le terrassa avec une violence qu'il n'avait encore jamais éprouvée. Il se figea, tous ses muscles tétanisés, le visage enfoui dans le cou de Bud qui se caressait et ne tarda pas à le rejoindre. Son cri transperça le cœur du Duc de Dubhe. Il clama son nom. Plusieurs fois tandis que l'orgasme le brutalisait délicieusement. À cet instant, Siegfried songea que Bud n'avait jamais été aussi beau. Perdu dans le plaisir qu'il venait d'éprouver, l'homme sous lui semblait aussi vulnérable qu'un oisillon. Alors il s'allongea sur lui, dans un élan protecteur, et abreuva sa peau de baiser doux et légers. Il le sentit se calmer, sa respiration se fit plus normale. - Ça va ? murmura Siegfried quand il vit papillonner les yeux de Bud qui tentait de les ouvrir. - Je… oui, ça va… Leurs regards se croisèrent, Bud tendit la main. Ses doigts se posèrent sur la joue de son amant. D'un même geste, ils se blottirent dans les bras l'un de l'autre, s'embrassèrent, savourant leur présence, reprenant tout doucement pied dans la réalité. - Merci, chuchota Siegfried en respirant l'odeur de la peau sur laquelle il dépose un baiser. - De quoi ? - D'avoir compris… - Oh ça… Quand tu seras prêt, je me vengerai de ce que tu viens de me faire subir, plaisanta Bud, resserrant son étreinte. - Quand je vois comment tu as réagi, j'ai hâte de découvrir ça… - Ah oui ? Attends que je retrouve mes forces et tu vas voir ! Ils éclatèrent de rire après une joute amicale qui vit Bud se caler entre les jambes de Siegfried. Il s'appuya sans vergogne sur l'entrejambe, lui tirant un gémissement. Mais ils furent interrompus par des coups à la porte. - Qu'est-ce que c'est ? cria Bud. - Monseigneur, la Reine demande à tous les Ministres de la rejoindre dans la salle du Conseil. - Très bien. Je vais devoir remettre ma vengeance à plus tard, murmura-t-il à l'oreille de son amant avant de la mordiller délicieusement. Les deux hommes se rhabillèrent en hâte, mirent de l'ordre dans leurs cheveux et se rendirent à la convocation d'Hilda. Il ne manquait que Thor qui arriva quelques instants après. La Reine, assise au bout de la table, leur fit signe de s'asseoir. Elle croisa les mains devant elle et baissa la tête. - J'ai une triste nouvelle à vous annoncer. Le Marquis Albéric de Mégrez est rentré depuis quelques jours du Sanctuaire pour s'occuper des funérailles de sa jeune sœur Freya. Mais un malheur n'arrivant jamais seul, son père vient également de décéder. Un pigeon est arrivé ce matin, m'informant de cela. Je vais me rendre aux obsèques en compagnie de Mime, Fenrir et Bud. Nous partirons demain matin. Syd, je vous confie le Palais de Glace pendant mon absence. Si des évènements qui requièrent ma présence se présentent, essayez de temporiser jusqu'à mon retour. Hagen, renforcez les patrouilles dans la Cité. Fenrir ? Siegfried ? Restez, je vous prie. Prenant cela comme un congédiement, les autres Ministres sortirent. Les deux qui restaient s'entreregardèrent, curieux de connaitre les raisons qu'avait la Reine pour les retenir. Ils attendirent patiemment qu'Hilda se décide à parler. - Fenrir, vos Loups peuvent-ils nous servir d'escorte ? - Comment cela ? - Je ne veux partir qu'avec six cavaliers tout au plus. Je ne veux pas dégarnir les défenses de Walhalla plus que nécessaire. J'ai un mauvais pressentiment. Peuvent-ils nous suivre discrètement ? - Un instant, Majesté… Fenrir se tut un instant. Il avait le regard vide. Puis il posa les yeux sur la Reine. - Trois d'entre eux, est-ce suffisant ? demanda-t-il. - Ce sera parfait. Remercie-les pour moi. Siegfried, votre Dragon peut-il veiller sur la Cité la nuit ? - C'est là qu'il sort pour se nourrir, je pense que ça ne devrait pas poser de problème. Quelle sorte de pressentiment avez-vous ? - Je ne sais pas… Ça me… C'est comme une peur qui me noue le ventre. Mon cœur s'emballe… Je crains que nous soyons bien proches du début de nos ennuis… - Je vous confirme que Nidhogg veillera sur Asgard, fit le Duc de Dubhe après avoir lui aussi conversé avec la créature. - Jing propose que ses compagnons encerclent la ville, dit Fenrir. - Il pense à un genre de patrouille dans la campagne avoisinante ? - Oui. - C'est une excellente idée. Il nous faudra au moins trois jours pour nous rendre au château de Megrez et autant pour en revenir si le temps est clément. Siegfried, mettez l'armée en alerte. Messieurs, je vous remercie. Une fois dans le couloir, les deux hommes se regardèrent et hâtèrent le pas jusqu'aux appartements du Médecin. Il offrit à boire à son ami et s'empressa d'aller voir sa fille. - Elle a drôlement grandi, sourit Siegfried en voyant la petite. Ça faisait plusieurs semaines que je ne l'avais pas vue. C'est incroyable. - À cet âge, les enfants changent très vite, répondit Fenrir en embrassant la fillette. Tu penses comme moi ? - Que les Loups et les Dragons ont mieux à faire que nous servir d'escorte ou de gardes ? - Avoue que c'est quand même culotté, non ? - Je ne pense pas. Hilda nous demande de les utiliser pour protéger Asgard. Et c'est pour cela qu'ils existent. - Et les trois qui nous accompagnent ? - Elle a dit que c'est pour ne pas prendre trop de gardes. - Eh bien qu'elle en prenne plus ! Les Loups protègeront Walhalla mieux que n'importe quel soldat ! - Fenrir, calme-toi. Avoue qu'avec Jing à vos côtés, vous aurez l'esprit plus serein quant à la sécurité de la Reine. - Demande à ton Dragon de nous accompagner alors ! - Il est plus encombrant que ton loup. Et les hommes ne seront pas surpris qu'il soit avec toi. Si les soldats voient que ces créatures sont là, que crois-tu qu'ils vont penser ? - Que nous sommes encore en guerre alors que les hérauts viennent d'annoncer le mariage de Saori et Julian, mettant justement un terme à celle-ci, admit le Baron d'Alioth. - Et la classe dirigeante dont nous faisons partie perdra toute crédibilité aux yeux du peuple. - Pfff… Tu as raison, soupira le Baron d'Alioth en allongeant ses jambes sur la table basse, devant lui. Tu as évidemment raison. C'est juste que… Mes Loups et tes Dragons ne sont pas là pour ça. Pas pour protéger un groupe d'individus, mais le Royaume tout entier. - Et là, c'est toi qui as raison. Mais Hilda est Asgard. En la protégeant elle, nos… amis, je vais dire, accomplissent la mission pour laquelle ils existent. Fenrir capitula devant les arguments de son ami. Il lui adressa un pauvre sourire et vida sa coupe de vin. Ils se quittèrent pour aller se coucher. Si le voyage qu'ils allaient entreprendre n'était pas long, il serait fatigant. Ce mois d'avril était encore bien froid. Siegfried regagna ses appartements. Il se sentait las. Il ne voulait pas s'éloigner de Bud. Il avait eu un aperçu du paradis, et maintenant il voulait l'explorer dans sa totalité. On toqua doucement. Un sourire éclaira son visage lorsqu'il vit son amant passer la tête par l'entrebâillement de la porte. Il lui rapporta son entretien avec la Reine et Fenrir et Bud l'approuva. - C'est cruel quand même, dit le Duc de Dubhe paresseusement allongé sur des coussins disposés sur le tapis devant la cheminée, le Duc d'Alcor contre lui. - Quoi donc ? - Eh bien, on vient tout juste de… de se découvrir, de s'avouer nos sentiments et il faut que l'on soit déjà séparé. - Nos retrouvailles n'en seront que plus intenses, murmura Bud en déposant un baiser dans le cou chaud. - J'aurai préféré que l'on reste ensemble. - Moi aussi, mais il nous faudra toujours composer avec notre devoir. - Tu pars déjà ? s'étonna Siegfried en voyant Bud se lever. - Il est tard, et je me lève tôt demain. Même si je meurs d'envie de rester avec toi, ça ne serait pas raisonnable.
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Le château de Mégrez était une bâtisse énorme et lugubre. Par le passé, il avait permis la surveillance des côtes grâce à la construction de postes de guet. Leur efficacité avait été indiscutable et de nombreuses attaques ou tentatives d'invasions par les peuplades sauvages Viks avaient été stoppées. Aujourd'hui encore, ces petites forteresses assuraient le guet même si le nombre d'hommes qui les occupaient avait été réduit. La Reine Hilda et sa suite pénétrèrent dans la cour après avoir franchi les douves encore prises dans la glace. En haut des marches de l'entrée principale, le Marquis les accueillit en mettant un genou à terre devant sa Souveraine. Dans le hall, servantes et serviteurs s'inclinèrent à leur tour et débarrassèrent les voyageurs de leurs bagages. Albéric les emmena dans le salon de réception. Il était flanqué de deux cheminées où brulaient d'énormes bûches. Si le château était moins au nord que le Palais de Glace, il était beaucoup plus exposé à la violence des intempéries qui fondaient sur lui de la Mer de Jarl et de l'Océan des Pléiades. Il offrit des sièges autour d'une table basse devant l'une des cheminées et Jing s'allongea naturellement aux pieds de son maitre. - Albéric, croyez bien que nous sommes tous bouleversés par ce drame, déclara la Reine avec beaucoup de douceur. - Je vous remercie. Ce qui m'attriste le plus c'est que je n'aurai pas eu la joie de revoir ma sœur. Heureusement, j'ai pu au moins revoir mon père. - Je ne m'explique pas comment son état de santé a pu se dégrader si rapidement, dit Fenrir. Je suis venu régulièrement le voir et il me semblait stable. Je ne comprends pas… - Je crois qu'il a renoncé à lutter, leur confia leur hôte. Sa fierté et son honneur lui commandaient de se battre jusqu'au bout, mais tout homme a ses limites. Il a dû atteindre les siennes… - Nous sommes de tout cœur avec toi, mon ami. - Merci Bud. Désirez-vous des boissons chaudes ? Du vin ou des infusions ? - Ce n'est pas de refus, fit la Reine en souriant. Albéric donna rapidement quelques ordres et revint vers ses visiteurs. - Les funérailles auront lieu demain. Le bucher est prêt. Il sera allumé à midi. - Et… pour Freya ? demanda timidement Mime. - Je placerai son urne funéraire dans le caveau, aux côtés de celles de mes parents et de nos ancêtres. Majesté, je voulais vous remercier du fond du cœur de ce que vous avez fait pour comprendre les raisons de sa disparition. Hilda lui avait dit qu'elle avait trouvé une lettre où la jeune femme donnait les motifs de son départ si soudain. Son père était au plus mal et elle devait le rejoindre le plus rapidement possible. Bien évidemment, Albéric n'avait rien démenti. Personne n'avait fait parvenir de lettre à Freya. Et par la suite, dans le premier message qu'elle avait été autorisée à lui envoyer, la jeune femme lui avait expliqué qu'elle avait été victime d'un sortilège. L'entrée d'une servante portant les boissons donna un instant de répit à Albéric. En voyant la sincère tristesse et la compassion dans les yeux de ses visiteurs, il s'en voulut de leur mentir si ouvertement. Les dernières paroles de son père l'enjoignaient à tout raconter, mais plus le temps passait, plus il avait du mal à le faire. Le matin même encore, avant leur arrivée, il se sentait le courage de tout avouer, mais maintenant tout devenait plus compliqué et sa détermination s'amenuisait dramatiquement. Le diner fut délicieux, mais les circonstances qui réunissaient les convives n'aidaient pas à rendre l'ambiance agréable. Albéric s'enquit de la vie au Palais de Glace, prit des nouvelles de ses autres compagnons qui étaient restés là-bas. La Reine lui fit quelques révélations sur la situation et Fenrir lui expliqua qui était Jing. Le Marquis fut fort surpris. Il avait du mal à imaginer le loup avec des ailes et d'une taille nettement plus imposante. La soirée se termina plus détendue. La Reine se retira assez tôt. Le voyage avait été fatigant, même s'il avait été tranquille. Mime, Fenrir et Bud allèrent se coucher peu de temps après et Albéric rejoignit sa chambre. Il s'assit sur le rebord de la fenêtre et regarda le ciel piqueté d'étoiles. Il pleura… Le lendemain, le vent soufflait moins fort. Le bucher avait été monté sur le bord de la falaise qui surplombait le lac. La dépouille fut installée sur la table et le bois imprégné de poix. Albéric se tenait à bonne distance, Hilda à ses côtés, Bud, Mime et Fenrir derrière eux, et en retrait les domestiques. Le Marquis prit une torche et s'approcha. L'embrasement fut rapide. Mime entama une complainte à la lyre et contre toute attente, Jing se mit à hurler. Tout le monde le regarda, surpris. Fenrir s'accroupit auprès de l'animal et entoura son cou de ses bras. - Nous comprenons la douleur de votre ami, entendit le Baron dans sa tête. - Merci, répondit simplement le Médecin en serrant un peu plus ses bras. D'autres hurlements s'élevèrent dans le lointain. - Les tiens ? demanda encore Fenrir. - Oui, et d'autres loups aussi… Albéric laissa quatre gardes pour surveiller le bucher. Lorsque celui-ci serait éteint, il remplirait l'urne avec les cendres et la déposerait dans le caveau familial. Il regagna le château avec la Reine et ses compagnons dans un silence pesant. Ils s'installèrent dans le grand salon. L'après-midi était assez avancé et le maitre des lieux demanda qu'on leur serve un en-cas pour patienter jusqu'au diner. Mime joua quelques mélodies plus gaies pour détendre l'atmosphère, Jing couché à ses pieds qui semblait particulièrement apprécier. - J'ai toujours été jaloux de ceux qui étaient capables de jouer d'un instrument, dit Bud en souriant. - Moi je n'ai aucun talent pour ça, renchérit Fenrir. - Chacun possède un don qui lui est propre, rétorqua le Comte de Bénétnash en tirant une dernière notre de sa lyre. Je n'ai aucune compétence pour l'espionnage ni pour guérir les gens. - Tu peux apprendre, lui suggéra Bud. - Toi aussi, tu peux apprendre la musique. Bud releva le défie et prit la lyre. Après un bon moment à essayer de la tenir correctement, il renonça sous les rires d'Hilda et de ses amis. - Majesté, vous resterez bien quelques jours sous mon toit, proposa Albéric. - Je vous ai informé des derniers évènements et je ne veux pas m'absenter trop longtemps du Palais. J'aimerai aussi que vous nous y rejoigniez dès que vous le pourrez. - Je pense reprendre mon poste d'ambassadeur auprès du Roi Mitsumasa si vous êtes d'accord, Majesté. - Nous en reparlerons quand vous viendrez, temporisa Hilda. Nous repartons demain. Espérons que le temps reste aussi clément pour notre retour. - Je vous le souhaite, ma Reine. Je me rendrai au Palais de Glace dans quelques jours. Si vous le souhaitez, nous pouvons passer à table. Après trois jours d'un voyage relativement tranquille, la Reine et son escorte arrivèrent en vue du Palais de Glace. Chacun rentra bien vite se réchauffer dans ses appartements avant de se rendre à une réunion ordonnée par Hilda pour se tenir informés de la situation pendant leur absence. Il n'y avait rien de nouveau et cela troubla la Souveraine. - Vous semblez déçue, Majesté, observa Thor en haussant un sourcil. - Pas déçue, mais très inquiète, soupira-t-elle. Il y a eu une montée en puissance du danger qui nous menace et maintenant les choses sont stables. On dirait le calme avant la tempête… - Vos ordres ont été suivis à la lettre, lui confirma Siegfried. L'armée est en alerte. - J'ai doublé les patrouilles sur nos côtes, déclara Hagen qui était encore vexé de n'avoir pas décelé le marché noir avec les Viks, quelques semaines plus tôt. - Merci messieurs. Je crois que nous ne pouvons rien faire de plus pour le moment. Le mariage de la Princesse Saori doit avoir lieu au début du mois de juin. J'espère que d'ici là, Albéric sera revenu parmi nous. Je veux qu'il représente Asgard dans la délégation qui accompagnera la future mariée. - Lui en avez-vous parlé ? demanda Fenrir. - Oui, il m'a dit qu'il allait bientôt revenir. J'espère qu'il n'a pas oublié l'importance de cet évènement et qu'il sera là à temps. Bien, je crois que nous pouvons mettre un terme à cette réunion. Une fois dans sa chambre, Hilda demanda à Angus de lui apporter son repas et d'aller quérir le Premier Ministre. Elle terminait son verre de vin lorsqu'on frappa à sa porte. - Entrez. Syd pénétra dans la pièce et sourit. Il semblait sortir des thermes et portait des vêtements d'intérieur. - Tu as estimé que ma convocation ne te concernait pas ? fit la Reine d'une voix calme, mais où perçait l'énervement. - Je me suis dit que tu me demanderais de venir te voir. Nous n'avons guère eu l'occasion d'être ensemble ces derniers temps. - Tu dois te douter de la raison, soupira Hilda en s'asseyant devant la cheminée et faisant signe à Syd de prendre l'autre fauteuil. - Tu crois que je m'attache à toi et tu préfères mettre un terme à notre relation avant que les choses ne deviennent trop compliquées. - Étant donné les évènements qui s'annoncent, je veux que tu aies l'esprit libre de tout ce qui pourrait te détourner de ton devoir. Pour m'être parfois attachée à certains de mes amants, je sais qu'il est difficile de ne pas penser à la personne que l'on affectionne. Et je ne veux pas que cela t'arrive. Syd sourit en regardant les flammes. Hilda avait dû répéter cette phrase pour avoir réussi à trouver les mots justes et à la dire sans hésitation. - Rassure-toi. Le moment venu, je ferai mon devoir. Mais si tu veux que l'on se sépare, je me plierai à ta volonté. - Je suis soulagée que tu le prennes ainsi. - Je ne suis pas Siegfried, si c'est ce que tu sous-entends. - Je n'ai jamais voulu lui faire de mal, tu sais… - Nous le savons tous. C'est lui qui s'est laissé piéger par son cœur. Heureusement, il va beaucoup mieux. - Ces compétences m'ont beaucoup manquée et je me réjouis également de voir qu'il a réussi à surmonter notre rupture. - Hilda, tu es une femme très belle et très intelligente. Ne sois pas surprise de déclencher des passions autour de toi. - Tu sembles être immunisé. - Je savais ce que je risquais si je tombais amoureux. Je ne sais pas comment je me suis prémuni contre ces sentiments. Ça ne m'empêche pas d'avoir beaucoup de tendresse et de respect pour toi. - Merci, Syd. La Reine se perdit dans la contemplation des flammes. Devinant aisément que leur entretien était terminé, le Premier Ministre la laissa seule. Pendant qu'il longeait le couloir qui le menait chez lui, il se demandait comment elle faisait pour ne pas comprendre pourquoi elle n'aimait pas ses amants. C'était tellement évident pour lui. Elle sentit la fatigue s'abattre sur elle comme la hache du bourreau sur le cou du condamné. Elle poussa un profond soupir de lassitude. Elle aurait voulu se coucher et s'endormir tout de suite, mais elle avait une chose à faire encore. Mettre par écrit tous les souvenirs qui lui étaient revenus lorsqu'elle avait accompli la transe quelques jours auparavant. À chaque fois qu'elle avait voulu en parler avec Angus, elle avait eu l'impression que quelque chose ou quelqu'un l'empêchait de le faire. Les mots ne sortaient pas de sa bouche malgré les efforts qu'elle faisait. Peut-être que coucher sur le papier ce qu'elle avait vécu lui serait accordé. D'un pas lourd, elle se dirigea vers son bureau, s'assit, prit une feuille de parchemin, une plume qu'elle trempa dans l'encrier et commença à écrire. Pendant une bonne partie de la nuit, à la lueur de trois bougies, elle couvrit plusieurs feuillets de son écriture fine et élégante et à mesure qu'elle se délestait de cette aventure, elle se sentait plus angoissée. Certes, elle avait obtenu plus de détails sur les évènements à venir, mais il restait encore beaucoup trop de zones d'ombre. Et c'est ce qui l'inquiétait le plus. Les précisions sur le danger qui menaçait les Royaumes étaient précieuses, mais loin d'être suffisantes et encore moins rassurantes. Par contre, la Reine sentait instinctivement que ce qui lui restait caché était d'une redoutable sauvagerie. Les violentes fluctuations des Forces Magiques en attestaient. Il fallait absolument qu'elle rencontre le Roi Mitsumasa et son Conseiller Privé, Shion.
À suivre…
(1) Gunro : nom du cheval de Fenrir tiré de son attaque " Northern Gunro Ken" la Meute de Loups Nordiques.
(2) Dans un autre registre, il est censé représenter les trois éléments : la terre, le feu et l'eau et non, l'eau, la terre, le feu et l'air (la notion d'air étant de très loin contemporaine à ses origines). Certains Bretons disent qu'il représente l'eau, la terre et le feu, l'air étant au centre . Il peut aussi représenter la continuité du temps qui passe : passé-présent-avenir ; ou encore les trois âges de la vie (jeunesse, âge mûr, vieillesse) . Il est également dit qu'il pourrait être représentatif des "Trois Mondes" : le Monde des vivants, le Monde des Morts et le Monde des Esprits. Une autre représentation celtique : trois éléments primordiaux, l'air (en haut), l'eau (à gauche qui s'enroule comme une vague), la terre (à droite, comme une pousse de fougère qui se déploie). Le feu n'est possible que par la présence de deux éléments primordiaux, terre et air, et ne serait pas considéré comme un élément primordial. Cette signification ramène également aux trois états de la matière (solide, liquide, gazeux). Il est difficile de donner au triskèl une symbolique exacte, la transmission du savoir chez les druides ne s'étant faite que de manière orale.
>> Chapitre 22 partie 1 >>
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